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Henri Crolla, l’enfant de Caruso et de Django …

2 Mar

Mandoline napolitaine

Hasard ou presque, Enrico Crolla nait à Naples, le 26 Février, quelques années avant naissait Enrico Caruso*, le 25 Février… Naples,  patrie de la ritournelle emblématique O sole mio **, dans une famille de musiciens qui faisaient les belles soirées des grandes brasseries de Bavière et d’Allemagne. Et dès sa petite enfance, avec la mandoline ou le banjo-mandoline, ce sont ces airs populaires qui le nourrissent et le poussent à ensoleiller les rues de Paris. Dès 8 ans il fait l’école buissonnière pour faire la manche, et ça lui plait. Un air guilleret, trois passants qui s’attardent, et le spectacle est là. Et les pièces tombent dans la casquette ou le béret.

Bien qu’ayant été un proche de la famille Reinhardt, par la proximité dans la zone de la porte de Choisy, et par amitié – la mère de Django le considère comme un de ses enfants – c’est en 1936 qu’il découvre la musique de Django … Quelques années avant Rico a été adopté par la contre-bande de Prévert, et il a une chambre chez Paul Grimault, près de la Porte d’Italie. Là, il devient Riton, il devient aussi guitariste, car on lui a fauché son banjo, et Paul Grimault lui donne une guitare. Chez Grimault, grâce à Emile Savitry, on écoute souvent le QHCF, ce quintette qui invente un nouveau jazz typiquement européen, cette musique riche et tonique qui fait swinguer les âmes …

 

En deux ans le jeune Riton va devenir Henri Crolla, guitariste très en vue dans les clubs de jazz,  rue Delambre, au Schubert, où passent les grands jazzmen, Coleman Hawkins, Benny Carter, Bill Coleman, et Gus Viseur avec qui il fait une tournée. Et en 1939, il rencontre SA guitare, la Maccaferri Selmer N° 453, la Ferrari des guitares dans le jazz français.***

Jeune vedette , il  a 18 ans, le studio Harcourt  lui tire le portrait.

Crolla était admiratif de Django jusqu’à la dévotion devant un dieu qui le paralysait (quand il « devinait » que Django descendait l’escalier de la salle où il jouait, il posait la guitare, et c’est en 1947 que Django l’entend  sur le 78T Grand Prix de l’Académie du Jazz) mais il n’a jamais copié le style Django. Selon André Hodeir sa musique est une fusion entre le classique et le jazz. Avec cette touche particulière « la sixte napolitaine » **** José Artur a trouvé les mots justes qui définissent bien Crolla «  une désespérance élégante » ajoutée à un humour entre autodérision et narquoiserie à la Prévert. La sixte napolitaine étant la bande son ..

La guerre interrompt en partie son parcours de jazzman, mais en 1947, le Trio Chauliac, Crolla, Soudieux est récompensé par le Grand Prix évoqué précédemment. Et Django entend enfin comment joue le petit frère guitariste.  En 1946 pour les jam-sessions in Paris, Crolla est dans l’orchestre réuni autour d’Alex Renard, avec Hubert Rostaing, Léo Chauliac, Roger « Toto » Grasset, Lucien Philip, Harry Perret,  Arthur Motta, dans la jam sessions n° 4. Cette session fait partie d’une série de 25 réalisée par Charles Delaunay, à destination des USA pour y promouvoir le jeune jazz français d’après guerre.  « …  la séance permet en outre d’écouter la belle guitare d’Henri Crolla dont la discrétion n’a d’égale que la musicalité.. » dit Pierre Carlu, très grand amateur de jazz, connaisseur incomparable de la musique « swing » et consultant émérite chez Frémeaux.

La période suivante, de 1947 à 56/57, ce sont les années music-hall, on y reviendra, mais le jazz est toujours là, pour la réouverture du Club St Germain, en 1954, c’est Crolla qui constitue le quartet idéal selon Soudieux, violon-guitare-contrebasse-drums. Avec Grappelli et Jacques David, et puis les « jeunes » René Urtreger, Roger Paraboschi, Maurice Meunier, Michel Hausser, Georges Arvanitas, Maurice Vander, la jeune garde du jazz français d’après guerre, quand certains considéraient Django et Grappelli comme des has been. Néanmoins, dans ce contexte Crolla sera un des maîtres d’oeuvre de la série d’enregistrements « Notre ami Django » avec la fine fleur des musiciens du moment . Et Stéphane Grappelli revient à la une.

