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Festival Musicalarue 2023 : entretien avec HK (Saltimbanks)

4 Jan

HK

C’est avec un intérêt à caractère politique autant que musical que nous clôturions la série d’entretiens réalisés lors du dernier festival Musicalarue, avec HK et Les Saltimbanks, venus faire danser les corps et remuer les cœurs, dans le cadre de la tournée « Danser encore ». Politique, car, si, le partage sur réseaux sociaux du titre « Danser encore », en pleine pandémie, se retrouva au centre d’une controverse polémique, dans la discorde où se divisaient et se confrontaient déjà partisans des mesures sanitaires précautionneuses, et ceux vivant ces mesures comme liberticides, et craignant que la fermeture des lieux évènementiels publics ne cache une offensive de l’autorité politique contre l’accès de tous à la culture et aux arts, j’ai eu à cœur d’interroger l’avis propre du chanteur, quant au sens de cette chanson. N’est-ce pas après tout le sort de toute œuvre, dont on devine, ou croit deviner, qu’elle véhicule un message qu’elle ne véhicule peut-être pas, que de se retrouver à parfois porter la responsabilité d’une parole par delà ses propres mots ? Ceux qui se souviennent de la mise au point de Gilles Servat dans son manifeste « Touche pas à la Blanche Hermine », où le poète exprime son indignation de savoir sa « Blanche Hermine » chantée et revendiquée comme un hymne par des jeunesses de l’extrême-droite française, savent à quelle extrémité et quelles absurdités la mésinterprétation et la réappropriation d’un titre peuvent aboutir. Sans être toujours aussi radical, le phénomène de distorsion du sens des propos est courant, comme nous l’avons abordé lors du festival aussi avec Cali, dont le titre « Le droit des pères » a été (mal) perçu par une partie des milieux féministes comme une défense du patriarcat et l’expression d’une forme de misogynie. Et c’est pourquoi profiter de ces rencontres pour s’enquérir directement auprès des auteurs de la signification de leur création me semblait une occasion à ne pas négliger.

Enchantée de retrouver sur scène un HK tel que nous le connaissons, toujours à la pensée en mouvement, mais sans reniement, toujours au verbe clair et sans paradoxe ni ambivalence, arrosant le public de cette énergie communicative propre, qui fait, en musique, le carburant moral des cœurs combatifs, je fus tout aussi intéressée par l’entretien avec un artiste qui n’a finalement jamais rien fait d’autre que réitérer ce qu’il a toujours exprimé, à travers ses pièces, ses romans, ses chansons : revendiquer, prôner et cultiver l’exercice de l’esprit critique et du raisonnement autonome, et l’ancrage dans les grandes lignes de valeurs humanistes qui drainent la fraternité.

Et c’est en outre en gardant son cap, qu’à l’instar d’un Jean Ferrat, marqué d’une adhésion militante à un idéal politique particulier, et pourtant appartenant, par delà, au patrimoine de la Chanson de tous les francophones, HK, et plus encore depuis ces quelques dernières années, est aussi, à la faveur de la propagation de sa musique à travers les mouvements des Gilets Jaunes, puis des manifestations contre les confinements et la paralysie du secteur évènementiel, devenu chanteur populaire, avant que (ou autant que) partisan. Avouons qu’à être aux côtés des travailleurs bénévoles du festival qui chantaient à tue-tête ses chansons et l’accompagnaient durant le concert, et face aux festivaliers du public massif qui faisaient de même en cœur, il semblait flagrant que les deux publics -le militant et le populaire- se confondent quand même grandement, et, en tous cas, le cas échéant, ont su se rassembler pour deux heures d’amour, de musique, de danse et de lumière. Il est des artistes qui, dans leurs propos, leur esprit, leur démarche, leurs engagements, coïncident parfaitement avec les valeurs transmises par Musicalarue et semblent y avoir leur place comme par évidence. Le chanteur nous accordait un entretien dans l’après-midi.

HK6– HK bonjour et merci ce nous accorder cet entretien. Ce soir, c’est sur la scène du Théâtre de Verdure que le public vous retrouvera pour un concert, toi et une formation musicale complète, pour la tourné « Danser encore ». Que veux-tu transmettre à travers cette tournée ?

Sur scène, on est toujours une dizaine : batterie, basse, trombone, accordéon, violon, saxophone, les deux guitares, la mandole, et ma pomme. L’idée de la tournée « Danser encore », c’est de recréer l’ambiance de bal populaire, avec en festival, ce côté détendu. Un peu ce qu’on a toujours fait, finalement. Il y a évidemment « Danser encore », la chanson par laquelle pas mal de gens nous ont découvert il y en encore deux-trois ans, et puis toutes les chansons qu’on se trimbale depuis quinze ans, comme « On lâche rien », « Citoyens du monde », « Salam Alaykoum ». C’est presque entre guillemets une rétrospective de nos quinze ans de saltimbanques sur la route.

– Peut-on parler de cette chanson, « Danser encore », et du sens qu’elle avait pour toi, puisqu’elle a été source de polémiques et réactions véhémentes à ton encontre, à l’occasion de la période où se sont virulemment opposés les partisans de la sécurité sanitaire et ceux qui vivaient les gestes et attitudes de précautions, le confinement, la suspension des spectacles et la fermeture des lieux publics culturels comme des règles liberticides inadéquates ?

– C’était au moment du premier confinement et des « non essentiels ». On avait eu des annulations de spectacles musicaux et théâtraux ; et à l’époque, on ne tournait pas en concert, mais avec des spectacles. On avait cinq dates prévues, et le couperet « non essentiel » arrive. Le premier effet, qui est en fait très égoïste, pour nous, est de nous prendre dans la figure qu’on n’est pas « essentiels ». C’est sûr que ça ne te fait pas plaisir et ça te met en colère. Mais surtout, pour moi, à dépasser notre petit cas personnel, c’était une mesure de société que, d’un coup, on nous imposait sans discussion possible. A ce moment là, on avait quand même le droit de trouver ça absurde de pouvoir s’entasser dans des centres commerciaux, dans des bus, dans des trains, dans des métros, et pas à trois ou quatre dans une librairie, une médiathèque ou un musée. Donc évidemment, on se demande pourquoi : est-ce la culture qui est dangereuse ? Évidemment on n’était pas d’accord avec ça. Et on l’a dit simplement, avec nos mots, à travers une chanson. Il s’agissait juste de dire qui on était, ce qu’on faisait, ce qu’on voulait faire. Je sais ce que la musique m’a apporté, et ce qu’elle apporte aux gens ; je vis avec depuis trente ans. Et je sais combien l’art et la culture sont importants dans notre société. On parle de la France comme du pays de l’« exception culturelle » ; ce n’est pas moi qui ai inventé cette expression.

Donc on sort cette chanson. C’était un moment où on se trouvait à Avignon, et il y a des copains et copines qui sont venus buffer avec nous. On a filmé et partagé, et tout de suite, ça a eu une résonance folle. On n’aurait jamais imaginé ça. Mais peut-être simplement y a-t-il eu plein de gens qui pensaient ou ressentaient la même chose : là, c’est trop ; là on n’est pas d’accord. On peut tout accepter, on peut tout discuter, lorsqu’une épreuve nous touche. Il faut se montrer responsables et raisonnables, il n’y a aucun problème avec ça. Mais on ne va pas se dénaturer et devenir qui on n’est pas : ce qu’on est, nous, en tant qu’être humain, et en tant que société, c’est qu’on a grandit dans une société où juste boire, manger et dormir ne fait pas de nous des êtres vivants. On a appris à s’émerveiller, à avoir besoin de l’autre, à avoir besoin du beau, à avoir besoin d’être en lien et de vibrer. Donc je pense qu’on était beaucoup à penser que jusqu’à ce stade, ça allait, mais à partir des « non essentiels », on ne pouvait pas être d’accord avec ça.

HK12– Selon toi, y a-t-il eu une volonté politique de profiter de la pandémie pour attaquer les expressions culturelles et artistiques, et aussi peut-être le droit de réunion en interdisant l’activité évènementielle, et pour quelles raisons ?

– Je ne sais pas s’il y a eu volonté. Mais en tous cas, ce qui est sûr, c’est que c’est ce qui s’est passé. Aujourd’hui on peut le dire de façon très détendue, mais à ce moment là, c’était compliqué ; on ne pouvait discuter de rien. Il y a eu, à un moment donné, des dérives autoritaires de contrôle de la population, qui n’étaient pas utiles, ni nécessaires, et qui étaient disproportionnées. Et c’est vrai que pour moi, ce tampon « non essentiel » posé sur la culture, c’est tout un symbole. Et surtout le fait d’arriver à le dire, et de dire qu’il ne faut pas qu’il y ai de discussion là dessus. Évidemment que dire une chose pareille suscite un émoi, et un besoin de débat. Et dire que, comme il y a une urgence sanitaire, on ne discute de rien, est une dérive. Le conseil de France, c’est cinq ou six personnes, qui, aussi importantes soient-elles, décident d’une liste de choses concernant tout le monde, de manière arbitraire. Évidemment que dans des périodes ou face à des épreuves comme celle-là, avec un virus qui te tombe sur la tête, il y a des choses qu’il faut faire. Mais après, il ne faut pas non plus insulter l’intelligence des gens. On vit dans une société où on nous a appris, à l’école, à réfléchir par nous mêmes. On nous a enivrés de mots qui nous font rêver : liberté, égalité, fraternité. Alors profiter de cette épidémie pour opposer les gens et les monter les uns contre les autres, en disant ceux-ci ne sont pas essentiels, ceux-là, « je les emmerde », qu’est-ce que c’est ? Les gens comme nous, pointés du doigt, taxés d’être des marginaux, j’en ai bien conscience, on fait partie des gens qui défendent simplement ce qu’on leur a appris à l’école, parce qu’on y a cru et qu’on y croit encore. La « république », c’est le bien commun.

On a vendu nos sociétés à des intérêts privés. Et des gens qui sont nos élus, des élus de la république, copinent avec tel et tel lobby, touchent de l’argent, ou ont simplement des liens d’amitiés qui, à un moment donné, vont leur faire prendre des décisions qui ne sont pas pour bien commun. On est le pays de la sécurité sociale, de l’hôpital gratuit, de l’école publique gratuite. Quand on s’est mobilisés contre la réforme des retraites, c’était la même histoire. Pour moi tout revient à ça : je me revois gamin avec mes instituteurs et mes professeurs qui m’enseignaient la société, le pays et le monde dans lesquels on vit. Ces choses là sont attaquées ; cette société là a disparu, peu à peu. On vit dans un monde où tout se vend, tout s’achète. Et on parle de biens communs comme l’eau. Enfin si un jour ils pouvaient nous vendre l’air qu’on respire… Un jour ils vont trouver le procédé. Les ressources, les centres d’information. A un moment donné notre champs de libertés se restreint. Donc forcément des gens se battent et descendent dans la rue. Évidemment qu’on fait partie de ces gens qui se mobilisent quand on touche à certaines libertés fondamentales. J’ai l’impression d’être juste une sorte de sonneur d’alertes artistique. On dérive et on en vient à des modes de vie d’un univers du tout plastique, parce que telle multinationale a décidé que c’était plus rentable de faire les choses en plastique. Et aujourd’hui, il y a un sixième continent constitué juste de déchets en plastique, et tu ne sais plus en sortir, de ça. Pareil sur l’agrochimie, les pesticides, et tous ces poisons qu’on retrouve dans nos assiettes, cette folie d’aller chercher à l’autre bout du monde des choses qu’on peut facilement produire ici. Ça vient de l’autre bout du monde, c’est sur-emballé dans des sacs plastiques, et tu vas au méga centre commercial l’acheter. Et après on te parle d’être raisonnable, de faire attention à la consommation énergétique. Mais c’est du foutage de gueule. Bon, ça part un peu partout, mais pour moi, tout est lié, et nos boussoles sont assez claires et simples. Parfois des gens me demandent qu’est-ce que notre histoire, qu’on est toujours en train de manifester pour tout et n’importe quoi dans tous les sens. Et moi, je répond toujours : les boussoles, c’est ce qu’on nous a appris à l’école, des choses auxquelles on a cru, auxquelles on croit encore, et pour lesquelles on sa bat.

– « Danser encore » a été perçue, par une partie des camarades des luttes sociales, comme la promotion irresponsable d’une certaine insouciance quant à la nécessité de protéger les plus vulnérables vis à vis de la propagation de ce virus. Que cela t’inspire-t-il ?

