Samedi 16 mai dernier, c’est sous le chapiteau de la Fête de l’Humanité de Bordeaux que le groupe HK et Les Saltimbanks venait partager ses chansons et son univers avec le public, tout au long d’un concert de près de deux heures. Une halte évidente, au cours de la tournée de présentation du troisième album « Rallumeurs d’étoiles », pour la sympathique troupe qui depuis plus de 5 ans, de concert en concert, sème sa poésie engagée et engageante avec un esprit festif et populaire. Utopie militante, mais surtout militantisme de l’utopie, la musique d’HK et Les Saltimbanks, métissage jouissif empruntant à divers genres musicaux, dans lequel s’exprime le propos de Kaddour Hadadi, dit HK, tour à tour chanteur, rappeur et slameur, et toujours amoureux de la vie et des justes causes, a agité la soirée, et, à en juger par les sourires sur les visages et les scintillements dans les regards, dispersé et propagé quelques étincelles. De celles qui rallument les étoiles justement.
Quelques jours plus tard, un rendez-vous à Bergerac avec le chanteur nous donne l’occasion de refaire quelques pas dans la charmante cité périgourdine et de lui poser quelques questions.
– HK, bonjour et merci d’avoir accepté cet entretien. Vous venez de jouer à la fête de l’Huma. Dans quel état d’esprit abordez-vous la tournée?
– En fait, on a commencé la tournée le 17 avril, un peu avant la fête de l’Huma, à Strasbourg, quasiment à la veille de la sortie de notre album. Donc on avait déjà enchaîné quelques concerts et c’était agréable de jouer pour la fête de l’Huma, devant un public de gens avec qui nous sommes sur la même longueur d’onde, comme le dit notre chanson. Les gens présents partagent déjà nos idées ; on se comprend. Donc ça facilite en quelque sorte notre spectacle, puisque nous n’avons pas à convaincre les gens. En règle générale nous abordons les concerts avec toujours cette double démarche d’inviter les gens à entrer dans notre univers, les faire adhérer à nos idéaux, puis de danser et faire la fête dessus. Lors de concerts pour des soirées militantes comme celle là, où les gens sont déjà acquis à nos idées, on peut faire directement la fête ! Le contenu nous conforte et nous donne du cœur à l’ouvrage. Y avait pas mal de monde, et c’était une belle soirée, qui nous a comblés. On repart jeudi pour enchainer 4 dates et puis il y aura deux concerts importants pour nous : à la maison, c’est-à-dire à Lille, dans la région qui nous a vus naître, et les 29 et 30 mai à Paris. S’en suivront plusieurs autres dates.
– Vous avez également joué en Afrique du Nord. Comment avez-vous vécu cette expérience ?
– Tunis était en quelque sorte le point de départ symbolique de la tournée, même si elle avait débuté avant. Nous avions déjà joué par le passé en Algérie et au Maroc, mais jamais encore en Tunisie. Le concert a eu lieu pendant le forum social mondial, juste après les attentats ; c’était donc dans un contexte très particulier et à l’occasion de débats autour d’une question en adéquation avec nos aspirations internationalistes et altermondialistes. Je parle d’un altermondialisme de bon sens, parce que ça devient de plus en plus évident que tout va de travers partout et de plus en plus de gens s’en préoccupent, et pas des gens qui sont nécessairement issus d’un milieu engagé et militant ou qui ont reçu une instruction politique, mais des gens qui se rendent compte des absurdités du « consommationisme » -c’est un mot nouveau, mais qui prend du sens à l’heure où on exige de nous que nous ne soyons plus que des consommateurs- : il faut consommer matin, midi et soir, pour satisfaire la sacro-sainte croissance. Il y a trois grandes tyrannies qui oppressent nos sociétés aujourd’hui : cette logique qui vise à transformer les humains et citoyens en seuls consommateurs, les fondamentalismes, notamment religieux et le terrorisme qu’ils impliquent, et enfin les xénophobies et replis identitaires nationaux ou autres. Pour moi, fondamentalisme et xénophobie sont les deux faces de la même pièce ; ce sont les croisés des temps modernes qui essayent de convaincre le monde qu’on ne peut pas vivre les uns avec les autres, que nos cultures sont incompatibles et qu’on doit forcément être en guerre.
C’est un peu pour cela qu’on a appelé l’album « Rallumeurs d’étoiles » : cette image est née de la question de savoir comment, malgré ces obscurantismes, on peut arriver à éviter les pièges pour suivre notre chemin propre et pouvoir choisir librement où on veut aller et avec qui.
