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Festival Musicalarue 2018 : entretien avec Matmatah

14 Déc

 

Le public de Luxey fut cette année particulièrement joyeux de retrouver à l’affiche du festival Musicalarue le groupe Matmatah, contraint l’année précédente d’interrompre son concert, après avoir interprété six chansons, à cause d’une tempête cataclysmique déchirant le ciel landais d’orages et d’éclairs, qui donnaient pourtant au moment une merveilleuse saveur d’apocalypse météorologique digne de la Bretagne. Héroïques face aux éléments déchaînés jusqu’à la fin du morceau, les artistes avaient finalement dû se ranger à la décision des organisateurs d’annuler la soirée, promettant au public de revenir. Promesse tenue au bout d’une tournée de plus d’un an, au cours de laquelle les chansons du nouvel album du groupe reformé après 9 ans de séparation, « Plates Coutures », rencontrèrent, souvent en salle comble, un public composé bien sûr d’anciens adeptes, mais également de plus jeunes générations, et enjoué autant par la découverte des nouvelles compositions que par la reprises des anciens succès du groupe, dont les premières notes tintent à présent comme des amorces d’hymnes populaires. C’est le privilège des artistes ayant ancré au cœur des gens et dans l’histoire de la Chanson des titres qui désormais appartiennent plus à leur public qu’à eux-mêmes. Il n’en fut pas autrement cette année à Luxey. Le groupe, porteur de nouveaux morceaux aux propos incisifs et pertinents, agença habillement son concert avec intuition, intelligence et un sens très généreux de la complicité avec le public. Matmatah nous ayant auparavant déjà accordé deux entretiens, il nous semblait peu opportun de revenir plus qu’il ne fallait sur les sujets précédemment évoquées. Néanmoins c’est avec grand plaisir que nous retrouvions dans l’après-midi Manu Baroux (guitare), Benoît Fournier (batterie/percussions), et Tristan Nihouarn (dit Stan, chant et guitare) accompagnés du musicien additionnel Julien Carton (claviers/chœurs/harmonica) pour une nouvelle rencontre.

– Messieurs bonjour et merci de nous accorder cet entretien. La question porte sur la chanson « Nous y sommes » et s’adresse plus particulièrement à Stan, puisqu’en ton absence lors du premier entretien où elle avait été effleurée, Manu et Eric nous avaient répondu avec humour qu’il fallait te la poser, car ils n’étaient pas certains d’avoir compris ce que tu voulais y exprimer. Le titres accroche la question de la fin de la civilisation humaine et interpelle sur celle du transhumanisme. Qu’est-ce qui t’a porté à d’aborder ce sujet ?

– Stan : On m’a souvent parlé de chanson écolo ; ce n’est pas du tout une chanson écolo. Ou faussement. C’est même plutôt une chanson super-cynique qui dédouane l’humanité de ses méfaits. L’écologie finalement, c’est quoi ? C’est un concept humain inventé par les humains pour les humains. Il ne s’agit pas de sauver la planète ; la planète n’a pas besoin de nous : elle se sauvera d’elle même. Il ne s’agit que de sauver notre environnement, dans lequel on évolue. Sauver la planète, c’est prétentieux. Aujourd’hui j’écrirais peut-être cette chanson autrement. Je pense que l’humanité, c’est juste la planète qui a attrapé un rhume. Et ça passera. On est à un tournant de notre civilisation : on parle de plus en plus d’un point de non-retour.

– Manu : On en parle, parce que les gens en souffrent. On commence à sentir les effets climatiques ; ça devient du concret. Donc « finalement, c’est peut-être vrai en fait… »

– Stan : Cette chanson est donc cyniquement un constat. Et puis nous sommes des produits de la nature. C’est la nature qui nous a créés. Donc si on en est arrivés là, c’est que la nature a fait en sorte qu’on en arrive là. Je pense qu’il y aura une auto-régulation à un moment donné. Je ne sais pas comment ça va se passer, mais j’ai l’impression que ça va se passer plus tôt que prévu.

– Manu : Ben oui, regardez les dommages collatéraux : le pauvre homme (désignant Benoît resté stoïque), il n’a pas bougé depuis vingt minutes. Donc ça commence par les groupes de Rock, attention !

– Stan : Donc le transhumanisme est peut-être une évolution vers autre chose. La nature survivra à la destruction de l’humanité. Le problème c’est qu’on a tendance à un peu dégager toutes les autres espèces. Mais nous dégager nous mêmes, c’est naturel.

 

– Lors d’un des tous derniers concerts de votre tournée, à Rouillac (Charente), juste avant d’interpréter la chanson « Overcom » qui cisèle un constat acerbe sur la société de sur-communication et sur-médiatisation, tu avais ironiquement taquiné le public parmi lequel quelques personnes filmaient ou photographiaient le concert avec leur téléphone portable. Ces nouvelles mœurs consternent beaucoup d’artistes. Y vois-tu une dérive comportementale agaçante, inquiétante, ou simplement amusante ?

– Stan : J’en parle souvent, encore qu’on a la chance d’avoir un public qui ne pratique pas trop ça. Jack White a interdit les téléphones à ses concerts, et plein de gens commencent à y penser.

– Manu : On n’est pas les pires : certains artistes se voient filmés au portable durant tout le concert.

– Stan : J’ai arrêté de faire de la photo quand je pars en voyage. Parce que quand tu passes ton voyage l’oeil dans l’objectif, t’as été en voyage dans ton Canon en fait. Mais c’est bien de ne pas faire de photo, et de vivre le moment présent.

– Manu (prenant un « selfie » de lui et Stan avec son portable) : Mais on n’est un peu victimes de la société aussi…

 

 

– L’album « Plates Coutures » par lequel vous êtes revenus au devant du public sur les scènes et les ondes s’empare de thématiques sociétales très actuelles par un angle de vue concerné sinon engagé, et laisse par delà la beauté de sa poésie et la finesse de sa réalisation, le sentiment d’un groupe revenu avec beaucoup de choses à dire. Il comporte néanmoins un titre un peu « ovniesque », quasiment instrumental, « Margipop », semblant tellement en décalage avec l’esprit de chansons à propos qu’on se demande bien quel est le sien. Son sens serait-il de rappeler justement qu’une chanson n’a peut-être pas besoin de porter un message autre que celui de sa propre existence pour être utile ?

