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Musicalarue : rencontre avec La Caravane Passe

4 Sep

Par Miren Funke

 

Si certains concerts lors de Musicalarue ont pu, bien qu’interprétés parfaitement sans la moindre fausse note, laisser un gout quelque peu insipide en termes de rapport entre les artistes et le public et de communication d’énergie, ce fut loin d’être le cas avec La Caravane Passe. Bien au contraire ! Passant comme beaucoup par là, dans l’idée d’écouter trois ou quatre chansons avant d’aller voir ailleurs, il nous fut impossible de résister à l’absorption et à l’euphorie d’être happés par ce spectacle plus que vivant, comme par la gueule d’un monstre familier, enjoué et extatique. Délirante ivresse de métissages entre les cultures folkloriques nomades d’Europe, du Sud à l’Est, hybridée de musiques actuelles et d’influences électro et urbaines, la chanson de La Caravane Passe explosait sur scène tel un feu d’artifice, dont les étincelles rejaillissaient sur les festivaliers, avec pour bouquet final une séquence de plusieurs morceaux populaires et militants (« Bella Ciao » entre autre) interprétés acoustiquement avec les cuivres au milieu du public où les membres du groupe étaient descendus. Coup de cœur indéniable pour cette formation, dont l’esprit, l’humanité, le contact et la mise en scène du spectacle nous ont autant touchés que les musiques festives, barrées et originales, hautes en couleurs. Après leur concert, les deux fondateurs, Toma Feterman et Olivier Llugany acceptaient de nous accorder quelques minutes.

 

– Bonsoir et merci de nous accorder un peu de temps. Pouvez-vous nous raconter la genèse de votre groupe ?

– Toma : Le groupe est né il y a 17 ans et 5 albums. L’idée à l’origine vient de la rencontre entre moi, dont les grands parents viennent de Pologne et de Roumanie et Llug [Olivier Llugany]  qui vient de Catalogne. Nous avions chacun de notre côté des projets très différents ; et on a eu envie de monter groupe traditionnel pour jouer des musiques d’Europe de l’Est et d’Espagne, composer une espèce de nomadisme européen.

– Olivier : Une « gitannerie » en fait.

– Toma : Ce qui est drôle, c’est que pour ma part j’avais travaillé la guitare flamenca, donc qui vient d’Espagne, alors que lui joue un cuivre typiquement catalan, mais qui ressemble aux instruments d’Europe de l’Est.

– Olivier : Quand on s’est rencontrés, il m’a proposé d’aller en Serbie, et j’étais d’accord à condition d’aller au festival de Guca à 150 kilomètres de Belgrade, qui est un festival de fanfares de cuivres ; ça me parlait à fond.

– Toma : C’est vraiment un concours de campagnards où on élit la « trompette d’or ».

– Olivier : Et lui voulait aller en Andalousie, parce que c’est le pays de la guitare qui le passionne.

– Toma : Et donc on a monté un groupe, acoustique au début, complètement à côté de nos projets respectifs. Personnellement j’avais fait de la musique depuis les années 90 : j’ai commencé par du Punk ; j’ai fait de la chanson… J’ai toujours écrit des chansons. Mais j’avais envie d’un groupe de musiques traditionnelles en lien avec mes origines. On jouait dans les cafés, et un jour dans un café, un type de chez Emmaüs, qui faisait la programmation culturelle de l’association nous a proposé de venir travailler pour animer les soirées pour les SDF. C’était principalement des migrants, quelques clochards.

– Olivier : Quelques clochards qui en avait marre de passer du temps dehors, alors venaient se poser un soir.

– Toma : Ils nous appelaient les jours de mauvaises nouvelles, pour qu’on vienne leur remonter le moral ; et on jouait dans les cafés en même temps. A l’époque en France, il n’y avait pas beaucoup de groupe qui jouait ça. Il y avait Bratsch, Taraf de Haïdouks. Ce qu’il est important de dire, c’est que nous connaissons très bien les musiques traditionnelles, mais que ce qu’on n’aimait pas est le fait que les concerts de ces musiques là avaient un côté « exposition coloniale ».  Et quand les interprètes de ces musiques jouaient, en général c’était dans des salles assises où le public venait écouter la musique d’indigène en quelque sorte. Alors qu’en fait ce sont des musiques sociales, populaires : ce sont des musiques de fêtes, de baptême, de mariage. Notre idée était donc de mettre un « coup de pied au cul » à tout cela et de faire ici la musique telle qu’on la connait au bled. Donc on jouait dans les cafés, et ça a grossit peu à peu et pris plus d’ampleur dans le milieu alternatif. Le monde commençait à arriver vers nous ; on a vu des gens venir qui ne pouvaient plus rentrer dans les cafés, et on a commencé à faire des salles de plus en plus grosses. J’ai alors décidé d’arrêter ce que je faisais à côté, avec mes compositions, et de proposer à Llug d’écrire pour la Caravane. Il y a donc eu un tournant à ce moment là, et nous avons composé et sorti 5 albums. Il y a des gens qui nous suivent depuis le début, d’autres qui arrivent et découvrent, et on continue de tourner de manière alternative.