 

Dans ces mêmes années 52/53 on trouve aux côtés de Crolla Martial Solal (Lalos Bing) dans des enregistrements d’airs populaires jazzy (Mon homme …) et aussi Lalos Schiffrin qui dans ses années parisiennes fréquentait les clubs de jazz, la Fontaine des 4 saisons, où Crolla avait ses habitudes et ses amis. Il n’y a pas de trace enregistrée avec Schiffrin, juste des témoignages.

 

 

Les musiques populaires, la sixte napolitaine, le jazz (et une curiosité permanente)  sont trois des composantes de l’art du musicien, qui décide dans les années 58/59 de quitter son métier de musicien professionnel, le métier, pour ne faire que de la musique par pur plaisir …  et retrouver le goût de l’école buissonnière, le long des rues …

 

* Enrico Caruso est un ténor italien né à Naples le 25 février 1873 et mort le 2 août 1921

** O sole mio (en français « Mon Soleil ») est une célèbre chanson napolitaine, publiée en 1898 et mondialement connue. Les paroles sont du poète napolitain Giovanni Capurro et la musique de Eduardo Di Capua

*** Sur  les guitares dans le jazz français, clic sur la guitare de Crolla,

Maccaferri-Selmer 453   Photo NGabriel 1999

****  la sixte napolitaine: accord de sixte napolitaine qui semble avoir été popularisé par les compositeurs d’opéra napolitain au temps d’Alessandro Scarlatti. Le dessin ci-dessous explique assez bien, j’ajoute après tu te mets à pleurer :  mais t’es pas triste..

Sinon on peut dire aussi,  c’est un accord parfait majeur construit sur le 2e degré abaissé d’un demi-ton chromatique, apparaissant le plus souvent dans une tonalité mineure, mais on l’observe, à l’occasion, dans une tonalité majeure.
C’est quand même plus clair …

 

Norbert Gabriel

Leçon de musique avec Brassens

21 Août

A l’usage des indigents de l’oreille qui trouvent Brassens peu musical…

Car il s’en est trouvé, des «experts», pour juger Brassens monotone et répétitif… Voire guitaristiquement élémentaire … Les guitaristes plus ou moins débutants qui n’osaient pas Hécatombe ou le Gorille ont pu se rabattre sur l’Auvergnat, une mélodie parfois acrobatique, et un enchainement d’accords pas très compliqués, mais ce que fait Brassens est carré, alors que les tentatives de reprises sont souvent bancales.

Et ne parlons pas de « J’me suis fait tout p’tit » ou « Le vieux Léon »..

Les deux démonstrations ci dessous vous en diront plus:

Leçon A

 

Leçon B: Daniel Wayenberg et la musique de Brassens

 

Pour finir  salut au vieux Léon, extrait en direct, et regardez comment la main gauche emmène cette valse vive et tonique.

 

Le même en version disque avec la seconde guitare (Jean Bonal) et Pierre Nicolas

  • Et la chanson Je m’suis fait tout p’tit (Victor Apicella guitare ) dont  les premières notes sont le début d’improvisation n° 4 de Django (ici vers 1’05)

That’s all folks.

Norbert Gabriel

Django et Manoukian, ou les vérités alternatives dans le jazz..