– Stan : Cette chanson, pour le coup c’est du bricolage : elle a été terminée le jour du mix. Il n’y avait pas du tout de voix dessus, et on s’est dit qu’il manquait quand même quelques voix. Du coup pendant que le gars était en train de mixer à côté, on lui envoyait des pistes en lui disant de rajouter. Mais c’est vraiment du bricolage ; on ne savait pas trop où on allait. On ne le sait toujours pas d’ailleurs…

– Manu : C’était vraiment pour s’amuser. C’est un défouloir un peu.

– Stan : On ne l’avait pas fait depuis longtemps, ça, d’avoir un morceaux instrumental sur un disque. Mais on en a fait, sur le premier album.

 

– Même si l’album n’aborde pas à proprement parler un sujet urgent qui interpelle nos sociétés européennes, le sauvetage et l’accueil de personnes réfugiées politiques, économiques, climatiques, sanitaires, qui arrivent sur nos côtes pour demander asile, on vous sent, par exemple à travers la chanson « Peshmerga » concernés aussi par les luttes et les drames qui se jouent loin de nos frontières. Un peu partout en France cette année des mobilisations citoyennes et des programmations événementielles ont eu lieu avec le soutien d’acteurs des scènes artistique et culturelle pour affirmer l’attachement de nos concitoyens au principe d’accueil et d’assistance de personnes en danger et leur refus du cynisme des politiques migratoires pratiquées ici à l’heure actuelle. Est-ce une cause que vous envisageriez de soutenir ?

– Stan : On pourrait écrire là dessus, mais si c’est pour enfoncer des portes ouvertes, ce n’est pas vraiment utile. On est tous des migrants. Déjà on vient tous d’Éthiopie ; l’humanité s’est construite comme ça. C’est quoi la différence entre nous ? C’est ça l’humanité. Nous sommes des nomades à la base. La sédentarité ne concerne finalement qu’une petite partie de l’humanité et de son histoire.

– Manu : C’est quand même le genre de sujet qui est délicat, car c’est bien beau de dire « il faut » prendre des gens, mais moi, personnellement je n’ai pris personne chez moi. Bien sûr on a des autorités politiques qui sont sensées nous représenter et prendre des décisions pour nous. Je ne dis pas qu’il ne faut rien faire, très loin de là. Mais je me méfie du côté « donneur de leçon », parce que sur le papier, c’est facile à dire. Personnellement je n’ai rien fait en ce sens. Maintenant je pense que si on nous demande notre soutien pour quelque chose, on le fera.

 

– Au cours de cette tournée, le public est massivement venu au rendez-vous des retrouvailles et vous a témoigné un accueil chaleureux et enthousiaste. Est-ce là une motivation supplémentaire qui vous propulse vers une seconde jeunesse -Eric nous parlait l’an dernier d’un « Matmatah deuxième période »- et l’envie de poursuivre et d’écrire un bout de route ensemble ?

– Stan : Oui, ça démange. On est un peu tristes de finir la tournée, parce que c’est un chapitre qui se tourne, mais on a hâte de la terminer quand même, parce que ça démange d’écrire de nouvelles chansons. On n’écrit pas trop en tournée ; on n’a plus de conneries à dire.

 

– Mais on accumule de la matière peut-être ?

– Stan : Oui, on engrange.

 

– A propos de continuation de route, une dernière question au sujet de Julien, le musicien additionnel qui vous accompagne désormais partout et semble se faire de plus en plus indispensable à vos côtés : comment envisagez-vous la suite ?

– Benoît (s’adressant à Julien) : Eh oui, tu commences à pousser maintenant un petit peu.

– Stan : Tu commences à ressembler à un homme… Mais il est quand même en piteux état. On l’avait pas récupéré dans cet état là ; il était tout neuf. Il a quand même pris une sacrée claque. Mais je crois que c’est à lui qu’il faut poser la question.

– Julien : Qu’est-ce que je t’avais répondu à Rouillac?

– Que tu n’avais pas de boule de cristal…

– Stan : En tous cas, ça fonctionne. On n’a eu que de bons échos.

– Manu : Et en plus le fait qu’il n’ait pas encore la puberté permet de défalquer les impôts. C’est un bon plan !

 

 

 

Miren Funke

photos : Carolyn C, Océane Agoutborde, Miren.

Nous remercions Julien Banes pour sa gentillesse.

 

liens : le site c’est là –>

 

 

Et le FB ici –>

 

 

 

 

Matmatah (+ Féloche) en concert à Rouillac (16) : entretien avec le guitariste Manu Baroux et le claviériste Julien Carton

30 Déc

Rouillac, charmante petite commune de Charente, aux commerces fermés après 20 h, hormis un camion pizza et son lieu de spectacle polyvalent Le Vingt Sept, aux allures de salle des fêtes communales. L’endroit ne paye pas de mine. En tous cas pas la mine à accueillir en début de décembre un groupe de Rock ayant rempli des zéniths et joué devant des milliers de personnes. Il y avait de quoi surprendre à ce qu’y ait lieu un des derniers concerts de la tournée de Matmatah, avant les deux festins finals du groupe, de retour sur ses terres, à Nantes et Plougastel. L’ambiance décontractée du lieu et la convivialité chaleureuse des membres de l’organisation promettaient à la soirée une proximité humaine comme on les aime.  Sitôt passé l’étonnement, et n’ayant pas eu connaissance de l’annonce d’une première partie, une seconde surprise de taille nous attendait : Féloche et deux complices musiciennes surgirent sur scène pour assurer un premier concert. L’univers un peu fou, un peu sorcier de l’artiste envahit d’un coup l’espace. La formation, bien que minimale (basse, mandoline, percussions et samples) capta d’originalités vivifiantes l’attention du public, en quelques chansons, avec un jeu et une mise en scène aux accents vodous, tantôt drôle, tantôt inquiétante, déguisement animaliers mi-monstrueux à l’appui. Les flots du Cognac ne coulaient pas très loin des eaux du Bayou… Large ovation pour Féloche, qui termina son set par la chanson qui le fit sans doute le mieux connaitre du grand public « Darwin avait Raison », et dont le nouvel album « Silbo » est disponible via son site : http://www.feloche.fr/

 