– Moi, je peux être responsable de ce que je dis, de ce que je raconte, de ce que je fais. Si des gens qui me connaissent depuis dix ou quinze ans, qui connaissent mes engagements, ne veulent pas écouter ce que je dis et préfèrent écouter ce que d’autres gens disent que je penserais derrière les mots que j’ai dits, en me taxant de je ne sais pas quoi, c’est leur problème. Je crois que j’ai écrit une centaine de chansons, j’ai fait des interventions, des posts sur les réseaux sociaux, et rien n’a été effacé depuis quinze ans. Si tu veux savoir ce que je pense et ce que je dis, c’est assez simple, même extrêmement simple, à trouver. Tout est clair. Tu peux prendre le texte de la chanson « Danser encore », et je suis fier de ce texte, et de certains autres, parce qu’il est sur une ligne de crête, et que ce n’était pas facile, à ce moment là, de prendre la parole. Mais c’était important de dire : j’ai fait ça toute ma vie, on est des militants de gauche, et on a fait ça toute notre vie, alors pourquoi se l’interdirait-on à un moment ? De quoi a-t-on peur ? Avant d’écrire cette chanson, j’ai publié une tribune avec Yannis Youlountas et Frédéric Grimaud, « de quoi avons nous peur ? », qui s’adressait à nos amis de gauche pour alerter qu’il y avait une dérive, quelque chose en train de se passer. On s’est battus toute notre vie contre tous les lobbys des multinationales, quelles qu’elles soient, pharmaceutiques aussi. On ne va pas se refuser d’en parler dans un secteur particulier, sous prétexte que ce ne serait pas pareil. C’est pareil. C’est la même histoire. Si tu te bats contre Bayer et Monsanto, tu ne peux pas te dire que tu ne vas rien dire sur Pfizer, parce que ce serait « autre chose ». Et je te dis cela aujourd’hui. Mais pendant la pandémie, je n’ai pas, ni de près ni de loin, prononcé le mot « vaccin ».

Ce n’était pas mon sujet. Mon sujet était de parler de l’art et de la culture, et des libertés. « Danser encore » sort juste après la chanson « Dis leur que l’on s’aime, dis leur que l’on sème », qui est sur la fraternité humaine par delà nos différences. Avec « Toi et moi, ma liberté », ce sont les trois chansons que j’ai écrites dans cette période. Et « Laissez nous travailler » qui a été reprise pendant l’occupation des théâtres. Et j’ai entendu ce que des gens disaient sur nous, juste avant d’écrire « Danser encore », et de prendre position contre le pass sanitaire, parce qu’au moment où il est mis en place, on a une tournée de quarante dates, et fondamentalement j’ai un problème avec ce pass, parce que je ne fais pas de la musique pour qu’on contrôle et trie les gens à l’entrée de mes concerts. D’un coté j’étais triste et dépité, mais pas pour nous. Je faisais partie de ceux qui ne pouvaient pas entrer en boite de nuit quand j’étais gamin, et ça, ça m’a traumatisé à vie. Donc je ne peux pas concevoir de faire de la musique pour qu’on trie les gens à l’entrée de mes concerts. Par contre derrière, il fallait que je l’annonce, et l’annoncer, ça signifiait annuler une tournée. Ça a des conséquences pour tes partenaires et pour plein de gens. J’ai donc mis une quinzaine de jours pour écrire ce post et annoncer ça ; je n’arrivais pas à appuyer sur le bouton ; je n’en dormais pas la nuit. Parce que d’un coté, je savais que je ne le ferais pas, et de l’autre côté je savais que ça allait avoir des incidences. Et, à ce moment là précis, ça ressemblait à un petit suicide artistique. Et on le fait, en fait. Et là il se passe quelque chose de magique pour nous, dans notre vie d’artiste, qui est qu’on reçoit un soutien affectif de gens comme on n’a jamais reçu. Tu parlais de certains copains et camarades de gauche qui n’ont pas compris ce qui se passait. Ce qui se passait, c’est qu’il y a avait une immense majorité de gens qui n’en pouvait plus de cette dérive autoritaire, et qui était d’accord. Tu ne peux pas être complice d’une dérive autoritaire, d’un abus de certains lobbys, de choses que tu as dénoncé toute ta vie. C’est comme s’il y avait une schizophrénie. On a eu des échanges poussés avec des amis de gauches, avec qui on n’était pas forcément d’accord sur tout, et c’est ce que je disais : je ne vais pas être celui que je ne suis pas ; je ne vais pas me taire de ce que je pense. Chacun fait ce qu’il veut, mais c’est juste que j’ai besoin de me regarder dans la glace. Et en disant ça, on a eu des marques d’affection extraordinaires. J’invite tout le mode à aller voir ce que j’ai écrit, jusqu’à la moindre virgule, et je peux en répondre sans aucun problème. Je sais ce que j’ai dit et ce que je n’ai pas dit, et pour moi, certaines personnes sont passées à côté. Et je le dis en toute fraternité, parce que ça m’est arrivé aussi, et ça m’a servit, au début des Gilets Jaunes :au tout début des Gilets Jaunes, quand je vois ce truc arriver, je suis réfractaire, et même presque véhéments, car je craignais qu’ils utilisent nos chansons. Je ne comprends pas tout de suite ce qui se passe ; je passe à côté. Et des amis militants que je connaissais de longue date et qui étaient dedans m’ont expliqué que là, je me gourais. J’ai mis un moment, mais j’ai fait mon mea culpa. J’ai eu peur, parce que quand il y a du mouvement, des choses nouvelles, des choses qui te secouent, tu es désarçonné. Je pense avoir retenu cette leçon là, et ne plus vouloir écouter les gens qui vont dire quoi en penser. Je vais poser les choses devant moi et réfléchir par moi-même, avec quoi je suis à l’aise, et avec quoi je suis mal à l’aise.

HK7– On se souvient de tes prises de position au moment de la vague d’attentats de 2015, où l’ambiance du moment était à la psychose et au repli dans un état d’urgence sécuritaire et ses mesures d’exception. Les voix qui, comme la tienne, appelaient, au contraire, à refuser la peur, et entretenir l’échange, la rencontre, le dialogue avec les autres, la confiance, les festivités et la célébration de la vie, furent aussi qualifiées d’irresponsables. Difficile de ne pas établir de parallèle à quelques années de distance. S’agit-il pour toi, qu’on a pu, dans les deux situations, taxer de tenir une posture de déni du danger, simplement de rester cohérent avec le droit à la défiance et à l’esprit critique de citoyen autonome que tu revendiques ?

– Il n’y avait pas un déni de quoi que ce soit. Après je n’ai pas la prétention d’avoir raison ou tort ; j’ai la prétention d’avoir été sincère. Et je sais qui je suis, pour le meilleur, et pour le pire. C’est aussi notre nature ; nous sommes des artistes. Et dès qu’on nous dit ce qu’on doit faire, on n’accepte pas. Si on me dit que je suis obligé de faire comme ça, il faut que je comprenne pourquoi. On ne peut pas se dire libertaire et accepter l’ordre qui tombe tout droit comme ça, en nous disant qu’on ne peut pas faire autrement. Je ne dis pas que j’ai été raisonnable tout le temps, hyper-responsable tout le temps. Je pense pouvoir dire que j’ai fait au mieux avec ce que je suis, et dans ce que je suis, il y a ce besoin de liberté, et ce quelque chose de viscéral, quand on commence à m’enfermer quelque part. Avec le recul, je pense qu’on était dans le juste, mais on aurait pu se gourer. Il y avait tellement de tensions exacerbées. Mais je pense que dans ces épreuves là, il faut garder en tête de se demander si on peut avoir le droit de continuer à remettre les choses en causes, surtout des tels gouvernements, qu’on connaît en plus. Ce président, d’une, je le connais, de deux, des conneries, il en a faites et dites. Donc j’ai le droit de prendre un peu de recul quand même, et de trier. C’est tout. C’est juste le droit d’être comme on a toujours été, même en temps d’urgence. Là c’était le virus, mais on a eu en 2015 les attentats, en effet, et je fais le parallèle. On a connu cette histoire là. Le treize novembre 2015, on jouait en Seine Saint Denis, et notre concert du lendemain a été annulé. Le quatorze novembre, on appelle avec des amis à se recueillir place de la République, parce qu’on voyait bien que d’un côté, on avait les terroristes qui sèment la mort, et de l’autre côté les xénophobes de tous poils qui nous disaient : « Vous avez vu ? On vous avez bien dit. Ces gens là, etc… ». Je dis souvent que les terroristes et les xénophobes sont les deux faces d’une même pièce : quand l’un prospère, l’autre progresse. La seule voie qui est la notre est de dire qu’on n’est ni l’un, ni l’autre. Et on est l’immense majorité : des gens qui sont heureux de vivre ensemble, de s’aimer, de se respecter. Du coup on avait appelé à se réunir place de la République, et on s’est fait insulter, traiter d’irresponsables, parce que la police avait d’autres choses à faire que de veiller à notre sécurité, parce que c’était l’état d’urgence. Et cet état d’urgence, on n’allait pas en sortir. Ça allait se normaliser. Jusqu’à quinze ans de Vigipirate, et, j’exagère sur le nombre d’années, mais c’est la même logique.

Personne n’a choisit l’épreuve, mais il y a des gens qui s’adaptent vite pour toujours aller vers le moins disant en termes de libertés. Et ça peut aller très vite et souvent ce sont des allers sans retour. Ce sont des questions très basiques et rationnelles qu’on pose : est-ce que déjà c’est nécessaire ? Et est-ce que, si on accepte, on va pouvoir revenir en arrière ? Et quand on me dit que l’art et la culture sont non-essentiels, je vois bien que c’est idéologique ; tout le monde le voit. Donc parce qu’un président l’a décidé en petit commité, son premier ministre ou son porte-parole te dit que désormais on va fermer les bibliothèques, les librairies, les musées, mais on va laisser ouvert tout le reste, tu vois bien qu’y a un problème, que, derrière, il y a un choix de société idéologique, et un basculement dans une société ultra-autoritaire. C’est même arrivé une fois, lorsque je discutais avec une personne pourtant engagée, qu’elle me dise en parlant de la Chine et d’autres sociétés ultra-autoritaires : « oui, mais eux, ils y arrivent ». Il y a eu des gens qui pensaient ça, ou pensaient, sans être aussi extrêmes, qu’il fallait aller vers ça, vers une société de contrôle. On entendait aussi que « Tu sais, les Français sont cons, indisciplinés, etc… » . Mais que nos dirigeants sont responsables et intelligents. Et c’est rentré dans la tête des gens. C’est fou de si peu croire en nous, en tant que citoyens, en notre intelligence collective, et de tellement croire en l’intelligence supérieure de nos dirigeants. Il y avait tout ça et rien que ça. Ceci dit on a traversé ça de manière très sereine, même si de temps en temps, parce que l’époque est comme ça, on lisait des choses sur les réseaux sociaux, et j’ai reçu des menaces.

HK2– Des menaces ?

– Bien sûr, après des manifestations autorisées, qu’on avait filmées. Et devant la diffusion des vidéos, les gens prenaient peur, parce que c’était des rassemblements de foules. Mais on avait rien fait d’illégal ; juste exercé notre droit de manifester. Au moins une fois, on a reçu quelque chose qui était très violent. Aujourd’hui encore quand la RTBF, ou France Culture, diffuse nos musiques, ces radios reçoivent des messages indignés de gens qui leur reprochent de passer la musique du groupe. C’est le monde dans lequel on vit : c’est un monde malhonnête, malveillant, où des gens peuvent dire des saloperies qui ne reposent sur rien. Aujourd’hui, t’as quand même un chroniqueur télé qui s’est présenté à l’élection présidentielle, et Eric Zemmour, c’est le roi et l’apologie de cela : déverser n’importe quelle saloperie, dire n’importe quelle connerie, qui n’est pas vérifiée, et va infuser pendant dix ans, répétée matins, midis, et soirs, dans le Figaro, sur RTL, Cnews, que des millions de gens lisent, écoutent, regardent, et faire basculer la société vers quelque chose qu’on n’aime pas. On se bat contre ça, et donc des gens font en sorte qu’on reste invisibles, qu’on ne puisse plus nous voir et nous écouter. Quand j’ai commencé la musique, on était invités sur France Inter, France Culture. Aujourd’hui ce n’est plus du tout le cas, et même quand un journaliste diffuse nos chansons, le responsable d’antenne reçoit des messages de protestation, et si la personne ne te connaît pas, elle va prendre pour argent comptant ce qu’un auditeur anonyme raconte de toi. La chance qu’on a, c’est qu’aujourd’hui, on draine beaucoup de public, on touche beaucoup de gens, on connaît encore pas mal de passages dans les médias alternatifs et la presse régionale, les gens peuvent facilement nous suivre sur les réseaux. On a cette chance là d’être déjà passés entre les gouttes, et d’avoir des endroits où on peut s’exprimer et dire ce qu’on pense. Mais pour moi, on vit dans une époque de tartuferie géante, où on colle des étiquettes aux uns et aux autres, on essaye de discréditer les uns et les autres, quand ils vont à l’encontre du discours dominant de l’air du temps. On le voit même en politique : dès qu’un responsable politique va être à contre-courant du discours dominant, notamment sur les violences policières, on va dire que ça y est, il est sorti de l’arc républicain : horreur, malheur, infamie… Il n’est juste pas d’accord. N’a-t-on plus le droit de ne pas être d’accord ? C’est à dire qu’on doit tous suivre le même mouvement, et ce même glissement vers une société autoritaire, monocorde, monochrome, où tout le monde doit penser la même chose et on doit tous être Macron-compatibles.

