Musicalarue : entretien avec Matmatah

29 Sep

 

C’est avec une pure joie qu’à l’instar des publics d’autres villes où la tournée de Matmatah fait escale cette année, les festivaliers de Luxey s’apprêtaient à accueillir le groupe reformé, neuf ans après sa séparation. La joie hélas fut de trop courte durée -le temps de 6 chansons pour être exact-, avant que les orages d’une tempête démentielle ne contraignent les organisateurs à interrompre le concert et annuler la fin du festival. Drôle de sort pour des musiciens qui, quelques heures auparavant, en fin de conférence de presse avaient lâché d’une provocation ironique : « Ah bon ? Le concert n’est pas annulé ? ». A en juger par le déluge qui allait s’abattre sur Musicalarue, et qui, soit dit en passant, n’entamait visiblement ni l’obstination des membres du groupe à terminer héroïquement la chanson « Au Conditionnel », trempés jusqu’aux os et menacés par les rafales qui balayaient la scène, ni la persévérance du public à rester sur place sous les éclairs encore une bonne heure, accroché aux mâts de quelques drapeaux « Gwenn Ha Du » dansant au vent, comme à l’espoir de voir les musiciens rallumer les amplis et reprendre les instruments, Matmatah nous avaient amené l’humour breton avec la météo brestoise aussi. Autant ne pas le nier : nombreux sont ceux à souhaiter un retour du groupe à Musicalarue l’an prochain. Car aussi bref fut-il, ce concert scellait le plaisir de retrouver intactes l’énergie et les harmonies de la formation, aguerrie par le vécu humain, grandie par le temps qu’elle s’est laissé pour respirer, et revenue vers nous avec la conviction d’un propos musical et la fraicheur d’une écriture acérée et subtile qui ont d’autres choses à dire. Et des choses à dire, il en est question dans le dernier album du groupe, « Plates Coutures », sorti cette année même, où loin de se répéter, Matmatah emperle 11 chansons animées d’un regard confident, et, bien que poétique et humble, lucide et perspicacement interrogateur sur des thématiques qui interpellent le sens de notre société humaine (« Nous Y Sommes », « Marée Haute », « Overcom »), la conscience civilisée (« Petite Frappe », « Peshmerga ») et la fragilité des relations intimes (« Toboggan », « Entre les Lignes »). Et il en fut question  lors de l’entretien que trois des quatre membres, Eric Digaire (basse), Benoit Fournier (batterie, percussions) et Emmanuel Baroux (guitare), rejoints par le musicien additionnel Julien Carton (claviers, harmonicas) nous accordaient un peu plus tôt.      

 

– Messieurs, bonjour et merci de nous accorder un entretien pour parler de votre dernier album. La chanson « Nous y Sommes » aborde le thème du transhumanisme. Quelle est l’idée que vous souhaitiez y exprimer ?

– Eric : On ne peut pas en parler, parce qu’on a déjà pas compris de quoi ça parle en fait. C’est Stan [Tristan, chanteur et guitariste] qui a amené le sujet.

– Manu : Et comme on n’est pas sûrs que lui-même ait compris ce qu’il a écrit…

– Eric : Je pensais que c’était par rapport aux moutons.

– Manu : Non, ça, c’est la transhumance.

– Eric : Est-ce que vous avez déjà lu un Astérix ? Quand on ouvre la première page d’un Astérix, on voit la carte de France avec une loupe sur un petit village, et ça commence comme ça. On se posait la question, en essayant de prendre le maximum de recul, à l’inverse de cette loupe, de réduire l’Histoire et le temps et de savoir ce qu’on est en train de faire en tant qu’espèce humaine sur une planète. On a tous entendu dire qu’il y avait plein de dinosaures, et qu’après l’ère glaciaire ou les météorites -peu importe-, l’évolution, le darwinisme, la foi… Il s’agit juste, en prenant plus de recul que de regarder uniquement notre société occidentale ces 20 dernières années, de se dire « qu’est-ce que l’homme est en train de faire sur cette planète et vers où va l’évolution ? ». De toute façon, on est dans la merde ; on le sait. Mais va-t-on réussir à résorber ça ? Est-ce qu’il va se passer quelque chose ?