– L’expression était déjà présente dans votre chanson hommage à Stéphane Hessel «Indignez-vous !» («Il est grand temps, mes amis, de rallumer enfin les étoiles»). Est-ce une référence ouverte au poème de Guillaume Apollinaire ?
– Oui. Cette phrase, nous la devons à Stéphane Hessel que nous avons rencontré plusieurs fois. On a vu en lui le poète, enfin le féru de poésie. Mais il devait lui-même être un peu poète ; je suis sûr qu’il a dû écrire certaines choses qu’il n’a jamais divulguées. Il adorait Apollinaire et terminait souvent ses conférences par un vers de poésie. Quand on a créé la chanson en son hommage, on s’est dit que ce vers-là lui collait naturellement à la peau et qu’il se devait d’être dans la chanson. Et cela m’a donné des idées pour ce nouvel album, qui est un peu aussi une continuité de l’histoire d’ «Indignez-vous !». D’ailleurs le livre Indignez-vous ! ne pouvait être qu’un point de départ, et Stéphane Hessel le présentait comme cela aussi. Bien sûr il faut s’indigner. Mais après que fait-on ? Est-ce qu’on tombe dans le pessimisme, la négativité, une forme de radicalisme ? Ou est-ce qu’on s’arme d’utopie, s’inspire de toutes ces ondes positives qu’il pouvait porter, de tout cet imaginaire que la poésie offre et on essaye d’aller « rallumer les étoiles » ? L’idée de l’album était de rendre hommage à tous ceux qui, chaque jour dans le monde, à leur manière et leur échelle, par un acte, un sourire, une parole, un engagement rallument une petite étoile au dessus d’eux, pour que la somme de ces étoiles forme une constellation.
– Comment aviez-vous rencontré le monsieur ?
– On l’a rencontré autour d’un débat sur la commémoration de l’exode palestinien de 1948, lorsque les Palestiniens ont été chassés de leurs maisons et se sont installés dans des camps de fortune. Eux appellent cela la « an-nakbah », la « catastrophe », qui coïncide avec la promulgation de l’état d’Israël. Ce qui fut in bienfait pour les uns a été une catastrophe pour les autres ; comme dit le proverbe, le bonheur des uns fait parfois le malheur des autres. Stéphane Hessel venait animer le débat et la conférence, et nous assurions le concert qui suivait. Pendant les balances, on a vu un petit bonhomme âgé se rapprocher de nous, léger et sautillant, très guilleret. Il est venu se présenter comme un ami de la Palestine qui participait au débat et souhaitait nous saluer. Un des potes, pour le « chambrer » lui a alors dit « mais vous ne savez même pas qui ont est ! ». Il a répondu « mais si ! Vous êtes HK Saltimbanks ! ». On était cloués. Puis nous nous sommes renseignés sur lui, sa vie, son œuvre, et nous avons écouté sa conférence. Il avait toujours ce ton léger, mais cette précision, cette lucidité, et ce don d’éclairer les gens, avec sa voix calme et posée. Et dès qu’il se mettait à parler, tout le monde se taisait et écoutait. Il nous a beaucoup impressionnés. Puis nous l’avons recroisé plusieurs fois, pas toujours autour de la question palestinienne. Il a aussi participé à des rencontres avec des collégiens en Normandie pour des journées de commémoration de la Résistance, qui étaient organisées de la même façon, c’est-à-dire avec des conférences et débats avec lui et un concert de nous ensuite. Un jour pour une soirée de soutien à l’Huma, une journaliste m’a demandé de faire une lecture en Slam d’un texte de Stéphane Hessel en sa présence, avec même peut-être sa participation. Je m’en sentais honoré ; j’ai donc parcouru le texte de son livre Indignez-vous ! . Mais j’étais un peu embêté, car le texte, qui se présente un pu sous la forme d’entretiens, ne se prêtait pas à une lecture en Slam, malgré quelques phrases choc. Cela ne me semblait pas très cohérent de le présenter en Slam. En revanche, j’avais envie d’écrire une chanson en hommage à ce livre et au bonhomme. C’est ainsi qu’est née la chanson « Indignez-vous ! ». Malheureusement Stéphane Hessel n’a pas pu venir l’écouter à cette soirée. Mais quelques temps après, des amis lui ont montré le clip réalisé par des malentendants et l’ont filmé en train de regarder ce clip. Il nous a laissé un message ému sur le blog. Pour nous, ça a été un formidable encouragement.
