Que se passe-t-il?
J’n’y comprends rien
Y avait une ville
Et y a plus rien
Je m’souviens que j’marchais
Que j’marchais dans une rue
Au milieu d’la cohue
Sous un joyeux soleil de mai
C’était plein de couleurs
De mouvements et de bruits
Une fille m’a souri
Et je m’souviens que j’la suivais
Je la suivais
Sous le joyeux soleil de mai
Chemin faisant j’imaginais
Un mot gentil pour l’aborder
Et puis voici
Que dans le ciel bleu de midi
De plus en plus fort j’entendis
Comme arrivant de l’infini
Ce drôle de bruit
Ce drôle de bruit
Cette chanson de Claude Nougaro nait en 1958, sur une musique proposée par Jimmy Walter, elle est créée au Lapin Agile ; chez Nougaro, c’est un des rares exemples de texte écrit en une nuit, pratiquement d’un seul jet. « C’était un auteur laborieux qui aimait peaufiner et revenir sur un texte. » (J. Walter Paris Inter 3 Janvier 1963)
Avant d’être chanteur à temps complet Nougaro a été journaliste, avec Il y avait une ville, il est un chroniqueur sous le choc de la guerre nucléaire, dont le spectre est très présent en ces années de guerre froide. Pour mémoire, la Russie et les USA sont dans un bras de fer virtuel, et la France est géographiquement entre les deux. Autant dire aux premières loges.
Nougaro écrit un texte-scénario qui fait jaillir des images, pas de refrain, une succession de scènes, comme dans un film muet dont il est conteur. On est embarqué, on devient ce personnage dans un rêve-cauchemar qui passe d’une flanerie printanière à l’apocalypse fin du monde.
Nougaro tenait beaucoup à cette chanson dont il a enregistré plusieurs versions entre 1958 et 1964 , la dernière, avec Maurice Vander et Eddy Louiss est sans doute la plus intense, avec une sobriété dans l’arrangement qui sublime la dramaturgie de l’histoire. Une autre version, de 1963 avec un orchestre dirigé par Michel Legrand restera dans les tiroirs jusqu’ en 2004… On peut préférer la version 64.
« Je ne sais pas si c’est tout le monde… »* mais il y a des chansons dans lesquelles on entre en devenant le personnage principal, un « Je » héros malgré lui… Celle-là en fait partie, on n’est plus un témoin extérieur qui regarde l’écran, comme dans « Le cinéma », là, on est dans le film.
Dans la même famille, sur le plan regard journalistique, il y a Bidonville, et sur le plan jaillissement, Nougayork , le renouveau Nougaro- le ReNewGaro ? – texte écrit en quelques heures, né de la rencontre-choc avec New York.
Peu de reprises de cette chanson ont eu les faveurs du public et des majors, Béatrice Arnac est introuvable sur les plateformes musicales, mais Philippe Clay et Maurane sont disponibles.
Philippe Clay, dans sa version, met en scène un narrateur avec des bruitages, et un silence lourd quand il se rend compte qu’il est seul .. Nougaro, lui termine son rêve, son mauvais rève en chuchotant dans la version 1964… Maurane l’a enregistrée avec orchestre, (en 2009) il y a plus de musique, mais c’est presque un effet de colorization, là où on attend un dépouillement plus près dela tragédie en cendres noires. Question de point de vue ?
En terminant cette chronique, il vient comme un écho d’un futur peut-être proche, comme si Nougaro perché sur un nuage écrivait un de ces chants désespérés, Y avait un monde, et y a plus rien… mais le pire n’est jamais sûr, et on n’est jamais à l’abri d’une bonne nouvelle.
*Phrase de Marguerite Duras, mise à la une par Vincent Delerm.
Et pour quelques notes de plus,
NOUGARO avecMaurice Vander et son orchestre 1964
Pour mémoire Hiroshima a été la première ville à subir un bombardement nucléaire. Les deux pays étaient en guerre. Pour rappel, c’est 1er novembre 1911 lors de la guerre italo-turque qu’a eu lieu le premier bombardement par avion d’une ville. Puis au cours de la guerre civile espagnole, l’aviation allemande intervient dans un pays avec lequel elle n’est pas en guerre, notamment lors du bombardement de Madrid (1936) et du bombardement de Guernica 1937 qui a été rasée par un tapis de bombes. Préfiguration d’Hiroshima et Nagasaki.
Norbert Gabriel
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