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The Stranglers revient en France pour plusieurs dates à partir du 22 novembre : entretien avec le bassiste et chanteur JJ Burnel

19 Nov

La date du 22 novembre sonnera l’amorce d’une série de concerts que donneront les Stranglers en France, dans le cadre de leur tournée internationale, avant de s’envoler pour la Nouvelle Zélande et l’Australie.

Fondé il y a 43 ans, aux prémices de la scène punk britannique, bouillonnante d’horizons à explorer et de conventions à briser, ce groupe de Rock atypique, tant par l’inventivité de son jeu, la liberté de ses choix artistiques et l’originalité de sa trajectoire que par la franchise de ses écarts, l’est aussi devenu par sa longévité exemplaire. Certes la scène rock internationale ne manque pas de groupes chevronnés, formés, déformés, puis reformés. Mais à la différence de tous, les Stranglers, bien qu’ayant vécu des départs et renouvellements de membres -le chanteur et guitariste Hugh Cornwell, fut remplacé en 1990 par John Ellis (guitare) et Paul Roberts (chant), puis par Baz Warne en 2000-, a tracé sa route dans la continuité sans cesser d’exister. Ayant traversé, à l’instar de bien d’autres, des périodes prolifiques et glorieuses, et d’autres moins, le groupe renoue avec l’alchimie créatrice, depuis l’arrivée de Baz Warne, qui ramène la formation à une configuration de quatuor, suite aux départs successifs de Ellis et Roberts (2006), et marque en même temps le retour au chant du bassiste Jean-Jacques (« JJ ») Burnel, ce dernier recommençant à  partager l’interprétation vocale, comme durant les premières années du groupe. Du premier album, « Rattus Norvegicus » (1977) au dernier en date « Giants » sorti en 2012, l’histoire du groupe, jalonnée de 17 enregistrements studio et 15 lives, ne peut se résumer à ceci, tant elle est vaste, compliquée et fertile, et constitue une influence non négligeable pour bien des groupes, par la particularité d’un jeu où l’accord de quatre instruments jouant chacun un solo sonnait comme une harmonie inédite et une expérimentation ambitieuse. JJ Burnel lui-même, par sa pratique singulière, sans doute pionnière, arracha la basse de la fonction ingrate de base rythmique laissant la vedette aux autres instruments, à laquelle elle était jusque là cantonnée, pour lui donner un rôle de tout premier plan, inspirant en cela des générations de bassistes. Cette année le quatuor scénique du groupe en réalité quinticéphale (le batteur originel Jet Black, qui pour raisons de santé a dû définitivement passer le relais à Jim Mc Caulay, restant présent pour veiller à l’existence du groupe), a choisi de partir en tournée sans avoir encore sorti d’album. Celui-ci, en cours d’enregistrement, s’annonce avec de nouveaux morceaux qui par conséquent auront vécu, transpiré, évolué et muri sur scène au préalable.

Musicien iconique, auteur-compositeur et interprète talentueux, producteur avisé et engagé (Taxi Girl, Dani, The Sirens, Schindler, Polyphonic Size,The Reverge, Mona Mur et Magic de Spell entre autres), européanophile de longue, impliqué également dans le parcours de la Chanson Française (collaborations avec Jacques Dutronc et Dani), instruit d’une expérience de vie au service de la musique, dont le prestige n’a entamé ni son humilité ni son sens de l’humour, JJ Burnel nous accordait un entretien il y a quelques jours.

 

 

– Bonjour et merci de nous accorder cet entretien. Votre tournée internationale est entamée depuis le mois de mars. Après plus de 40 ans d’existence, avez-vous aujourd’hui le sentiment que le public  qui vient vous voir soit un public réduit à un noyau dur de fans « traditionnels » et fidèles ou plutôt un public qui s’élargit, y compris avec des jeunes générations ?