– A propos de la chanson « Rallumeurs d’étoiles » présente sur ce dernier album, d’où est venue l’idée de faire chanter vos enfants sur le titre ?
– Quand la chanson a été écrite, on la trouvait métaphorique, onirique, avec un côté « petit prince », qui déstabilisait les musiciens. La chanson nous plaisait, mais elle dénotait quelque peu avec le reste des titres de l’album. Elle est plus abstraite, et on ne comprend pas tout de suite l’univers de la chanson. Un des potes a dit qu’il faudrait, pour pouvoir rentrer plus directement dans le morceau, qu’on ait les clés plus vite, comme si des enfants chantaient le refrain par exemple. Donc chacun en rentrant chez lui a enregistré ses enfants avec ce qu’il avait sous la main comme matériel, et envoyé ça à l’ingénieur du son qui a procédé au montage de cette chorale de « Rallumeurs d’étoiles ». Quand on a l’a écouté, ça nous a paru évident que c’est ce qui manquait à cette chanson. Elle avait pris soudain une autre dimension, plus candide. Pourtant au début, j’étais réticent à l’idée ; je ne suis pas trop partisan de ce genre de choses. Mais le fait est que cette chanson s’y prête pleinement, car c’est ce qu’elle raconte. En plus ce sont nos enfants, donc ça traduit pour nous aussi l’idée d’un message ou d’un héritage qu’on veut léguer. Parce que finalement, les « Rallumeurs » seront sans doute nos enfants ; nous partons de tellement loin, que ce seront probablement les générations futures qui pourront vraiment rallumer les étoiles. C’est ce qu’on a envie de leur transmettre, afin qu’ils sachent faire ce que nous n’avons pas su faire dans le monde tel qu’il est. On regarde nos enfants, en pensant « ben y aura du boulot pour vous ! ».
– Il y avait eu très peu de temps écoulé entre les sorties des deux premier albums, qui comprenaient chacun beaucoup de titres. Le troisième arrive après une plus longue pause. Pourquoi ?
– Le premier album « Citoyen du Monde » contient beaucoup de chansons, car j’avais, avant de former le groupe, accumulé des textes écrits sur les routes, durant les tournées avec mon précédent groupe, le Ministère des Affaires Populaires (M.A.P), et ces chansons en devenir attendaient dans un tiroir. Nous voulions toutes les enregistrer, donc ce premier disque est chargé. Puis le second « Les temps Modernes » a encore accueilli certaines de ces chansons qui n’étaient pas rentrées sur le premier album. Pas parce qu’elles étaient moins bonnes, mais pour ne pas faire de doublons avec certaines autres déjà enregistrées sur le premier disque. Ceci explique que très peu de temps se soit écoulé entre les deux premiers albums et qu’on entende une cohérence évidente, un peu comme si l’un était le prolongement de l’autre, sa suite logique. Par la suite, j’ai eu besoin de retrouver des sources d’inspiration avant de me remettre à écrire. Car pour moi, l’inspiration naît des rencontres, des voyages, du hasard. Je ne souhaitais pas tourner en rond en épuisant toujours les mêmes thèmes. Donc nous nous sommes accordé une pause de deux ans.
– Peut-être aviez-vous aussi des projets personnels parallèles, comme les livres que tu as écrits ?
– Non, pas vraiment. Ou secondaires, mais c’était surtout des prétextes. La première exigence était de prendre le temps de trouver des histoires à raconter, et surtout des angles pour les aborder. Les choses à raconter, il y en a des milliers. Mais trouver un angle intéressant et original pour en parler, c’est ça qui redonne envie de reprendre la plume. En outre, plus on avance dans l’âge, plus il devient difficile d’écrire. On a moins de fraîcheur, sans doute aussi plus d’exigence littéraire et technique, et puis on a déjà raconté pas mal de choses. J’en ai profité pour écrire deux bouquins, J’écris, donc j’existe et Neapolis, ce qui était un exercice nouveau pour moi. Et la nouveauté exalte l’énergie, puisqu’elle n’a pas de côté fastidieux. C’est une forme d’écriture différente de celle des chansons –ce serait comme comparer un marathon et un cent mètres- . Malgré tout, je l’ai vécu comme un prolongement de ce que je fais en musique. Mon premier livre, autobiographique, avait pour but de témoigner d’un parcours dans l’écriture. D’un point de vue scolaire, même si j’aimais la littérature, je n’ai jamais excellé en cours. Comme j’ai écrit dans mon livre, avec mes enseignants, on n’a jamais réussi à « établir une communication bilatérale simultanée ». La formule comprend un petit trait d’humour, mais ça signifie en gros qu’on n’a jamais su se comprendre. Il y a quelque chose qui ne s’est pas passé à l’école. Mais j’ai appris à aimer les mots par le biais de la musique et de l’écriture. Et au fil de ces 20 dernières années de parcours, j’ai pu développer un amour du mot, des techniques d’écriture, et un bagage culturel. Je n’ai jamais été un grand lecteur de littérature ; en revanche la poésie me passionne. Et puis ma culture première c’est la Chanson française, le Rap, le Reggae… Donc le livre a pour objet de témoigner d’un parcours personnel qui me conduit finalement au même point de chute, avec peut-être quelque chose en plus, qui est la passion. Quand on a la passion pour l’écriture, on travaille sans en avoir l’impression, parce qu’on le fait par plaisir. Par exemple, si je veux écrire une chanson sur la guerre, je vais aller fouiller chez les poètes qui ont écrit sur le sujet, comme Victor Hugo, et je peux passer des nuits entières à écumer les poèmes des autres. On est comme un chercheur curieux.
