Sortie du livre posthume du chanteur Ludo Tranier (Lareplik/Buscavida), Carnet de Déroute

2 Août

Le 17 juillet dernier, le bar Le Bateau Ivre à Pessac (33) accueillait les amis du chanteur Ludo Tranier, qui nous a quittés le mois précédent [ici] pour célébrer sa mémoire, et son amour de la vie, de la fête et des amitiés, à l’occasion de la sortie posthume de son livre, Carnet de Déroute, que ses proches organisaient là.

Le récit, dont Ludo avait évoqué le manuscrit, lors d’un premier entretien alors qu’il était en cours d’écriture [ici], et qu’il s’amusait à présenter avec autodérision comme « à mi-chemin entre Bernard Lavilliers et Bernard Menez », raconte avec humour, tendresse et un certain réalisme familier les émotions, aventures et mésaventures vécues lors de son périple baroudeur en Argentine et Uruguay, qui a été source d’inspiration pour plusieurs chansons de son groupe Buscavida.

Non, je n’oublierai jamais la baie de Rio
La couleur du ciel, le nom du Corcovado
La Rua Madureira, la rue que tu habitais
Je n’oublierai pas, pourtant je n’y suis jamais allé 

chantait Nino Ferrer (« La rua Madureira »). Après la lecture de Carnet de Déroute, j’ai le sentiment, moi aussi, que je n’oublierais jamais la conduite folle des taxis dans Buenos Aires, les poissons volants de l’océan près de Villa Gessel, et le bar Perro Que Fumar du port de Montevideo, pas plus que la Boca, « berceau du tango », les crues du Rio de la Plata, et les résidents de l’auberge YMCA acclamant « Loudo » à la guitare pour quelques chansons.

C’est bien sûr avec une émotion toute particulière qu’on avale les mots d’un ami récemment disparu. A moins que ce ne soit eux qui m’aient avalée. Dès les premiers et sans transition avec la tristesse qu’a laissée son départ, la plume de Ludo m’a happée dans cet autre hémisphère, si lointain, et semblant pourtant étrangement familier découvert à travers son regard, plongée dans l’effervescence et la frénésie des artères de la capitale argentine, rivée à la table des bars et auberges où Ludo a séjourné avec son ami Alex, et réchauffée à la compagnie des rencontres humaines qu’il y a faites. L’appréhension du chagrin qui aurait pu me submerger à la lecture du livre fut dissipée en un quart de page par un premier éclat de rire, que bien d’autres allaient suivre. De ces éclats de rire que Ludo avait l’art de provoquer, et l’intelligence de savoir indispensables au rythme de la vie, lorsqu’il relatait des situations, décrivait des personnages ou ironisait sur lui-même. C’est toute l’humanité de Ludo qu’on entend parler dans son écriture, qui nous fait vivre avec lui ces jours passés à rencontrer une autre réalité, dont le musicien épris de chansons de marins, de vérité populaire, de bars du port, de tavernes négligées, mais chaleureuses, d’horizons étrangers où palpitent des cœurs similaires aux nôtres, avait rêvé depuis longtemps, ces jours passés à traverser du paysage, participer à des manifestations, être choqué par les ravages de l’ultralibéralisme et la misère des populations, et renforcé dans ses convictions et ses principes par la solidarité et la générosité des humbles, se laisser enivrer par la contemplation de la nature luxuriante ou quelques litres de bière. Je ressenti d’ailleurs après quelques pages, comme une curieuse soif : une furieuse envie de partager une Quilmès avec lui, qui ne me quitte pas. Il se peut qu’elle vous prenne aussi. A moins que ce ne soit l’odeur des cuisines sud-américaines qui réveille votre appétit ou l’écho des musiques qu’adorait Ludo qui vienne vibrer sur vos tympans.

Carnet de Déroute est l’œuvre d’une âme vraie, un humain atypique et pourtant si authentique, un artiste passionné et intègre, un esprit rebelle, avide et aimant, une existence sincère, cohérente et fidèle à ses convictions et valeurs, qui nous raconte des moments vrais, des gens vrais, un monde vrai, et par delà sa mort, en dépit de la mort, reste si présent et vivace qu’il parvient encore à chasser les sanglots et les diluer dans des larmes de rire. « On apprend vachement d’un peuple à la façon dont il traite ses morts » écrivait-il, en racontant sa visite du cimetière où se situe la tombe d’Eva Peron. On apprend aussi sans doute beaucoup d’un humain à la façon dont il défie la mort et au souvenir qu’il laisse aux autres.

Le stock de livres est actuellement épuisé, mais une réédition est en cours et sera vite disponible, via Vigie Chapre ici https://www.facebook.com/vigie.chapre

Miren Funke

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