Quelques instants de répit pour émerger de la torpeur, et Matmatah entrait en scène, démarrant le concert par plusieurs extraits de son dernier album « Plates Coutures », qui signa cette année le retour de la formation sur les ondes. L’occasion de se rendre très vite compte combien les gens étaient réceptifs aux nouvelles chansons du groupe, qu’en début de la tournée, quelques mauvaises langues et esprits mal éclairés avaient jugé trop tôt n’être en mesure d’attirer le public que par l’annonce de sa reformation et l’intérêt nostalgique que les fans de la première heure porteraient encore à ses anciens succès populaires. Matmatah en joua bien sûr certains des plus connus (« Emma », « Au Conditionnel », « La Cerise », ou encore «Lambe en Dro » et « L’Apologie » qui clôtura le rappel). Mais quel mal y a-t-il au plaisir de faire plaisir au gens ? Lorsqu’on a la chance rare d’assumer la paternité de chansons devenues quasiment des hymnes pour toute une génération, il serait égoïste, et quelque part tyrannique, de priver le public de morceaux qui désormais lui appartiennent peut-être plus qu’ils n’appartiennent à leurs auteurs mêmes. Qui imaginerait un concert d’Hubert-Félix Thiéfaine sans « La Fille du Coupeur de Joint », « Les Dingues et les Paumés » ou « Alligator 427 » ? Les Stranglers n’ont pas retiré « Golden Brown » et « Always The Sun » de leur setlist non plus, malgré l’abondance de titres inédits à jouer. Néanmoins, dans le public de Matmatah, il fut difficile ce soir là de détecter une explosion de joie particulière à l’amorce des classiques du groupe : les gens ne se réveillaient pas au moment des « tubes » pour se rendormir à l’écoute des nouveaux morceaux. Bien au contraire. L’effervescence tint la salle d’un bout à l’autre d’un concert très énergique , malgré une fatigue de fin de tournée visible sur les visages des musiciens, qui donnaient pourtant encore tout ce qu’ils avaient, la transpiration en prime, enchainant des titres très rock (« Lésine Pas », « Retour à la Normale », « Nous Y Sommes », « Marée Haute », « Overcom ») et laissant peut-être volontairement de côté des morceaux plus apaisés de leur répertoire, hormis le magnifique « Toboggan », considérablement bien amené en début de rappel et scintillant d’émotions. Finalement le ressenti global que suscita le concert fut en priorité celui d’une cohérence évidente, même d’une certaine homogénéité, au sens où chaque chanson jouée y avait sa place et ne tenait pas un rôle moins indispensable qu’une autre dans l’édification de l’ensemble. Un réel plaisir pour le public et également pour les artistes que l’on vit souvent s’amuser comme des enfants, s’enjouer les uns les autres comme des complices, se veiller les uns les autres comme des amis, et échanger avec le public sans modération. C’est le genre de moment qui nous fait tellement comprendre pourquoi la pratique de la musique se définit par le verbe « jouer », alors que c’est tout autant -sinon plus- une recherche, une expérimentation, un effort, un travail. Mais on ne travaille pas de la musique ; on en joue. Et voilà pourquoi. Quelques heures et quelques bières après a fin du concert, le guitariste Manu Baroux -membre non originel du groupe qui a intégré la formation  après avoir accompagné le projet solo du chanteur Tristan Nihouarn et joué sur la compilation de Matmatah « Antaology », et ancien musicien du groupe Aston Villa et d’Axel Bauer-,  puis Julien Carton, musicien additionnel qui a accompagné Matmatah tout au long de cette tournée (claviers, chœurs, harmonica) acceptaient de nous accorder un entretien.

 

– Bonjour Manu et merci de nous accorder un peu de temps. La tournée touche à sa fin dans deux concerts. Quel sentiment l’accueil du public vous laisse-t-il ?

– Franchement, superbe. Il n’y a pas grand-chose à dire. Déjà, il y a la réalité de se dire que le groupe revient, et que donc il ne faut pas faire de fausse modestie en se disant qu’il n’y aura pas de date ou que les salles seront vides, parce que le groupe est connu malgré tout. L’engouement et la joie des gens sont un régal ; on a fait de belles salles, de beaux festivals. La tournée a été très positive. Et il y a aussi de nouvelles personnes sur la route, dont moi. Le groupe ayant fait cette pause, enfin ce split, on ne sait jamais véritablement sur quoi on va tomber à l’arrivée. Tout le monde s’entend bien dans l’équipe qu’on a sur la route, et ça, ce n’est jamais écrit : quand on part dans un camion avec 15 gars pendant quasiment un an, on ne sait jamais où on met les pieds. Franchement on a beaucoup travaillé, mais on a beaucoup de chance.

 

– Cela a-t-il été une appréhension pour toi qu’il existe des tensions entre certains, lorsque tu as rejoint Matmatah ?

 – Pas vraiment, parce qu’on avait créé un album avant. Donc on avait partagé des moments et des questionnements assez vastes. Ce sont quand même des grands garçons qui ont pris le temps de mettre des choses à plat, des histoires du passé entre eux-mêmes ; donc ça avait été fait avant et d’une façon assez saine, parfois houleuse, parfois beaucoup plus tendre. Et à partir du moment où la musique avance, en général, les choses se décantent. Ce qui devait être réglé l’a été avant. Et quand en plus tu as l’énergie du live et que ça fonctionne bien vis-à-vis du public et entre nous humainement et musicalement, ça roule.

 

– Eric nous expliquait à Luxey que sur les premières dates de la tournée, les places s’étaient vite toutes vendues, alors que le nouvel album n’était pas encore annoncé. Avez-vous eu au fil de la tournée l’impression que le public venait voir le groupe reformé et en profitait pour découvrir l’album sur scène ou bien qu’il venait vous voir après avoir connu et apprécié l’album ?

