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Paroles de Brassens, et de musique …

25 Oct

Georges_BrassensPour mettre des paroles sur une musique -et pour trouver déjà une musique- il faut quand même une espèce de don, même si on écrit des conneries, et Dieu sait si on ne s’en prive pas, il faut le don de mettre les trois syllabes qu’il faut sur les trois notes qu’il faut. Je ne peux pas l’expliquer mieux que ça. C’est tout un art. …

 … les trois syllabes qu’il faut sur les trois notes qu’il faut.

Brassens définissait avec précision comment étaient finalisées ses chansons, avec les 3 notes qu’il faut … Doit-on penser que ceux qui font des re-créations en changeant la mélodie trouvent que leurs notes sont meilleures que celles de Brassens ? Quelques chansons revisitées posent une autre question, si on écoute leur nouvelle « mélodie » sans les paroles, on n’a aucune chance de reconnaître une chanson de Brassens.
Dernier point, Brassens a dit qu’on pouvait faire ce qu’on voulait avec ses musiques, c’est-à-dire les jouer dans des styles différents, pas de les changer, il en fait démonstration avec « La Marseillaise » mais sans changer la mélodie, la chanter en rock, en tango ou en paso doble, pourquoi pas ? Mais avec les notes d’origine… Les musiciens de jazz qui ont adopté des musiques de Brassens partent toujours de la mélodie originelle qu’on reconnaît dans les premières mesures. Ferré aussi a beaucoup souffert de ces néo compositeurs qui mettent « leur musique » sur les sacro-saintes paroles qu’on respecte, sauf quand on ne comprend pas vraiment ce qu’on chante, tel un certain qui ne voit pas la différence entre :

on couche toujours avec DES morts
et ce qu’il braille ad libitum
 on couche toujours avec LES morts. 

On a aussi entendu

 Maman de grâce, ne mettons pas
Sous la gorge à Cupidon Sa propre flèche …

Confondre Ma mie et maman, lapsus freudien ?

Les exemples ne manquent pas, mais demain est un autre jour …

Pour plus de Brassens par lui même,clic sur le chat
,
brassens chat

Norbert Gabriel

Histoire d’une chanson… L’eau vive

19 Mar

Dans les années 53-57, plusieurs ACI majeurs de la chanson francophone arrivent sur la scène , dans l’ordre: Brassens, Brel, Béart, Anne Sylvestre…

Guy Béart va très vite accéder au succès, avec des chansons qui sont interprétées par Juliette Gréco, Patachou, Hélène Martin, Cora Vaucaire, Zizi Jeanmaire, Odette Laure, Suzy Delair, Annabel Buffet, et avec des chansons qu’il interprète lui-même, bien entouré, entre autres par Boris Vian en directeur artistique …
Mac Orlan et Brassens sont les premiers à témoigner de leur admiration. Mais c’est en 1958 qu’il entre dans l’histoire de la chanson, avec « L’eau vive » qui est chantée dans les écoles,comme un standard du folklore, c’est la première fois que ça arrive à un chanteur vivant, et de plus dans les toutes premières années de sa carrière. « L’eau vive » va être enregistrée par dix des têtes d’affiche de ces années dès les premiers mois de sa sortie, de Tino Rossi à Marcel Azzola, en passant par Colette Renard, Marcel Amont et Marc Ogeret … Et par la suite, elle fait une carrière remarquable, 92 semaines au hit parade de la chanson, avec en prime quelques parodies drôlatiques ou politiques.. Et très vite, le film éponyme dont elle était la bande son a été oublié ( film de François Villiers, sur un scénario de Giono, qui avait adoubé Guy Béart, Pascale Audret est l’héroïne du film, la jeune Hortense.)

Les quelques versions ci-dessous montrent que les versions proposent du kitch vintage avec Tino, mais aussi le presque folk de Denis Pépin, et les versions jazz instrumentales, avec la riche B.O. du film (en deux parties), à vous d’écouter, et honneur au créateur pour commencer.

 

Versions instrumentales de «  l’Eau vive » , comme vous ne l’avez peut-être jamais entendue, la B.O. du film avec ses variations

Partie 1

De Béart à Béart(s)

Hugues

Yvette Giraud

Denis Pépin

Les Troubadours

Tino Rossi

Dorothée

Marcel Amont

Instrumental Harmonica

Marcel Azzola

Orchestre Percy Faith

Guitare classique

Jazz avec Joseph Reinhardt : guitare solo, Dingo Adel : guitare,  Patrice Caratini : contrebasse

Piano et cornet

Maurice Vander

Accordéon

Celtic music

Béart in english

et pour finir la partie 2 de la B.O du film ..

Norbert Gabriel

Louise Perret, Gwen Cahue, Julien Pinel : Melkoni Project…

1 Mar

 

Elle est de ces chanteuses dont la grâce infinie sublime les re-créations, Louise Perret .

Il est de ces musiciens qui nous emportent dans des tourbillons de musique où on a le temps de voir les paysages (pour paraphraser  Sarane Ferret) Gwen Cahue.

Et ils sont  Melkoni Project, en duo ou trio, avec la contrebasse de Julien Pinel… Minvielle, Barbara, Bourvil, Nougaro, Gainsbourg, Trenet et quelques autres ont le bonheur d’être dans Melkoni Project.

Rien à dire d’autre qu’écouter et s’émerveiller

La vie d’ici bas

 

La tendresse

 

Du bout des lèvres

 

Fleur bleue

 

Rimes

 

De dame et d’homme

 

Le poinçonneur et autres hommages La vie en rose Gottingen La mauvaise réputation

 

Louise Perret Цвіте терен (Tsvite teren)

 

Gwen Cahue  Blues en mineur, très bel hommage à Django,

 

Pour plus d’infos,
clic ici —>

Norbert Gabriel

 

L’art est essentiel #la culture est essentielle # les artistes sont essentiels

29 Oct

En préambule à cette réflexion de Camille Solal, on peut mettre en exergue :


« Aujourd’hui j’ai envie de partager ma pensée et de prendre position. Sur quel sujet me direz-vous ?

C’est une réflexion de fond en réaction à des annonces gouvernementales qui, depuis le mois de mars maintenant, ont mis systématiquement les artistes dans la case “non essentielle.”

En effet pendant les confinements, les commerces “essentiels” restent ouverts. Et tout ce qui n’est pas “essentiel” ferme.

C’est-à-dire, selon ces mesures, les théâtres, les cinémas, les salles de concert, toutes les manifestations culturelles.

Qu’est-ce que cela signifie profondément ? Et bien cela signifie profondément pour ceux qui prennent ces mesures que les artistes ne sont donc pas essentiels à la vie.

Donc que la vie peut être vécue sans art et sans culture. Et même pire, que la vie menée par les artistes et les personnels de la culture n’ont aucun sens, dans le sens justement que ce n’est pas “essentiel”.