– Manu : Est-ce que c’est vraiment de notre faute ?

– Eric : Est-ce que ce n’est pas juste pour ça qu’on est faits ? Je pense que n’importe quelle espèce, quand elle est en surpopulation, arrive à disparaitre, et c’est fini. Voilà, ce sont juste des questions, comme si on était partis très loin de notre terre  et qu’on était quelqu’un capable de regarder cela comme quand on nous apprend l’Histoire, en nous parlant de l’assassinat de l’héritier du trône d’Autriche-Hongrie qui a entrainé telle et telle chose, et qu’on nous la résume à un enchainement, alors que les gens qui vivaient l’époque ne voyaient pas forcément le lien entre un assassinat et les élection en Allemagne et le reste. Donc on se pose la question de savoir s’il n’y a pas un déterminisme là dedans, si on n’est pas de toute façon là pour foutre la planète en l’air.

– Julien : Ou pour nous foutre nous en l’air !

– Manu : A priori la planète nous enterrera. Donc on va se faire une grande partouse de fin de civilisation !

– Eric : Ça a un cote « danser sur les braises ».

– Julien : Breiz ! Danser sur les Breiz !

– Eric : Mange donc quelque chose, toi.

 

– Le titre « Overcom », quant à lui, parle du problème de la surinformation, de l’abondance incontrôlée d’informations. Mais notre société sort quand même –et n’en est pas encore totalement sortie- de décennies de contrôle des canaux officiels d’information par le pouvoir étatique, puis les potentats économiques qui détiennent les grands médias. Alors de l’absence de contrôle ou du contrôle total, lequel est le pire des maux ?

– Manu : Là, c’est noyé dans la masse, tout simplement. On peut avoir n’importe quelle opinion religieuse, politique ou de ce qu’on veut, on trouvera sur internet un site pour nous, que l’on soit communiste, borgne, unijambiste, intégriste du jambon… C’est un peu pathétique, mais comme le dirait notre manager : « comment is the new content ». C’est-à-dire qu’aujourd’hui, c’est la culture du commentaire permanent. C’est une façon finalement de ne plus avoir de contenu. Quand Tristan a écrit la chanson, il n’y avait pas encore eu l’affaire de Trump avec les « faits alternatifs ». Le fait alternatif, c’est quelque chose qui est arrivé, mais dont on ne sait pas si c’est vraiment arrivé. C’est comme le docu-fiction, un peu étrange.

– Eric : Et comme tu dis, avant, il y avait une information à laquelle tu étais censé croire, et si tu n’étais pas content, tu pouvais en prendre une. Et on a vu cette évolution vers l’immédiateté arriver, avec quelques gros titres comme « 3 morts dans un accident d’avion », et puis quelques instants après, ils ne sont plus morts, et en plus c’était un accident de train, et finalement il n’y a jamais eu d’accident, mais une alerte à la bombe et un retard à la gare SNCF de Poitiers. On travaille forcément avec la presse, et on voit cette espèce de course à l’info, lors de festivals par exemple, avec le journal de presse quotidienne qui va titrer « succès intégral » avant même que le concert soit fini, sans même savoir si le concert est allé jusqu’au bout. On a fait un concert avec un incident, donc une pause de 25mn au milieu, et un journal avait déjà écrit qu’on avait mis le feu toute la soirée et que le concert était trop bien, et n’a pas dit un mot sur l’interruption du concert. Mais il avait titré avant son concurrent. Cette absence de vérification interroge. C’est ça qui est bien avec les thèmes de cet album : pour écrire des chansons, il faut avoir des choses à dire, donc il faut vivre des choses. Et là, par la force des choses, sans l’avoir décidé, on a eu 8 ans pour regarder, pour découvrir une vie normale aussi, parce que forcément à tourner pendant 15 ans, on ne vit pas normalement. Et donc on a pris le temps de s’intéresser et d’observer. Donc en mars 2017, on n’a pas sorti un album qui ne parle que de ce qui s’est passé pendant le temps d’écriture de l’album. Une chanson comme « Overcom » parle de cette dérive qu’on voit arriver depuis plusieurs années au même titre que tout le monde.