– Je pense que c’est un mélange de tout. Clairement il semble que les gens attendaient le groupe tout court. Il y a plein de niveaux de lecture : il y a les morceaux mythiques, « Lambe », « L’apologie », « Emma », etc… dont on sait que les gens les écoutent ; il y a l’histoire du groupe par rapport à la scène et au contact avec les gens, ne serait-ce que le fait d’être proches des gens par les mots et la musique, et cette aura de groupe de scène, donc forcément des gens venaient en ayant envie de revoir le groupe qu’ils avaient connu, d’autres pour voir le groupe qu’ils étaient trop jeunes pour avoir vu avant, sachant qu’on n’est pas non plus des grabataires, loin de là ; et puis au fur et à mesure des gens sont venus qui étaient peut-être moins à l’affut de la reformation, mais qui ont entendu parler de la tournée et de l’actualité des nouvelles chansons. Je pense que la teneur de l’album -et ce n’était absolument pas calculé- et le fait qu’il soit très rock dans la musique, mais aussi dans les thématiques abordées s’est rapidement glué relativement facilement, de façon à faire des listes où rapidement quelques nouveaux morceaux se sont imposés sans soucis. Après, et ça, ça arrive avec tous les nouveaux albums, clairement s’il n’y avait pas eu « Lambé », « L’apologie » et autres succès, on ne serait pas là. Donc il ne faut pas se leurrer : les salles se sont remplies avant. Mais la pérennité de la chose, le fait que la tournée continue à se remplir est signe qu’on délivre des bons concerts ; et un bon concert, ce n’est pas que des tubes. Il est important de traiter à sa juste valeur tout ce qui est au milieu, qui d’ailleurs ne vient pas que du dernier album. Pour ce qui concerne le dernier, on sait qu’on a quelques titres qui sont vraiment des gros morceaux de scène, pas nécessairement d’ailleurs les plus rock : un titre comme « Toboggan » marche très bien, même en festival. Et puis à un moment il faut être courageux quand on a un nouvel album, parce que quand les salles se remplissent, si on se repose sur des setlists un peu à l’ancienne, ce n’est pas pérenne. Il faut aussi avoir le courage de jouer et imposer ses morceaux. Il faut jouer les morceaux, et, nous-mêmes, on apprend à les jouer de mieux en mieux, tout en restant réalistes. C’est-à-dire qu’il faut savoir faire plaisir aux gens, aller sur des choses efficaces pour nous aussi, mais pas servir la soupe. Il faut aussi défendre ce qu’on a à défendre. Comme en plus on est fiers de l’album, ça marche. D’où l’intérêt de sortir un single, faire un clip ; si on pense que ça n’a pas d’intérêt, c’est faux. Pour un groupe du format de Matmatah, s’il n’y avait pas eu de nouvel album, ça aurait fonctionné quand même, mais pas comme ça.

 

– Et les thématiques de l’album justement sont très ancrées dans l’actualité, pour ne prendre que l’exemple de « Peshmerga » et « Petite Frappe » qui traitent des dérives actuelles de l’extrémisme religieux. En quoi ce sujet vous touche-t-il particulièrement ?

– Ce qui est très délicat avec ce genre de sujets là, c’est qu’il y a ce qu’on appelle le « politiquement correct ». On ne peut pas dire que les gens n’ont pas été choqués par tout ce qui s’est passé, sur le territoire français, et par écho, forcément dans le monde. A un moment, nous, on est quatre mecs qui se mettent autour d’une table. On fait de la musque, et puis une fois qu’on a fait de la musique pendant huit heures, on se fait à manger, on boit des coups, et forcément ce sont des choses dont on parle comme tout le monde. On n’a pas la science infuse ; on n’en sait pas plus que les autres. Forcément on réfléchit et on se pose des questions comme tout le monde, sans accuser. C’est trop facile d’aller donner des leçons, et ce serait vraiment putassier. Ces deux chansons là partent d’un prisme. On n’est pas politologues, pas  ethnologues ; ce n’est pas notre job. Malgré tout il faut que ça reste de la chanson et de la poésie. Le thème abordé par « Petite Frappe », à savoir la destruction des vieilles pierres, est quelque chose de prégnant, parce que c’est quelque chose dont on peut se passer, on va dire. Et puis cette lecture sur les combattants Peshmerga nous parait un regard sur ce que ça peut faire à l’humanité. Sachant qu’on aurait parfaitement pu faire la même chose en parlant de Hiroshima avant la bombe des Américains, de Diên Biên Phu avant l’intervention de la France. Ce n’est pas pour accuser l’un ou l’autre, mais pour dire que ça nous touche et on essaye de passer par un peu de poésie pour en parler.

 

– Est-ce que l’album a été conçu dans une optique d’aborder des thématiques d’actualité, ou est-ce que ce visage s’est dessiné au fil de la sélection des chansons ?

– Non. Si tu regardes bien, dans la discographie de Matmatah, il y a toujours eu le souci de thématiques comme ça. Après il faut se plonger dans les albums et voir si on connait ces morceaux là ou pas. C’est ce qui est intéressant. Parce que quand on plonge dans le répertoire d’un groupe ou d’un artiste quel qu’il soit, parfois il y a un morceau « fer de lance », et on ignore que derrière il y a des tas d’autres choses ; parfois pas. Mais là, c’est le cas. Il n’y a absolument pas eu de postulat de départ. C’est juste que quand on s’est retrouvés tous les quatre dans une pièce, il y avait un côté « gamin de 15 ans » : on avait envie de jouer vite et fort avec notre savoir faire. Et forcément il faut des mots qui vont avec. Donc naturellement au bout d’un moment on s’est demandé ce qu’on avait envie de dire. On discute, et parfois Stan [Tristant Nihouarn, chanteur] revient le lendemain avec des phrases que notre discussion de la veille lui a inspirées et en proposant un thème. Mais il faut que ça nous plaise à tous. Etant donné qu’on écrit tous ensemble, c’est très important d’être d’accord sur la thématique et d’accord sur le fait d’aller défendre ça sur disque et sur scène.

 

– Avez-vous déjà eu des querelles ou des désaccords sur une chanson ?

– Une chanson, non. Des mots, oui. Parfois il y a eu des textes un peu sensibles autour desquels on s’est pris la tête sur un mot, pour trouver le terme le plus juste et qui nous parle à tous les quatre. Il faut dire ce qu’on a à dire, mais sans être donneur de leçon. C’est un équilibre. Croire que l’écriture se fait comme ça par l’opération du saint esprit, c’est faux.

 

– Tu parlais tout à l’heure du plaisir de se retrouver comme des gamins de 15 ans. Sur scène ce soir, à plusieurs reprises, on a eu le sentiment de voir des enfants qui s’amusaient. Est-ce primordial pour vous de conserver cette âme ?