 

– Les autres membres du groupe actuel étaient-ils au départ de l’aventure ?

– Toma : A la base, non ;  j’avais appelé des copains pour faire un groupe, et le seul musicien que je n’avais pas, c’était un tromboniste. Un ami m’a conseillé d’appeler Llug et nous a mis en rapport. En fait comme au départ nous étions un groupe de copains qui jouaient pour se marrer, quand le projet est devenu un peu plus personnel et qu’il fallait assurer des dates nombreuses, les copains ont quitté le groupe, parce qu’ils avaient déjà des métiers à côté, et d’autres copains les ont remplacés. C’est pour cela qu’on dit que le projet est né de notre rencontre : nous sommes les deux seuls de la formation d’origine. Mais ça fait 15 ans que le reste de la formation est là.

 

– Votre public a été conquis au fur et à mesure, souvent de bouche à oreille. Évoluer et croître dans le milieu alternatif a-t-il été  une nécessité ou un choix ?

– Toma : On a eu des histoires compliquées avec des labels, et on a finit par comprendre qu’il nous fallait un label pour sortir un disque, mais pas forcément ici, un éditeur et surtout un tourneur.

– Olivier : Et en même temps, nous sommes d’une génération qui a connu le Hip Hop, le Rock, le Punk, toutes ces musiques qui gravitent autour de nous et nous influencent, et se développent alternativement.

– Toma : Donc on sort nos albums dans le label de notre tourneur en Allemagne, on les importe en France et notre éditeur se charge de la promotion.

 

– Comment avez-vous sauté le pas d’intégrer des sons synthétiques et des samples dans la musique traditionnelle ?

– Toma : A chaque album, on cherché à créer un univers complet et donc lui donner des choses différentes. Au début on a inventé notre « tzigannie » à nous sur les deux premiers albums. Après on a voulu travailler avec un réalisateur, intégrer de l’Electro, d’autres couleurs. En somme du nomadisme géographique, nous sommes passés à un nomadisme temporel en visitant des musiques du passé, des musiques du futur.

– Olivier : En adaptant les sons. Et donc qui dit musique du futur dit musique électronique. Alors on a intégré des claviers, des samples. Et on s’est aperçu que l’acoustique et l’électronique fonctionnent très bien ensemble. En plus si tu mets ça en scène, comme nous le faisons avec Django, ça ne fait pas le mec qui n’est pas là et qui ne joue pas. On ne peut pas l’avoir, Django; donc on l’a samplé et le batteur envoi la bande, et les gens ont Django !

– Toma : Au fur et à mesure de nos disques, on a croisé pas mal de monde, parce qu’on tourne beaucoup. On n’a quasiment jamais fait de pause, et, hormis une pause d’un an il y a quelques années, toujours tourné, à raison de 3 à 4 concerts par semaine. Donc on croisait des gens sur des festivals, et souvent on en invitait à venir faire une chanson avec nous.

– Olivier : Mais au début ce n’était pas évident ! On arrivait avec nos clics et nos claques ; on défendait notre truc et les gens nous regardaient bizarrement. Et puis après, en voyant que les gens dans le public chantaient nos chansons, peu à peu, ils nous reconnaissaient.

– Toma : Et comme on a une bonne connaissance des musiques traditionnelles, par exemple quand on se retrouve à faire une date avec Sanseverino [http://www.sanseverino.fr/], on peut proposer des choses. J’ai une chanson qui s’appelle « T’as la touche, Manouche », qui est sur le prochain album, et je lui ai dit : « Je ne veux que des « Romain et Michel » comme toi et moi dessus ». Je lui ai envoyé la chanson, ça lui a plus et il a répondu présent. Chaque fois les gens répondent présents.

– Olivier : On a eu la chance aussi de faire un festival de à Nouméa  [Gypsy Jazz Festival] avec Stochelo Rosenberg [http://www.therosenbergtrio.info/], l’un des meilleurs représentants de Django aujourd’hui. On était à la piscine, en train de boire du rosé, et on lui a fait écouter la chanson pour rire, et là, il nous dit qu’il trouve ça bien et qu’il jouerait bien la guitare ! Du coup c’est lui qui joue la partie de Django, sur le duo de Sanseverino et La Caravane Passe.

– Toma : En fait chaque album est pensé différemment et adapté en live très différemment. Chaque album a un univers à part et le live est différent de l’album même. On joue nos propres morceaux comme des reprises, si on veut : on les revisite complètement. Et une chose en entrainant une autre, tout en restant nous-mêmes, on s’est retrouvés avec des playlists en radio. Bon, pas toutes les radios bien sûr. France Inter nous suit, FIP et Nova.

 

– Comment se fait-il que vous tourniez autant à l’étranger ?

