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Django et Manoukian, ou les vérités alternatives dans le jazz..

20 Sep

 

Ça se passe sur une des grandes radios généralistes, dans la première matinale de France, et ça défrise ou ça décoiffe, ou ça effraie et ça énerve. Vers 7h20 un pseudo spécialiste du jazz qui officie à ces heures pour faire de la vulgarisation nous apprend ce mercredi 20 septembre que Django Reinhardt est mort en 56, qu’il a appris le swing en écoutant Bach, et que c’est Ellington qui lui a révélé les accords 6 ème diminués…

Rectifions donc :

  • Django est mort le 16 mai 1953
  • C’est en 1930, après la mutilation de sa main dans un incendie qu’il réinvente le jeu de guitare, avec ses fameux accords diminués,
  • C’est en écoutant des disques de Louis Armstrong (son idole) chez Emile Savitry en 1931, à Toulon, qu’il découvre le vrai jazz.
  • C’est en 1933-34 qu’est fondé le Quintette du Hot Club de France avec Stéphane Grappelli et c’est plus vraisemblablement à cette époque qu’il a découvert Bach par Grappelli..
  • Quant à l’initiation au minor 6 due à Duke Ellington, c’est à pleurer devant ces balourdises.

Attendons-nous à savoir dans la prochaine manoukianerie que Louis Armstrong a appris la trompette dans un tipi cherokee à la New Orleans, et que le blues est né des états d’âmes des indiens.. (ah non, ça c’est déjà fait..) quand ils allaient chanter des cantiques dans les églises blanches et qu’en fait c’est le red spiritual qui a initié le blues et le jazz. Tout est possible.

Dire qu’il y a eu sur cette antenne Julien Delli Fiori, Frantz Priollet, et bien avant eux Sim Copans, et quelques autres qui savaient de quoi ils parlaient, qu’on pouvait écouter en confiance, avec intérêt soutenu, au lieu de piquer une crise quand un hurluberlu ne sait même faire comme le premier imbécile venu qui va voir sur wikipédia quand il ne sait pas, et devient ipso facto moins imbécile.

Bon, il y aurait encore quelques belles manoukonneries à citer, passons, il reste que ce qui est dit sur Les Doigts de l’Homme dans ce contexte est très dévalué par ces vérités alternatives manoukiennes, mais ceux qui connaissent un peu le jazz dit manouche, savent depuis longtemps la qualité de ce groupe..

Pour avoir des infos sérieuses sur ce sujet, rien de mieux que le coffret Django Reinhardt gentleman manouche, avec un DVD interview de Patrick Saussois, qui fait une synthèse claire et précise, en gros, tout ce qu’ignore Manoukian. (et éventuellement les livres de François Billard/Alain Antonietto, et ceux de Patrick Williams documentés avec sérieux, et très complets)

Ci-dessous la chronique en question, sur le site de France Inter. A vous de voir…

Ce matin, André Manoukian nous fait écouter l’un des meilleurs groupes de jazz manouche, tout en nous expliquant que le jazz manouche n’existe pas…

Non Nicolas, (Demorand) le jazz manouche n’existe pas , son inventeur, Django Reinhardt, dans les années 30, était un manouche qui jouait du jazz. Alors ce nom, cette idiotie ghetoïsante, est né bien après la mort de Django qui survint en 56, probablement à la fin des années 80, cette période où l’on retourne partout au communautarisme et où qualifier un être d’après son origine ethnique n’est plus un problème.

Mais si Django ne jouait pas du jazz manouche, qu’est ce qu’il jouait ?

Du jazz tout simplement. Pour faire court Nicolas, disons que le premier théoricien du jazz s’appelle Jean-Sébastien Bach, et qu’il dit tout dans l’art de la fugue.

Django qui jouait du Bach, s’en inspira, ainsi que du swing et d’un de ses maitres, Duke Ellington, à qui il va emprunter un accord très coloré, minor 6, pour faire technique, que Django va mettre un peu partout, à tel point qu’un jour il va se le faire chiper par Henri Salvador, qu’il relèguera au fond de la scène pour qu’il ne lui pique rien d’autre.

C’est ça qui est formidable, la naissance d’un style peut naitre de la qualité d’un accord…

suite ici : https://www.franceinter.fr/emissions/manouk-co/manouk-co-20-septembre-2017

Norbert Gabriel