– Carrément ! Mais ce métier là n’est pas une blague. Nous, on s’amuse, et les gens viennent pour passer un bon moment ; ça ne pose aucun problème. Mais il n’y a aucun souci à switcher sur autre chose à un moment. Pour moi, c’est plus une histoire d’énergie. Il y a une boule d’énergie, aussi sur des chansons sensibles comme « Toboggan », avec un texte énigmatique où chacun met un peu ce qu’il veut. Personnellement je sais de quoi ça parle, et ça demande donc une sensibilité particulière, d’autant qu’à la place où il est dans le set, en général, c’est le moment où les gens gueulent qu’ils veulent « L’Apologie » ou « Les Moutons ». Donc quand je le démarre j’ai intérêt à rentrer vraiment en moi pour ne pas être déconcentré, et pouvoir donner cette sensibilité. Mais ce  que je leur donne, ils me le rendent et ça fonctionne. Après il peut y avoir une énergie plus énervée avec des titres comme « Marée Haute », « Lésine Pas », qui est pourtant une chanson d’amour, ou plus en colère. Alors effectivement il y a le côté gosses qui jouent, et ça peut être avec le sourire, mais ça ne pose pas véritablement de souci de changer d’humeur, à partir du moment où l’énergie reste là.

 

– Ce soir, jusqu’au rappel où vous avez joué « Toboggan, il n’y a quasiment eu que des morceaux plutôt rock. Était-ce un choix spécifique ?

-Ça dépend des moments, ça dépend des salles, des jours de la semaine. Après pour que ça parte en pogo, Il y a aussi des morceaux qui sont faits pour comme « Lésine Pas », « Retour à la Normale ». Mais évidemment il n’y a pas que ça. C’est un tout et globalement je pense que les gens s’y retrouvent, parce qu’il y a quand même un panel. Mais le panel était déjà là avant ; ça ne date pas de mon arrivée, ni de ce dernier album. Il y a toujours eu des choses d’influence hertzienne, des ballades ésotériques, des choses plus punk, enfin une variété de propositions. Parfois ça peut être déroutant ; mais en même temps, personnellement je m’emmerde quand j’entends un groupe qui fait exactement la même chose de bout en bout, même si ça peut être super. En  festival on peut très bien apprécier un groupe qui fait du Ragga de bout en bout ou du Punk de bout en bout : tu viens, tu prends ta tarte, et je comprends. Mais là a priori personne ne s’est plaint d’avoir cette variété ; on se gratte la tête pour construire des setlists cohérentes, pas nécessairement pour que tout le monde s’y retrouve d’ailleurs, mais au moins pour qu’il y ait un flot qui monte et descende.

 

– «Retour à la Normale »est-elle une chanson comme on l’imagine sur la reformation du groupe ?

– Oui, c’est la thématique.

– Ce soir Tristan a fait un petit discours avant la chanson « Overcom » à propos des gens qui viennent dans les concerts et passent plus de temps à filmer avec leur téléphone qu’à profiter véritablement du moment présent. Est-ce une pratique qui vous énerve ?

– A un moment il y en avait beaucoup, au début du concert. D’habitude il n’y en a pas nécessairement beaucoup dans nos concerts, mais ce soir à un moment, sur « Emma » il y en a eu et je me suis demandé comment il allait s’en sortir. C’est-à-dire qu’au premier tube, les gens sortent leur téléphone ; puis après en général une fois qu’ils sont pris par le concert, ils le sortent moins. Mais après tout, qui sommes-nous pour le reprocher aux gens ? On ne leur reproche rien. C’était plutôt pour faire la blague avec les gens, parce que Tristan aime bien charrier les gens, les chercher un petit peu. Mais la vraie problématique de la chanson « Overcom » n’est pas là. Moi-même je suis un gick total de téléphonie, et c’est une drogue dure quand même. Ca a totalement changé notre société, les rapports qu’on a avec les gens. Parfois tu appelles quelqu’un et tu as presque l’impression de le violer, alors que tu veux juste lui parler : « Mais pourquoi tu ne me sms pas ? ». Alors il y a des tas de codes : on sms ces personnes là, on mail ces autres là, on facebook encore d’autres, on appelle d’autres, et y en a d’autres à qui on donne rendez-vous… C’est sans fin. Comme les chaines d’information en continue. Il suffit d’aller voir des personnes âgées quand elles sont assises chez elles devant la télé : il y a la même dramaturgie qu’il pouvait y avoir dans le sacro-saint journal de 20h, sauf que c’est toute la journée. Donc en fait ça entretient une sorte d’angoisse. Encore une fois je ne juge pas, mais malgré tout ça pose question.

 

– Féloche a assuré votre première partie ce soir, et ce n’était pas la première fois que vous jouiez ensemble. Avez-vous donc plaisir à le réinviter ?

– Il ne faut pas côtoyer ce mec là! Vu qu’on a fait plein de dates, on a eu la chance d’avoir plein d’artistes avec nous, et effectivement il a joué sur 4 ou 5 dates avec nous. On l’aime !

 

Intervention de Julien Carton (attention, propos second degré) :

– Tout ce qu’il a dit est complètement faux. Il faut effacer !

 

– Julien, depuis quand accompagnes-tu le groupe ?

– Je n’ai pas joué sur l’album : ils se sont retrouvés à 4 pour la reformation et le disque. Eric [Eric Digaire, bassiste] a une formation au clavier ; à l’origine il ne jouait pas de ma basse. Depuis le début du Matmatah il y a donc toujours eu des parties de clavier en enregistrement, qui n’ont jamais été joués sur scène. C’était la raison de ma venue de pouvoir transposer ces choses sur scène. Je les connais depuis 5-6 ans, parce que j’avais joué sur l’album solo de Tristan, d’ailleurs avec Manu et Scholl [Benoit Fournier, batteur-percussionniste]. Je suis donc venu sur la tournée pour jouer avec eux, car ce nouvel album, ils l’ont écrit en pensant à moi qui serais avec eux sur scène. Enfin ils ont peut-être dit ça pour me flatter… Si je me souviens bien, sur la dernière date de la tournée solo de Tristan, le 23 novembre 2012, Eric était présent dans la salle en tant qu’invité, et est monté sur scène pour prendre la place du bassiste : donc en fait, on avait déjà joué ensemble tous les 5 un morceau sur scène avant : « Derrière ton Dos », que l’ont joue toujours. Ce qui fait que lorsqu’on l’a répété, on s’est regardés bêtement en se disant qu’on l’avait déjà joué ensemble ! Ce ne sont pas des têtes qui me sont inconnues, et je savais où je mettais les pieds. J’avais l’idée que ça allait se passer bien, au moins humainement. Après, je sais qu’ils détestent ce que je fais artistiquement…

 

– Peux-tu nous parler de tes autres projets justement ?