J’ai évidemment un réel problème avec cette vision ; peut-être que c’est une maladresse de communication ?

Peut-être qu’on aurait pu dire “nous savons que la culture et l’art sont absolument essentiels et fondamentaux à la vie telle que nous la chérissons, mais puisqu’il faut bien faire des choix et des arbitrages nous allons limiter à la vie du corps physique c’est-à-dire la nourriture et le papier toilette. “

C’eût été une communication plus respectueuse et pour le coup qui aurait fait plus de sens.
Surtout qu’il n’y a pas si longtemps, presque 15 jours maintenant, un professeur de la république a été décapité et que l’argument principal qui a été brandi pour lui ou contre lui était le droit à l’art et à la culture. Donc il faut se mettre en cohérence et ne pas utiliser l’art et la culture seulement quand ça « arrange » n’est-ce pas ? Car enfin nous sommes tous des êtres éminemment spirituels, la vie seule du corps physique ne suffit pas, cela s’appelle la survie.

Or la survie est normalement conditionnée à quelques heures, quelques jours voire quelques semaines lorsqu’on est à l’hôpital et qu’on se bat contre la mort, lorsqu’on est pris dans une avalanche, lorsqu’on est tombé dans un ravin etc. Dès que le stimulus de danger de mort est passé alors la vie reprend son cours ; y compris chez des malades très graves atteints de cancers longue durée, ils cherchent à « profiter » de la vie et pas juste à « survivre ». Car survivre pour survivre n’a aucun sens.

Et l’essence même, l’essentiel de la vie c’est la recherche ou plus exactement la définition du sens. Je vous invite sur le sujet à lire ou à relire « La logothérapie » de Viktor Frankl . C’est un psychiatre autrichien qui a survécu aux camps de concentration et d’extermination et qui a pu analyser son vécu sous le prisme du détenu qu’il était mais aussi du psychiatre en exercice. Il a donc pu analyser ses réactions et celles de ses co-détenus ainsi que celles des gardes. Il a pu constater que les détenus qui survivaient étaient ceux qui parvenaient à trouver ou plus exactement a décider un sens à leur vie; ils n’étaient pas juste dans la survie physique car la mort pouvait frapper à chaque seconde, à chaque minute, à chaque heure sans aucun préavis, sans aucun sens et le corps était un champ de ruines. Il explique que les codétenus se retrouvaient comme ils le pouvaient pour raconter des histoires le soir, essayer de mettre de l’humour et se remonter le moral avec des chansons et préféraient même parfois rater la soupe plutôt que ces moments alors qu’ils étaient littéralement affamés . N’est-ce pas bouleversant de lire cela ? Que peut-on en déduire sur l’essentiel? Quelles sont les premières choses que nous souhaitons faire lorsque nous avons échappé à la mort, lorsque nous sortons de l’hôpital où que nous nous savons « condamnés » ? Probablement Voir des amis? , écouter de la musique?, danser? , aller au théâtre?, voir un film?, dessiner? etc. ?c’est-à-dire ce qui est fondamentalement essentiel à la vie en tant que telle et non à la survie.

En tant qu’artiste moi-même, en tant qu’art-thérapeute et en tant que coach je suis meurtrie dans ma chair par cette confusion des mots, par ces décrets que nous sommes « non essentiels » et je trouvais fondamental de m’exprimer aujourd’hui sur ce sujet.

Moi-même j’ai laissé passer tous ces mois en acceptant les différentes mesures et en acceptant cette communication tout en la vivant affreusement mal, en culpabilité, en me disant que oui je devais me mettre de côté, sacrifier ce qui faisait le sens de mon existence même pour l’effort commun.

Jusqu’à aujourd’hui où, en sondant profondément le sens des choses, en ayant pris le recul nécessaire, je trouve absolument vital, absolument essentiel de dire que les artistes, les personnes qui font le monde de la culture, de l’art, de la musique, tous les acteurs techniques qui rendent cela possible, qui mettent en scène, en lumière, qui créent des costumes, des décors, tout ce qui contribue à la vitalité, à la nourriture spirituelle est donc essentiel et vital à nos êtres et que ces personnes et ces métiers sont donc des acteurs majeurs de la qualité et du sens de la vie tout court.

Donc Véritablement, fondamentalement, éternellement essentiels.

Aujourd’hui encore la France est attaquée . Et certains veulent nous faire passer du côté obscur, et éteindre la lumière. Éteindre la joie. Éteindre la sublimation, éteindre le sublime. Annihiler la pensée au nom de la croyance. Donc aujourd’hui plus que jamais nous, artistes, personnes de l’art et de la culture, sommes essentiels.

Ce n’est pas une question d’argent, ce n’est pas une question de salaire tous les mois, il s’agit du sens même de la vie de millions de personnes.

Merci de respecter cela.

 Camille Solal

Clic sur l’image et allez voir –>

Histoire d’une chanson: Toute la musique que j’aime …

26 Oct

Dans ses débuts de rocker simili Presley, et pseudo Halliday ( devenu Hallyday suite une faute de maquettiste) il n’était pas vraiment évident que toute la musique qu’il aimait venait du blues. Un de ses premiers succès Itsy bitsy, petit bikini est assez éloigné de Mamie Smith et son Crazy blues, Muddy Waters, Robert Johnson ou Bessie Smith.. Ensuite c’est le succès du twist, dont on cherche toujours le feeling blues.

Mais un jour, Johnny veut témoigner de ses racines musicales, et c’est en 1973 qu’arrive Toute la musique que j’aime ..

Dans ce tube blues rock emblématique de son répertoire, Johnny chante que

Toute la musique que j’aime
Elle vient de là elle vient du blues
Les mots ne sont jamais les mêmes
Pour exprimer ce qu’est le blues

J’y mets mes joies, j’y mets mes peines,
Et tout ça, ça devient le blues
Je le chante autant que je l’aime
Et je le chanterai toujours

Il y a longtemps sur des guitares
Des mains noires lui donnaient le jour
Pour chanter les peines et les espoirs
Pour chanter Dieu et puis l’amour

La naissance et la réalisation de cette chanson montre que Johnny a souvent été rebelle, en imposant ses vues, et souvent démissionnaire face à « son entourage » professionnel ou privé. Quand il demande personnellement à Hubert-Félix Thiéfaine et Paul Personne un album complet de blues*, il ne répondra jamais à leur proposition et ne donnera pas d’explications à son refus (officiellement c’est le label qui mis le véto)  mais quelques temps plus tard il enregistre un album ersatz de blues**, signé par la plupart de ses compères habituels. Doit-on comprendre que le duo Thiéfaine-Personne n’était pas personna grata dans « l’entourage » ? Comme on le voit dans les deux paragraphes ci-dessous, Johnny peut être directif, et être court-circuité par son directeur artistique, lequel s’avérera désavoué par le public

– Rebelle : après un premier travail de studio avec les musiciens, Michel Mallory enregistre une voix témoin, afin que les instrumentistes aient la mélodie « dans » l’oreille. Le lendemain , Johnny écoute le résultat et déclare :  Ce n’est pas comme ça qu’il faut la chanter , puis demande si tout est près pour enregistrer sa voix . Chris Kimsey, l’ingénieur du son, acquiesce. Par deux fois, en cabine, Johnny écoute le play-back sans chanter, puis annonce : Maintenant vous m’enregistrez et même si je me trompe, laissez moi aller jusqu’au bout !  Deux prises, sur deux pistes différentes, sont réalisées.  Il y avait tant de magie, de puissance et d’émotion dans chacune d’elles, qu’il fut difficile de choisir … écrira Mallory.

