Lors de l’entretien que nous avait accordé en aout La Fiancée du Pirate [lire ici], la chanteuse Nadia Joly évoquait la sortie imminente du second album du groupe, alors en cours de finalisation, et son désir d’instiller dans cet univers de chants de marin au réalisme cru et souvent cruel, triste et parfois atroce, que son interprétation poétique et l’idéalisation romantique et mythique subliment, plus de gaieté, de rythme et de dynamisme. L’aboutissement de cette quête ramène du grand large jusqu’à nos quais, et de verres en bouteilles (« Bacalan ») dix nouvelles chansons, enregistrées sur le bien nommé « Jour Levant », titre sonnant comme la promesse d’une aurore pigmentée de couleurs vives sur des flots chaloupés, et qui tient parole.
Bien que l’album ne soit pas exsangue d’une mélancolie bouleversante, notamment infusée par la plume poétique de Nadia Joly sur deux textes originaux au verbe juste et émouvant, « Ville Rouge » et « Les Grands Bancs », de tragique réalité (« Le Grand François »), et d’un pragmatisme narratif transcrivant, non sans sarcasme, la mémoire de métiers aux conditions de vie souvent rudimentaires et précaires (« La Carmeline », un texte traditionnel mise en musique par Morvan Prat et Freddo Bellayer et le groupe), il s’égaye et s’enjoue effectivement, valse et guinche (« Le Boujaron »), s’enivre aux mélodies entêtantes d’une gigue irlandaise (« Dusty Window Still ») ou s’envoute à l’exotisme d’accents orientaux (reprise de la chanson « The Wake of the Medusa » des Pogues), et bombe le torse comme on enfle la grand’ voile au récit épique des pillages de piraterie (« Reagan Doogan »). Si La Fiancée du Pirate, qui, en dédiant cet album à Chinois [ici], rappelle combien le navigateur des mille et une routes du son qui s’était occupé de son premier album manque sur le pont du navire, reste fidèle à sa mission de passeur de mémoire qui préserve et ravive l’histoire des chants de marins, composant sur des textes traditionnels, anonymes ou non, le groupe a fait appel pour cet album aussi à des textes d’auteurs contemporains (Michel Grocq, Michel Tonnerre), et également à la plume de sa chanteuse Nadia pour trois titres.
Mais loin de livrer l’impression d’un balancement isochronique sec et brutal entre des registres émotionnels contraires, et de l’ancien et du moderne, l’agencement des titres, des sentiments, des nostalgies et des rêves convoqués, expriment de cette hétérogénéité de sources d’eau salées un équilibre très cohérent et harmonieux, façonné par le quatuor, qui aventure et oriente sa proue à une boussole dont réalisme et rêverie, sens de la fête et mélancolie sont les quatre points cardinaux. On embraque volontiers avec, sillonner d’autres mers, pour une nouvelle traversée de tempêtes océanes, à frôler le naufrage sous l’orage, et vivre un authentique moment de délice musical, de danse, et de poésie.
Miren Funke
« Ô noir sang des arrogantes
Veillent sur l’île des résistantes
L’arme fleurie
Une immortelle gardienne de phare
Fait feu chaque soir sur les remparts
Des insoumis
La vie d’Ys conte l’histoire
Des naufragés et se confie
Aux vents maudits »
(« Ville Rouge », Nadia Joly)
Liens : https://www.larouteproductions.com/nos-artistes/la-fiancee-du-pirate/
https://www.facebook.com/La-Fianc%C3%A9e-du-Pirate-1406450882983712/
Votre commentaire