20 Sep

 

Ça se passe sur une des grandes radios généralistes, dans la première matinale de France, et ça défrise ou ça décoiffe, ou ça effraie et ça énerve. Vers 7h20 un pseudo spécialiste du jazz qui officie à ces heures pour faire de la vulgarisation nous apprend ce mercredi 20 septembre que Django Reinhardt est mort en 56, qu’il a appris le swing en écoutant Bach, et que c’est Ellington qui lui a révélé les accords 6 ème diminués…

Rectifions donc :

  • Django est mort le 16 mai 1953
  • C’est en 1930, après la mutilation de sa main dans un incendie qu’il réinvente le jeu de guitare, avec ses fameux accords diminués,
  • C’est en écoutant des disques de Louis Armstrong (son idole) chez Emile Savitry en 1931, à Toulon, qu’il découvre le vrai jazz.
  • C’est en 1933-34 qu’est fondé le Quintette du Hot Club de France avec Stéphane Grappelli et c’est plus vraisemblablement à cette époque qu’il a découvert Bach par Grappelli..
  • Quant à l’initiation au minor 6 due à Duke Ellington, c’est à pleurer devant ces balourdises.

Attendons-nous à savoir dans la prochaine manoukianerie que Louis Armstrong a appris la trompette dans un tipi cherokee à la New Orleans, et que le blues est né des états d’âmes des indiens.. (ah non, ça c’est déjà fait..) quand ils allaient chanter des cantiques dans les églises blanches et qu’en fait c’est le red spiritual qui a initié le blues et le jazz. Tout est possible.

Dire qu’il y a eu sur cette antenne Julien Delli Fiori, Frantz Priollet, et bien avant eux Sim Copans, et quelques autres qui savaient de quoi ils parlaient, qu’on pouvait écouter en confiance, avec intérêt soutenu, au lieu de piquer une crise quand un hurluberlu ne sait même faire comme le premier imbécile venu qui va voir sur wikipédia quand il ne sait pas, et devient ipso facto moins imbécile.

Bon, il y aurait encore quelques belles manoukonneries à citer, passons, il reste que ce qui est dit sur Les Doigts de l’Homme dans ce contexte est très dévalué par ces vérités alternatives manoukiennes, mais ceux qui connaissent un peu le jazz dit manouche, savent depuis longtemps la qualité de ce groupe..

Pour avoir des infos sérieuses sur ce sujet, rien de mieux que le coffret Django Reinhardt gentleman manouche, avec un DVD interview de Patrick Saussois, qui fait une synthèse claire et précise, en gros, tout ce qu’ignore Manoukian. (et éventuellement les livres de François Billard/Alain Antonietto, et ceux de Patrick Williams documentés avec sérieux, et très complets)

Ci-dessous la chronique en question, sur le site de France Inter. A vous de voir…

Ce matin, André Manoukian nous fait écouter l’un des meilleurs groupes de jazz manouche, tout en nous expliquant que le jazz manouche n’existe pas…

Non Nicolas, (Demorand) le jazz manouche n’existe pas , son inventeur, Django Reinhardt, dans les années 30, était un manouche qui jouait du jazz. Alors ce nom, cette idiotie ghetoïsante, est né bien après la mort de Django qui survint en 56, probablement à la fin des années 80, cette période où l’on retourne partout au communautarisme et où qualifier un être d’après son origine ethnique n’est plus un problème.

Mais si Django ne jouait pas du jazz manouche, qu’est ce qu’il jouait ?

Du jazz tout simplement. Pour faire court Nicolas, disons que le premier théoricien du jazz s’appelle Jean-Sébastien Bach, et qu’il dit tout dans l’art de la fugue.

Django qui jouait du Bach, s’en inspira, ainsi que du swing et d’un de ses maitres, Duke Ellington, à qui il va emprunter un accord très coloré, minor 6, pour faire technique, que Django va mettre un peu partout, à tel point qu’un jour il va se le faire chiper par Henri Salvador, qu’il relèguera au fond de la scène pour qu’il ne lui pique rien d’autre.

C’est ça qui est formidable, la naissance d’un style peut naitre de la qualité d’un accord…

suite ici : https://www.franceinter.fr/emissions/manouk-co/manouk-co-20-septembre-2017

Norbert Gabriel

Swing chanson et manoukonneries

7 Mai

Dans le réflexe de l’âne qui se gratte, mon premier geste le matin, c’est clic sur on, et play the TSF. J’ai la radio en écoute en permanence ou presque dans la cuisine, dans le salon, dans la salle de bains, dans la chambre, autant dire que ça diffuse en multi-sons quadriphonie dans toute la maison. Bon.