HK9– Tu évoquais à l’instant cette folie de si peu croire en notre intelligence citoyenne et collective qu’on préfère se plier aux ordres d’une autorité politique, qui entraîne des gens, y compris dans les milieux de contre-pouvoir contestatires, à regarder des sociétés ultra-autoritaires comme plus efficaces à solutionner les problèmes que les démocraties. C’est malheureusement un argument constant qu’on retrouve, quelle que soit la taille d’une association d’individus, du plus petit groupe militant à la nation constituée en état : la confiscation du pouvoir par une personne ou une poignée de personnes est cautionnée par une majorité, prête à renoncer à un fonctionnement réellement démocratique, toujours au nom de l’efficacité des chefs. Et quand on a vu et vécu ce processus de renoncement à un fonctionnement démocratique à l’œuvre, déjà dans le milieu associatif et militant de gauche, par exemple lors des occupations de théâtres et des luttes d’intermittents, comment se sentir cohérents -et donc crédibles- à exiger plus de démocratie réelle effective à l’échelle d’une nation, alors qu’au sein même de nos petites associations ou coordinations locales, on y renonce de soi-même, au nom de l’efficacité de celles et ceux qui « gèrent » les tâches ?

– L’efficacité et l’urgence. Il y a des mots qui me lancent une alerte intérieure mentale. Quand on nous dit : « on n’a pas le temps ». Alors, parce qu’on n’a pas le temps, on va faire comme ça, parce que ça va plus vite. A partir de là, on commence à renier qui on est, à renier le premier de nos idéaux, qui est d’avoir un fonctionnement démocratique. C’est la logique de l’état d’urgence. Quand une épreuve nous tombe sur la tête, que ce soit une épidémie, un attentat, une guerre, c’est un fait que personne n’a choisit. Mais il y a des gens qui s’en accommodent très vite pour faire des avancées idéologiques sur lesquelles il n’y aura pas de retour en arrière. Parce que c’est réussir à se mettre de l’eau dans son vin jusqu’à ce qu’il n’y ai plus de vin. On prône l’efficacité, l’efficacité l’efficacité, pour pouvoir gagner. Mais on ne gagne jamais. Il faut qu’on discute de ce que veut dire « gagner ». Moi, je veux surtout rester fidèle à moi-même, et pour moi, la première des défaites, c’est le jour où je ne suis plus fidèle à moi-même : j’aurais déjà perdu. C’est ma façon de voir. Peut-être qu’en restant fidèle à moi-même, ce sera plus compliqué, plus laborieux, peut-être voué à l’échec, peut-être que je me mets des bâtons dans les roues. Mais ma victoire sera de pouvoir juste me regarder dans la glace, et me dire « Bon, c’est moi, avec mes qualités et mes défauts, je ne suis pas parfait, on est tous pareils, mais c’est bien moi ». Et quand on est militants, on est tous pareils : on défend des causes, des convictions, et les convictions, on y est attachés, il y a quelque chose d’affectif et de viscéral. Peut-être qu’on a raison pour une grande part ; peut-être qu’on a un peu tort. On n’en sait rien. Mais si on commence à abandonner nos convictions juste dans l’éventualité de pouvoir peut-être gagner dans dix ou quinze ans, t’es mort. D’une certaine manière, notre petite histoire, notre cheminement artistique, en est la preuve : au tout début, on s’est fait connaître, on avait des contacts, on avait même signé des contrats, mais ça ne collait pas avec nos chansons et notre univers, donc très vite on a choisit l’autonomie, et monté notre association pour l’autoproduction, et très vite on a été moins invités en télé et radios, et ça a été très difficile quelques temps. Après « Rallumeurs d’étoiles » et « L’empire de papier », j’ai eu l’impression qu’on avait un peu touché le plafond de verre, et qu’en étant sur ce mode artisanal, on se fatigue, que le public peut suivre un moment, mais pas toujours, et qu’on descendait tout doucement. J’étais dans cet état d’esprit de me dire qu’on avait fait ce qu’on avait à faire, et on avait déjà fait des chouettes trucs. Je pouvais l’accepter sans problème. Et puis après il y a eu cette histoire avec « Danser encore » et sa résonance dans le public, qui fait qu’aujourd’hui j’ai un pied ailleurs, en dehors du cercle militant, un côté artiste populaire alternatif.

-Qui fédère hors du champs politique stricte de ses opinions ?

– Tout à fait. Je touche d’autres publics. Pour le coup c’est une réalité et j’en suis fier. Alors on a toujours été clairs sur le socle de valeurs minimales, et on l’a dit tout de suite pendant la période de « Danser encore » : si tu veux venir pour qu’on partage des choses, il faut être au moins déjà sur, on va dire, de grandes valeurs universelles d’Humanisme, à l’encontre de toute forme de racisme ou de xénophobie, pour la fraternité humaine par delà les frontières. A partir de là, il y a des gens qui viennent à nos concerts et ne vont pas être d’accord avec la moitié du quart de ce que je dis, avec ma façon de voir politiquement, et je suis heureux de ça, parce que ça créé des choses improbables, des différences, tout en étant d’accord sur un socle minimal. Donc c’est safe, d’une certaine manière. Beaucoup de gens viennent nous voir aujourd’hui qui se foutent du côté militant-partisan, et ne s’intéressent qu’à l’artiste, et c’est ce que je suis : je suis un saltimbanque. Comme je le disais tout à l’heure, je ne veux pas trier les gens à l’entrée de mes concerts, et ça me plaît de dire que tout le monde est bienvenu.

HK11– Est-ce ce que tu as trouvé aussi dans le Reggae, qui teinte beaucoup de tes compositions, d’être, à l’instar du Blues, outre une musique porteuse de combats politiques et sociaux et de revendications émancipatrices, une musique populaire du quotidien, accessible à tous ?

– Je pense qu’il y a un mélange de plein de choses dans ma musique, même si on sent qu’y a un fond de Reggae, qui va être, à certains moments, plus prégnants qu’à d’autres. Mais quand tu parles de Blues, ça me parle. La Chanson française, la tradition des Protest Songs de la Folk, ça me parle. J’aime quand un air me parle, qu’il soit de musiques actuelles ou traditionnelles, et j’aime l’idée de ne pas dépendre d’une case, d’une étiquette, de fabriquer des sons à nous d’ici et d’aujourd’hui, avec des influences multiples. Je suis un gamin qui a grandit avec Bob Marley dans les oreilles, parce que c’est ce que mes frangins et frangines écoutaient ; c’est une musique qui se prête bien au chaloupé-dansé, avec un côté presque cool, et qui permet, dans l’écriture, la mesure des pieds et des vers, de balancer des choses. J’ai trouvé mon équilibre artistique autour de cette forme là, qui me permet de construire des phrases telles que je les pense et de les poser sur un rythme dansant. Et c’est une musique populaire, et je pense que c’est le mot qui reste. Je me suis fait connaître avec un groupe qui s’appelait Ministère des Affaires Populaires, et pour moi c’est toujours les boussoles, dont je parlais tout à l’heure : suis-je toujours fidèle au jeune rappeur de dix huit ans qui commence, au gars qui était un des deux MC du MAP ? Évidemment la forme bouge et évolue, mais j’aime l’idée que sur le fond, je suis toujours pareil. Honnêtement le jour où je ressentirais -parce qu’il y a des fois où on peut se sentir un peu fatigué, être un peu las ou se dire : « à quoi bon ? »- que cela s’installe en moi, j’arrêterais. Notre métier, notre rôle, notre mission presque, d’artistes, c’est de travailler sur l’espoir, c’est « get up, stand up ! », c’est de se donner envie à soi-même, et en même temps, quand on se le chante pour soi, on le chante pour les autres, et ça motive aussi les autres. Et quand t’arrives à faire qu’il y ait de la motivation, là où il y aurait pu avoir de la résignation, peut-être que demain, ça fera une victoire de plus. La musique sert aussi entre autres à ça ; ce n’est pas juste une bande-son d’une époque. Ça créé des motivations, des dynamiques.

– Tu as une aura de chanteur lumineux toujours positif et dynamique justement, qui transmet de l’énergie en permanence. Mais HK connaît-il des moments désespoirs ?

– Les gens me demandent comment on fait pour être toujours optimistes comme ça. Il y a des jours où on fait comme tout le monde, on est comme tout le monde. Y a des jours où on se dit que ça fait chier, et puis les soirs, on va être là, à sauter partout, pour se motiver nous-mêmes avant de motiver les autres. Et on sait que l’histoire est faite de ça. Ça fait quinze ans qu’on dit « on lâche rien », et on voit bien qu’on vit une époque où on se fait attaquer de partout socialement ; il y a eu beaucoup de défaites. On le sait, à très court terme. Mais ça veut dire quoi ? On va leur dire : « ok, on lâche tout, servez-vous ! » ? Je pense qu’on fait partie de cette génération qui n’est peut-être pas la génération d’un grand soir, mais qui est là pour essayer d’entretenir la petite flamme, parce que tout est fait pour qu’elle s’éteigne. A partir du moment où le résignation va s’installer de façon générale, où il n’y aura plus de petites voix pour dire « non, non, non, on ne va pas lâcher », ça va être la porte ouverte. Ils vont se servir et ce sera un aller sans retour.

– C’est à peu près ce que les Massilia Sound System nous disaient hier soir concernant la résignation du « Sale caractère » (titre de leur chanson) de râleurs jamais d’accord qu’on reproche aux « gaulois réfractaires » : n’est-ce pas simplement l’expression de la non-acceptation de ce qu’on nous impose comme des fatalités ?

– Il n’y a pas de hasard, alors ! Si les Tontons disaient ça, c’est cool. Mais avec le président, on est allés très, très, loin quand même ; et le problème, c’est qu’on s’habitude : on s’habitue aux violences policières, à croire qu’il y a un régime d’exception parfois ; c’est à dire qu’il y a la loi pour tout le monde, et puis il y a les immunités parlementaires, les immunités politiques, et les immunités policières maintenant. Il y a tellement de choses qui vont tellement loin. Il y a quelque chose qui est assez déstabilisant avec cette période. Même sous Sarkozy, quand on était dans ce rôle d’opposition, il y avait des règles tacites : quand tu as un mouvement d’opposition de masse, il y a une règle tacite du discours, en tant que responsable politique, qui fait que tu es dans l’obligation d’entendre, ou, tout au moins, de faire semblant d’entendre, parce que c’est comme ça que notre société marche. Là, on sent une forme de jusquauboutisme du pouvoir, et beaucoup de gens ne se rendent pas compte de la dangerosité de la chose, parce qu’à moment donné, tu n’as plus aucun espace de discussion, de dialogue, et même de confrontation démocratique. Parce que quand on descend par millions dans la rue, c’est une confrontation, et ça fait partie du fonctionnement d’une société démocratique : quand tous les signaux montrent que là, ça ne passe pas, car les gens se mobilisent massivement, et tu n’en tiens pas compte, tu insultes la société dans son Histoire, dans son ADN, dans son essence. Cette colère qui est montée pendant les émeutes récentes est froide chez tellement de gens, et on est face à pouvoir qui a bouclé toute forme d’issue d’opposition démocratique et qui ferme tout, et tu te demandes s’il le fait exprès, si c’est un pyromane. Donc on va continuer à essayer de faire en sorte que ça ne parte pas en vrille, mais fatalement tu vois des choses arriver. Et ce n’est pas quelque chose que je souhaite, car quand ça part en vrille, tu ne sais jamais comment ça va finir, mais que je crains inévitable.

HK10

Lien : https://hk-officiel.com/

Miren Funke

Photos : Carolyn Caro (1 et 5), Miren

HK , Petite terre …

17 Sep

En survolant le paysage humain français, on voit que depuis la Gaule la mosaïque s’est enrichie et diversifiée, et il n’est pas inutile de rappeler que le nom de la France, vient des « barbares francs » convertis à la religion locale… Ensuite l’Histoire cite à la barre, les Ostrogoths, les Wisigoths, les Vandales, les Sarrasins, les Vikings, et, entre la Gaule et la France, quatre siècles de civilisation gallo-romaine.. Et tout ça fait d’excellents français selon Maurice Chevalier, étranges étrangers* et selon Eluard :

C’est que ces étrangers, comme on les nomme encore,
Croyaient à la justice, ici-bas, et concrète.
Ils avaient dans leur sang le sang de leurs semblables.
Ces étrangers savaient quelle était leur patrie.