Je ne peux pas parler pour la France, mais ailleurs, depuis quelques années maintenant, il y a un renouveau avec beaucoup plus de jeunes qui viennent nous voir. Il y a bien entendu un public assez fidèle depuis des années, mais il y a un renouvellement aussi ; c’est évident. Je ne sais pas pourquoi. Peut-être les jeunes ont-ils accès à la vieille musique via internet. En tous cas, en Grande Bretagne, nous sommes perçus assez différemment. Cela dit c’est un peu partout dans le monde comme ça. Je crois que depuis les 3 derniers albums, il y a eu un renouveau d’intérêt pour ce qu’on fait. J’ai parlé avec des jeunes en Angleterre en leur demandant comment ils avaient connu les Stranglers, et ils m’ont répondu que c’était par les 3 derniers albums, et puis en voyant sur l’internet les anciens extraits. A une époque on avait une très mauvaise réputation, pour différentes raisons. Mais maintenant cela est considéré comme une marque de bravoure, des lettres de noblesse. Ils disent : « Maintenant beaucoup de groupes de musiciens sont un peu aseptisés et stériles. Et vu que vous avez été des fouteurs de merde, c’est plus attractif ». Tout est bien propre, correct et calibré par le marketing. La musique fait partie de la variété de nouveau, et vu qu’on a été un peu marginal -bien sur on a vendu beaucoup de disques, mais on n’a pas toujours suivi la bonne voie, si je peux dire- ils s’intéressent à nous. Ça correspond aussi à une envie d’authenticité ; et ça, beaucoup de jeunes me l’ont dit. On est crédibles, à une époque où beaucoup d’artistes sont fabriqués, notamment par les émissions de télé. Et live. On est très bons en live.

 

– Vous êtes partis en tournée sans avoir sorti de nouvel album depuis « Giants » en 2012. Comment avez-vous décidé des chansons que vous alliez jouer, entre les classiques incontournables du groupe, les anciens inédits et les nouveaux morceaux ?

Il y a un peu de tout. On a l’embarras du choix, comme on dit en France, après 17 albums studio. On essaye de changer tous les soirs de morceaux. Mais c’est vrai qu’il y a des classiques. Enfin, je ne sais pas ce qui est classique en France et ce qui ne l’est pas, mais j’en ai une petite idée quand même. On répète beaucoup plus qu’on ne joue, comme ça on peut changer les chansons, si on ressent quelque chose, une réaction du public. Et c’est important pour nous aussi, pour garder de l’intérêt. Le danger, c’est de s’ennuyer, de faire l’acte de jouer sans âme. Si je commence à ressentir ça envers un morceau, je laisse tomber.  Donc il y a des vieux morceaux que nous n’avons jamais joués sur scène, d’autres que nous n’avons pas joués depuis très longtemps, parfois des morceaux connus qui n’ont pas été joués depuis 10 ou 15 ans, parce qu’on s’en était lassés. Je ne voudrais vraiment pas qu’on devienne une sorte de karaoké des Stranglers, ou un numéro de cabaret. Ce ne serait pas très honnête.

 

– Dans quel état d’esprit aborde-t-on, après une longévité pareille, des chansons créées par celui qu’on était 30 ou 40 ans plus tôt ? Est-ce une redécouverte de soi ?

C’est une redécouverte, oui. Parfois tu te dis d’un morceau : « Merde ! Pourquoi m’en suis-je lassé ? ». Mais si tu le fais trop souvent, tu peux le faire avec les yeux fermés. Si tu baises la même personne pendant des années et des années, tu t’en lasses quand même. Tu comprends ce que je veux dire…

 

– Le groupe est assez éclectique pour ce qui concerne la diversité des sujets qu’il a traités au long de son histoire. Et puisqu’un nouvel album studio semble se profiler, pouvez-vous nous parler des thématiques qu’aborderont les nouvelles chansons ?

On est en train de préparer un nouveau disque. On n’a pas enregistré depuis 5 ans ; donc il était temps. Et puis on a accumulé pas mal d’idées et de matière, donc on commence à enregistrer et écouter ça. On travaille sur 8 morceaux en ce moment. J’aimerais bien pouvoir dire qu’on aura peut-être une vingtaine de morceaux, et après je ferais le tri. Pour le moment en thématique, il y a la bêtise qui nous entoure : il y a des choses sur Trump. Il y en a aussi sur le fait de vieillir, sur les gens qui nous ont quittés. Il y a tant de choses qui bougent dans le monde ; ce ne sont pas les sujets qui manquent. On a toujours été comme ça de toute façon ; on n’a pas souvent fait des chansons d’amour, malheureusement. Mais parfois il y a des thèmes plus introspectifs.

 

– Partir en tournée avant un enregistrement et non l’inverse, cela permet-il de « roder » en quelque sorte les chansons et leur donner une existence scénique avant de les enregistrer ?