À l’écoute, tous sont satisfaits, mais pas Johnny qui trouve  qu‘il manque quelque chose :  un dobro qui jouerait en slide … annonce-t-il après réflexion. Chris Kimsey fait venir l’instrumentiste Brian John « B. J. » Cole , équipé d’un dobro artisanal (fabriqué selon ses dires par son père) et le son qu’il en sort est proche de celui d’une guitare hawaïenne. Une seule prise est réalisée et alors que tous les instruments cessent, Cole, pour le plaisir, continue seul et termine la chanson. L’effet jugé excellent est conservé.

– Démissionnaire : Jean Renard, alors directeur artistique de Johnny Hallyday, apprécie peu la chanson, pas plus que l’intégralité de l’opus Insolitudes et propose pour « sauver l’album » d’y joindre la chanson Comme un corbeau blanc (titre de sa composition, enregistré trois ans plus tôt par Hallyday, initialement pour l’album Vie et resté inédit). Par la volonté de Jean Renard, Comme un corbeau blanc devient le onzième titre d’Insolitudes et la face A du premier single extrait du 33 tours. La musique que j’aime n’est qu’une face B. C’est pourtant elle qui très vite s’impose dans les diffusions radios et au public. Elle trouve immédiatement sa place dans le tour de chant de Johnny Hallyday et, à deux exceptions près (Le Pavillon de Paris en 1979 et le Palais des Sports en 1982), est depuis de tous les spectacles de l’artiste.

– Michel Mallory se souvient de ce début de musique improvisée en Corse et le joue en Mi majeur. Le chanteur écoute attentivement, puis prend la guitare : «Il manque le milieu, le pont, le refrain, écoute, il faut que cela fasse ça… 

En un instant, la musique définitive de ce qui va devenir La musique que j’aime prend forme.Il manque les paroles, écris moi quelque chose de fort, qui me ressemble , demande le chanteur. Le texte, Mallory l’écrit tard dans la nuit, après avoir pris congé de Johnny, dans sa voiture, sur son carnet de rendez-vous :

Toute la musique que j’aime, Elle vient de là, Elle vient du blues,
Les mots ne sont jamais les mêmes, pour exprimer ce qu’est le blues

Péripétie inattendue, Aujourd’hui, « La musique que j’aime n’a plus d’éditeur. Elle nous appartient. On l’a cosignée : Johnny Hallyday-Michel Mallory (J. Hallyday 1996)

Hit Parade : La musique que j’aime est la chanson que Johnny Hallyday a le plus grand nombre de fois interprétée en duo : 50 duos avec 35 interprètes différents.

Quelques versions au fil du temps…

La première


avec Paul Personne 1993


Olympia 2000


Limoges 2015 avec Greg Zlap


et avec les vieilles canailles en 2017,  aux guitares Yarol Poupaud Basile Leroux Thomas Dutronc Fred Chapelier..

 

Et pour finir, un petit film qui montre la démesure du personnage en spectacle, quoi qu’on en dise ..

 

  • * Quand ils ont envoyé l’album, ils n’ont eu aucune réponse de Johnny, quelqu’un de « l’entourage » a plus ou moins éludé sans répondre vraiment. H-F Thiéfaine et Paul Personne ont donc repris cet album pour eux et ont tourné plus d’un an avec cet Amicalement Blues.

** : Le cœur d’un homme (titré soufflé par sa femme Laetitia) n’est pas un album blues mais tendance blues.

Norbert Gabriel

 

Henri Crolla et le cinéma

26 Mar

PH 009 Court métrage de Paul Gimault Enrico cuisinier

Crolla et Edith Zedline

En intro Les deux plumes, et Improvisation en bande son de ce qui suit ,

Jusqu’à 11 ou 12 ans Enrico est un gamin de la zone – Porte de Choisy- il joue souvent à esquiver l’école et les devoirs pour aller a spasso … dehors … se promener … et jouer de la mandoline ou du banjo aux terrasses des cafés chics de Montparnasse … Ce qui lui vaut les applaudissements et les pièces sonnantes du public et les coups de règles sur les doigts de la part de l’instit’ peu porté sans doute sur les ritournelles à la mode.

C’est un môme qui n’a pas dû aller au ciné souvent, dans la zone on a des priorités différentes. Pourtant ses sorties musicales sont assez lucratives, c’est pas la fortune, mais une bonne contribution à l’économie familiale. Il joue aussi au chat et la souris quand les pandores l’alpaguent, et le relâchent après l’avoir soulagé de sa recette du jour, mais c’est pas grave, il reviendra demain. Et puis, en 1932/33, il joue devant la Rhumerie Martiniquaise, deux consommateurs à la terrasse sont épatés par ce gamin avec son banjo, insouciant comme un moineau de Paris, ils lui donnent « une grosse pièce » tellement disproportionnée que le gamin répond,: « mais m’sieur j’ai pas de monnaie… » et c’est ainsi qu’Enrico entre dans la « contrebande de Prévert », par Lou Bonin et Sylvain Itkine, hommes de théâtre, qui l’emmènent chez Grimault et Prévert hommes de cinéma à cette époque. Enrico-Riton fait ses humanités avec la grande famille du Groupe Octobre, comédiens, écrivains, sculpteurs, peintres photographes, cinéastes poètes, musiciens, c’est une école des arts, école pluri-disciplinaire totale, une école de combattants, de l’agit prop’ qui porte la culture dans les usines et dans la rue…

Paul Grimault l’accueille chez lui, près de la Porte d’Italie, à quelques encâblures de la porte de Choisy, il y a sa chambre, découvre le jazz et la guitare, et surtout le cinéma.

Cette période dans la galaxie Prévert va nourrir sa vie et son art.