Et puis je viens du Hip Hop, et de cette formation, j’ai gardé plusieurs choses. D’abord je n’ai pas abandonné cette façon de m’exprimer –il y a toujours des chansons en Rap sur nos albums-, car c’est un art que j’aime, qui a souvent été dénigré, qui a subi beaucoup d’a priori. Ensuite j’ai gardé la philosophie initiale du mouvement, qu’on oublie souvent en France : « peace, unity, love and having fun ». L’idée était de transformer l’énergie négative en énergie positive. Et dans tout ce que je fais aujourd’hui, je reste empreint de cette culture-là. Enfin, j’en ai gardé la culture du sample, parce que le Hip Hop, c’était ça. Et cela m’a nourri d’une curiosité folle, parce que je pouvais passer des heures à fouiller la collection de vinyles de mes grands frères et sœurs, qui allait de la bande originale de « Shaft » aux Beatles en passant par Otis Redding, Edith Piaf , Charles Aznavour, Bob Marley, pour trouver le riff, la note, le son, la boucle, le refrain à récupérer. Quand on reprend un sample d’un artiste, nécessairement on ne peut que respecter cet artiste à la base. Et on tombe sur des choses qui nous marquent. La culture du sample, ce n’est pas un détournement. C’est presque redonner une deuxième vie improbable et inattendue à une chanson.
– Inattendue ? Oui. Probablement que Lucienne Delyle ne s’attendait pas à être reprise en 2009 dans une chanson de Rap…
– Exactement ! Quand on a repris le refrain d’ « Un air d’accordéon », la plupart des gens pensait que c’était un sample de Piaf. Pour moi ce refrain contient une nostalgie très intense, même si dans le reste de la chanson, Lucienne Delyle raconte des choses assez légères. On sent une profondeur dans ce refrain et son interprétation, qui en plus ne résonne pas de la même manière en nous, avec nos références d’aujourd’hui. Ce refrain a un parfum, une odeur, comme un air un peu mystique, à la manière d’un fantôme qui vient et parle à la chanteuse, danse avec elle, puis s’en va. Il m’évoquait l’image de cette femme prostrée seule devant sa fenêtre à attendre que cet air lui revienne. Alors cette histoire m’est venue, et j’ai voulu la raconter. On a fait ça aussi sur le deuxième album avec un sample d’une chanson de la grande chanteuse libanaise Fairouz, « Habbeytak Bessayf »,
dont on a repris un refrain pour la chanson « Mon printemps en hiver ». Sa chanson dit « je t’ai aimé en hiver, je t’ai aimé en été, je t’ai attendu en hiver, je tai attendu en été ». Et au moment du printemps arabe, nous avons créé « Mon printemps en hiver » en jouant de cette parabole, comme si c’était la liberté qui s’adresse à un peuple prisonnier. J’aime cette idée de détournement qui est aussi un hommage, et la naissance d’une autre histoire qui donne une seconde vie à la chanson : c’est s’accrocher à un élément d’une histoire pour en raconter une autre. La chanson « Mister Juke » sur notre dernier album est née du même principe, à partir d’un tube des années 50, chanté par Theresa Brewer, « Music, music, music », qui avait également été repris par Ray Charles. C’est mon bassiste qui m’a fait connaitre cette chanson, et je l’ai trouvée géniale, avec cette expression particulière de « nickel » pour parler de la pièce de monnaie que l’on introduit dans le jukebox. Il faut être sacrément anglophone ou familier de l’expression pour comprendre. En l’écoutant, ça a résonné en moi, et j’ai vu à quelle histoire cela pouvait mener : celle d’un vieux jukebox délaissé et mis au rebus dans un grenier, à l’aube de la modernité, qui narre son histoire. C’est un angle singulier, car quand on explique que c’est le jukebox qui s’exprime, tout devient clair, mais à la première écoute, on ne devine pas forcément qui est le narrateur. Et puis c’est vrai qu’on aime cette époque de la musique, où tout était gravé sur vinyle avec ce son si particulier.