– Je n’ai pas encore de projet solo, même si je commence à créer des trucs. Mais je joue sur scène avec un chanteur de Nancy, Incredible Polo ; ce que je considère un peu comme mon projet à moi aussi, car j’ai réalisé ses deux premiers EP et son album. C’est assez soul, chanté en Anglais. J’ai assez hâte de retrouver la scène avec lui aussi, évidemment sur des formats beaucoup plus petits. Et puis je joue également depuis 2 ans avec un quartet de Jazz, ce qui n’a rien à voir : le quartet du pianiste Franck Woeste, qui joue par ailleurs avec Ibrahim Maalouf. Donc l’année a été un peu chargée pour moi, puisqu’aux moments où Matmatah prenait des pauses, moi, de mon côté, je partais en tournée avec d’autres. En même temps j’avais à cœur de pouvoir aussi garder une activité en dehors. Quand je suis sur scène avec Matmatah, bien sur je défends le projet avec eux, mais ce ne sont pas mes morceaux ; ce n’est pas moi qui ai écrit l’album.

 

– Tu te charges également des chœurs avec Eric, non ?

– Ça fait également partie des raisons pour lesquelles je suis là. Manu en fait un tout petit peu. Sammy, l’ancien guitariste faisait beaucoup de chœurs, et certaines voix lead aussi, comme sur « L’Apologie », que Stan [Tristan] a reprises. Sammy était un guitariste et chanteur : il a avait un rôle très important vocalement. Et Manu qui a repris sa place à la guitare n’a pas du tout le même rôle vocalement. Donc ça faisait partie de mes jobs. En fait j’ai fait assez peu de chœurs avant, et pourtant je me suis au moins autant éclaté à faire ça que jouer du clavier, parce qu’il y a vraiment du travail. Même au bout de 80 dates, je continue d’être surpris de ce que ça fait de chanter. Quand on a commencé la tournée, eux n’avaient pas chanté depuis un moment, moi, je n’étais pas encore aguerri, question voix, donc c’était un peu dur et on avait peur d’assurer cette longue tournée. Mais en fait, plus on chante, plus ça marche tout seul. Enfin je fais mon malin, mais demain on a une grosse date, et si ça se trouve, je n’aurais plus de voix et j’aurais l’air con. Mais a priori je ne suis pas très inquiet, parce que depuis qu’on a repris les salles le 15 novembre, même si j’ai galéré un peu la première semaine, parce qu’on n’avait pas chanté pendant un mois et demi, plus on chante, plus ça se passe bien.

 

– Tu vas dire que tu ne possèdes pas de boule de cristal, mais penses-tu à l’avenir continuer un bout de route avec Matmatah ?

– Sans être présomptueux je crois qu’ils en ont envie, et j’en ai envie aussi. Je n’avais jamais fait quelque chose d’aussi intense musicalement.          

 

Nous remercions les membres de l’équipe de tournée de Matmatah pour leur convivialité et spécialement Julien Banes pour…heu…ben pour tout.

 

 

Miren Funke

photos de Matmatah : Loïc Cousin (toutes sauf photo 16 prise par Carolyn C.)

photos de Féloche : Miren Funke

Liens : site Matmatah : http://www.matmatah.com/

https://www.facebook.com/Matmatah.official

site Féloche : http://www.feloche.fr/

 

Musicalarue : entretien avec Matmatah

29 Sep

 

C’est avec une pure joie qu’à l’instar des publics d’autres villes où la tournée de Matmatah fait escale cette année, les festivaliers de Luxey s’apprêtaient à accueillir le groupe reformé, neuf ans après sa séparation. La joie hélas fut de trop courte durée -le temps de 6 chansons pour être exact-, avant que les orages d’une tempête démentielle ne contraignent les organisateurs à interrompre le concert et annuler la fin du festival. Drôle de sort pour des musiciens qui, quelques heures auparavant, en fin de conférence de presse avaient lâché d’une provocation ironique : « Ah bon ? Le concert n’est pas annulé ? ». A en juger par le déluge qui allait s’abattre sur Musicalarue, et qui, soit dit en passant, n’entamait visiblement ni l’obstination des membres du groupe à terminer héroïquement la chanson « Au Conditionnel », trempés jusqu’aux os et menacés par les rafales qui balayaient la scène, ni la persévérance du public à rester sur place sous les éclairs encore une bonne heure, accroché aux mâts de quelques drapeaux « Gwenn Ha Du » dansant au vent, comme à l’espoir de voir les musiciens rallumer les amplis et reprendre les instruments, Matmatah nous avaient amené l’humour breton avec la météo brestoise aussi. Autant ne pas le nier : nombreux sont ceux à souhaiter un retour du groupe à Musicalarue l’an prochain. Car aussi bref fut-il, ce concert scellait le plaisir de retrouver intactes l’énergie et les harmonies de la formation, aguerrie par le vécu humain, grandie par le temps qu’elle s’est laissé pour respirer, et revenue vers nous avec la conviction d’un propos musical et la fraicheur d’une écriture acérée et subtile qui ont d’autres choses à dire. Et des choses à dire, il en est question dans le dernier album du groupe, « Plates Coutures », sorti cette année même, où loin de se répéter, Matmatah emperle 11 chansons animées d’un regard confident, et, bien que poétique et humble, lucide et perspicacement interrogateur sur des thématiques qui interpellent le sens de notre société humaine (« Nous Y Sommes », « Marée Haute », « Overcom »), la conscience civilisée (« Petite Frappe », « Peshmerga ») et la fragilité des relations intimes (« Toboggan », « Entre les Lignes »). Et il en fut question  lors de l’entretien que trois des quatre membres, Eric Digaire (basse), Benoit Fournier (batterie, percussions) et Emmanuel Baroux (guitare), rejoints par le musicien additionnel Julien Carton (claviers, harmonicas) nous accordaient un peu plus tôt.      

 

– Messieurs, bonjour et merci de nous accorder un entretien pour parler de votre dernier album. La chanson « Nous y Sommes » aborde le thème du transhumanisme. Quelle est l’idée que vous souhaitiez y exprimer ?

– Eric : On ne peut pas en parler, parce qu’on a déjà pas compris de quoi ça parle en fait. C’est Stan [Tristan, chanteur et guitariste] qui a amené le sujet.

– Manu : Et comme on n’est pas sûrs que lui-même ait compris ce qu’il a écrit…

– Eric : Je pensais que c’était par rapport aux moutons.

– Manu : Non, ça, c’est la transhumance.