Lorsqu’il commence à faire des musiques pour le cinéma, des courts métrages, des documentaires, c’était le temps des séances de ciné de 2h30, une première partie avec les « Actualités » un documentaire, un dessin animé, et souvent un numéro visuel juste avant l’entracte, bonbons esquimaux chocolats, et ensuite, le grand film.

avec André Hodeir

Pour les musiques de films, Crolla est associé à André Hodeir, le super intello de la musique, 3 prix de conservatoire et violoniste dans la lignée de Grappelli/Warlop. Ce que dit André Hodeir : «  On assistait à la projection, en sortant Crolla prenait sa guitare, et on avait la musique. » A partir du thème, Hodeir arrangeait, orchestrait, et c’est 50 musiques de films qu’ils ont co-signées, entre 1948 et 1960, en toute harmonie complice.

En 1952, il est aux côtés d’Yves Montand dans un film à sketches Souvenirs perdus où il joue son rôle de guitariste accompagnateur…  Première apparition sur un écran dans une fiction.

En 1954, Gilles Grangier les sollicite pour Gas Oil avec Gabin,  Jeanne Moreau et Roger Hanin. Ensuite, il y a aura plusieurs longs métrages, avec Brigitte Bardot en vedette, et des cours de guitare entre deux prises , puis un film  avec Marcel Camus, Os bandeirantes,  puis St Tropez Blues… et Le bonheur est pour demain, qu’il ne verra pas.
( Dans Orfeu Negro, Crolla joue le premier thème à la guitare.)

Voulez-vous danser avec moi ?

 

 

Parmi ces courts métrages, Léon la lune est sans doute le plus intéressant dans sa construction particulière : film sans dialogue, scénarisé par Robert Giraud, avec une jolie musique d’Henri Crolla, on suit ce personnage, le vrai Léon la lune, dans son quotidien, manger, trouver un endroit pour dormir… Il s’agit d’une ballade poético-réaliste avec la guitare sensible de Crolla pour l’accompagner.

Ce film a été primé plusieurs fois (Prix Jean Vigo) et beaucoup diffusé. Il a permis à Alain Jessua de préparer ses longs métrages avec une certaine sérénité. Léon la lune, ou La Journée ordinaire d’un clochard à Paris est sorti en 1956.

Il y aura une autre expérience du même genre, en 1958, film sans parole mais avec musique, La Faim du monde, un court métrage de Paul Grimault en commande de l’UNESCO pour l’exposition universelle . Scénario de Prévert, l’histoire de l’Humanité et la mauvaise répartition des richesses, rebaptisé « Le monde au raccourci. »

On retrouve l’esprit du cinéma des origines comme langage universel par l’image et la musique.

Dans son parcours de vie et d’artiste, Henri Crolla s’est de plus en plus rapproché du cinéma .

Avec Henry Fabiani, sur le tournage à St Nazaire

Enrico cuisinier est un moyen métrage de 1955/56, scénario de Paul Grimault et Pierre Prévert. – Montage par Pierre Prévert dans lequel il a le premier rôle, celui d’un personnage tendre et burlesque, poétique et iconoclaste qui pouvait préfigurer une série à la façon des Charlot ou Harold Lloyd, et c’est en comédien qu’il postule pour « Au bout la soupe » devenu « Le bonheur est pour demain », film tourné en 1960, dont il ne verra pas le montage final, il meurt juste après la fin du tournage. C’est le seul film où il n’a pas voulu faire la musique, uniquement comédien, dans le rôle de José, républicain espagnol et guitariste occasionnel à 4 mains avec le jeune Higelin.

Henry Fabiani, en 2003, témoignera de l’importance de sa présence sur ce tournage, avec cette magie Crolla qui créait des liens spontanés entre tous, quels qu’ils soient, artistes, techniciens, figurants…

Le film de Marcel Camus  » Os Bandeirantes »  est en partie illustré par  « Paris a le coeur tendre »  …

Quelques musiques dans des genres assez différents pour illustrer cette page cinéma,

Une parisienne

 

par Christiane Legrand 

 

 

Valse du balcon

 

Cette sacrée gamine: Jardin dans la nuit

 

St Tropez Blues

Et le thème principal du premier long métrage

 

  • En plus de   quelques apparitions dans des films dont il a fait la musique, Nino Bizzarri, cinéaste italien, lui a consacré un film en 2002, pour la Raï Uno Vie et mort d’un petit soleil tourné à Naples et Paris, avec les témoignages de Moustaki, Higelin, Colette Crolla, Patrick Saussois, Francis Lemarque, Martine Castella, Roger Boumandil… long métrage d’une heure et demie, présenté au Festival de Locarno, et récompensé par un Premio Asolo Miglior Biografia d’Artista a Piccolo Sole – Vita e morte di Henri Crolla en 2006.
  • Henri Crolla apparaît aussi dans le court métrage de Paul Paviot, tourné en 1958, en hommage à Django Reinhardt. ( Film dont Paul Paviot dit qu’il a pu être tourné grâce à l’entregent de Crolla.)

 

 

Norbert Gabriel

Filmographie musicale.

Les précédents chapitres

Henri Crolla 26 Février 1920
L’enfance de l’art de Crolla
Henri Crolla, et l’air du temps
Henri Crolla, l’enfant de Caruso et de Django

Henri Crolla, et l’air du temps…

3 Mar

 

C’était un temps peu raisonnable, années folles d’après guerre qui ne savaient pas que le pire pouvait arriver…

C’était un temps de musiques neuves, l’enfant jazz avait grandi, l’adolescent avait explosé en rag-time, en Dixieland, et son prophète s’appelait Louis de la Nouvelle Orléans.

Louis Armstrong, archange nègre dont la trompette bouleversa le monde.

Cette musique inventée par les esclaves pour ne pas mourir de désespoir charriait dix mille ans de la vie des humains .

Au commencement du tempo était le work-song, chant de travail dans les champs de coton ou de canne à sucre, puis vint le cantique religieux.

Du cantique biblique revu et arrangé par les polyphonies et les rythmes africains, naquit le negro spiritual au 19 ème siècle, puis les Evangiles du Nouveau Testament générèrent le Gospel au début du 20 ème.

Du mélange de la gamme pentatonique africaine et de la gamme heptatonique européenne, naquit le blues.

Puis vinrent le rag-time, et le swing, puis le be-bop, enfin le rock, énergumène turbulent à la musique sommaire mais remuante, rejeton ingrat ignorant parfois ses grands parents spirituels.

Cet enfant métis, le jazz, a marqué le siècle de son big bang harmonique, formidable bouillonnement créatif, musique faite par le peuple pour le peuple et flamboiement populaire face aux musiques savantes et écrites.

Il y eut un soir, il y eut un matin, il y eut de la musique et Satchmo vit que celà était bon.

Il chanta « What a wonderfull wordl » ce mirage américain qui a fasciné les générations de 1920 à 1960. Chaque adolescent se voyait pionnier dans ce Nouveau Monde où Mac Disney, John Wayne,  Johnny Walker , Coca Cola et Hollywood nous montraient l’Eden USA technicolor, but White only for Uncle Tom in American Way of life.