– Comment est née ta passion pour la musique ? Y a-t-il des musiciens dans la famille ?
– Pas vraiment de musiciens, au sens de professionnellement formés par une école. Mais ma grande sœur grattait ; mon frère jouait du saxophone. Tous deux, bien qu’autodidactes, étaient des mélomanes invétérés. Ce sont eux qui m’ont transmis le virus ! J’ai débuté par le Hip Hop, des petits groupes, concerts de quartier… Et au fil des rencontres, la curiosité s’est développée et la passion s’est invitée. Je n’ai jamais été un puriste, même dans le Hip Hop. J’adore les rencontres, et le fait de croiser les cultures et influences. J’aime cette idée de toujours additionner et ne jamais retrancher.
– D’où t’est venu le besoin de former un autre groupe, à la suite du M.A.P ?
– Notre métier, c’est créer des chansons. A partir de là, il n’y a rien de pire que de garder des chansons dans un tiroir et ne pas pouvoir les exprimer. Et je traînais avec moi des chansons qui ne s’inséraient pas dans l’univers du M.A.P. Il suffit d’écouter les deux groupes pour savoir que ce sont deux univers sur le fond très proches, mais dans la forme bien différents. C’était simplement une autre histoire artistique qui démarrait pour mon écriture ; cette nouvelle aventure était là, de côté, et un jour j’ai trouvé le prétexte pour la débuter, avec Jeoffrey Arnone, qui était déjà accordéoniste dans le M.A.P et quelques autres musiciens, tous des potes de Roubaix, comme nous : Meddhy Ziouche (mandole), Jimmy Lo (guitare), Seb-Big Cat (batterie), Eric Janson (basse) et Saïd Zarouri (comédien). Cela me chatouillait de pouvoir donner vie à ses chansons. Laisser des chansons comme « Citoyen du Monde » ou « On lâche rien » dans un tiroir, ce n’était pas possible. C’était sûr qu’un jour, elles sortiraient. Et en 2009, c’est devenu évident et imminent. Nous voulions faire la musique qu’on aime, sans viser de genre particulier, mais avec des musiciens provenant d’horizons assez différents et éclectiques. Et mes musiciens sont d’un éclectisme sans borne, d’une ouverture d’esprit et d’un talent technique important. Donc ils savent jouer ensemble de façon cohérente et sincère beaucoup de choses. Et puis nous vivons dans une époque où nous pouvons nous permettre de voyager dans un même album entre divers paysages musicaux. J’ai beaucoup aimé dans les années 80 des artistes qui savaient faire un album complet de Reggae, comme Gainsbourg ou Lavilliers. Mais à l’ère des compilations que les gens se font eux-mêmes, l’époque se prête plus facilement à pouvoir faire un album diversifié, intégrant des musiques orientales, est-européennes, jamaïcaines, de la Chanson française, du Rock… Les gens qui s’arrêtent à un seul genre musical sont rares. Et comme nous apprécions un éventail très large de musiques, suivant les aspirations du moment et nos émotions, on a simplement fait le pari que les gens étaient comme nous et que nous étions comme les gens. Et ça a pu faire naitre des métissages intéressants, comme « Un air d’accordéon » qui place un extrait de Chanson française sur une espèce de Tango-Hip Hop, avec la mandole qui donne un côté oriental. Et ça le fait !
– Est-ce que l’alchimie fonctionne tout le temps ?
– Bien sûr que non ! Quand on se réunit pour créer des chansons, ça ne marche pas toujours du premier coup. Il y a des choses drôles, des ratés aussi. Mais comme on se connait bien et on arrive à se dire les choses, on parvient à avancer. Parfois on se couche avec l’idée qu’on a trouvé quelque chose de génial, et puis quand on réécoute le lendemain, on se dit : « Mais comment on a pu faire ça ??? », en se rendant compte qu’on s’est enflammés pour quelque chose de pas si bon. C’est ça aussi la création musicale, et c’est ce qui est bon avec la musique : on peut partir en vrille.