On peut trouver une synthèse musicale de cette histoire bigarrée avec le nouvel album d’HK, sortie annoncée pour le 18 Septembre, c’est vivant, tonique, une sorte de cri du cœur qui fait un bras d’honneur aux malheurs petits ou grands qui font l’ordinaire des actualités.

HK et ses ami.es nous reviennent avec un nouvel album :  Petite Terre . Toujours le même amour des mots qui s’envolent, des mélodies nomades et des rythmes dansants.
Un album world à la française aux accents chtis, occitans, créoles, bretons ou encore berbères. Un voyage musical qui commence au cœur de nos terroirs pour nous inviter aussitôt à nous ouvrir sur le monde et à le parcourir en chansons. Un album nous parlant de Nous aujourd’hui, et de ces lendemains joyeusement solidaires auxquels on rêve encore, obstinément. Un album comme une valse contagieuse, qui nous donnera envie de danser avec HK et sa bande de joyeux saltimbanques, pour de nouveaux beaux moments à vivre… ensemble.

On peut le dédier à Marie Curie, Henri Bergson, Emile Zola, Jankélévitch, Joseph Kessel, Ariane Mnouchkine, Romain Gary, Michel Platini, Moustaki , Charles Aznavour, Coluche, Henri Verneuil, Raymond Kopa, Isabelle Adjani, Serge Gainsbourg, Zidane, Jacques Offenbach, Serge Reggiani, Yves Montand, Pierre Barouh, Manouchian, Edith Piaf, Brassens, Mouloudji, Alexandre Trauner, Cavanna, Harry Baur (mort car supposé juif) , Juliette Noureddine, Guy Béart, Étienne Roda-Gil, Olivia Ruiz, Michel Piccoli, Kosma, Géminiani, Wolinski, Pierre Tchernia(ski) , Stablinski, Daniel Pennac, Django Reinhardt, Grappelli, Azzola, Modigliani, Michel Polac, Ariane Ascaride, Costa-Gavras, Cédric Klapisch , Michel Hazanavicius , Mathieu Kassovitz, Noémie Lvovsky , Céline Sciamma, Leos Carax , Robert Guédiguian , Jean Becker , Jean-Pierre Mocky , Anna Marly, Guy Béart, Marjane Satrapi…

Liste non limitative de français venus d’ailleurs pour différentes raisons, et j’ajoute quelqu’un de beaucoup moins connu (!) moitié rital par la mère moitié espingouin par le père (avec aux dernières nouvelles quelques traces de juifs vénitiens du 15 ème siècle) Norbert-Gilles Gabriel.

  • Etranges étrangers, Prévert, ( … déportés de France et de Navarre, Pour avoir défendu en souvenir de la vôtre, La liberté des autres.)

 

Le site c’est là–> 

Norbert Gabriel

Festival Musicalarue 2019 : entretien avec HK (Saltimbank)

29 Sep

Tant d’indicible s’exprime dans l’éclairage d’un regard! Le regard où rutile la splendeur perceptible du monde, et celui qui projette sa propre lumière sur les choses pour les animer de lueurs ; le regard du poète engagé qui chante le combat et l’espoir humaniste, et celui du troubadour qui écrit pour fuir ce monde et nous embarquer sur sa planète dans un élan de contagieuse folie évasive. Certes la parole sensée et le verbe astucieux ont rarement fait défaut à HK, dont l’écriture, toujours si prolifique, foisonne de mots qui s’enchainent et se joignent en musique pour faire danser les luttes, les ardeurs du cœur et le cœur à l’ouvrage d’une création qui redessine un autre monde. Mais le regard du rallumeur d’étoiles ce soir là racontait quelque chose de plus que sa propre voix, et semblait de ceux qui savent croire plutôt que de croire savoir, d’un instant à l’autre, tour à tour, posé avec amour sur ses semblables, avec révolte sur l’injustice du monde, puis accroché là haut, sondant la voute céleste pour y recueillir l’énergie d’une étoile, qui, elle, n’avait pas besoin d’être rallumée, et brillait de tout son sens. L’interprétation d’« Indignez-vous » est toujours un moment émouvant dans les concerts d’HK, ne serait-ce que de par la beauté de la chanson et la justesse de son propos déjà, mais en outre parce qu’elle s’imprègne d’une dimension intime, au regard du lien humain et de la transmission de valeurs existant entre Stéphane Hessel à qui elle rend hommage et le chanteur. Pourtant ce soir là, à Luxey, une magie particulière dans l’atmosphère habitait le moment d’une puissante présence. N’en croyez pas pour autant que le merveilleux du concert se résuma à cet instant consacré, le temps partagé avec l’artiste sur scène et ses musiciens ayant été dans son intégralité une succession de communications et d’interactions émotionnelles avec le public, que le groupe enjouait au rythme de ses titres phares (« On lâche rien », « Citoyen du monde », « Salam alaykoum », « Niquons la planète », « Rallumeurs d’étoiles », « Sans haine, sans armes et sans violence »), d’extraits du dernier album « L’empire de papier » (« Refugee », « Ce soir nous irons au bal » entre autres) et de reprises résonnant sous le sceau d’une filiation spirituelle (« En groupe, en ligue, en procession » de Jean Ferrat). Pas de ruissellement imaginaire de richesses ici : chaleur humaine et dynamisme déferlaient de la scène, y revenant en ressac dans un échange permanent de générosité et de tendresse réciproque, bien réel et sincère, qui fit du concert d’HK et ses Saltimbanks -dont les deux choristes envoyaient superbement de la corde vocale et nous offrirent en fin de concert un petit cadeau- un des principaux temps forts et énergisants de cette édition du festival Musicalarue.

Quelques heures avant le concert, HK, que nous avions dernièrement rencontré en mai lors du Festival contre le racisme et les stéréotypes au Rocher de Palmer à Cenon (33) où il était venu présenter sa pièce « Le coeur à l’outrage » [Lire ici] acceptait de nous accorder un nouvel entretien pour parler de sa participation à Musicalarue, de son dernier album, mais également d’engagement et de politique.

 

– Hk bonjour et merci de ce nouvel entretien. Ici à Luxey, viens-tu présenter les chansons de ton dernier album « L’empire de papier » ?

– Non, la tournée va consister à interpréter une sorte de « best of ». Il y a évidemment les chansons de « L’empire de papier » ; mais nous jouerons aussi les morceaux « phares » du groupe, de « Citoyen du monde » à « On lâche rien », en passant par « Sans haine, sans armes et sans violence ». Ce sont des morceaux qu’on nous demande toujours et qu’on nous a toujours demandés, qu’on aime jouer et qui ont du sens. Quand tu chantes « Citoyens du monde » dix ans après l’avoir écrit, et qu’elle a peut-être encore plus de sens aujourd’hui, et que tu mesures ces dix années à prêcher presque dans le désert où on qualifiait tes propos de paroles d’adolescent attardé, pour te retrouver aujourd’hui dans le cauchemar nationaliste xénophobe, tu sais que tu voyais juste : on disait une certaine vision du monde et on voyait venir le truc gros comme une maison. On fait de la musique aussi parce qu’on aime ça et on aime chanter ces chansons. Malheureusement les raisons d’être de ces chansons sont plus prégnantes encore. On parlait en off de l’histoire des copains de Ford, et c’est sur qu’une chanson comme « On lâche rien » a aidé les luttes pendant plus de dix ans. Mais dans mes moments pessimistes, je me dis que ça fait quand même dix ans qu’on chante ça, qu’on se mobilise ensemble de façon forte, et qu’on se fait baiser quand même. Il y a des moments comme ça où, même si on continue dans tous les cas, et qu’il y a eu plein de petites victoires, on se dit quand même que la tendance lourde est qu’on se bat contre vents et marées, qu’on est face à des phénomènes de grande ampleur, qu’on manque peut-être de main d’œuvre, de monde, de moyens. Ce n’est pas une vision pessimiste, parce qu’on a vécu ces dix ans en musique, en essayant de diffuser des bonnes ondes et de la combativité par le biais artistique, mais il faut quand même regarder les choses telles qu’elles sont et que la pente est contre nous.

 

– Mais cela entame-t-il ta détermination à continuer ?

– Il y a un truc que je pense -et c’est vrai qu’on le voit beaucoup sur la mobilisation pour le climat-, et qui est ce qui nous maintient debout et nous donne envie de continuer à nous battre : c’est qu’on a, nous, ces dernières années, fait partie de la génération qui a peut-être mangé le pain noir. Il fallait être là et rester, même si on était de moins en moins nombreux pour « entretenir la flamme ». Et aujourd’hui quand on voit par exemple dans la mobilisation pour le climat tous ces jeunes de quinze-seize ans qui sortent par milliers, par dizaines de milliers, tu te dis qu’il y a une jeunesse mobilisée et conscientisée, une génération qui arrive et qui reprend le flambeau. Il faut qu’il se passe la même chose pour les mouvements sociaux et la quête de démocratie réelle. C’est sur que l’âge faisant, et au regard du chemin qu’on a fait dans nos vies et dont je suis très heureux, depuis le gamin de 16-17 ans qui exprimait sa révolte de manière plus brute, si des choses se sont adoucies, c’est dans la forme. Mais dans le fond je n’ai pas l’impression d’avoir bougé ne serait-ce que d’un centimètre dans mes convictions, dans ce que je suis et ce en quoi je crois, et pourtant on a fait des choses. Donc ça permet d’être plus serein et plus libre dans ta tête, dans tes réflexions sur le monde qui nous entoure. Dans tous les combats qu’on mène et les défaites qu’on a pu connaitre, il y a aussi une part de responsabilité qui nous incombe, et aussi aux organisations de lutte qui ont sans doute défailli, avec ceux qui se sont mis en première ligne pour être des leaders, et ceux qui se sont mis en dernière ligne pour être des suiveurs, parce que c’est aussi très confortable. Il y a tellement de choses qui ont fait que si le combat pouvait peut-être être perdu d’avance, nous n’avons quand même pas été au bout de quelque chose, d’une lutte collective où on était armés de la même envie, de la même passion, et où on aurait pu laisser les égos de côtés. Ce sont des choses qu’on n’a pas réussies en France. C’est vrai que de la place de saltimbanque où je me trouve, je peux avoir ce constat et l’exprimer de façon crédible : on a foiré sacrément. J’aime cette idée de retrouver le goût de la lutte collective, et je crois que c’est l’enjeu pour aujourd’hui et pour demain, et d’arriver à trouver la structure qui fera qu’on pourra mettre les egos de côté. Dans le système actuel, ça n’existe pas : aujourd’hui, dès qu’il y a une lutte sociale, elle est connectée à une lutte politique, avec un grand leader, et après chaque élection, tous les cinq ans on se remet à se battre, et tous les quatre ans avant les élections on se dit qu’on doit arrêter de se battre et que maintenant le combat ne doit être que politique et électoral. Et puis c’est le concours de coqs. Et même les organisations de contre-pouvoir peuvent elles aussi nous amener dans de mauvaises directions, pour des histoires de lutte entre organisation. On ne s’en sort jamais. On a donné du temps, on a donné de la foi, on s’est battus pour la convergence, on s’est soutenus les uns les autres, mais on n’y est pas arrivés. Donc il y a aussi quelque chose à changer en nous, qui nous disons militants alternatifs, et il faut avoir cette remise en question.

 

– Cette responsabilité des organisations de lutte qui ont défailli dont tu parles explique-t-elle pour toi l’ampleur populaire massive du mouvement qui se construisent et s’expriment hors structure, et même parfois dans le refus des structures syndicales ou politiques traditionnelles ?

