Entretien réalisé par Miren Funke et Emma Pham Van Cang.
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Si Musicalarue fournit toujours l’occasion de belles découvertes, entre les plateaux des célébrités confirmées, on s’y est également régalé à retrouver des groupes de musique disparus des scènes depuis de nombreuses années, et dont les chansons nous restent en mémoire, tant elles ont escorté l’émoi de notre adolescence et son éveil au sens de l’urgence et aux rébellions psychologique, sociale et politique. Non, il n’est pas question ici de Trust, qui occupait la grande scène des Sarmouneys avec un spectacle sans réelle surprise et quelque peu surjoué, mais de Ludwig Von 88, à l’assaut, la veille, de la scène St Roch, plus modeste, mais bien plus ludique. Certes Ludwig n’est pas le seul des groupes de références d’une génération enchevêtrée à l’essor de la scène alternative française des années 80/90 à avoir décidé de sa reformation -quoi qu’il n’ait jamais officiellement annoncé sa séparation- après un silence si long. Et pour cause : loin d’être devenues obsolètes, les revendications et aspirations qui tenaient à l’âme insurgée d’une jeunesse militante goutant aux joies de l’impertinence semblent cruellement d’actualité, aujourd’hui encore. Peut-être même plus encore. Et peu importe que ce soit les artistes qui aient encore quelque chose à dire qu’ils n’ont pas dit ou la société qui ait encore quelque chose à entendre qu’elle n’a pas entendu, c’est aussi un propos d’une absolue profondeur que portait à Luxey la formation renouée, dix sept ans après que chacun de ses membres soit parti de son côté gouter à d’autres expériences, artistiques ou littéraires, et arpenter des routes plus personnelles : la nécessité de la fête et de la déconnade, comme une résistance à l’inhibition, l’autocensure et la gravité qui contraignent nos libertés et dissipent la joie de vivre. S’ils prétendent le contraire, n’en croyez pas mot : Ludwig Von 88 jouait au soir devant un public massif, complètement enthousiaste de partager à nouveau ou enfin un concert du groupe, qui poursuit une tournée de plusieurs dates à travers la France. Quelques heures avant, les membres nous accordaient un court entretien, qui, sans confier de révélation fracassante, fut l’occasion amusante de retrouver leur sens de la dérision intacte et d’apprendre à quel point une pizza peut changer le cours de l’histoire.
– Bonjour et merci de nous accorder un peu de temps avant votre concert. Comment s’est décidée la reformation du groupe autant d’années après?
– Bruno : En fait ça faisait dix sept ans qu’on n’avait pas joué ensemble. On a fait ça parce qu’on avait besoin de rentrer plus profondément dans la musique. On jouait sur une gamme pentatonique, et on voulait passer à la gamme sextatonique. Il fallait pour cela qu’on apprenne au moins une note de plus. Et ça nous a pris dix sept ans. Du coup, quand on s’est réunis, c’était quelque chose de nouveau pour nous.
– Mais aviez vous envisagé lors de votre séparation de vous retrouver un jour ?
– Bruno : Si tu veux, quand on s’est arrêtés, on ne s’est pas vraiment arrêtés en fait. On est chacun parti faire nos projets parallèles. Et puis la vie nous a réunis autour d’une pizza. Et ça a été le déclic.
– Les propos de vos chansons et les thématiques sociales, prééminentes il y a vingt ans n’ont malheureusement pas vieillis et restent d’une actualité cruelle. Quel est votre regard sur le sens de l’évolution de notre pays ?
– Bruno : Ben, oui, c’est bizarre, ça ! Nos propos, ils ne sont pas vraiment plus d’actualité qu’avant. Mais le fait qu’ils le soient encore est plus inquiétant qu’avant. Parce que si nos propos sont toujours d’actualité, c’est que ce n’est vraiment pas parti dans le bon sens.
– Musicalarue est une étape sur la tournée de votre « retour » : est-ce l’opportunité pour vous de rencontres ou de retrouvailles avec d’autres artistes ?
– Bruno : C’est chouette. Déjà un festival comme ça, dans la ville, c’est sympa. Pour les rencontres, déjà on doit voir Véronique Sanson. Elle a dit qu’elle passerait nous saluer.
– Etes-vous toujours aussi perchés qu’il y a vingt ans ?
– Charlu : On n’a jamais été perchés, nous.
– Bruno : Non, nous c’est notre état normal.
– Charlu : On consulte, en fait ; on va voir un psychiatre, tous ensemble. C’est moins cher ; c’est un psychiatre lowcost.
– Depuis votre reformation, avez-vous le sentiment de voir venir à vos concerts des gens qui ne sont pas nécessairement de votre public historique et de toucher des jeunes générations réceptives à votre musique?
– Charlu : Non, au contraire : on arrive à effrayer les gens qui ne nous aimaient pas et à dégouter en plus ceux qui nous aimaient.
– Bruno : En fait le but, c’était de ne pas jouer pendant dix sept ans, pour que plein de gens aient envie de nous revoir. Il y en a à peu près cent mille en France. Et à chaque concert, y en a cinq cent qui partent, dégoutés. Donc on a compté qu’il faut qu’on fasse deux cent concerts pour dégouter tout le monde. Mais le problème est qu’il y a des nouveaux qui se greffent à l’histoire, qui ne sont pas encore dégoutés. Des petits jeunes qui aiment ça, et même des vieux qui ne nous connaissaient pas.
– Charlu [en danse]: Excusez nous : il y a de la musique folklorique à côté, et ça nous fait vibrer. C’est comme la Bretagne : ça nous gagne !
– On entend souvent regretter l’époque du développement de la scène alternative, au sens où on en disait les publics plus éclectiques, mélangés et moins sectaires qu’aujourd’hui. Cela correspond-t-il à votre propre un constat aussi ?
– Bruno : Si je regarde le concert d’aujourd’hui, je n’en ai pas l’impression. Il est vrai que nous sommes dans un festival. Mais il y a des festivals punk, des moins punk, des festivals reggae, de musiques actuelles : il y a de tout pour tout le monde.
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Miren Funke et Emma Pham Van Cang
Photos : Miren (1), Loic Cousin (2 ; 3 ; 4 ; 5 ; 6 ; 7)