 Absolument ! C’est d’ailleurs la meilleure façon de procéder, parce que l’atmosphère dans un studio est un peu stérile. Donc parfois c’est bien de les roder et peaufiner. En plus j’ai eu l’expérience d’enregistrer des morceaux qui n’étaient pas trop rodés, et à force de les jouer, tu trouves différentes façons de t’exprimer, et ça change énormément. Donc je préfère que ce soit rodé. De toute façon, si on fait un nouveau morceau sur scène qui n’est pas encore sorti, le lendemain, c’est sur l’internet. Mais je préfère que le public ait une meilleure version de ce que je travaille.   

 

– Vous est-il arrivé par le passé de regretter un enregistrement studio prématuré en voyant l’évolution d’une chanson après un an de tournée ?

Oui, bien sûr, j’ai eu ce regret. J’imagine que tout le monde a connu ça. Par exemple il y a « 15 Steps », un morceau que, j’espère, on va jouer en France, dont je pense qu’on le joue maintenant beaucoup mieux que sur le disque.

 

– Depuis « Giants », vous produisez vos disques avec votre propre label et de façon indépendante. Qu’est-ce que cette autonomie logistique vous apporte ? La liberté de ne pas être soumis à des certaines contraintes, impératifs ou pressions commerciales?

Parfois on a fait des choses avec notre propre label. En ce moment on est en train de débattre entre nous à ce sujet, parce qu’on a eu 5 propositions de labels de majors et indépendants aussi, et on se demande si ça en vaut la peine ou si on préfère le faire nous même. Maintenant tout a changé : il y a très peu de disquaires ; la plupart des musiques se téléchargent. Tout le modèle du business musical a changé. Donc c’est peut-être l’occasion de faire tout nous-mêmes, à part la distribution. Mais la distribution peut se faire électroniquement. Ce n’est pas vraiment un grand souci pour moi, mais c’est sûr qu’il va falloir y penser. La pression des impératifs commerciaux, on l’a toujours évitée. On a eu beaucoup de chance. Il y a eu des pressions commerciales, c’est vrai. Mais on a fait l’opposé à chaque fois. Et on a eu de la chance d’être laissé tranquilles par les maisons de disque. Les seules fois où elles ont essayé de nous emmerder, c’était fin de contrat entre nous.  Les américains ont essayé, EMI en particulier. Et ça ne nous plaisait pas. On a eu la chance de ne pas pouvoir être casés artistiquement, et ça nous a donné beaucoup de liberté. Personne ne nous disait quoi écrire, même si c’était des sujets que les gens ne voulaient pas qu’on aborde. D’ailleurs on avait forcé la maison de disque à sortir un morceau qui est devenu un hit total, « Golden Brown », qu’elle ne voulait pas sortir au début, parce qu’elle pensait qu’on ne pouvait pas danser dessus, que ce n’était pas « punky » -et en plus il y avait du clavecin dessus- : on a insisté et elle a été obligée d’accepter, et ça a été un succès mondial. Et après ça, la maison de disque a demandé : « Est-ce qu’on pourrait en avoir un autre comme ça ? ». Du coup, on leur a filé un morceau de 6 ou 7 minutes n Français.

 

– En plus de 40 ans d’existence vous avez vécu le départ de membres, et l’intégration de nouveaux musiciens : est-ce que ça a été des étapes déstabilisantes à vivre et qui ont pu, à un moment donné, menacer d’altérer l’identité du groupe ou au contraire des moteurs pour la créativité ?

Ça a été déstabilisant quand Hugh est parti. J’ai tourné en rond pendant quelques années. Et puis ça s’est remis en place lorsqu’on est redevenu un quatuor. Il y a de la dynamique dans la vie ! A un moment j’étais très bas ; j’avais un peu perdu la foi dans les Stranglers. J’imagine que tout le monde a des moments comme ça. L’important est de tirer du positif de toutes ces situations. Donc ça a été déstabilisant parfois, et puis à d’autres moments ça a été rafraichissant. Baz, avec qui je m’entends super bien et avec qui j’écris, est avec nous depuis 17 ans maintenant. On a connu des changements de membres et on a aussi ajouté du personnel à une époque : on avait même une section de cuivres. J’aime bien essayer différentes choses. Parfois ça marche et parfois ça ne marche pas. Il y a une super alchimie qui se créé. D’ailleurs Baz et moi, on vit ensemble pendant 10 jours, juste lui et moi : on compose toute la nuit ou tout le jour, on enregistre, on a des idées, on discute et on boit des bières ensemble au pub. Il y a plein de sujets sur lesquels on peut parler, donc c’est cool.

