Archive | septembre, 2021

Sortie du second album de La Fiancée du Pirate, « Jour Levant »

22 Sep

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242201280_2986529171620407_4427181646880901306_nLors de l’entretien que nous avait accordé en aout La Fiancée du Pirate [lire ici], la chanteuse Nadia Joly évoquait la sortie imminente du second album du groupe, alors en cours de finalisation, et son désir d’instiller dans cet univers de chants de marin au réalisme cru et souvent cruel,  triste et parfois atroce, que son interprétation poétique et l’idéalisation romantique et mythique subliment, plus de gaieté, de rythme et de dynamisme. L’aboutissement de cette quête ramène du grand large jusqu’à nos quais, et de verres en bouteilles (« Bacalan ») dix nouvelles chansons, enregistrées sur le bien nommé « Jour Levant », titre sonnant comme la promesse d’une aurore pigmentée de couleurs vives sur des flots chaloupés, et qui tient parole.

Bien que l’album ne soit pas exsangue d’une mélancolie bouleversante, notamment infusée par la plume poétique de Nadia Joly sur deux textes originaux au verbe juste et émouvant, « Ville Rouge » et « Les Grands Bancs », de tragique réalité (« Le Grand François »), et d’un pragmatisme narratif  transcrivant, non sans sarcasme, la mémoire de métiers aux conditions de vie souvent rudimentaires et précaires (« La Carmeline », un texte traditionnel mise en musique par Morvan Prat et Freddo Bellayer et le groupe), il s’égaye et s’enjoue effectivement, valse et guinche (« Le Boujaron »), s’enivre aux mélodies entêtantes d’une gigue irlandaise (« Dusty Window Still ») ou s’envoute à l’exotisme d’accents orientaux (reprise de la chanson « The Wake of the Medusa » des Pogues), et bombe le torse comme on enfle la grand’ voile au récit épique des pillages de piraterie (« Reagan Doogan »). Si La Fiancée du Pirate, qui, en dédiant cet album à Chinois [ici], rappelle combien le navigateur des mille et une routes du son qui s’était occupé de son premier album manque sur le pont du navire, reste fidèle à sa mission de passeur de mémoire qui préserve et ravive l’histoire des chants de marins, composant sur des textes traditionnels, anonymes ou non, le groupe a fait appel pour cet album aussi à des textes d’auteurs contemporains (Michel Grocq, Michel Tonnerre), et également à la plume de sa chanteuse Nadia pour trois titres.  

242223440_2986529024953755_7076964169705575186_nMais loin de livrer l’impression d’un balancement isochronique sec et brutal entre des registres émotionnels contraires, et de l’ancien et du moderne, l’agencement des titres, des sentiments, des nostalgies et des rêves convoqués, expriment de cette hétérogénéité de sources d’eau salées un équilibre très cohérent et harmonieux, façonné par le quatuor, qui aventure et oriente sa proue à une boussole dont réalisme et rêverie, sens de la fête et mélancolie sont les quatre points cardinaux. On embraque volontiers avec, sillonner d’autres mers, pour une nouvelle traversée de tempêtes océanes, à frôler le naufrage sous l’orage, et vivre un authentique moment de délice musical, de danse, et de poésie.

Miren Funke

« Ô noir sang des arrogantes

Veillent sur l’île des résistantes

L’arme fleurie

Une immortelle gardienne de phare

Fait feu chaque soir sur les remparts

Des insoumis

La vie d’Ys conte l’histoire

Des naufragés et se confie

Aux vents maudits »

(« Ville Rouge », Nadia Joly)

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Liens : https://www.larouteproductions.com/nos-artistes/la-fiancee-du-pirate/

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Sortie de l’album « Les voix contre son maître » du Cri du Peuple

21 Sep

Ne vous a-t-elle jamais exaspérés, cette imagerie très en vogue dans le milieu artistique qui associe la créativité, l’inventivité, l’atypisme, et tout ce qui constitue la pertinence et l’intérêt d’une œuvre ou d’un artiste, à un dysfonctionnement mental, par le recours à un vocabulaire relevant du champ lexical de la psychiatrie pour les qualifier? Percevoir l’ouverture d’esprit, la richesse émotionnelle, le foisonnement imaginatif, la prise de risque créatrice, la curiosité pionnière, l’originalité, la fantaisie, ou même l’excentricité, comme «trop barges», «complètement dingues», «carrément délirantes», «totalement folles» ou  «absolument malades» n’interroge-t-il pas, de manière inquiétante, sur ce que cela raconte de notre conception de la normalité et de la salubrité psychique? En outre l’altération et la perte d’identité induites par une pathologie psychiatrique sont en réalité bien souvent, pour celles et ceux qui les vivent et leurs proches, sources de souffrances telles, que lorsqu’on les connait de près, il devient très difficile d’utiliser ainsi à la légère des qualificatifs s’y référant, que ce soit pour complimenter ou pour dénigrer, d’ailleurs, une créativité. La superficialité et l’inconscience des discours encensant et vantant la folie peuvent même paraitre indécentes, tant c’est de bienveillance, d’empathie et de compréhension dont ont besoin celles et ceux dont elle déstructure l’existence, et non de glorification inadéquate et inconsidérée de la démence.