– Alors c’est déstabilisant. J’ai toujours été pour la convergence des organisations et des initiatives citoyennes. Je ne suis absolument pas contre les organisations qui ont fait beaucoup de choses. Mais c’est sûr que si les gens commencent à fonctionner comme ça à un moment donné, c’est qu’ils n’y ont pas trouvé leur compte et que quelque chose a merdé. Pour être honnête, dans la séquence Gilets Jaunes, je n’ai pas aimé la façon dont pas mal de gens ont craché sur les syndicats. Parce que les syndicats sont une histoire de luttes, de combats et de victoires pour des gens qui étaient les opprimés, les damnés de la terre, les gueules noires, les exploités au sens propre du terme. Ces syndicats ont pu merder, mais ça fait cent ans qu’ils existent et ont fait l’histoire des luttes. On pouvait dire que bien sûr nous sommes citoyens et nous voulons avancer en tant que tels, mais nous n’avons rien contre les syndicats et vous pouvez nous rejoindre, du moment que vous ne cherchez pas à nous mettre sous votre bannière. Ce qui s’est passé laissait déjà augurer d’une jonction qui ne se ferait pas, et qui a beaucoup de mal à se faire. Ce n’est pas de la méfiance de ma part ; je dirais que ça s’est éclairci au fil du temps et que je suis devenu une sorte de camarade exigeant. Pour moi il y avait un cadre dans lequel le soutien pouvait s’exprimer, qui était celui d’être suffisamment clair sur un certain nombre de valeurs fondamentales, et pour lesquelles on ne peut pas dire « soyons tous ensemble et on verra après » : la fraternité humaine, la tolérance, le refus de la xénophobie, de la haine, de la violence. On peut comprendre que le système dans lequel on vit et qui nous opprime peut générer de la frustration et de la rage, et même de la haine. Mais cette haine là, on la combat pour en faire quelque chose de créatif et d’alternatif. Et d’ailleurs quand j’ai affirmé mon soutien au mouvement, je l’ai fait en mettant en avant la chanson « Sans haine, sans armes et sans violence », et aussi « Refugee », ce qui était pour l’une, une manière de dire que c’est dans ce cadre là et si ça part dans ce chemin là que je soutiens, et pour l’autre de dire que c’est ce que je suis. Il y a eu plein de belles choses dans ce mouvement, d’autres moins, et la question maintenant est de savoir comment ça va se transformer ou quelle va être l’étape suivante d’un mouvement contestataire, citoyen et alternatif. Alors quand je dis ça, on peut penser qu’à court terme, poser des conditions sur les valeurs communes va nous empêcher d’avancer ensemble. Mais à long terme c’est ce qui fait qu’on peut construire quelque chose de solide. On ne peut pas se construire sur une illusion, juste parce qu’on est ensemble contre Macron, alors qu’en fait on ne croit pas du tout à la même chose. En partant sur tes valeurs de base, tu pars déjà sur ce que tu peux construire, et tu peux aller beaucoup plus loin.

 

– Existe-t-il un paradoxe entre le HK militant, ancré dans la réalité des luttes quotidiennes, et celui d’un titre comme « Je m’envole » présent sur le dernier album qui sonne comme une ode à l’évasion, à l’abandon presque ?

– Je n’ai pas réfléchi en fait. Je n’ai pas vraiment conscientisé cette écriture. Je crois qu’on donne, parce que c’est ce qu’on est, et ce à quoi on sert en tant que saltimbanque : donner ces choses positives et enthousiastes. Et par moment on a aussi cet élan de prendre de la distance par rapport à ce monde, ce quotidien, cette folie. Quand on prend le temps d’y réfléchir, c’est un monde fait de haine, de corruption, de tellement de choses contre lesquelles on se bat, et même parfois qu’on combat en nous, parce qu’elles sont en nous aussi. Donc cette chanson est un plaidoyer pour s’évader et prendre le large. J’ai toujours ces deux petits bonhommes en moi : celui qui combat et celui qui veut se casser de ce monde de tarés. C’est presque une schizophrénie, et je crois qu’avec l’âge, elle s’exprime de manière plus forte.

 

– Tu racontes souvent ton envie d’embarquer les gens sur ta « planète », et on trouve dans des chansons, dont « Rallumeurs d’étoiles » est un bon exemple, le recours à un champ lexical céleste et des métaphores galactiques. En quoi cela a-t-il une valeur symbolique pour toi ?

– J’aime bien! C’est aussi une manière de se rappeler qui on est en tant qu’êtres humains : on vit sur une des neuf planètes du système solaire ; on est rien. C’est ce qui peut nous permettre de relativiser plein de choses, et aussi de nous redonner goût à la vie et à l’instant, à se sentir vivant et cultiver ses passions, s’accomplir, et ne pas se poser mille questions, que ce soit dans le combat ou dans une quête de bonheur partagé, et de tracer son sillon. J’aime bien cette idée de zoom et de dézoom cosmique. Là on ne travaille pas encore sur le prochain album, car « L’empire de papier » est sorti il y a un an et demi, mais on va très bientôt s’y coller, et il y a l’idée de continuer, au moins à travers une chanson, cette parabole, ce parallèle entre nous pris dans ce foisonnement du monde et le grand écart quand tu dézoome.

 

– Que voulais-tu mettre en avant avec la chanson « Give me » ?

– C’est un hommage au Blues de la rue, et à la manière dont quelqu’un qui vit et ressent cette musique, quelqu’un que certains vont peut-être traiter de clochard, ou qui peut ne pas avoir les apparats d’un artiste connu qui se produirait sur la grande scène de Luxey, celui qui est dans nos gares, celui qui n’est rien, comme disait notre futur ex-président de la république, pour peu qu’il ait quelque chose à nous raconter et porte en lui une cicatrice, une folie, une originalité qu’il arrive à retranscrire en jouant, peut te dresser les poils et te toucher. C’est tellement rare ! Et je mets cela en lien avec le chant de bataille qui a pu puiser une de ses origines dans les champs de coton.

 

– Qui est le personnage de la chanson « Rosa » ?

– Rosa, c’est peut-être un peu moi d’une certaine manière : il y a une part de moi, qui nait à Roubaix et qui à un moment donné prend mes cliques et mes claques et finit par atterrir à Bergerac. On parlait tout à l’heure de la chanson « Je m’envole » : c’est un peu les mêmes idées, que j’ai toujours eues, dès le premier album d’ailleurs. Dans cet album « Citoyen du monde », il y a bien sûr la chanson qui l’a fait connaitre « On lâche rien » ; et il y a une chanson qui s’appelle « Le troubadour », qu’on aurait même pu appeler « Le blues du troubadour », qui est l’histoire d’un troubadour presque blasé qui dit qu’il ne fait finalement que chanter des chansons en attendant demain, pour un autre demain :

« Le monde va mal, je m’en amuse
Insolent impertinent
Quand nos dictateurs abusent
J’écris une chanson ça fait rire les gens

Le monde va mal mais que puis-je y faire
Avec mes coups de gueule mes calembours
Ni politicien ni militaire
Je n’suis qu’un troubadour. »

 Il y a ce côté-là : on est tous pareil, dans nos montagnes russes, où parfois on est dans la désillusion, parfois on a besoin de luttes et de combats, avec cette envie qui nous démange d’y être, et parfois on a juste besoin de repos et d’évasion, de se ressourcer et de recharger les batteries. Des fois on y croit comme jamais, et d’autres fois plus. Et on met tout ça dans notre musique sans tricher. J’aime ne pas chercher à maquiller les choses ou entrer dans un personnage super militant révolutionnaire. C’est ce que je suis au fond de moi, mais ce n’est pas toujours aussi simple que ça.

 

– Tu donnes pourtant toujours l’impression d’être un être tellement lumineux qui transmet en permanence de l’énergie et des ondes positives, qu’on peine à t’imaginer en prise aux doutes… Alors qui est HK ?

– Mais pour être comme ça, il faut avoir ces moments où tu te poses et tu te poses toutes ces questions là, et tu te remets en cause. Très honnêtement ce qui nous donne envie de continuer et de refaire des concerts, c’est qu’à chaque fois où tu vas avoir des doutes, tu vas recevoir un témoignage de quelqu’un, de quelqu’une qui vient te dire que ce que tu fais, ce que tu dis, tes histoires, tes chansons, tes actes, ça l’a aidée, ça lui a servi, ou que telle chanson a été très importante à un moment de sa vie. Et tout cela, c’est de l’amour que tu reçois. Quand tu parles des moments où on peut paraitre lumineux, on est rechargés à bloc par tout ce que les gens nous ont renvoyé et qui nous dit que ce n’est pas vain, que ça sert à quelque chose. Ce qui n’est pas simple, c’est de garder aussi la modestie de savoir que ce sont de petites choses, des petites lumières qui se sont rallumées ici et là. Et puis être sur scène, tu ne peux qu’en être heureux. Je suis né à Roubaix, la ville la plus pauvre de France, dans un quartier où tu sais ce que c’est que la misère avec un grand « M » ; donc quand tu as la chance faire ça, de voyager, ne serait-ce que d’un point de vue matériel, mais pas que, tu sais que tu es privilégié. Alors quand on est face à des gens qui sont dans la galère, comme ça a pu être mon cas à un moment donné, même si ça l’est moins aujourd’hui, il faut donner quelque chose de positif.

 

– Le dernier album « L’empire de papier » est sorti sous le nom d’HK, et on retrouve dessus une partie des Saltimbanks, mais pas l’intégralité de tes musiciens. Qui sera présent sur scène ce soir avec toi?

– Aujourd’hui la formule a changé. Alors je mets HK, car le groupe est à géométrie variable, mais il y a une partie des copains de la bande du début qui est là, mais aussi d’autres copines et copains en plus. C’est la famille : c’est peu cette idée, une grande famille de Saltimbanks. Ce soir il y aura Seb à la batterie, Mehdi à l’accordéon et aux claviers, Eric à la basse, Emmanuel à la guitare, donc une grande partie des copains des Saltimbanks du début, qui ont fait les tous premiers concerts, et puis à côté de la trompette, les copines aux chœurs, et bien sûr Saïd, le Saltimbank ambianceur qui faisait partie de la bande du tout début aussi.     

 

– Vous êtes venus souvent ici, et on a le sentiment que les valeurs véhiculées par Musicalarue concordent parfaitement avec vos aspirations. Est-ce ainsi que tu le vis ?

– Ici, c’est beaucoup de souvenirs assez dingues. La première fois ce devait être en 2007 avec le Ministère des Affaires Populaires, et depuis on est venus au moins cinq fois. Je crois qu’on a joué à peu près dans tous les lieux et sur toutes les scènes, du cirque à la grande scène Sarmouney, en passant par l’Espace Pin et la scène St Roch que j’adore, à toute heure, de 19 heures à 5 heures du matin, avec toutes sortes d’ambiances possibles et imaginables. Pour nous ça reste toujours un festival à part. Et même les gens nous demandent si on fait Luxey chaque fois. Il y a deux endroits pour nous comme ça en France : Luxey et la Fête de l’Huma. On sait toujours qu’on va retrouver des potes et que la machine à souvenirs va marcher.

 

Miren Funke

Photos : Carolyn Caro, Ray Flex, Océane Augoutborde, Miren

 

Lien : http://www.saltimbanks.fr/

https://www.facebook.com/hksaltimbanks/

Profession « rallumeur d’étoiles » : rencontre avec Kaddour Hadadi, dit « HK », le « saltimbank »

6 Juin

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Samedi 16 mai dernier, c’est sous le chapiteau de la Fête de l’Humanité de Bordeaux que le groupe HK et Les Saltimbanks venait partager ses chansons et son univers avec le public, tout au long d’un concert de près de deux heures. Une halte évidente, au cours de la tournée de présentation du troisième album « Rallumeurs d’étoiles », pour la sympathique troupe qui depuis plus de 5 ans, de concert en concert, sème sa poésie engagée et engageante avec un esprit festif et populaire. Utopie militante, mais surtout militantisme de l’utopie, la musique d’HK et Les Saltimbanks, métissage jouissif empruntant à divers genres musicaux, dans lequel s’exprime le propos de Kaddour Hadadi, dit HK, tour à tour chanteur, rappeur et slameur, et toujours amoureux de la vie et des justes causes, a agité la soirée, et, à en juger par les sourires sur les visages et les scintillements dans les regards, dispersé et propagé quelques étincelles. De celles qui rallument les étoiles justement.
Quelques jours plus tard, un rendez-vous à Bergerac avec le chanteur nous donne l’occasion de refaire quelques pas dans la charmante cité périgourdine et de lui poser quelques questions.

 

IMGP3841 – HK, bonjour et merci d’avoir accepté cet entretien. Vous venez de jouer à la fête de l’Huma. Dans quel état d’esprit abordez-vous la tournée?

– En fait, on a commencé la tournée le 17 avril, un peu avant la fête de l’Huma, à Strasbourg, quasiment à la veille de la sortie de notre album. Donc on avait déjà enchaîné quelques concerts et c’était agréable de jouer pour la fête de l’Huma, devant un public de gens avec qui nous sommes sur la même longueur d’onde, comme le dit notre chanson. Les gens présents partagent déjà nos idées ; on se comprend. Donc ça facilite en quelque sorte notre spectacle, puisque nous n’avons pas à convaincre les gens. En règle générale nous abordons les concerts avec toujours cette double démarche d’inviter les gens à entrer dans notre univers, les faire adhérer à nos idéaux, puis de danser et faire la fête dessus. Lors de concerts pour des soirées militantes comme celle là, où les gens sont déjà acquis à nos idées, on peut faire directement la fête ! Le contenu nous conforte et nous donne du cœur à l’ouvrage. Y avait pas mal de monde, et c’était une belle soirée, qui nous a comblés. On repart jeudi pour enchainer 4 dates et puis il y aura deux concerts importants pour nous : à la maison, c’est-à-dire à Lille, dans la région qui nous a vus naître, et les 29 et 30 mai à Paris. S’en suivront plusieurs autres dates.