Ainsi, j’ai  appris récemment par la voix d’un radioteur qui fait souvent de bonnes émissions sur la musique, que Trenet avait été le premier à utiliser le swing dans des chansons en France*… Ça m’a fait un choc. Et  Sablon dès 1935, il faisait de la lambada ? Et Mireille, en 1933, de la polka auvergnate ? Mireille dont Trenet lui même disait qu’elle avait amené le swing en France.

Que Trenet ait beaucoup apporté à la chanson, c’est un fait, mais on ne peut quand même pas dire qu’il a tout inventé, c’est comme le swing  qui a explosé avec le jazz afro américain, mais qu’on trouve chez Jean-Sébastien Bach. Et qui me prouve que Cro-Magnon ne tapait pas sur ses cailloux en swinguant comme Cab Calloway ?

En France, ce sont Mireille et Jean Sablon qui ont vulgarisé le swing par la chanson, avec  Couchés dans le foin  pour Mireille,  chanson qui  commence par la même note répétée 9 fois, mais le balancement du swing change tout. Et le premier succès de Trenet auteur, c’est  Vous qui passez sans me voir, une chanson écrite avec Johnny Hess, sur une musique composée par Paul Misraki, et  Jean Sablon a en fait un succès mondial en 1935. Sablon qui dès 1935, impose des solos de Django Reinhardt dans ses chansons, au grand dam de la maison de disques mais qui ne pouvait rien refuser à Sablon, mega vedette mondiale. Exemple avec  Cette chanson est pour vous  en octobre 1935.

Il est dommage que sur une radio nationale on puisse sortir de telles « approximations de langage » qui décrédibilisent les contenus d’émissions par ailleurs passionnantes sur le plan histoires de musiques… Mais à cause de ces approximations je commence à avoir un doute sur l’exactitude de tout le reste… J’aime bien qu’on me raconte des histoires, mais à condition de savoir où se situe la frontière entre la fiction fantaisiste et la réalité historique.

C’était au cours d’une séquence consacrée au film Django, et sur ce point, la vie de Django, je conseille gentiment au chroniqueur évoqué de lire la bio de Django « Un géant sur son nuage » de François Billard et Alain Antonietto, ce dernier étant un spécialiste expert incontesté de tout ce qui concerne les Reinhardt. (Alain Antonietto a publié de nombreux essais dans Etudes tsiganes )

Et pour finir en chansons, un lien sur les liens ami-musicaux entre Django et Jean, clic sur qui vous voulez, et ça joue..

Et pour illustrer cette amitié,  une swing dédicace élégante de Bix Beiderbecke, A good man is hard to find, qu’on peut traduite par Un bon pote est difficile à trouver.

Et hommage à la première swingueuse française,

*Citation exacte (sur le swing)  le premier qui l’a utilisé dans des chansons c’est Trenet… » le 27 avril, dans l’émission si tu écoutes j’annule tout, chronique sur Django vers 1’30 ».

 

Norbert Gabriel

NB: ce n’est pas de l’acharnement malveillant, mais dans une grande émission chanson diffusée le vendredi soir, le même « animateur »  avait situé l’émergence des « chanteurs ACI à textes »  après Mai 68,  Anne Sylvestre, Brassens, Brel, Ferré, Moustaki et quelques autres ont dû être surpris…  Vous l’avez reconnu?

NB 2:  François Billard et Alain Antonietto ont publié une édition revue et augmentée de leur bio de Django, la voici!

Ecrit à quatre mains, ce livre, longtemps attendu et paru en 2004 chez Fayard est en fait la réédition, revue et augmentée, d’un livre paru en 1993 : Django Reinhardt, un géant sur son nuage aux éditions Lieu Commun.
Il est intéressant de signaler qu’il regroupe un bon nombre des articles (remaniés pour l’occasion) qu’Alain Antonietto publia entre 83 et 86 dans la célèbre revue Etudes Tsiganes, où il resta longtemps le spécialiste musical.

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