– Comment procédez-vous pour créer ?
– Généralement j’arrive avec une idée, un bout de refrain, un thème ou un axe, et c’est une création collective qui s’organise autour, avec des propositions d’autres mélodies, d’autres harmonies. J’apporte la première pierre, et on rentre dans un processus collectif.
– L’enregistrement des chansons précède-t-il toujours leur expression sur scène ?
– Cela nous arrive rarement de tester les chansons en public pour les modifier ou décider de leur existence sur disque ensuite. En général, nous créons les chansons, les enregistrons, et ensuite nous leur donnons une existence scénique. Ceci dit cela nous arrive parfois de temps en temps, car nous jouons encore parfois dans des bars ou des petits lieux plus intimes qui se prêtent à ce genre de processus de création. Mais pour nous, les sorties d’albums précèdent les tournées, car ces dernières sont légitimées par le fait qu’un disque est sorti ; c’est avec cet argument qu’on trouve des dates. Donc même si j’aime bien cette idée de faire un tour de chant et enregistrer ensuite, c’est très compliqué aujourd’hui, parce que si le groupe n’a pas d’actualité, il trouve beaucoup moins de dates pour être programmé. C’est une réalité économique pragmatique.
– Prépares-tu les albums à venir durant les tournées en cours ?
– J’écris souvent à l’avance effectivement. Bien sûr, je ne réfléchis pas en termes de création d’album, mais les chansons me viennent quand elles veulent, donc j’en ai toujours qui s’écrivent par exemple durant la tournée avant un prochain disque. Quand une chanson frappe à la porte, on le la laisse pas dehors : quand c’est l’heure, c’est l’heure ! J’aime bien laisser incuber une idée, la mûrir, sans me précipiter sur l’écriture, et la laisser arriver quand elle est prête.
– Vous avez une originalité, en tant que groupe musical : la présence au sein de l’ensemble d’un comédien, -qui soit dit en passant participe énormément à donner de vous une image de troupe de saltimbanques-. Comment s’est décidée son intégration ?
– Saïd m’avait embarqué dans quelques histoires de théâtre il y une dizaine d’années, et je lui avais alors promis qu’un jour, à mon tour, je l’entraînerais dans une aventure musicale. Et ça a été celle là ! Au départ, ce n’était pas évident pour lui, car c’est un univers très différent du théâtre. Mais il est si mélomane et aime tellement la musique qu’il s’est engagé. En plus c’est une aventure qui dure et marche, donc il a changé de métier. Bien sûr il continue de faire du théâtre à côté, mais son activité principale, il l’exerce désormais parmi les Saltimbanks.
– Vos albums recèlent toujours des collaborations bienvenues. Comment naissent-elles?
– Les collaborations naissent de rencontres faites au gré du hasard. On a déjà essayé de contacter des artistes un peu connus que nous appréciions pour proposer des duos. Mais ça n’a pas donné grand-chose, car ils manquent souvent de temps. On s’est finalement dit que si des collaborations devaient avoir lieu, elles se feraient d’elle mêmes, selon les rencontres et les occasions de partager quelque chose. Si on sent qu’on a quelque chose à raconter ensemble avec un artiste, on prend la plume à deux, comme lorsqu’on a créé la chanson « L’étranger » avec Flavia Coelho. Elle est étrangère, et moi, fils d’immigré. Donc nous avions cette histoire à raconter ensemble. Leon Casanova est né et a grandi au Chili, où il a fait partie des artistes persécutés et emprisonnés sous le régime de Pinochet. Tout ce qu’il raconte a du poids, de la force et du sens. L’humain, l’artiste et son histoire m’ont beaucoup marqués quand je l’ai rencontré. On s’était toujours dit que si nous avions un jour une chanson qui lui convienne, on lui proposerait. Et ça a été le cas par deux fois déjà, d’abord sur le premier album, et puis maintenant avec « Para cuando la vida ? ». Ce fut un plaisir de remettre le couvert avec lui !
– Une de vos chansons, « On lâche rien » a connu un destin exceptionnel et risque bien de rester pour la postérité parmi ces titres devenus des hymnes du patrimoine populaire, dont on se souvient longtemps après avoir oublié le nom de leur créateur. Qu’en ressentez-vous : sentiment de dépossession ou fierté ?