 

IMGP3797– Vous avez également joué en Afrique du Nord. Comment avez-vous vécu cette expérience ?

– Tunis était en quelque sorte le point de départ symbolique de la tournée, même si elle avait débuté avant. Nous avions déjà joué par le passé en Algérie et au Maroc, mais jamais encore en Tunisie. Le concert a eu lieu pendant le forum social mondial, juste après les attentats ; c’était donc dans un contexte très particulier et à l’occasion de débats autour d’une question en adéquation avec nos aspirations internationalistes et altermondialistes. Je parle d’un altermondialisme de bon sens, parce que ça devient de plus en plus évident que tout va de travers partout et de plus en plus de gens s’en préoccupent, et pas des gens qui sont nécessairement issus d’un milieu engagé et militant ou qui ont reçu une instruction politique, mais des gens qui se rendent compte des absurdités du « consommationisme » -c’est un mot nouveau, mais qui prend du sens à l’heure où on exige de nous que nous ne soyons plus que des consommateurs- : il faut consommer matin, midi et soir, pour satisfaire la sacro-sainte croissance. Il y a trois grandes tyrannies qui oppressent nos sociétés aujourd’hui : cette logique qui vise à transformer les humains et citoyens en seuls consommateurs, les fondamentalismes, notamment religieux et le terrorisme qu’ils impliquent, et enfin les xénophobies et replis identitaires nationaux ou autres. Pour moi, fondamentalisme et xénophobie sont les deux faces de la même pièce ; ce sont les croisés des temps modernes qui essayent de convaincre le monde qu’on ne peut pas vivre les uns avec les autres, que nos cultures sont incompatibles et qu’on doit forcément être en guerre.
C’est un peu pour cela qu’on a appelé l’album « Rallumeurs d’étoiles » : cette image est née de la question de savoir comment, malgré ces obscurantismes, on peut arriver à éviter les pièges pour suivre notre chemin propre et pouvoir choisir librement où on veut aller et avec qui.

– L’expression était déjà présente dans votre chanson hommage à Stéphane Hessel «Indignez-vous !» («Il est grand temps, mes amis, de rallumer enfin les étoiles»). Est-ce une référence ouverte au poème de Guillaume Apollinaire ?

– Oui. Cette phrase, nous la devons à Stéphane Hessel que nous avons rencontré plusieurs fois. On a vu en lui le poète, enfin le féru de poésie. Mais il devait lui-même être un peu poète ; je suis sûr qu’il a dû écrire certaines choses qu’il n’a jamais divulguées. Il adorait Apollinaire et terminait souvent ses conférences par un vers de poésie. Quand on a créé la chanson en son hommage, on s’est dit que ce vers-là lui collait naturellement à la peau et qu’il se devait d’être dans la chanson. Et cela m’a donné des idées pour ce nouvel album, qui est un peu aussi une continuité de l’histoire d’ «Indignez-vous !». D’ailleurs le livre Indignez-vous ! ne pouvait être qu’un point de départ, et Stéphane Hessel le présentait comme cela aussi. Bien sûr il faut s’indigner. Mais après que fait-on ? Est-ce qu’on tombe dans le pessimisme, la négativité, une forme de radicalisme ? Ou est-ce qu’on s’arme d’utopie, s’inspire de toutes ces ondes positives qu’il pouvait porter, de tout cet imaginaire que la poésie offre et on essaye d’aller « rallumer les étoiles » ? L’idée de l’album était de rendre hommage à tous ceux qui, chaque jour dans le monde, à leur manière et leur échelle, par un acte, un sourire, une parole, un engagement rallument une petite étoile au dessus d’eux, pour que la somme de ces étoiles forme une constellation.

 

hk7– Comment aviez-vous rencontré le monsieur ?

– On l’a rencontré autour d’un débat sur la commémoration de l’exode palestinien de 1948, lorsque les Palestiniens ont été chassés de leurs maisons et se sont installés dans des camps de fortune. Eux appellent cela la « an-nakbah », la « catastrophe », qui coïncide avec la promulgation de l’état d’Israël. Ce qui fut in bienfait pour les uns a été une catastrophe pour les autres ; comme dit le proverbe, le bonheur des uns fait parfois le malheur des autres. Stéphane Hessel venait animer le débat et la conférence, et nous assurions le concert qui suivait. Pendant les balances, on a vu un petit bonhomme âgé se rapprocher de nous, léger et sautillant, très guilleret. Il est venu se présenter comme un ami de la Palestine qui participait au débat et souhaitait nous saluer. Un des potes, pour le « chambrer » lui a alors dit « mais vous ne savez même pas qui ont est ! ». Il a répondu « mais si ! Vous êtes HK Saltimbanks ! ». On était cloués. Puis nous nous sommes renseignés sur lui, sa vie, son œuvre, et nous avons écouté sa conférence. Il avait toujours ce ton léger, mais cette précision, cette lucidité, et ce don d’éclairer les gens, avec sa voix calme et posée. Et dès qu’il se mettait à parler, tout le monde se taisait et écoutait. Il nous a beaucoup impressionnés. Puis nous l’avons recroisé plusieurs fois, pas toujours autour de la question palestinienne. Il a aussi participé à des rencontres avec des collégiens en Normandie pour des journées de commémoration de la Résistance, qui étaient organisées de la même façon, c’est-à-dire avec des conférences et débats avec lui et un concert de nous ensuite. Un jour pour une soirée de soutien à l’Huma, une journaliste m’a demandé de faire une lecture en Slam d’un texte de Stéphane Hessel en sa présence, avec même peut-être sa participation. Je m’en sentais honoré ; j’ai donc parcouru le texte de son livre Indignez-vous ! . Mais j’étais un peu embêté, car le texte, qui se présente un pu sous la forme d’entretiens, ne se prêtait pas à une lecture en Slam, malgré quelques phrases choc. Cela ne me semblait pas très cohérent de le présenter en Slam. En revanche, j’avais envie d’écrire une chanson en hommage à ce livre et au bonhomme. C’est ainsi qu’est née la chanson « Indignez-vous ! ». Malheureusement Stéphane Hessel n’a pas pu venir l’écouter à cette soirée. Mais quelques temps après, des amis lui ont montré le clip réalisé par des malentendants et l’ont filmé en train de regarder ce clip. Il nous a laissé un message ému sur le blog. Pour nous, ça a été un formidable encouragement.

 

hk2– A propos de la chanson « Rallumeurs d’étoiles » présente sur ce dernier album, d’où est venue l’idée de faire chanter vos enfants sur le titre ?

– Quand la chanson a été écrite, on la trouvait métaphorique, onirique, avec un côté « petit prince », qui déstabilisait les musiciens. La chanson nous plaisait, mais elle dénotait quelque peu avec le reste des titres de l’album. Elle est plus abstraite, et on ne comprend pas tout de suite l’univers de la chanson. Un des potes a dit qu’il faudrait, pour pouvoir rentrer plus directement dans le morceau, qu’on ait les clés plus vite, comme si des enfants chantaient le refrain par exemple. Donc chacun en rentrant chez lui a enregistré ses enfants avec ce qu’il avait sous la main comme matériel, et envoyé ça à l’ingénieur du son qui a procédé au montage de cette chorale de « Rallumeurs d’étoiles ». Quand on a l’a écouté, ça nous a paru évident que c’est ce qui manquait à cette chanson. Elle avait pris soudain une autre dimension, plus candide. Pourtant au début, j’étais réticent à l’idée ; je ne suis pas trop partisan de ce genre de choses. Mais le fait est que cette chanson s’y prête pleinement, car c’est ce qu’elle raconte. En plus ce sont nos enfants, donc ça traduit pour nous aussi l’idée d’un message ou d’un héritage qu’on veut léguer. Parce que finalement, les « Rallumeurs » seront sans doute nos enfants ; nous partons de tellement loin, que ce seront probablement les générations futures qui pourront vraiment rallumer les étoiles. C’est ce qu’on a envie de leur transmettre, afin qu’ils sachent faire ce que nous n’avons pas su faire dans le monde tel qu’il est. On regarde nos enfants, en pensant « ben y aura du boulot pour vous ! ».

– Il y avait eu très peu de temps écoulé entre les sorties des deux premier albums, qui comprenaient chacun beaucoup de titres. Le troisième arrive après une plus longue pause. Pourquoi ?

– Le premier album « Citoyen du Monde » contient beaucoup de chansons, car j’avais, avant de former le groupe, accumulé des textes écrits sur les routes, durant les tournées avec mon précédent groupe, le Ministère des Affaires Populaires (M.A.P), et ces chansons en devenir attendaient dans un tiroir. Nous voulions toutes les enregistrer, donc ce premier disque est chargé. Puis le second « Les temps Modernes » a encore accueilli certaines de ces chansons qui n’étaient pas rentrées sur le premier album. Pas parce qu’elles étaient moins bonnes, mais pour ne pas faire de doublons avec certaines autres déjà enregistrées sur le premier disque. Ceci explique que très peu de temps se soit écoulé entre les deux premiers albums et qu’on entende une cohérence évidente, un peu comme si l’un était le prolongement de l’autre, sa suite logique. Par la suite, j’ai eu besoin de retrouver des sources d’inspiration avant de me remettre à écrire. Car pour moi, l’inspiration naît des rencontres, des voyages, du hasard. Je ne souhaitais pas tourner en rond en épuisant toujours les mêmes thèmes. Donc nous nous sommes accordé une pause de deux ans.

 

hk4– Peut-être aviez-vous aussi des projets personnels parallèles, comme les livres que tu as écrits ?

– Non, pas vraiment. Ou secondaires, mais c’était surtout des prétextes. La première exigence était de prendre le temps de trouver des histoires à raconter, et surtout des angles pour les aborder. Les choses à raconter, il y en a des milliers. Mais trouver un angle intéressant et original pour en parler, c’est ça qui redonne envie de reprendre la plume. En outre, plus on avance dans l’âge, plus il devient difficile d’écrire. On a moins de fraîcheur, sans doute aussi plus d’exigence littéraire et technique, et puis on a déjà raconté pas mal de choses. J’en ai profité pour écrire deux bouquins, J’écris, donc j’existe et Neapolis, ce qui était un exercice nouveau pour moi. Et la nouveauté exalte l’énergie, puisqu’elle n’a pas de côté fastidieux. C’est une forme d’écriture différente de celle des chansons –ce serait comme comparer un marathon et un cent mètres- . Malgré tout, je l’ai vécu comme un prolongement de ce que je fais en musique. Mon premier livre, autobiographique, avait pour but de témoigner d’un parcours dans l’écriture. D’un point de vue scolaire, même si j’aimais la littérature, je n’ai jamais excellé en cours. Comme j’ai écrit dans mon livre, avec mes enseignants, on n’a jamais réussi à « établir une communication bilatérale simultanée ». La formule comprend un petit trait d’humour, mais ça signifie en gros qu’on n’a jamais su se comprendre. Il y a quelque chose qui ne s’est pas passé à l’école. Mais j’ai appris à aimer les mots par le biais de la musique et de l’écriture. Et au fil de ces 20 dernières années de parcours, j’ai pu développer un amour du mot, des techniques d’écriture, et un bagage culturel. Je n’ai jamais été un grand lecteur de littérature ; en revanche la poésie me passionne. Et puis ma culture première c’est la Chanson française, le Rap, le Reggae… Donc le livre a pour objet de témoigner d’un parcours personnel qui me conduit finalement au même point de chute, avec peut-être quelque chose en plus, qui est la passion. Quand on a la passion pour l’écriture, on travaille sans en avoir l’impression, parce qu’on le fait par plaisir. Par exemple, si je veux écrire une chanson sur la guerre, je vais aller fouiller chez les poètes qui ont écrit sur le sujet, comme Victor Hugo, et je peux passer des nuits entières à écumer les poèmes des autres. On est comme un chercheur curieux.
Et puis je viens du Hip Hop, et de cette formation, j’ai gardé plusieurs choses. D’abord je n’ai pas abandonné cette façon de m’exprimer –il y a toujours des chansons en Rap sur nos albums-, car c’est un art que j’aime, qui a souvent été dénigré, qui a subi beaucoup d’a priori. Ensuite j’ai gardé la philosophie initiale du mouvement, qu’on oublie souvent en France : « peace, unity, love and having fun ». L’idée était de transformer l’énergie négative en énergie positive. Et dans tout ce que je fais aujourd’hui, je reste empreint de cette culture-là. Enfin, j’en ai gardé la culture du sample, parce que le Hip Hop, c’était ça. Et cela m’a nourri d’une curiosité folle, parce que je pouvais passer des heures à fouiller la collection de vinyles de mes grands frères et sœurs, qui allait de la bande originale de « Shaft » aux Beatles en passant par Otis Redding, Edith Piaf , Charles Aznavour, Bob Marley, pour trouver le riff, la note, le son, la boucle, le refrain à récupérer. Quand on reprend un sample d’un artiste, nécessairement on ne peut que respecter cet artiste à la base. Et on tombe sur des choses qui nous marquent. La culture du sample, ce n’est pas un détournement. C’est presque redonner une deuxième vie improbable et inattendue à une chanson.