 

 

– Mais n’est-elle pas arrivée justement, engendrée par un besoin de démocratisation et un sentiment, légitime ou pas, que l’information semblait manquer de liberté et de neutralité ?

– Eric : Il y a du bon partout. C’est comme dans le métier de la musique : l’immédiateté des réseaux sociaux fait que n’importe quel groupe peut rencontrer un public, et on a vu des gens émerger comme ça, simplement parce qu’ils avaient mis des vidéos sur Youtube qui avaient eu des millions de vues. Donc ça a un intérêt, et pour l’information aussi. J’en discutais avec mes parents qui me disaient qu’avant il n’y avait pas autant de faits divers et de meurtres. En fait si ; il y en avait autant, sauf qu’avant tu ne le savais pas, si ça ne se passait pas dans le village d’à côté. Aujourd’hui tu peux savoir ce qui s’est passé à l’autre bout du monde. Forcément tu prends plus peur ; mais en même temps tu peux accéder à l’information. De notre point de vue, il y en a juste un peu trop. Quand Stan dit « il est temps de retirer la merde sur les ondes », ça ne signifie pas que tout est de la merde, mais qu’il y en a quand même une partie.

– Benoit : Ce que ça révèle, c’est un problème : on a des outils, et on se sent obligés de s’en servir. Alors que des fois on ferait bien de fermer sa gueule. Ce n’est pas parce qu’on a des outils à disposition qu’il faut obligatoirement s’en servir. Il y a des gens qui s’en servent intelligemment, quand ils ont des choses à dire ; et il y en a qui s’en servent tout court et constamment.

– Manu : Et on subit une espèce de culpabilisation : si on n’est pas hyper connectés, on est trop ringard. Et ça marche bien sur les gens âgés : dès qu’ils ont BFM  TV, comme ils ont été élevés au 20h et que c’était quelque chose d’énorme d’avoir l’information, ils sont scotchés dessus et peuvent regarder ça pendant 8h. Hein, maman ?

 

– Lorsque vous vous étiez retrouvés en 2015, après ces 8 années de séparation, pour la sortie de votre compilation « Antaology », vous aviez déclaré que vous ne remonteriez pas sur scène pour jouer des vieilles chansons. Comme nous sommes en festival, le public attend aussi certainement que vous jouiez vos titres les plus populaires. Quelle est votre position vis-à-vis de cela ?

– Eric : Qu’on ne jouerait « pas que » les vieilles chansons. On est toujours montés sur scène pour défendre nos chansons. On dit souvent que les premiers à séduire, c’est nous-mêmes. On doit avoir envie de monter sur scène ; on doit avoir envie de présenter nos chansons à des gens. Donc on fait une tournée, parce qu’on a fait un album.

 

– Vos propos auraient-ils été mal retranscrits par le journaliste et déformés par l’oubli de ces trois lettres qui changent le sens d’une phrase ?

– Benoit : C’était ça ; il manquait juste le « que ».

– Eric : C’est ça qui est plaisant pour nous aujourd’hui : on arrive avec 5 albums, dont on a décidé des chansons qu’on allait jouer pour la tournée de salles et la tournée de festivals. On voit des groupes qui sont sur leur première tournée, et qui du coup font quand même pas mal de reprises, car il n’y a pas assez de morceaux à eux. Il y a des chansons qu’on joue, parce que ça nous fait plaisir de les jouer, des chansons qu’on joue, parce qu’elles se prêtent  dès la création et l’enregistrement à un début de concert, et des chansons qu’on joue, parce que ça devient un spectacle pour nous. Quand on balance « Lambé », on n’apprend plus grand-chose musicalement, parce qu’on sait la jouer. Il n’empêche que dès les premiers accords, on voit tout le monde qui repart en 1998, et on prend un vrai panard. On a eu la chance de discuter avec Thiéfaine, autour de débats au sujet de Noir Désir qui ne jouait plus certains titres, qui nous avait dit : « moi, j’ai « La Fille du Coupeur de Joints » ; vous, vous avez « Lambé » et « L’Apologie ». Vous faites partie des « élus », alors fermez vos gueules et continuez d’avancez ; aujourd’hui la chanson appartient au public et tant que le public la réclame, fermez vos gueules ».