– Eric : Est-ce que vous avez déjà lu un Astérix ? Quand on ouvre la première page d’un Astérix, on voit la carte de France avec une loupe sur un petit village, et ça commence comme ça. On se posait la question, en essayant de prendre le maximum de recul, à l’inverse de cette loupe, de réduire l’Histoire et le temps et de savoir ce qu’on est en train de faire en tant qu’espèce humaine sur une planète. On a tous entendu dire qu’il y avait plein de dinosaures, et qu’après l’ère glaciaire ou les météorites -peu importe-, l’évolution, le darwinisme, la foi… Il s’agit juste, en prenant plus de recul que de regarder uniquement notre société occidentale ces 20 dernières années, de se dire « qu’est-ce que l’homme est en train de faire sur cette planète et vers où va l’évolution ? ». De toute façon, on est dans la merde ; on le sait. Mais va-t-on réussir à résorber ça ? Est-ce qu’il va se passer quelque chose ?

– Manu : Est-ce que c’est vraiment de notre faute ?

– Eric : Est-ce que ce n’est pas juste pour ça qu’on est faits ? Je pense que n’importe quelle espèce, quand elle est en surpopulation, arrive à disparaitre, et c’est fini. Voilà, ce sont juste des questions, comme si on était partis très loin de notre terre  et qu’on était quelqu’un capable de regarder cela comme quand on nous apprend l’Histoire, en nous parlant de l’assassinat de l’héritier du trône d’Autriche-Hongrie qui a entrainé telle et telle chose, et qu’on nous la résume à un enchainement, alors que les gens qui vivaient l’époque ne voyaient pas forcément le lien entre un assassinat et les élection en Allemagne et le reste. Donc on se pose la question de savoir s’il n’y a pas un déterminisme là dedans, si on n’est pas de toute façon là pour foutre la planète en l’air.

– Julien : Ou pour nous foutre nous en l’air !

– Manu : A priori la planète nous enterrera. Donc on va se faire une grande partouse de fin de civilisation !

– Eric : Ça a un cote « danser sur les braises ».

– Julien : Breiz ! Danser sur les Breiz !

– Eric : Mange donc quelque chose, toi.

 

– Le titre « Overcom », quant à lui, parle du problème de la surinformation, de l’abondance incontrôlée d’informations. Mais notre société sort quand même –et n’en est pas encore totalement sortie- de décennies de contrôle des canaux officiels d’information par le pouvoir étatique, puis les potentats économiques qui détiennent les grands médias. Alors de l’absence de contrôle ou du contrôle total, lequel est le pire des maux ?

– Manu : Là, c’est noyé dans la masse, tout simplement. On peut avoir n’importe quelle opinion religieuse, politique ou de ce qu’on veut, on trouvera sur internet un site pour nous, que l’on soit communiste, borgne, unijambiste, intégriste du jambon… C’est un peu pathétique, mais comme le dirait notre manager : « comment is the new content ». C’est-à-dire qu’aujourd’hui, c’est la culture du commentaire permanent. C’est une façon finalement de ne plus avoir de contenu. Quand Tristan a écrit la chanson, il n’y avait pas encore eu l’affaire de Trump avec les « faits alternatifs ». Le fait alternatif, c’est quelque chose qui est arrivé, mais dont on ne sait pas si c’est vraiment arrivé. C’est comme le docu-fiction, un peu étrange.

– Eric : Et comme tu dis, avant, il y avait une information à laquelle tu étais censé croire, et si tu n’étais pas content, tu pouvais en prendre une. Et on a vu cette évolution vers l’immédiateté arriver, avec quelques gros titres comme « 3 morts dans un accident d’avion », et puis quelques instants après, ils ne sont plus morts, et en plus c’était un accident de train, et finalement il n’y a jamais eu d’accident, mais une alerte à la bombe et un retard à la gare SNCF de Poitiers. On travaille forcément avec la presse, et on voit cette espèce de course à l’info, lors de festivals par exemple, avec le journal de presse quotidienne qui va titrer « succès intégral » avant même que le concert soit fini, sans même savoir si le concert est allé jusqu’au bout. On a fait un concert avec un incident, donc une pause de 25mn au milieu, et un journal avait déjà écrit qu’on avait mis le feu toute la soirée et que le concert était trop bien, et n’a pas dit un mot sur l’interruption du concert. Mais il avait titré avant son concurrent. Cette absence de vérification interroge. C’est ça qui est bien avec les thèmes de cet album : pour écrire des chansons, il faut avoir des choses à dire, donc il faut vivre des choses. Et là, par la force des choses, sans l’avoir décidé, on a eu 8 ans pour regarder, pour découvrir une vie normale aussi, parce que forcément à tourner pendant 15 ans, on ne vit pas normalement. Et donc on a pris le temps de s’intéresser et d’observer. Donc en mars 2017, on n’a pas sorti un album qui ne parle que de ce qui s’est passé pendant le temps d’écriture de l’album. Une chanson comme « Overcom » parle de cette dérive qu’on voit arriver depuis plusieurs années au même titre que tout le monde.

 

 

– Mais n’est-elle pas arrivée justement, engendrée par un besoin de démocratisation et un sentiment, légitime ou pas, que l’information semblait manquer de liberté et de neutralité ?

– Eric : Il y a du bon partout. C’est comme dans le métier de la musique : l’immédiateté des réseaux sociaux fait que n’importe quel groupe peut rencontrer un public, et on a vu des gens émerger comme ça, simplement parce qu’ils avaient mis des vidéos sur Youtube qui avaient eu des millions de vues. Donc ça a un intérêt, et pour l’information aussi. J’en discutais avec mes parents qui me disaient qu’avant il n’y avait pas autant de faits divers et de meurtres. En fait si ; il y en avait autant, sauf qu’avant tu ne le savais pas, si ça ne se passait pas dans le village d’à côté. Aujourd’hui tu peux savoir ce qui s’est passé à l’autre bout du monde. Forcément tu prends plus peur ; mais en même temps tu peux accéder à l’information. De notre point de vue, il y en a juste un peu trop. Quand Stan dit « il est temps de retirer la merde sur les ondes », ça ne signifie pas que tout est de la merde, mais qu’il y en a quand même une partie.

– Benoit : Ce que ça révèle, c’est un problème : on a des outils, et on se sent obligés de s’en servir. Alors que des fois on ferait bien de fermer sa gueule. Ce n’est pas parce qu’on a des outils à disposition qu’il faut obligatoirement s’en servir. Il y a des gens qui s’en servent intelligemment, quand ils ont des choses à dire ; et il y en a qui s’en servent tout court et constamment.