 

hk– Inattendue ? Oui. Probablement que Lucienne Delyle ne s’attendait pas à être reprise en 2009 dans une chanson de Rap…

– Exactement ! Quand on a repris le refrain d’ « Un air d’accordéon », la plupart des gens pensait que c’était un sample de Piaf. Pour moi ce refrain contient une nostalgie très intense, même si dans le reste de la chanson, Lucienne Delyle raconte des choses assez légères. On sent une profondeur dans ce refrain et son interprétation, qui en plus ne résonne pas de la même manière en nous, avec nos références d’aujourd’hui. Ce refrain a un parfum, une odeur, comme un air un peu mystique, à la manière d’un fantôme qui vient et parle à la chanteuse, danse avec elle, puis s’en va. Il m’évoquait l’image de cette femme prostrée seule devant sa fenêtre à attendre que cet air lui revienne. Alors cette histoire m’est venue, et j’ai voulu la raconter. On a fait ça aussi sur le deuxième album avec un sample d’une chanson de la grande chanteuse libanaise Fairouz, « Habbeytak Bessayf »,
dont on a repris un refrain pour la chanson « Mon printemps en hiver ». Sa chanson dit « je t’ai aimé en hiver, je t’ai aimé en été, je t’ai attendu en hiver, je tai attendu en été ». Et au moment du printemps arabe, nous avons créé « Mon printemps en hiver » en jouant de cette parabole, comme si c’était la liberté qui s’adresse à un peuple prisonnier. J’aime cette idée de détournement qui est aussi un hommage, et la naissance d’une autre histoire qui donne une seconde vie à la chanson : c’est s’accrocher à un élément d’une histoire pour en raconter une autre. La chanson « Mister Juke » sur notre dernier album est née du même principe, à partir d’un tube des années 50, chanté par Theresa Brewer, « Music, music, music », qui avait également été repris par Ray Charles. C’est mon bassiste qui m’a fait connaitre cette chanson, et je l’ai trouvée géniale, avec cette expression particulière de « nickel » pour parler de la pièce de monnaie que l’on introduit dans le jukebox. Il faut être sacrément anglophone ou familier de l’expression pour comprendre. En l’écoutant, ça a résonné en moi, et j’ai vu à quelle histoire cela pouvait mener : celle d’un vieux jukebox délaissé et mis au rebus dans un grenier, à l’aube de la modernité, qui narre son histoire. C’est un angle singulier, car quand on explique que c’est le jukebox qui s’exprime, tout devient clair, mais à la première écoute, on ne devine pas forcément qui est le narrateur. Et puis c’est vrai qu’on aime cette époque de la musique, où tout était gravé sur vinyle avec ce son si particulier.

– Comment est née ta passion pour la musique ? Y a-t-il des musiciens dans la famille ?

– Pas vraiment de musiciens, au sens de professionnellement formés par une école. Mais ma grande sœur grattait ; mon frère jouait du saxophone. Tous deux, bien qu’autodidactes, étaient des mélomanes invétérés. Ce sont eux qui m’ont transmis le virus ! J’ai débuté par le Hip Hop, des petits groupes, concerts de quartier… Et au fil des rencontres, la curiosité s’est développée et la passion s’est invitée. Je n’ai jamais été un puriste, même dans le Hip Hop. J’adore les rencontres, et le fait de croiser les cultures et influences. J’aime cette idée de toujours additionner et ne jamais retrancher.

 

hk6– D’où t’est venu le besoin de former un autre groupe, à la suite du M.A.P ?

– Notre métier, c’est créer des chansons. A partir de là, il n’y a rien de pire que de garder des chansons dans un tiroir et ne pas pouvoir les exprimer. Et je traînais avec moi des chansons qui ne s’inséraient pas dans l’univers du M.A.P. Il suffit d’écouter les deux groupes pour savoir que ce sont deux univers sur le fond très proches, mais dans la forme bien différents. C’était simplement une autre histoire artistique qui démarrait pour mon écriture ; cette nouvelle aventure était là, de côté, et un jour j’ai trouvé le prétexte pour la débuter, avec Jeoffrey Arnone, qui était déjà accordéoniste dans le M.A.P et quelques autres musiciens, tous des potes de Roubaix, comme nous : Meddhy Ziouche (mandole), Jimmy Lo (guitare), Seb-Big Cat (batterie), Eric Janson (basse) et Saïd Zarouri (comédien). Cela me chatouillait de pouvoir donner vie à ses chansons. Laisser des chansons comme « Citoyen du Monde » ou « On lâche rien » dans un tiroir, ce n’était pas possible. C’était sûr qu’un jour, elles sortiraient. Et en 2009, c’est devenu évident et imminent. Nous voulions faire la musique qu’on aime, sans viser de genre particulier, mais avec des musiciens provenant d’horizons assez différents et éclectiques. Et mes musiciens sont d’un éclectisme sans borne, d’une ouverture d’esprit et d’un talent technique important. Donc ils savent jouer ensemble de façon cohérente et sincère beaucoup de choses. Et puis nous vivons dans une époque où nous pouvons nous permettre de voyager dans un même album entre divers paysages musicaux. J’ai beaucoup aimé dans les années 80 des artistes qui savaient faire un album complet de Reggae, comme Gainsbourg ou Lavilliers. Mais à l’ère des compilations que les gens se font eux-mêmes, l’époque se prête plus facilement à pouvoir faire un album diversifié, intégrant des musiques orientales, est-européennes, jamaïcaines, de la Chanson française, du Rock… Les gens qui s’arrêtent à un seul genre musical sont rares. Et comme nous apprécions un éventail très large de musiques, suivant les aspirations du moment et nos émotions, on a simplement fait le pari que les gens étaient comme nous et que nous étions comme les gens. Et ça a pu faire naitre des métissages intéressants, comme « Un air d’accordéon » qui place un extrait de Chanson française sur une espèce de Tango-Hip Hop, avec la mandole qui donne un côté oriental. Et ça le fait !

 

IMGP3800Est-ce que l’alchimie fonctionne tout le temps ?

– Bien sûr que non ! Quand on se réunit pour créer des chansons, ça ne marche pas toujours du premier coup. Il y a des choses drôles, des ratés aussi. Mais comme on se connait bien et on arrive à se dire les choses, on parvient à avancer. Parfois on se couche avec l’idée qu’on a trouvé quelque chose de génial, et puis quand on réécoute le lendemain, on se dit : « Mais comment on a pu faire ça ??? », en se rendant compte qu’on s’est enflammés pour quelque chose de pas si bon. C’est ça aussi la création musicale, et c’est ce qui est bon avec la musique : on peut partir en vrille.

 

– Comment procédez-vous pour créer ?

– Généralement j’arrive avec une idée, un bout de refrain, un thème ou un axe, et c’est une création collective qui s’organise autour, avec des propositions d’autres mélodies, d’autres harmonies. J’apporte la première pierre, et on rentre dans un processus collectif.

 

IMGP3803– L’enregistrement des chansons précède-t-il toujours leur expression sur scène ?

– Cela nous arrive rarement de tester les chansons en public pour les modifier ou décider de leur existence sur disque ensuite. En général, nous créons les chansons, les enregistrons, et ensuite nous leur donnons une existence scénique. Ceci dit cela nous arrive parfois de temps en temps, car nous jouons encore parfois dans des bars ou des petits lieux plus intimes qui se prêtent à ce genre de processus de création. Mais pour nous, les sorties d’albums précèdent les tournées, car ces dernières sont légitimées par le fait qu’un disque est sorti ; c’est avec cet argument qu’on trouve des dates. Donc même si j’aime bien cette idée de faire un tour de chant et enregistrer ensuite, c’est très compliqué aujourd’hui, parce que si le groupe n’a pas d’actualité, il trouve beaucoup moins de dates pour être programmé. C’est une réalité économique pragmatique.

 

– Prépares-tu les albums à venir durant les tournées en cours ?

– J’écris souvent à l’avance effectivement. Bien sûr, je ne réfléchis pas en termes de création d’album, mais les chansons me viennent quand elles veulent, donc j’en ai toujours qui s’écrivent par exemple durant la tournée avant un prochain disque. Quand une chanson frappe à la porte, on le la laisse pas dehors : quand c’est l’heure, c’est l’heure ! J’aime bien laisser incuber une idée, la mûrir, sans me précipiter sur l’écriture, et la laisser arriver quand elle est prête.

– Vous avez une originalité, en tant que groupe musical : la présence au sein de l’ensemble d’un comédien, -qui soit dit en passant participe énormément à donner de vous une image de troupe de saltimbanques-. Comment s’est décidée son intégration ?

IMGP3814– Saïd m’avait embarqué dans quelques histoires de théâtre il y une dizaine d’années, et je lui avais alors promis qu’un jour, à mon tour, je l’entraînerais dans une aventure musicale. Et ça a été celle là ! Au départ, ce n’était pas évident pour lui, car c’est un univers très différent du théâtre. Mais il est si mélomane et aime tellement la musique qu’il s’est engagé. En plus c’est une aventure qui dure et marche, donc il a changé de métier. Bien sûr il continue de faire du théâtre à côté, mais son activité principale, il l’exerce désormais parmi les Saltimbanks.

 

 

 

– Vos albums recèlent toujours des collaborations bienvenues. Comment naissent-elles?

– Les collaborations naissent de rencontres faites au gré du hasard. On a déjà essayé de contacter des artistes un peu connus que nous appréciions pour proposer des duos. Mais ça n’a pas donné grand-chose, car ils manquent souvent de temps. On s’est finalement dit que si des collaborations devaient avoir lieu, elles se feraient d’elle mêmes, selon les rencontres et les occasions de partager quelque chose. Si on sent qu’on a quelque chose à raconter ensemble avec un artiste, on prend la plume à deux, comme lorsqu’on a créé la chanson « L’étranger » avec Flavia Coelho. Elle est étrangère, et moi, fils d’immigré. Donc nous avions cette histoire à raconter ensemble. Leon Casanova est né et a grandi au Chili, où il a fait partie des artistes persécutés et emprisonnés sous le régime de Pinochet. Tout ce qu’il raconte a du poids, de la force et du sens. L’humain, l’artiste et son histoire m’ont beaucoup marqués quand je l’ai rencontré. On s’était toujours dit que si nous avions un jour une chanson qui lui convienne, on lui proposerait. Et ça a été le cas par deux fois déjà, d’abord sur le premier album, et puis maintenant avec « Para cuando la vida ? ». Ce fut un plaisir de remettre le couvert avec lui !

– Une de vos chansons, « On lâche rien » a connu un destin exceptionnel et risque bien de rester pour la postérité parmi ces titres devenus des hymnes du patrimoine populaire, dont on se souvient longtemps après avoir oublié le nom de leur créateur. Qu’en ressentez-vous : sentiment de dépossession ou fierté ?

– Dépossédés de cette chanson, c’est sûr qu’on l’est ! J’ai une pléiade d’anecdotes au sujet de cette chanson. Un jour à la fin d’un concert, un spectateur est venu nous voir, qui ne connaissait pas le groupe pour nous dire combien il avait apprécié notre reprise d’ «On lâche rien ». Il ne voulait pas croire que c’était notre chanson. Un ami marocain m’a raconté qu’en rentrant au pays, quand ses cousins lui ont demandé ce qu’il y avait comme bon groupe à écouter en France et qu’il nous a cités, eux lui ont répondu qu’ils ne connaissaient pas HK et Les Saltimbanks, mais par contre ils connaissaient « On lâche rien ». Le titre a été repris en Japonais et d’autres langues, diffusé aussi au Québec pendant le printemps étudiant, si bien que quand nous l’avons jouée là-bas à la fin d’un concert à Montréal pendant le festival des nuits d’Afrique, le public chantait la chanson par cœur ! On a beau le savoir, le vivre, c’est autre chose. Cette chanson est un peu comme un enfant qui est devenu adulte et est parti voyager à travers le monde. Et périodiquement, des gens d’un peu partout t’envoient des photos de lui avec eux. Donc on reçoit des nouvelles de notre chanson et de ses voyages. Elle a également été reprise au cinéma dans le film « La vie d’Adèle », palme d’or. Et tout ce chemin s’est fait sans nous ! Elle ne nous appartient plus. Au fond peut-être est-ce notre destinée : qu’on ne se souvienne plus du groupe, mais que la chanson reste dans les mémoires. Ce serait un sacré pied de nez, parce qu’il est vrai que médiatiquement, nous avons beaucoup de mal à exister.