– Manu : Non, il avait dit : « ferme ta gueule ». Il n’a pas dit : « fermez vos gueules ». Il s’adressait à toi !

– Eric : Oui, c’est ça. Enfin il y avait un débat en cours dans les loges d’un festival à ce sujet, avec Louise Attaque aussi qui ne jouait plus « Je t’emmène au vent », et on disait que si un titre a permis que le public rencontre un groupe, de quel droit le groupe retirerait ce titre au public ? C’était notre point de vue ; puis il y avait les autres qui disaient qu’on a le droit d’évoluer et qu’on n’est pas obligés de jouer tout le temps les mêmes titres. Au début de la soirée, tout le monde était dans un rapport assez cordial, et à la fin de la soirée, tout le monde se foutait sur la gueule, et puis c’était marrant.

– Manu : Après il ne faut pas avoir peur de créer des choses. Si on ressert toujours la même soupe, déjà on finit par nous le reprocher, et puis ça devient pathétique. Mais les gens ont quand même pris un billet. Par exemple sur cette tournée là, les places se sont vendues avant même qu’il y ait l’annonce d’un nouvel album. Donc on se doute bien que ce n’était pas pour ça que les gens venaient ; alors il y a quand même un minimum à leur donner.

– Eric : Et puis quand on vient en festival, on vient voir une compilation de groupes, et bien sur découvrir de nouveaux groupes aussi. Lou Reed avait fait une tournée une fois où il avait décidé qu’il ne jouerait aucun titre connu. Nous on a décidé le contraire, au même titre que plein de groupes. On a croisé M récemment avec sa création « Lamomali » : il a compris le métier comme on pense l’avoir compris aussi, c’est-à-dire qu’il a proposé de nouveaux titres et puis il a joué aussi « Machistador », « Je dis Aime », des titres qui ont permis aux gens d’avoir envie de venir le voir et de suivre sa carrière. On est dans cette couleur là. Il y a des titres qui font que les gens ont envie de venir nous voir en concert et de s’intéresser à ce qu’on fait, et on profite, dans le sens noble du terme, d’avoir des gens devant nous pour leur dire ce qu’on fait et où on en est, et les remercier d’être là.

 

– Tu parlais d’Hubert-Félix Thiéfaine à l’instant, et ça m’amène justement à une question, peut-être un peu anecdotique : le titre « Toboggan » sur votre album comporte-t-il une référence à la chanson du même nom qui clôture son dernier album « Stratégie de l’Inespoir » ?

– Eric : Non. Stan est arrivé avec quelques lignes et une petite grille d’accords, et il nous a demandé de dézinguer ça, parce qu’il avait livré ce qu’il avait à livrer. On s’est mis tous les 3 à essayer de trouver une couleur. Cette musique a une jolie histoire. On sentait que l’album allait être très énergique et on avait envie d’une pause. On fonctionne encore comme les anciens, avec des vinyles où il y a une face A et une face B, et on voulait un titre pour créer la transition entre les deux faces. Donc on avait envie de cette parenthèse et de prendre le temps. Et un jour on lui a demandé de quoi il parlait dans la chanson, parce qu’elle était, en tous cas sur les premières lignes, un peu fermée.  Et il nous a dit que ça parlait de l’appréhension des rencontres humaines, qui est la même que quand on monte sur un toboggan, parce qu’on veut vraiment y aller et qu’au moment de se lancer, on n’ose pas. On a trouvé l’allégorie jolie, et c’est devenu le titre de la chanson.   

 

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Miren Funke

photos : Loïc Cousin (2 ; 3 ; 5 ; 6 ; 8 ; 9 ; 10 ; 13 ; 15), Carolyn C (4 ; 12 ; 14), Miren (1 ; 7 ; 11)

Une Réponse to “Musicalarue : entretien avec Matmatah”

  1. leblogdudoigtdansloeil septembre 29, 2017 à 14 h 17 min #

    En ce qui concerne l’anecdote sur les articles écrits avant le concert, c’est assez fréquent, même dans Le Monde un superbe article sur un concert … qui avait été annulé, mais vu quelques jours avant.. Et même dans des « journaux » web, il y a des articles écrits parfois avant le concert avec une ou deux notes « sur le vif » pour la crédibilité..

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