  • – Oncle Sam, c’est loin l’Amérique ?
    – Tais-toi et rame et chante, It’s a long way to Kansas City, it’s a long way to go

 

Il y eut Mamie Smith, la première voix enregistrée du blues en 1920, il y eut Ella scat* et swing, et sa voix comme un instrument naturel fait pour le jazz, et Mahalia Jackson, la mystique qui chantait « The Good Book » uniquement dans les verts pâturages du Seigneur.

Il y eut Billie Holiday, Bessie Smith, sublimes et pathétiques déesses brunes de la rue et des ghettos de Harlem . Et il y eut de « Strange fruit » dans les arbres du Vieux Sud.

A l’Ouest d’Eden, les bons indiens étaient des indiens morts. Notre Far West d’Hollywood avait les couleurs de larmes et de sang, sous les images en noir et blanc.

Il y eut d’autres jours et d’autres lunes et le roi Django voyagea sur les nuages d’un manoir de rêve en forme de verdine manouche.

Et un petit italien Enrico Crolla vit le soleil de Naples.

C’était un temps pas raisonnable… Années folles de rage de vivre encore et encore … On dansait de dépression 29 en embellie 36, les pieds dans la boue et les yeux pleins d’étoiles, la tête dans un ciel où chaque clou d’or ponctue un cri, comme une cicatrice, un espoir, un chemin..

C’était un temps à peine croyable, Guernica et la java, comme naguère le Rwanda et la Lambada, on dansait sous le volcan… Comme aujourd’hui, on dansait …

Honte à celui qui chante quand Rome brûle ?
Elle brûle tout le temps …**

* Scat: au cours d’un enregistrement, Louis Armstrong oublie les paroles et improvise en scat, qu’il vient d’inventer impromptu. Pour mémoire quand on grave une cire dans ces années 78 t, tout le monde est autour du seul « micro », c’est une seule prise de 3 mn, temps imposé par la galette , d’où le standard de 3 mn pour la chanson par exemple.

** Georges Brassens

Mais quand même…

 

Norbert Gabriel
Les ballades de Crolla

Henri Crolla 26 Février 1920

26 Fév

crolla savitry

Photo Emile Savitry

Le personnage le plus extraordinaire … selon Moustaki, témoignage dans une revue dont il fut le rédacteur en chef exceptionnel pour le 3 ème numéro.

Né le 26 Février 1920, à Naples,  Rico, Mille pattes, Enrico, Henri Crolla, puis Crolla, au fil des années et des rencontres et de la notoriété.

Le prince des accompagnateurs selon Philippe Meyer…

Un gitan de Naples sorti d’un dessin animé de Prévert et Grimault selon Montand..

Notre petit copain du Flore en 1943-44 selon Simone Signoret

Mon père spirituel selon Higelin,

Frère de rue et de rêves de Mouloudji,

Fils adoptif virtuel de Prévert et Grimault

Un des enfants de la tribu par la mère de Django,  la belle Laurence…

Musicien subtil et unique, démonstration en 1’55 (avec Martial Solal au piano, alias Lalos Bing)

Et quelques airs pour finir cette première page.. à suivre ..

 

 

Pour infos, au cas où, sa notice wiki c’est là

PhotoNGabriel1999

sur la guitare de Crolla–>

 

 

 

Norbert Gabriel

Retour sur le tracé d’Ecart, un groupe qui laisse son incursion poétique singulière dans l’aventure du Slam francophone

19 Juil

L’histoire de la chanson est ainsi faite, d’artistes et d’œuvres qui vivent la chance de rencontrer leur public immédiatement, et durablement ou pas, et aussi d’autres, dont l’actualité ayant été peu ou mal perçue des oreilles de leurs contemporains, restent pour un temps éclipsés jusqu’à ce que la trace qu’ils ont inscrite réapparaisse et que son importance soit estimée à sa juste valeur. Il est aussi des publics qui ne peuvent pas croiser la trajectoire d’un artiste au moment opportun, et des médias qui passent à côté d’une merveille méritant une attention particulière, sans daigner y jeter un regard. Nous n’étions pas de ceux là il y a trois ans, lorsque le groupe Ecart, formé par le poète slameur Eric Cartier, le guitariste Christophe Isselee, tout comme lui ancien membre du groupe Vibrion, qui fut parmi les pionniers du Slam en France, et la batteur-percussionniste et clarinettiste Alexis Kowalczewski, fit escale à Bordeaux pour nous faire découvrir la richesse d’un univers qui s’inventait et que les trois artistes nous esquissaient avec passion lors d’un entretien qu’ils nous avaient accordé alors. Malheureusement une usurpation (maladroite ou malveillante ?) dans l’entourage professionnel du groupe -prétendument chargée de servir d’intermédiaire- nous ayant signifié qu’il était préférable pour le groupe que l’entretien ne soit pas publié sur le moment, mais gardé sous le coude provisoirement jusqu’à son aval (qui ne vint jamais), nous avions consenti alors à répondre favorablement à la requête que nous pensions à tort émaner des membres du groupe. Hélas à la lumière de récentes infirmations, il apparait évident qu’il est parfois des professionnels du milieu artistique suffisamment prétentieux pour s’octroyer un pouvoir et s’investir d’une mission que les artistes ne leur ont pas confiés, de même qu’il est des chroniqueurs trop naïfs –mea culpa- pour suspecter le mensonge là où il n’a aucune raison logique d’exister. Je regrette amèrement l’excès de confiance et de crédulité dont je fis preuve à ces heures, et d’autant plus amèrement qu’Ecart a aujourd’hui cessé d’arpenter les scènes et qu’il ne nous est plus pour le moment possible d’écouter croitre, bruire et prendre ampleur le vaste champ dont les semences alors jetées par le groupe prophétisaient la fertilité, et de l’entendre orchestrer ce qu’il avait à nous dire, ses musiciens participant actuellement à d’autres projets artistiques. Aussi, s’il est permis aux mots de servir parfois à rétablir un peu de justice, même tardivement, les miens s’autoriseront-ils un retour sur un passé pas si lointain et qui me semble pourtant déjà être de ces moments de créativité appelés à intégrer le patrimoine de la Chanson et y jouer un rôle dont la postérité mesurera la singularité, l’ingéniosité et la clairvoyance innovatrice, pour tenter d’éclairer un peu l’amorce d’épopée de ce groupe qui a su orienter le Slam vers une certaine transcendance et transporter des paroles justes, un sens moderne du jeu de mot (« G 8 ans » qui nous interpelle sur le sort imposé aux enfants du Tiers-Monde par la politique économique mondiale) et la magie de la langue française dans un vaisseau musical où se métissaient des influences nourricières, d’un élan de Blues  tellurique (« De là ») aux parfums orientaux (« Le citron frappé ») et parfois envouté d’une entêtante tourne hypnotique évoquant l’obsédant « Sinnerman » de Nina Simone (« Choukran »). M.Funke

 