 

IMGP3817  – Les media vous boycotteraient-ils ?

– Oui. C’est dommage pour nous, certes. Mais c’est dramatique pour l’époque, car ça témoigne d’une inadéquation entre les goûts des gens et le rôle des media. Nous avons quand même un public fidèle fédéré autour de nous depuis plusieurs années, notre musique voyage et représente plein de choses pour pas mal de gens, nous vendons des disques, enfin il se passe quelque chose autour du groupe. Et pourtant à chaque sortie de disque, on se confronte à un mur médiatique. Aucun media ne veut nous diffuser. On a l’impression qu’aujourd’hui en France, il y a un monde réel, celui des gens par qui on arrive à exister –et d’une certaine manière, on peut remercier les réseaux sociaux par le biais desquels on réussit à relayer ce qu’on fait-, et le monde des professionnels de la musique, directeurs de label, programmateurs de festival, animateurs de radio qui nous ignorent totalement. Même France Inter, qui encore il y a 4 ans diffusait des émissions où pouvaient s’exprimer et être découverts des tas de petits groupes et des artistes alternatifs, ne s’investit plus pour jouer ce rôle. Toutes les émissions comme « Sous les étoiles exactement » ont été supprimées. On a été signés une seule fois en édition chez Universal, mais ils n’ont jamais réussi à nous faire signer sur un label. Puis un terme a été mis à cette collaboration, et aucun label ne s’est jamais intéressé à nous. Donc nous nous débrouillons en autoproduction depuis nos débuts, avec le même tourneur, Stéphane de Blueline, qui est notre seul partenaire. Les gros festivals nous snobent, hormis la Fête de l’Huma et Solidays, qui sont les deux principaux festivals militants, on va dire « de gauche ». Les professionnels de l’industrie musicale nous négligent. Mais au final, eux aussi sont devenus négligeables, car on parvient à exister sans eux et sortir un album sans compter sur leur soutien. On vit dans deux mondes totalement différents. Nous ne cherchons même plus à aller vers ces professionnels, car nous savons à présent quand nous sortons un disque, qu’il va se vendre et que les gens viendront nous voir en concert.

– Et vous n’êtes pas un cas isolé. De plus en plus d’artistes vivent en court-circuitant ces intermédiaires, pour vendre directement à leur public, parfois même se faire financer par lui. N’est-ce pas le début de la fin d’un système classique ?

– L e fait est qu’à moment donné le système médiatique s’est mis à penser que c’est lui qui fait la pluie et le beau temps. Outre le fait qu’on ne nous programme jamais en radio, il faut voir les remarques méprisantes qu’on essuie de la part des professionnels. Mais nous sommes de moins en moins dépendants d’eux, même s’il faut reconnaître honnêtement que lors de la sortie de notre premier album, sans media, la diffusion aurait été compliquée. Néanmoins, à présent, on existe sans ça. Et en plus, nous avons cette particularité que n’ont pas certains artistes médiatisés à outrance qui est que nos albums ne se vendent pas sur un ou deux mois, mais sur plusieurs années. On vend encore chaque semaine à la Fnac des exemplaires de notre premier album, 5 ans après sa sortie. Résultat, au bout de toutes ces années, on va approcher les 30000 exemplaires vendus sur le premier album, 20000 pour le second et le troisième pour l’instant s’est écoulé à plus de 5000. C’est une petite PME qui fonctionne indépendamment. Le problème est que les grands media, eux, n’existent que par la dépendance qu’on a vis-à-vis d’eux. Ils se sont acharnés à programmer des artistes qui n’ont connu aucun succès ou n’ont pas duré, et en ont obstinément snobé d’autres, qui existent sans eux. De ce fait les media ont perdu toute crédibilité et semblent de plus en plus inutiles aux artistes. Aujourd’hui les radios sont soumises au même schéma systématique des labels qui imposent leurs artistes ; il n’y a plus de place pour les alternatifs comme nous. Et en même temps, les alternatifs ne sont pas des gens qui vont se laisser mourir. Donc ils créent de nouveaux espaces, se développent grâce aux réseaux sociaux, et aussi, il faut le dire, aux changements d’habitudes du public, qui n’attend plus qu’on lui livre via les radios du prêt à écouter, mais prend l’initiative de plus en plus d’aller découvrir, soit en concert, soit sur internet, de nouveaux artistes. Comme et le public et les artistes se passent des media, on trouve finalement toujours moyen d’exister en marge. La mauvaise herbe pousse partout ! Donc de toute façon, elle trouvera toujours moyen de pousser, même si elle prend du temps à traverser la chape de béton. Pour ce qui nous concerne, il y a toujours des gens à nos concerts. Par exemple le 31 mai prochain, nous jouerons au Trianon, et les dernières places sont en train d’être vendues.

– En tant qu’artiste engagé, comment envisages-tu l’avenir politique, à l’heure où on se désole du désinvestissement des Français ?

– C’est-à-dire qu’il va falloir reconsidérer les choses. La politique aujourd’hui en France ne peut plus se vivre comme avant. Adhérer à un parti qui est vieux de 30, 40 ou 50 ans, ou même à un nouveau, mais créé avec toujours les mêmes personnes et les mêmes schémas qui sont nés dans et ont prospéré grâce au système, ne convainc plus grand monde. Les gens peuvent se réintéresser au fait politique à partir du moment où ils sentent que ce combat n’est pas usurpé, et qu’ils sont maîtres de quelque chose. On le voit en Espagne et en Grèce. Il va falloir que les partis existants, même ceux dont je peux me sentir proche idéologiquement, reconsidèrent la question et comprennent qu’ils doivent faire de l’espace et cesser de consommer l’oxygène. Il n’y a que comme ça que les gens vont reprendre le goût de s’investir, s’organiser et faire émerger une manière différente de faire de la politique. Le problème principal aujourd’hui est le retour à la démocratie réelle. La 6ème république est un concept qui me parle. Bien sûr, il faut voir comment et avec qui on va la faire. Nous sommes actuellement dans un régime gouverné par la sphère des intérêts privés et non dans une république d’intérêts commun. Nous avons élu un gouvernement de gauche et quoi ? Il est parti faire la guerre et vendre des rafales, en baissant les budgets de l’éducation, de la culture et de l’art, augmentant ceux de l’armée et produisant des lois liberticides, et j’en passe… A court terme, le constat est dur et amer, mais je pense que de toute façon des choses vont naitre de cela. C’est de ces périodes sombres que les espoirs renaissent. Donc à nous d’être inventifs et créatifs. A partir du moment où on s’autorisera à prendre des chemins de traverse et penser par nous-mêmes, plein de choses vont pouvoir émerger, se créer, s’agréger les unes aux autres et s’agrémenter. Il ne faut pas fonder un parti, mais créer les conditions pour que les choses bougent et faire confiance aux gens, aux talents, aux envies, aux engagements des uns et des autres, aux volontés de faire converger toutes les initiatives locales associatives. C’est ce qui entraînera un changement global.

 

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Miren Funke

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HK ET LES SALTIMBANKS,

3 Sep

hk 1Passeurs de rêves, mais aussi de vérités.

Album « LES TEMPS MODERNES »

Ils marchent dans l’horreur, la tête dans des îles

où n’abordent jamais  les âmes des bourreaux

chantait Léo Ferré dans son hymne « Les  poètes ». Lors de la reformation du groupe Zebda, le chanteur Magid Cherfi évoquait cette même image pour exprimer ce que représente l’univers de son groupe pour lui: une île hors d’atteinte, qui échappe aux conditionnements et à l’emprise des ordres établis, lieu idyllique né de l’imagination, où on se retrouve entre copains, pour y respirer, de poésie, de rêves et d’espérances.
Eh bien, en voilà d’autres qui ont su s’inventer leur île, et dont la poésie, étoffe sa dimension, avec ce dernier album en date, « Les temps Modernes », ainsi nommé en référence au film de Chaplin: HK et les Saltimbanks réitèrent leur invitation au voyage imaginaire (ou pas) précédemment lancée dans un premier double album « Citoyens du Monde ».
Ne connaissant de ce groupe que quelques refrains, aux airs de slogans révolutionnaires, entendus en manifestation, un cliché réducteur m’en avait jusqu’ici donné l’image d’une formation « bon enfant » distillant des textes contestataires sur une espèce de «melting pot» musical ska-rock-rap festif et très entrainant, mais peut-être manquant de subtilité et de profondeur. Grave méprise !
hk 2Si l’ambiance générale qui se dégage de cet album est, sans trahir nos attentes, celle d’un concentré antidépresseur, où critique politique et militantisme se chantent et se dansent dans une bonne humeur vitaminée, l’écriture se révèle d’une intelligence et d’une finesse remarquables. Ces dernières chansons donnent plus précisément la mesure de la curiosité des autres, et du goût de l’instruction et de la culture qui ont dû, de longue haleine, animer le chanteur et parolier, Kaddour Haddadi (dit  « HK », ancien membre du «M.A.P.» -Ministère des Affaires Populaires), pour aboutir à ces textes finement référencés, dans lesquels la pertinence des analyses et la profondeur des réflexions s’adjoignent un sens de la dérision tout en légèreté: tantôt chanteur, tantôt slameur ou rappeur, HK dit ses quatre vérités à la société moderne avec poésie, humour et subtilité.
Bien sur «Les Temps Modernes» creuse le sillon défriché par le précédent album, essentiellement écrit dans un esprit nomade et alter mondialiste.
Néanmoins la variété des thèmes abordés élargie les horizons et diversifie également les genres musicaux auxquels le groupe emprunte.Et si l’on ne peut s’empêcher de rire, à l’écoute de certains propos d’un réalisme ironique très mordant («Hold Up» qui dénonce le pillage du pays par l’élite politique, ou encore «Pas d’panik»), la gravité à laquelle nous ramène la chanson «Indignez vous», référence au manifeste de Stéphane Hessel, sonne fort juste. L’hommage  est très émouvant. Et l’on découvre HK et les Saltimbanks non seulement passeurs de rêves, mais aussi passeurs de graves vérités.
Conscients d’être citoyens de l’Humanité, comme en témoigne la complainte «Toute mon vie» pour laquelle le chanteur se glisse dans la peau d’un travailleur antillais, HK et les Saltimbanks nous embarquent dans un voyage multiculturel et polyglotte (Français, Arabe, Anglais, Créole, Espagnol et même Chtimi), au cours duquel on passe d’odes à la liberté et à la vie de Bohème («Mon printemps, ma liberté» – autre hommage aux récentes révolutions populaires arabes avec «Mon printemps en hiver»-, «Sous les pavés, la Bohème», «Nos révoltes, nos rêves», «C’est pas fini») à l’abord de sujets plus politiques, tels la dénonciation de l’impérialisme guerrier aux relents de croisade  religieuse («C’est la guerre»), ou la satire du racisme ordinaire («L’Etranger» en duo avec Flavia Coelho).
On trouve aussi sur l’album quelques reprises de bon goût («We shall overcome», et «Amsterdam» de Brel, arrangée et réinterprétée à la sauce maison), sans oublier un titre fantôme après la dernière plage, qui s’amorce comme un clin d’œil à « L’Auvergnat » de Brassens. D’ailleurs, comme sur le précédent album, qui comportait un sample d’ « Un air d’accordéon» de Lucienne Delyle, plusieurs titres sont saupoudrés de clins d’œil aux classiques de la chanson francophone («Emporté par la foule», «Travailler c’est trop dur»), rappelant que cet héritage là aussi nourrit la musique d’HK et les Saltimbanks.
HK CD 3L’univers musical du groupe s’abreuve donc pour bonne part d’influences folkloriques internationales (musiques traditionnelles arabes, hispaniques, ska), mais aussi de chanson française, le tout métissé de soul, de funk, de rap, et mis à jour au goût d’un esprit rock festif, sur lequel le groove vocal du chanteur glisse avec aisance (et pour ma part me rappelle un peu celui d’Anis). Bien sur, le groupe, qui comme par le passé ne refuse pas la collaboration de copains artistes (Karimouche, Souad Massi, Flavia Coelho et bien sur le M.A.P.), revendique une identité de saltimbanque, mais ne nous méprenons pas : sous des airs de pitres, qui ne sont pas sans rappeler la tradition des chansonniers français, officient des musiciens rigoureux, dont la qualité de jeu est incontestable, et que le mix de l’enregistrement met parfaitement en valeur. C’est carré, bien joué, bien produit. Ce qui ne semble rien enlever à la sincérité des propos. Embarquons !

Miren

Et un peu de musique avec cet extrait (avec Karimouche)     http://www.youtube.com/watch?v=ewWUY4BrqUs

et n’oubliez pas la visite, c’est gratuit, et c’est ICI . http://www.saltimbanks.fr/