– Dépossédés de cette chanson, c’est sûr qu’on l’est ! J’ai une pléiade d’anecdotes au sujet de cette chanson. Un jour à la fin d’un concert, un spectateur est venu nous voir, qui ne connaissait pas le groupe pour nous dire combien il avait apprécié notre reprise d’ «On lâche rien ». Il ne voulait pas croire que c’était notre chanson. Un ami marocain m’a raconté qu’en rentrant au pays, quand ses cousins lui ont demandé ce qu’il y avait comme bon groupe à écouter en France et qu’il nous a cités, eux lui ont répondu qu’ils ne connaissaient pas HK et Les Saltimbanks, mais par contre ils connaissaient « On lâche rien ». Le titre a été repris en Japonais et d’autres langues, diffusé aussi au Québec pendant le printemps étudiant, si bien que quand nous l’avons jouée là-bas à la fin d’un concert à Montréal pendant le festival des nuits d’Afrique, le public chantait la chanson par cœur ! On a beau le savoir, le vivre, c’est autre chose. Cette chanson est un peu comme un enfant qui est devenu adulte et est parti voyager à travers le monde. Et périodiquement, des gens d’un peu partout t’envoient des photos de lui avec eux. Donc on reçoit des nouvelles de notre chanson et de ses voyages. Elle a également été reprise au cinéma dans le film « La vie d’Adèle », palme d’or. Et tout ce chemin s’est fait sans nous ! Elle ne nous appartient plus. Au fond peut-être est-ce notre destinée : qu’on ne se souvienne plus du groupe, mais que la chanson reste dans les mémoires. Ce serait un sacré pied de nez, parce qu’il est vrai que médiatiquement, nous avons beaucoup de mal à exister.
– Les media vous boycotteraient-ils ?
– Oui. C’est dommage pour nous, certes. Mais c’est dramatique pour l’époque, car ça témoigne d’une inadéquation entre les goûts des gens et le rôle des media. Nous avons quand même un public fidèle fédéré autour de nous depuis plusieurs années, notre musique voyage et représente plein de choses pour pas mal de gens, nous vendons des disques, enfin il se passe quelque chose autour du groupe. Et pourtant à chaque sortie de disque, on se confronte à un mur médiatique. Aucun media ne veut nous diffuser. On a l’impression qu’aujourd’hui en France, il y a un monde réel, celui des gens par qui on arrive à exister –et d’une certaine manière, on peut remercier les réseaux sociaux par le biais desquels on réussit à relayer ce qu’on fait-, et le monde des professionnels de la musique, directeurs de label, programmateurs de festival, animateurs de radio qui nous ignorent totalement. Même France Inter, qui encore il y a 4 ans diffusait des émissions où pouvaient s’exprimer et être découverts des tas de petits groupes et des artistes alternatifs, ne s’investit plus pour jouer ce rôle. Toutes les émissions comme « Sous les étoiles exactement » ont été supprimées. On a été signés une seule fois en édition chez Universal, mais ils n’ont jamais réussi à nous faire signer sur un label. Puis un terme a été mis à cette collaboration, et aucun label ne s’est jamais intéressé à nous. Donc nous nous débrouillons en autoproduction depuis nos débuts, avec le même tourneur, Stéphane de Blueline, qui est notre seul partenaire. Les gros festivals nous snobent, hormis la Fête de l’Huma et Solidays, qui sont les deux principaux festivals militants, on va dire « de gauche ». Les professionnels de l’industrie musicale nous négligent. Mais au final, eux aussi sont devenus négligeables, car on parvient à exister sans eux et sortir un album sans compter sur leur soutien. On vit dans deux mondes totalement différents. Nous ne cherchons même plus à aller vers ces professionnels, car nous savons à présent quand nous sortons un disque, qu’il va se vendre et que les gens viendront nous voir en concert.
– Et vous n’êtes pas un cas isolé. De plus en plus d’artistes vivent en court-circuitant ces intermédiaires, pour vendre directement à leur public, parfois même se faire financer par lui. N’est-ce pas le début de la fin d’un système classique ?