– Toma : La seule chose qu’on a eu de solide et constant c’est notre éditeur, qui est spécialisé en Musiques du Monde, et qui a toujours développé La Caravane Passe à l’étranger. Ca fait que depuis 2004, enfin ça dépend des années, mais on a plus tourné à l’étranger qu’en France. L’un des premiers articles qui a été écrit sur nous titrait « La Mano Negra des Balkans ». Et comme La Mano Negra aux yeux des gens à l’étranger représente la « Worldmusic made in France », l’image a parlé à tout le monde. On a un label au Japon qui sort nos disques et nous fait tourner là bas. Pour te dire : hier, on était en Turquie, avant-hier à Budapest, deux jours plus tôt en Allemagne et ce soir à Luxey !

 

– Paloma Pradal est venue chanter avec vous ce soir. Pouvez-vous parler de la façon dont s’est décidé ce duo ?

– Toma : C’est la fille d’un grand guitariste de Flamenco. Nous l’avions croisée quand elle était jeune. Là, elle est toujours jeune bien sûr, mais elle fait ses propres projets et un copain, DJ Tagada, nous l’a re-présentée. On a beaucoup d’invités comme ça : j’ai déjà cité Sanseverino; il y a Rachid Taha, Erwan du groupe Java –qui est également membre de mon autre groupe Soviet Suprem-[ http://www.sovietsuprem.com/]. A côté de ça, on a toujours eu des invités de Musiques Tziganes traditionnelles.

 

– Quelques personnes du public étaient déçues ce soir que vous n’ayez pas joué « Salade, Tomate, Oignon ». Pourquoi cette chanson est-elle ainsi considérée comme une sorte d’hymne ?

– Toma : « Salade, Tomate, Oignon » est un morceau présent sur notre deuxième album et à cause duquel on nous a surnommé « La Mano Negra des Balkans » justement.

– Olivier : Ça nous a servi et ça nous a desservis.

– Toma : En réalité, c’est plutôt un morceau à la Négresses Vertes, qui raconte une guerre de la nourriture entre la musique du Kebab, qui représente le pourtour méditerranéen et la musique du Mac Do. C’est une chanson assez simple avec un propos drôle, qu’on a sorti pour rigoler. Et au départ, comme les gens nous connaissaient comme un groupe de Musiques Trad, ils n’ont pas compris et ça a été un bide absolu. Il faut dire que notre public au début était essentiellement parisien, donc peut-être plus hautain. En fait le disque est sorti en Hollande et a été matraqué sur les ondes, ce qui explique qu’on se soit retrouvés à tourner énormément là bas avec cet album. Et la France a découvert le morceau après coup, après le succès vécu en Hollande, et c’est ainsi qu’il est devenu le morceau indispensable à jouer.  Mais on a 5 albums et on ne peut pas tout jouer !

 

– Dans quelle langue chantez-vous ?

– Toma : Principalement en Français dans les derniers albums, en intégrant du vocabulaire d’autres pays, selon les influences : un peu de Serbe, un peu d’Espagnol. Sur les albums précédents, on mélangeait beaucoup les langues, trop même, et du coup les gens croyaient que c’était du yaourt, alors que notre propos était d’inventer et défendre un argot d’immigré en mélangeant le Français à toutes les langues qu’on maitrise ou peut trouver en France.

 

– Ce soir, en fin d’un concert, tout au long duquel vous avez eu un échange très dynamique avec le public, vous avez débranché les instruments et vous êtes descendus parmi la foule avec les cuivres pour jouer « à l’ancienne ». Est-ce essentiel pour vous d’impliquer ainsi les gens dans votre jeu?

– Olivier : Oui ! Là, on va faire dix jours de pause, et après on reprend les dates. Et le 15 septembre, il y a le mariage de mon cousin Sacha qui vient des États Unis et sa cousine Mona qui vient du village de Plechti. Il va y avoir une fête énorme au Cabaret Sauvage : on va être 20 sur scène pour faire les noces gitanes de Sacha et Mona.

– Toma : Oui, on ne t’a pas encore parlé de ça, effectivement… C’est un spectacle qu’on a monté à côté du projet du groupe avec des comédiens, des circassiens, et joué tous les mois au Cabaret Sauvage, puis au Bataclan, « Le Vrai-Faux Mariage ». L’idée est toujours la même : c’est de la manipulation de foules, c’est-à-dire que les gens ne viennent pas voir un spectacle, mais sont un peu comme de la famille et sont invités. Quand les gens arrivent, on sépare les hommes des femmes par une corde tressée avec les cheveux de toutes les femmes du village. On prévoit 20 litres de Vodka pour le public. C’est un opéra gypsy-punk en somme.

 

– Un dernier mot pour le co-fondateur de notre revue, Norbert Gabriel, ami passionné et spécialiste d’Henri Crolla ?

– Toma : Enorme !  J’ai un disque vinyle de lui. C’est génial !

 

 

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Miren Funke

Photos : Carolyn C (1 ; 2 ; 3 ; 5 ; 6 ; 8), Miren (4 ; 7 ; 9 ; 10 ; 11 ; 12 ; 13)

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