« S’assèche et se craquèle

La croute terrestre

Qui ne connait plus que des pluies de plombs

Déformées par le fracas de la poudre aux yeux

Pleurs des enfants » (« Capital »)

L‘Ep « Tracé » qui annonçait la préparation d’un album à venir en 2017, distille, au gré des variations d’un climat sonore savamment détaillé, des textes, déclamés et chantés par la présence d’une voix grave et douce, qui nous invitent à l’appréhension d’un monde irrigué de sources culturelles hétérogènes et ouvrent de larges espaces à visiter. Il fonde une énergie propre à happer nos sens, au propos non dénué d’engagement, et implante des émotions pénétrantes, « des sédiments pour nos sentiments » (« Le citron Frappé ») qui après nous avoir captivés, nous rendent à nous-mêmes un peu différents : graves et légers, embrumés et extralucides à la fois, comme revenus à la pleine conscience après une hypnose, avec le sentiment d’avoir vécu un voyage authentique, « cet ailleurs qui devient un nouvel ici » (« De là »). Voyage que le public présent lors des représentations du groupe à l’affiche de multiples festivals jusqu’en fin 2017 ne pouvait que goûter et savourer avec plus de précision et de vivacité encore, Ecart et son univers investissant pleinement les scènes sur lesquelles il eut l’art de l’animer, avant de cesser ses activités -momentanément, espérons le- après la mise en ligne sur la page du groupe de l’extrait «L’échappée Bulle».  « Quoi qu’il arrive, qu’on y pense ou pas,  on ne fait que passer » précisaient les dernières paroles de la chanson « Passer au pas » qui clôture l’EP: rien n’est moins sûr pour ce groupe qui œuvrait à ouvrir un couloir d’air dont la fécondité pourrait s’avérer bien moins anodine que certains le crurent, et faire référence à l’avenir. Et quand bien même, Ecart n’aurait-il fait que passer pour « juste faire pousser des poignées de bonheur » (« Choukran »), il eut au moins l’intelligence de saisir la nécessité de le faire. Alors merci d’être passé.

Et puisqu’Il n’y a plus que les images rares et belles qui rassemblent (« De là »), des images telles qu’Ecart sut en imaginer, nous nous permettrons, par principe, de publier ce jour l’entretien que les membres du groupe nous avaient accordé lors de leur passage à Bordeaux en 2016 pour nous raconter un peu Ecart, sa genèse, son travail et sa vision.

 

– Bonjour messieurs et merci de nous accorder cet entretien. Ecart est une formation qui vient d’éclore, et pourtant chacun de vous a déjà un activisme de longue date dans la musique. Comment vous êtes vous connus ?

– Eric : Moi et Christophe nous connaissons depuis très longtemps, avec Alexis depuis un peu moins, mais on a toujours fait de la musique ensemble depuis notre rencontre. Nous avions fondé avec Christophe et deux autres amis, Fréderic Nevchéhirlian et Stéphane Paulin, puis Julien Lefèvre qui nous avait rejoints plus tard le groupe Vibrion. Le groupe s’est arrêté de fonctionner à un moment, car Fred avait l’envie et l’opportunité aussi de développer un projet solo ; moi aussi d’une certaine manière. Vibrion n’a pas clashé ; c’était une séparation un peu naturelle.

– Christophe : Certaines histoires connaissent des moments où les uns ne peuvent pas répondre aux besoins des autres, et vice versa. Donc les séparations se font naturellement, sans heurt, sans blessure, et chacun trouve sa voie personnelle à poursuivre. Un projet collectif est aussi formé d’individualités, qui ont besoin de s’exprimer ailleurs parfois. Ceci dit on continue de se voir ; l’an dernier nous avons joué avec Fred, et c’était plaisant de se retrouver sur scène ensemble. Mais Eric a une plume, et il fallait qu’il soit aussi reconnu pour ça. D’où la nécessité de faire vivre cet autre projet.

– Eric : Ce qui est positif, c’est que nous nous retrouvons dans une dynamique où chaque projet des uns et des autres sert quelque part les autres projets, dans un échange et un partage permanents. C’est en ça que ça me fait bizarre de dire que Vibrion est fini. Parce que malgré tout il reste une entité Vibrion qui existe encore, et impulse chacun de nous dans ce qu’on fait à la suite du groupe.

– Christophe : Cette expérience nous a confortés dans l’idée que l’écriture telle qu’on la connait dans le Slam ou la poésie déclamée avait une vraie place à prendre dans le paysage musical ; ça a permis d’assoir une conviction qui était la notre, de voir que ça pouvait fonctionner et qu’il y a un public désireux d’entendre ça. Il faut dire qu’à échelle régionale, autour de Marseille, Vibrion a été un des groupes, si ce n’est le groupe, précurseurs du genre, qui mettait en avant une poésie déclamée, très fournie, parfois alambiquée, à haut débit, inspirée du « spoken word » avec une proposition musicale autour du texte.

– Eric : Pour revenir à notre rencontre, il se trouve que je vis à présent à Lautrec dans le Tarn où est organisé un petit festival nommé « FestivAout ». En 2012 ce festival m’a programmé en me donnant carte blanche pour organiser le concert selon mes envies. J’ai donc appelé mes deux amis pour leur proposer de jouer en formation. Cela nous a beaucoup plu et nous avons décidé d’essayer de développer cette histoire. 

– Alexis : Eric s’occupait de l’atelier d’écriture du Café Slam de « Alors Chante ! » à Montauban, il y a 7 ou 8 ans. J’ai été voir une des scènes ouvertes, où il se produisait, et je lui ai demandé si ça ne le gênait pas que je vienne faire un peu de musique pour accompagner ses mots. Il était un peu sur la réserve, car normalement pour les puristes le Slam se fait sans musique. Des intégristes, il y en a partout ! Mais j’y suis allé quand même. Puis deux mois après, Eric m’a rappelé pour me proposer un trio avec un autre musicien. C’est à cette occasion qu’il m’avait donné un disque de Vibrion que j’ai adoré : j’ai découvert un univers qui me paraissait être une évidence. J’ai rencontré le groupe lors d’un concert quelques temps plus tard, où il m’a invité à jouer en leur compagnie sur scène. J’étais tellement fier et heureux de pouvoir jouer avec eux ! On a refait quelques collaborations, jusqu’au jour de ce festival à Lautrec où nous avons monté la formation Ecart. On s’est enfermés deux-trois jours pour mettre les choses au point. Auparavant j’avais beaucoup travaillé à la batterie sur le disque de Vibrion pour pouvoir être opérationnel sur ce genre de chose instable, car autant je connais bien la clarinette, autant j’ai appris la batterie de manière autodidacte, ce qui fait que je dois redoubler d’effort. Le concert s’est vraiment bien passé, simplement, avec une énergie incroyable. Pour moi, ce jour là, on a fait un tour de magie. Je n’en revenais pas ; j’étais comme un enfant émerveillé. La suite n’est pas toujours facile, mais il faut continuer, créer des opportunités, des événements, arriver à poursuivre cette aventure, même si c’est parfois compliqué, car nous avons chacun nos vies respectives, avec des projets qui prennent du temps. Et nous sommes aujourd’hui réunis pour aller au-delà d’un projet qui était amateur, malgré le professionnalisme qu’on pouvait y mettre. Il s’agit de passer à une étape supérieure en gardant l’âme.