– Manu : Et on subit une espèce de culpabilisation : si on n’est pas hyper connectés, on est trop ringard. Et ça marche bien sur les gens âgés : dès qu’ils ont BFM  TV, comme ils ont été élevés au 20h et que c’était quelque chose d’énorme d’avoir l’information, ils sont scotchés dessus et peuvent regarder ça pendant 8h. Hein, maman ?

 

– Lorsque vous vous étiez retrouvés en 2015, après ces 8 années de séparation, pour la sortie de votre compilation « Antaology », vous aviez déclaré que vous ne remonteriez pas sur scène pour jouer des vieilles chansons. Comme nous sommes en festival, le public attend aussi certainement que vous jouiez vos titres les plus populaires. Quelle est votre position vis-à-vis de cela ?

– Eric : Qu’on ne jouerait « pas que » les vieilles chansons. On est toujours montés sur scène pour défendre nos chansons. On dit souvent que les premiers à séduire, c’est nous-mêmes. On doit avoir envie de monter sur scène ; on doit avoir envie de présenter nos chansons à des gens. Donc on fait une tournée, parce qu’on a fait un album.

 

– Vos propos auraient-ils été mal retranscrits par le journaliste et déformés par l’oubli de ces trois lettres qui changent le sens d’une phrase ?

– Benoit : C’était ça ; il manquait juste le « que ».

– Eric : C’est ça qui est plaisant pour nous aujourd’hui : on arrive avec 5 albums, dont on a décidé des chansons qu’on allait jouer pour la tournée de salles et la tournée de festivals. On voit des groupes qui sont sur leur première tournée, et qui du coup font quand même pas mal de reprises, car il n’y a pas assez de morceaux à eux. Il y a des chansons qu’on joue, parce que ça nous fait plaisir de les jouer, des chansons qu’on joue, parce qu’elles se prêtent  dès la création et l’enregistrement à un début de concert, et des chansons qu’on joue, parce que ça devient un spectacle pour nous. Quand on balance « Lambé », on n’apprend plus grand-chose musicalement, parce qu’on sait la jouer. Il n’empêche que dès les premiers accords, on voit tout le monde qui repart en 1998, et on prend un vrai panard. On a eu la chance de discuter avec Thiéfaine, autour de débats au sujet de Noir Désir qui ne jouait plus certains titres, qui nous avait dit : « moi, j’ai « La Fille du Coupeur de Joints » ; vous, vous avez « Lambé » et « L’Apologie ». Vous faites partie des « élus », alors fermez vos gueules et continuez d’avancez ; aujourd’hui la chanson appartient au public et tant que le public la réclame, fermez vos gueules ».

– Manu : Non, il avait dit : « ferme ta gueule ». Il n’a pas dit : « fermez vos gueules ». Il s’adressait à toi !

– Eric : Oui, c’est ça. Enfin il y avait un débat en cours dans les loges d’un festival à ce sujet, avec Louise Attaque aussi qui ne jouait plus « Je t’emmène au vent », et on disait que si un titre a permis que le public rencontre un groupe, de quel droit le groupe retirerait ce titre au public ? C’était notre point de vue ; puis il y avait les autres qui disaient qu’on a le droit d’évoluer et qu’on n’est pas obligés de jouer tout le temps les mêmes titres. Au début de la soirée, tout le monde était dans un rapport assez cordial, et à la fin de la soirée, tout le monde se foutait sur la gueule, et puis c’était marrant.

– Manu : Après il ne faut pas avoir peur de créer des choses. Si on ressert toujours la même soupe, déjà on finit par nous le reprocher, et puis ça devient pathétique. Mais les gens ont quand même pris un billet. Par exemple sur cette tournée là, les places se sont vendues avant même qu’il y ait l’annonce d’un nouvel album. Donc on se doute bien que ce n’était pas pour ça que les gens venaient ; alors il y a quand même un minimum à leur donner.

– Eric : Et puis quand on vient en festival, on vient voir une compilation de groupes, et bien sur découvrir de nouveaux groupes aussi. Lou Reed avait fait une tournée une fois où il avait décidé qu’il ne jouerait aucun titre connu. Nous on a décidé le contraire, au même titre que plein de groupes. On a croisé M récemment avec sa création « Lamomali » : il a compris le métier comme on pense l’avoir compris aussi, c’est-à-dire qu’il a proposé de nouveaux titres et puis il a joué aussi « Machistador », « Je dis Aime », des titres qui ont permis aux gens d’avoir envie de venir le voir et de suivre sa carrière. On est dans cette couleur là. Il y a des titres qui font que les gens ont envie de venir nous voir en concert et de s’intéresser à ce qu’on fait, et on profite, dans le sens noble du terme, d’avoir des gens devant nous pour leur dire ce qu’on fait et où on en est, et les remercier d’être là.

 

– Tu parlais d’Hubert-Félix Thiéfaine à l’instant, et ça m’amène justement à une question, peut-être un peu anecdotique : le titre « Toboggan » sur votre album comporte-t-il une référence à la chanson du même nom qui clôture son dernier album « Stratégie de l’Inespoir » ?

– Eric : Non. Stan est arrivé avec quelques lignes et une petite grille d’accords, et il nous a demandé de dézinguer ça, parce qu’il avait livré ce qu’il avait à livrer. On s’est mis tous les 3 à essayer de trouver une couleur. Cette musique a une jolie histoire. On sentait que l’album allait être très énergique et on avait envie d’une pause. On fonctionne encore comme les anciens, avec des vinyles où il y a une face A et une face B, et on voulait un titre pour créer la transition entre les deux faces. Donc on avait envie de cette parenthèse et de prendre le temps. Et un jour on lui a demandé de quoi il parlait dans la chanson, parce qu’elle était, en tous cas sur les premières lignes, un peu fermée.  Et il nous a dit que ça parlait de l’appréhension des rencontres humaines, qui est la même que quand on monte sur un toboggan, parce qu’on veut vraiment y aller et qu’au moment de se lancer, on n’ose pas. On a trouvé l’allégorie jolie, et c’est devenu le titre de la chanson.   

 

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Miren Funke

photos : Loïc Cousin (2 ; 3 ; 5 ; 6 ; 8 ; 9 ; 10 ; 13 ; 15), Carolyn C (4 ; 12 ; 14), Miren (1 ; 7 ; 11)

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