IMGP6399 (2)C’est précisément à contre-courant de ces frivolités frauduleuses que le premier album du Cri du Peuple [voire ici], «Les voix contre son maître», sorti cette année, et le sens de son travail même, me semblent d’un bien-fondé multidimensionnel, peut-être même à l’insu de, ou par delà, sa volonté initiale de faire vivre et revivre un répertoire de chants de lutte et de chants anarchistes, sans autre prétention que celle de perpétuer un patrimoine de chansons militantes, pour stimuler en paroles et musiques des moments de solidarités populaires. A l’instar de La Fiancée du Pirate [voire ici pour les liens entre les deux groupes], dont le propos esquisse, avive, et réanime un horizon, où réalisme et imaginaire conjointement ressuscitent, entretiennent, et transmettent la mémoire d’un corps de métier populaire et d’un univers -celui des vies de marins-, tout en les sublimant de poésie et de romantisme épique, Le Cri du Peuple rempli aussi une mission de sauvegarde d’une mémoire folklorique, celle des chants de révolte anarchistes, parfois extirpés de l’oubli, parfois plus récents, témoignant d’époques, de combats, d’idéaux, d’expériences politiques, et surtout d’espoirs généreux, de dignité humaine et de vies, sacrifiées, meurtries, mais dévouées, qui leurs étaient contemporaines. Loin de reprendre de vieux chants dans l’unique but esthétique vocal de chanter en chœur et jouer les utopistes de posture en prônant de nobles valeurs et scandant des paroles révolutionnaires, le groupe donne un sens et une cohérence à son activité musicale, puisqu’il chante et partage cette mémoire lors de manifestations, moments de soutiens aux réfugiés, aux démunis, aux salariés en lutte, de commémorations aussi, comme celle des cent cinquante ans de la Commune qui eut lieu cette année à Bordeaux, que plusieurs de ses membres s’impliquent régulièrement dans la vie du squat pour mineurs réfugiés, Le Kabako [ici], et que tous sont des militantes et militants libertaires engagés auprès de causes humanistes.

Les sympathisants le lui demandaient depuis longtemps, et c’est désormais chose faite et autoproduite : après plusieurs années à donner de la voix et du cœur, du dynamisme et de l’énergie, du soutien et de l’entre-aide concrète, Le Cri du Peuple vient, avec humilité et en discrétion, de compiler sur un premier album, «Les Voix contre son maître», plusieurs des chansons de son répertoire. Avec humilité, mais non sans sérieux, et il convient au passage de saluer le travail consciencieux et valorisant de prises de son et mixages réalisé par Jean Feillou. Bien sûr l’enregistrement s’écoute comme un hommage aux militants, combattants et martyrs anti-autoritaires, et un témoignage de l’esprit contestataire, humaniste et progressiste qui s’indigne et s’insurge, partout où, contre des injustices, l’être humain se dresse et résiste. Il n’est rien d’étonnant à ce que ces décennies de lutte en chansons pour les membres du Cri du Peuple, au cours desquelles le groupe s’est enrichi de rencontres, de passages, de partages, artistiques et humains, et entouré d’amitiés, aient donné envie à des musiciens l’ayant côtoyé d’apporter leur participation à l’album, comme Xavier Barthaburu (l’Affaire Barthab, voir ici) ou Jojo Gallardo (Les Hurlements d’Léo, voir ici ).

Mais ce disque fait aussi œuvre de préservation d’un patrimoine chansonnier populaire, constitutif d’une identité, plus que d’une culture, puisque le groupe n’y reprend pas que des chants francophones («A las barricadas» de la guerre d’Espagne, «La balade de l’anarchiste Pinelli» d’Italie, «Homophobia» du groupe britannique Chumbawamba ou encore «La  Makhnovstchina» sur la révolte makhnoviste d’Ukraine en versions françaises) : l’identité d’une conscience de classe populaire insoumise et rebelle à l’oppression, au fascisme, à la xénophobie, à l’homophobie, au sexisme, et à toute forme de haine ciblant une catégorie d’opprimés pour en désolidariser les autres, et diviser les humbles. Et en ce sens, à l’heure où la préciosité artistique à la mode est à la l’éloge du marginalisme, de la distinction individualiste, et de la folie et la perte d’identité -et parfois de sens-, Le Cri du Peuple, par son travail, préserve ou ressuscite, mais en tous cas, d’une certaine façon, participe à redonner une identité collective à celles et ceux qui se reconnaissent dans ces valeurs, cet esprit de résistance, cet espoir. Les défendre et propager aussi en musique, en sentant au plus profond de soi que c’est de cet héritage que l’on vient ou dont on peut se sentir bénéficiaire, cet héritage qui a construit ce que l’on est ou coïncide avec, et détermine la manière dont on raisonne et choisit d’agir, cet héritage qui nous conforte et nous accompagne sur un chemin idéaliste, opère une forme de recognition qui renforce l’âme dans ses convictions et son refus de résignation, d’inaction et de léthargie.    

Miren Funke

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Liens pour commande du disque : https://www.facebook.com/lecridupeuplebordeaux

La parole est au silence …. Thierry Desseux.

15 Sep

 

desszC’est l’histoire d’une survivante, une rescapée de la mort sociale voulue par une sorte de Folcoche limite psychopathe, comme un récit-roman dans lequel la fille -une fillette- pourrait pousser le cri de Poil de Carotte : «  Tout le monde n’a pas la chance d’être orphelin. »

L’écriture est épurée, dépouillée de tout artifice, et néanmoins c’est un kaléïdoscope d’images qui déboulent dès les premières lignes. Une farandole d’échos des banlieues de Fallet ou Cendrars, dans une couleur Bertrand Blier . Banlieues banales, ni misérables, ni glorieuses, simplement populaires, dans leurs décors ordinaires. Les personnages sont désespérément humains ou inhumains, c’est selon, la fille peut-elle se sortir et guérir de son enfance massacrée par sa marâtre ? Lui trouverez-vous des circonstances atténuantes à cette marâtre?
Thierry Desseux vous donne tous les éléments d’appréciation pour étayer votre point de vue … Il en ressort au final une leçon, quand un enfant a l’air malheureux, c’est qu’il l’est ; et en général, il n’est pas responsable de son malheur .

Norbert Gabriel