– A contrario de nombreux groupe de Slam, vous développez autour des textes une création musicale inspirée et audiblement nourrie d’un métissage d’influences assez riche. Qu’est-ce que cette démarche non conformiste ou « non puriste » vous permet d’exprimer de plus?

– Christophe : Ça fait écho à une discussion qu’on a eue juste avant. Déjà il y a des terrains communs : beaucoup de musiques que nous affectionnons particulièrement, tous les trois. C’est pourquoi on trouve ce mélange là qui peut évoquer les grands espaces, la quiétude, quelque chose qui permet l’introspection et en même temps l’évasion. C’est d’ailleurs ce que permettent généralement les musiques dites métissées.

– Eric : Je n’ai pas pour ma part à proprement parler de formation musicale. Mais on se nourrit allègrement de nos expériences de vie, de nos rencontres musicales ; nous n’avons pas peur de nous laisser guider par nos influences. Il y a vraiment ce tronc commun qui fait que quand nous sommes tous les trois ensemble nous avons une vision élargie de ce que peut être la musique, et on aime aller vers tous ces chemins qu’on n’a pas forcément emprunté auparavant, mais qu’on prend plaisir à découvrir.

– Christophe : J’ai fait un petit passage en école de Jazz, qui n’a pas duré très longtemps, mais suffisamment pour me faire comprendre qu’on peut enrichir les choses tout en les réduisant harmoniquement. Par exemple on peut accumuler 4 ou 5 accords pour composer une chanson de rock ; mais on peut aussi fournir quelque chose de plus riche en terme de ressenti, en enlevant des informations harmoniques. Mais nous avons surtout appris de la formation de la vie, des rencontres, du contact de musiciens d’autres cultures. J’ai eu la chance de croiser des musiciens algériens, guinéens, et de pouvoir toucher du bout des doigts la musique d’Afrique.

– Eric : On a pas mal voyagé là bas. On est allés quelques jours à Kinshasa, en Egypte, au Bénin.

– Christophe : En revanche l’apprentissage de ces musiques-là ne s’est pas fait en milieu classique au sens scolaire. Il y a des musiques qui ne s’apprennent pas dans des structures. Et puis pour ma part, Vibrion a été une vraie école : j’y ai découvert l’art subtil d’accompagner les mots. Même si je ne suis pas devenu spécialiste du genre, mon jeu s’est développé autour de ça. J’affectionne particulièrement le fait d’être derrière, de « faire le tapis » sur lequel glisse le texte.

– Alexis : Mes propos vont rejoindre ceux de Christophe ; j’adore aussi faire ça, prolonger la résonance de l’âme des mots avec le son. Mais ce ne sont pas que les mots qui importent ; c’est aussi celui qui les dit, son corps, sa présence, son expression vivante. Il s’agit de jouer avec les sons des mots. Dans l’absolu effectivement, la musique n’a pas besoin de mots et les mots n’ont pas besoin de musique.

– Parlons des thématiques que vos chansons où si les réflexions introspective et émotionnelle  occupent un large espace, on distingue aussi un propos clairement engagé contre les injustices de l’humanité, et ceci se formulant toujours avec un souci palpable d’une esthétique de la sonorité des mots et des phrases. Comment les abordez-vous ?

– Eric : C’est un spectre assez vaste. Je parle du monde qui nous entoure. C’est-à-dire que les mots me viennent directement de ce qui m’entoure ; je suis inspiré par ce qui se passe autour de moi, dans un cercle plus ou moins large. Il n’y a pas dans mon écriture de thème particulier de prédilection. Mais je me qualifierais comme quelqu’un de plutôt humain, donc sensible à l’injustice, touché par ce que je trouve injuste ou complexe.

– Christophe : C’est aussi la conscience de l’autre. Evidemment nous vivons dans un monde compliqué, dans une société qui prône l’individualité, mais tu ne peux pas faire abstraction de l’autre.

– Eric : Et puis quand j’ai commencé à écrire, le but du jeu était de faire de la musique avec les mots, sans forcément vouloir donner un sens. Au départ je me suis vraiment mis à l’écriture en rencontrant la discipline du Slam ; faire sonner les mots était primordial. Et je me suis très vite rendu compte que le sens nous sautait dessus de lui-même. Je n’ai jamais eu avant de démarche littéraire à proprement parler ; c’est la chanson qui m’a donné le gout des mots. Et en français. J’ai toujours considéré comme une erreur de croire que cette langue ne peut pas sonner musicalement. Il suffit d’écouter pour s’en rendre compte. De toute façon je ne maitrise pas assez l’anglais pour écrire dans cette langue. Ceci dit je suis très touché par des chansons anglophones dont je ne comprends pas tout le sens, mais de la même façon dont je peux être touché par des chansons en Arabe, en Belge ou en Allemand. Hier soir on a joué à la Fac d’Albi, et une personne a déclamé un poème en allemand. Et c’était très beau. Pourtant on est souvent tenté de trouver cette langue gutturale et dure ; mais malgré tout il y avait une vraie musicalité, très touchante. C’est ce qui m’émeut en premier lieu. Et puis le fait d’écrire permet d’évacuer pas mal de choses ; c’est presque une thérapie. Du moins ça rentre dans un processus thérapeutique.

– Alexis : Dans le groupe, si je m’occupe des percussions et je joue de la clarinette basse c’est que je suis amoureux du son, plus que de la musique elle-même. La musique va plus loin que l’association de mots, de gens, de sonorités. J’aime ne pas être dans les conventions. J’adore être en milieu naturel, plus dans le minéral que dans le végétal ; mais j’aime quand même le végétal. Je me nourris de la percussion d’un chant d’oiseau par exemple. On n’a rien inventé. Si on a un tant soit peu d’acuité, même sans être musicien, tout est là et existe déjà. Tu vas aller à la poubelle, ramasser des objets, plastiquement beaux, qui sonnent évidemment, et c’est intéressant de voir ce qu’on peut en faire. Et je joue de tout ça. Bien sur j’aimerais pouvoir jouer de tous les instruments, explorer toutes les sonorités. Mais ce n’est pas possible, parce que je suis juste un occidental. Ni un Africain, ni un Russe, ni autre. Bien sur dans le groupe, on joue chacun de nos instruments respectifs, Christophe de la guitare et de l’oud, et moi des batteries et de la clarinette ; mais Christophe et Eric aussi font de la percussion. Tout ça glisse et se tuile. Il y a une énergie qui se passe entre nous, qui n’est pas écrite sur la disposition de la scène, mais que les gens découvrent en concert.