– L e fait est qu’à moment donné le système médiatique s’est mis à penser que c’est lui qui fait la pluie et le beau temps. Outre le fait qu’on ne nous programme jamais en radio, il faut voir les remarques méprisantes qu’on essuie de la part des professionnels. Mais nous sommes de moins en moins dépendants d’eux, même s’il faut reconnaître honnêtement que lors de la sortie de notre premier album, sans media, la diffusion aurait été compliquée. Néanmoins, à présent, on existe sans ça. Et en plus, nous avons cette particularité que n’ont pas certains artistes médiatisés à outrance qui est que nos albums ne se vendent pas sur un ou deux mois, mais sur plusieurs années. On vend encore chaque semaine à la Fnac des exemplaires de notre premier album, 5 ans après sa sortie. Résultat, au bout de toutes ces années, on va approcher les 30000 exemplaires vendus sur le premier album, 20000 pour le second et le troisième pour l’instant s’est écoulé à plus de 5000. C’est une petite PME qui fonctionne indépendamment. Le problème est que les grands media, eux, n’existent que par la dépendance qu’on a vis-à-vis d’eux. Ils se sont acharnés à programmer des artistes qui n’ont connu aucun succès ou n’ont pas duré, et en ont obstinément snobé d’autres, qui existent sans eux. De ce fait les media ont perdu toute crédibilité et semblent de plus en plus inutiles aux artistes. Aujourd’hui les radios sont soumises au même schéma systématique des labels qui imposent leurs artistes ; il n’y a plus de place pour les alternatifs comme nous. Et en même temps, les alternatifs ne sont pas des gens qui vont se laisser mourir. Donc ils créent de nouveaux espaces, se développent grâce aux réseaux sociaux, et aussi, il faut le dire, aux changements d’habitudes du public, qui n’attend plus qu’on lui livre via les radios du prêt à écouter, mais prend l’initiative de plus en plus d’aller découvrir, soit en concert, soit sur internet, de nouveaux artistes. Comme et le public et les artistes se passent des media, on trouve finalement toujours moyen d’exister en marge. La mauvaise herbe pousse partout ! Donc de toute façon, elle trouvera toujours moyen de pousser, même si elle prend du temps à traverser la chape de béton. Pour ce qui nous concerne, il y a toujours des gens à nos concerts. Par exemple le 31 mai prochain, nous jouerons au Trianon, et les dernières places sont en train d’être vendues.
– En tant qu’artiste engagé, comment envisages-tu l’avenir politique, à l’heure où on se désole du désinvestissement des Français ?
– C’est-à-dire qu’il va falloir reconsidérer les choses. La politique aujourd’hui en France ne peut plus se vivre comme avant. Adhérer à un parti qui est vieux de 30, 40 ou 50 ans, ou même à un nouveau, mais créé avec toujours les mêmes personnes et les mêmes schémas qui sont nés dans et ont prospéré grâce au système, ne convainc plus grand monde. Les gens peuvent se réintéresser au fait politique à partir du moment où ils sentent que ce combat n’est pas usurpé, et qu’ils sont maîtres de quelque chose. On le voit en Espagne et en Grèce. Il va falloir que les partis existants, même ceux dont je peux me sentir proche idéologiquement, reconsidèrent la question et comprennent qu’ils doivent faire de l’espace et cesser de consommer l’oxygène. Il n’y a que comme ça que les gens vont reprendre le goût de s’investir, s’organiser et faire émerger une manière différente de faire de la politique. Le problème principal aujourd’hui est le retour à la démocratie réelle. La 6ème république est un concept qui me parle. Bien sûr, il faut voir comment et avec qui on va la faire. Nous sommes actuellement dans un régime gouverné par la sphère des intérêts privés et non dans une république d’intérêts commun. Nous avons élu un gouvernement de gauche et quoi ? Il est parti faire la guerre et vendre des rafales, en baissant les budgets de l’éducation, de la culture et de l’art, augmentant ceux de l’armée et produisant des lois liberticides, et j’en passe… A court terme, le constat est dur et amer, mais je pense que de toute façon des choses vont naitre de cela. C’est de ces périodes sombres que les espoirs renaissent. Donc à nous d’être inventifs et créatifs. A partir du moment où on s’autorisera à prendre des chemins de traverse et penser par nous-mêmes, plein de choses vont pouvoir émerger, se créer, s’agréger les unes aux autres et s’agrémenter. Il ne faut pas fonder un parti, mais créer les conditions pour que les choses bougent et faire confiance aux gens, aux talents, aux envies, aux engagements des uns et des autres, aux volontés de faire converger toutes les initiatives locales associatives. C’est ce qui entraînera un changement global.
Miren Funke
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Merci pour cet entretien très complet avec Kaddour Hadadi . C’est bon de se sentir sur la même longueur d’onde avec ces rallumeurs d’étoiles .
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tout le plaisir était pour moi. un bel artiste, un bel être humain, une belle rencontre
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