 

– Jet ne joue plus avec vous sur scène, mais il semble toujours présent d’une certaine façon pour le groupe. Quel est son rôle désormais vis-à-vis du groupe ? Donne-t-il son avis sur les créations par exemple ?

Jet est beaucoup plus âgé que nous : il a 79 ans. Et batteur à 79 ans, ce n’est pas évident dans un groupe assez dynamique. Il a essayé de jouer avec nous il y a 4 ans, un ou deux morceaux, et après il était sous oxygène. Il apporte toujours son grain, son opinion, mais il ne joue plus. Jet a été complètement rock’n’roll, sans plus expliquer… Mais il donne son avis sur les compositions ; absolument ! C’est l’éminence grise, si tu veux. Et le meilleur, c’est qu’il soutient Jim qui est avec nous depuis 4 ans : il lui a donné des conseils sur certaines façons de jouer, parce que Jet avait sa propre façon de jouer.

 

– Vous-même avez inventé une manière de jouer de la basse très personnelle qui est devenue un modèle pour des générations de bassistes. D’où est venu ce jeu qui a su donner un rôle de premier plan à cet instrument jusque là souvent cantonné à celui un peu ingrat de base rythmique ?

Apparemment. Je n’ai pas pris de leçon ; je jouais de la guitare classique avant. J’ai grandit en Angleterre dans les années 60, et je voyais plein de choses dans les pubs, Fleetwood Mac devant 30 personnes, avant qu’ils sortent leur premier disque… J’ai eu cette chance d’être là au bon moment. Au début je ne suivais pas de règle. Dans la création, il ne devrait pas y avoir de règle. Donc j’ai créé ma propre façon de faire les choses, et apparemment ça a inspiré beaucoup de gens. La basse était un peu dans l’ombre à l’époque. Et je crois que j’ai sorti cet instrument de l’ombre. C’est un instrument très sexy : je l’ai rendu sexy ! En tous cas, j’aimerais bien le croire.

 

– Vous avez aussi réalisé des projets personnels, que ce soit en tant que compositeur, interprète ou producteur. Vous auriez pu être tenté comme d’autres de partir vers une carrière solo : est-ce que vous vous épanouissez plus à jouer en formation avec d’autres ?

Pour le moment je suis cent pour cent concentré sur les Stranglers. J’ai fait beaucoup de productions dans le passé, et j’ai fait des projets solo, mais pour le moment je suis complètement concentré sur le groupe.

 

– Vous avez souvent par le passé soutenu des groupes ou artistes en aidant à leur permettre de s’exprimer. Il y a des invités sur cette dernière tournée aussi comme Therapy. Est-ce toujours une démarche importante pour vous de soutenir les autres?

Oui, mais ça dépend à quel niveau je suis dans le bain. Parfois j’ai eu le plaisir de découvrir des choses. Il arrive qu’on choisisse des groupes pour faire nos premières parties, mais parfois c’est une surprise complète. J’aime bien être surpris ; si je fais toujours la même démarche, c’est ennuyeux. Parfois c’est le lieu du concert qui décide du groupe, et Baz et moi écoutons, et il y a de belles surprises parfois, et parfois moins. Mais je ne peux pas dire que je suis déçu, parce que je n’attends rien.  Une ou deux fois, il est arrivé que je sois suffisamment bien surpris pour offrir un eu d’aide, un parrainage.

 

– Dernière question puisque la tournée va aborder la France le 22 novembre : le groupe, et vous-mêmes aussi de part vos origines, avez-vous un lien affectif particulier avec notre pays et une histoire avec le public français ?

Oui, absolument. Je suis le plus anglais des Français et le plus français des Anglais ! Je suis né à Londres, de parents normands. Donc j’ai fait toute ma scolarité en Angleterre. Mais maintenant depuis trois ans je vis en France. Je voulais vivre ici, alors j’ai décidé de venir en France, payer mes impôts français, et voilà.

 

 

Lien, clic sur l’affiche ci dessus,

Dates :

22/11 : Annemasse

23/11 : Lyon

25/11 : Paris

27/11 : Le Havre

28/11 : Brest

29/11 : Nantes

30/11 : Tours

02/12 : Bordeaux

03/12 : Blaye

 

Nous remercions Alice Duboé de la salle le Krakatoa à Mérignac pour son aide.

 

Miren Funke