– Chacun des membres vit dans une localité différente. Comment se déroule le travail de composition ?

– Christophe : Pour ce qui concerne les compositions, il y a une base qui est faite par Eric, qui travaille de son côté à l’écriture. Ensuite selon les disponibilités de chacun, on s’organise pour se retrouver durant des périodes de plusieurs jours ou semaines. On fait un peu moins d’improvisation, car les choses sont fixées. Bien sur il y a toujours une part d’improvisation sur scène, qui émerge de ce qui est fixé aujourd’hui, qui va toucher une autre façon d’interpréter un titre ou de jouer des choses qui n’étaient pas prévues, ou de ne pas jouer du tout d’ailleurs, en décidant à la dernière minute qu’un titre va être interprété a cappella. Il n’y a pas de démarche délibérée de faire une impro ; ça se fait selon les sentiments du moment. Le concept du groupe n’est pas une forme de free jazz, ni une lecture musicale. Il y a un texte à respecter quand même, car les mots ont beaucoup d’importance. Et ce que nous souhaitons aussi c’est installer une transe, et ça, c’est une discipline. Il s’agit de prendre en compte les placements dans l’espace, avec le débit au devant –le parleur comme on dit dans certains pays- qui transmet la parole, et derrière le « tapis » musical en diverses strates pour que la parole puisse y glisser au mieux et aller là où elle doit aller. Avec Alexis, on tient un peu la maison à deux : ce n’est pas une formation classique ; il n’y a pas de bassiste, pas de pianiste. C’est un beau challenge pour nous et ça va très bien avec la poésie déclamée. Si on donne trop d’informations, c’est compliqué et les gens peuvent ne pas s’y retrouver. Donc nous jouons sur scène ce qui est sur le disque, bien sûr pas à la note près, car il y a des arrangements et on se fait plaisir à remanier des choses.

– La tournée actuelle a-t-elle pour but essentiellement la présentation de l’EP ?

– Eric : La présentation de l’EP a déjà un peu été faite. Pour les dates où nous allons jouer, nous sommes plus dans l’idée d’un travail de développement de notre histoire, et d’essayer de la cadrer dans une forme qui va être quelque chose qu’on va pouvoir « monnayer » autrement, même si ce verbe n’est pas très adapté à notre philosophie.

– Christophe : Réaliser un EP est une étape importante. La démarche permet d’inscrire concrètement une rencontre, et, pour nous, de renforcer la conviction que notre projet existe. Et puis c’est aussi un passage obligé, au sens où pour pouvoir convaincre les gens que ton projet vaut le coup, il faut déjà avoir un support, un enregistrement à laisser.

– Eric : C’est une manière de passer un cap, du plaisir qu’on a à faire les choses ensemble vers plus de plaisir. Il s’agit de prendre une image de là où on en est, une sorte de bilan, et une fois que c’est fait, de pouvoir continuer de construire autour de ça et après ça. Petit à petit on pose des pierres autour de la base. On va enchainer par une résidence, la création d’un vrai spectacle, et la finalisation d’un album qui est en fait en cours. Quelque part l’EP est le début du travail de l’album, et il permet aussi de ne pas rester enfermé sur soi, de recevoir des avis extérieurs, et de pouvoir se rendre compte de l’accueil du public, quand des gens présents au concert viennent acheter le CD à la fin.

– Alexis : Quoi qu’on en dise, on est dans l’ère du tout numérique. Et d’une part, les productions veulent un disque physique, d’autre part c’est un témoignage qui reste. Il y a des groupes que j’ai adorés il y a 20 ans et qui n’existent plus dont je possède un disque chez moi. C’est une trace qui reste.

– Christophe : Oui, c’est une trace, une archive, et puis aussi une source de financement pour bien d’autres choses concernant le développement du projet. On est loin d’en tirer un revenu, mais ça apporte un peu de moyens non négligeable pour  par exemple presser d’autres disques, continuer de communiquer sur le groupe en faisant des affiches, ou simplement régler un plein de carburant pour se rendre à un lieu de concert. C’est également un objet physique comme tu dis qui peut être sujet  de discussion, et donc source d’échanges, avec les gens qui viennent l’acheter à la fin des concerts. Les gens préfèrent toujours garder un souvenir du moment passé qu’aller acheter le disque plus tard à la FNAC. C’est direct du producteur au consommateur et immédiatement réinvesti. Pour la suite, on a une résidence prévue en octobre 2016, l’idée étant de pouvoir réaliser une sortie d’album début 2017. L’album va reprendre certains titres de l’EP ; puis d’autres titres, dont deux sont en cours de finalisation, vont s’ajouter. Les compositions tenaient déjà la route, mais on a voulu se faire plaisir et aller plus en profondeur dans l’écriture des morceaux. Et comme le projet est très ouvert, il n’est pas exclu qu’il accueille des invités, soit durant une résidence, soit sur quelques dates.

Ecart est avant tout une histoire d’amis. Mais les histoires d’amis, c’est une chose. Après quand on veut inscrire un projet professionnellement, qu’on veut le développer, qu’on est convaincus que cette histoire a sa place dans le milieu artistique comme on l’entend communément, on est obligés de s’astreindre à certaines contraintes, qui peuvent être pénibles car elle ne relèvent pas du métier d’artiste, et y mettre les moyens  pour faire entendre notre musique. Tout reste à faire, et le champ des possibles est bien grand.

Miren Funke

Photos : source page fb du groupe

Lien : https://ecarttrace.wixsite.com/ecart

page facebook du groupe https://www.facebook.com/ecartofficiel/

Membres : Eric cartier : https://www.facebook.com/eric.cartier.1426

Christophe Isselee : https://www.facebook.com/christophe.isselee

Alexis Kowalczewski : https://www.facebook.com/alexis.kowalczewski?fref=pb&hc_location=friends_tab

Jean-Roger Caussimon

27 Juin

 

Le poète voit plus haut que l’horizon, et le futur est son royaume… Tentative de démonstration avec Jean-Roger Caussimon…

 

Il fait soleil

 

Bordel à cul

 

Gauchisme à la mode

 

Les milices

 

Mais le poète est aussi un chroniqueur des choses de la vie …

Monsieur William

 

 Sammy le pianiste noir

 

Le vieux cheval

 

Le voilier de Jacques

 

et pour finir en ballade nostalgiquement tonique …

Paris Jadis

 

Que nous bisserons volontiers avec les deux enfants terriblement gâtés de Tavernier,

 

L’intégrale des chansons de Caussimon a été éditée  Saravah…  et est disponible dans la boutique des merveilles, ci dessous, clic sur le mistiroux

 

 

Norbert Gabriel

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