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Entretien avec Yves Jamait à l’occasion du concert du « Plancha Tour » au Rocher de Palmer de Cenon (33)

22 Avr

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S’il y a bien une constante qui s’invite avec récurrence lors des concerts d’Yves Jamait, en dépit de la singularité des répertoires d’albums qu’il interprète, d’une tournée à l’autre, c’est la recharge de sérotonine que le moment nous apporte et dont il nous emplis. Le phénomène est d’autant plus accentué durant les tours de chant, où le chanteur ramène à nous les titres populaires de ses anciens albums, en compagnie de ses musiciens et complices comiques, comme ce fut le cas avec les deux tournées « Parenthèse I » et « II », et c’est actuellement le cas avec la présente tournée « Plancha Tour », sans Didier Grebot sur scène cette fois, mais toujours avec Mario Cimenti (batterie/percussions), Samuel Garcia (accordéon) et Jérôme Broyer (guitare). Preuve en est le répondant du public acquis à l’artiste, toujours au rendez-vous, qui, pour l’occasion, s’autorise à interagir d’autant plus joyeusement, et devenir, le temps d’un concert, le cinquième membre d’un groupe qui improvise ensemble ces moments chaleureux et exaltants de fous rires, par des échanges aussi spontanés que tendres et drôles, parfois pittoresques et incongrus.

Drôles et tendres, en écho à ce que l’artiste communique à travers ses chansons, même lorsqu’en jaillissent des pensées graves (« Je passais par hasard ») et des sentiments profonds, car la poésie d’Yves Jamait, même mélancolique (« Vierzon », « Même sans toi ») sait n’être jamais dramaturgique, du moins, sait porter en elle plus de tendresse que de tragédie. C’est que la justesse du regard qui en éclaire la vie, infiniment humain, raconte beaucoup de l’humilité de notre sensibilité, parfois impuissante, en même temps que de la grandeur d’âme des cœurs qui remuent, se blessent, s’indignent ou s’émerveillent, s’enivrent ou s’alarment, et aiment. Il en va de même pour la nostalgie du temps passé (« Gare au train »), thème dont l’emprunte marque l’œuvre de l’artiste, qui, en évitant, avec élégance, les relents réactionnaires de pessimisme et de morosité, nous parvient et nous revient toujours pour partager la douceur de souvenirs d’un temps, d’une époque, d’une enfance, d’une mémoire gravée dans une chanson.

Quand certaines tournées d’autres artistes interprétant leurs anciens succès, entre deux actualités, peuvent parfois relever d’un spectacle plus mort que vivant, celles d’Yves Jamait ont toujours su enjouer le public, qui montre un immense plaisir à l’entendre incarner ses personnages, lui raconter ses histoires, l’embarquer dans d’autres vies, qui peut-être ressemblent aux nôtres, ou, le cas échéant, peut-être précisément parce qu’elles ne leur ressemblent pas, nous révèlent quelque chose de nous-mêmes, en nous faisant aimer un autre, si lointain et différent, et pourtant tellement proche et semblable. Gageons que si nous n’avons pas tous mis les pieds au bar de l’univers, chacun de nous pourrait être un autre accoudé au comptoir d’un autre Jean Louis ; chacun de nous pourrait être un autre homme, une autre femme, qui passe par hasard chez un couple d’amis en apparence idéal pour y découvrir, sidéré(e), l’horreur conjugale ; chacun de nous pourrait devoir faire le deuil d’un autre amour perdu à côté d’un autre carrousel, ou, un jour, vouloir prendre la route, coûte que coûte...

Capture d’écran 2024-04-19 193730Le concert qui eu lieu jeudi 4 avril au Rocher de Palmer de Cenon (33) signa un moment fabuleusement attendrissant et drôle, tonique et nitescent, à la veine irriguée par l’énergie complice et cocasse qui circule entre Yves Jamait et ses musiciens tout au long du spectacle, et rejaillit dans la salle, entre les gens, où des histoires, des émotions, pourtant déjà mille fois chantées et entendues, venaient encore bousculer, renverser, atteindre l’émoi et piquer les yeux. Et le moment fut d’autant plus engageant que le concert de l’artiste y fût précédé par une première partie assurée par le trio dijonnais Tia Tio (bientôt en entretien), qui, en cinq chansons, nous amena voyager, nous téléportant d’un point à l’autre du globe terrestre, surpris de déjà nous trouver si loin en si peu de temps.

Auparavant Yves Jamait acceptait de nous accorder un entretien.

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– Yves bonjour et merci pour ce nouvel entretien. Nous nous étions vus précédemment pour la tournée « Parenthèse II », et, entre temps, tu as promené le répertoire de ton dernier album « L’autre » sur les routes et dans les villes de France. Te revoilà parti à la rencontre du public avec une autre tournée visitant les répertoires de tes anciens albums, « Plancha Tour ». Qu’est-ce qui a motivé l’envie de reproposer un tour de chant avec des anciens titres ?

La dernière fois qu’on s’était vus, c’était pour la tournée « Parenthèse II » avec Didier et Samuel. Entre temps, on a fait un spectacle à la sortie de l’album « L’autre » qui s’appelle « Le tour de l’autre », avec un décor assez conséquent, ce qui fait qu’on ne pouvait pas aller partout, parce que techniquement, il fallait qu’on puisse placer ce décor. Donc on a malheureusement fait peu de dates, peut-être trente cinq. Habituellement j’en fais plutôt quatre vingt. Pourtant tous les professionnels qui ont vu le spectacle ont dit que c’était probablement mon meilleur. On venait aussi de changer de tourneur. Et dans ce spectacle, à un moment, on ne chantait, avec Samuel, que tous les deux. Et en déconnant je disais à Samuel qu’on était bien, pas besoin de déployer tout ce matériel : j’imaginais une plancha, et on rappelait les deux autres, se mettait autour d’un micro commun, et on visitait les anciennes chansons en acoustique. C’était le moment « plancha ». Et puis voyant qu’on avait moins de dates, et que c’était à la fois une question de prix et une question d’adaptation du spectacle, on a eu l’idée de poursuivre avec ce « Plancha Tour ». On est dans le plus simple appareil ; ça ressemble plutôt à la tournée « Parenthèse », sauf qu’on est les quatre habituels, sans Didier sur scène. On ramène tout à la base, et on s’éclate, parce que, comme pour la « Parenthèse », ça part dans tous les sens. C’est assez drôle ; on se marre tout le temps. C’est parti comme ça et ça va tourner au moins jusqu’au mois de juin 2025. J’ai d’autres projets bien sûr, mais ça va tourner.

– Peut-être ce genre de tournée répond-il aussi à un désir ou besoin de festivité du public, après les confinements et temps morts dans l’événementiel ?

Je ne fais pas de sociologie. Je ne pense pas comme ça ; je pense en spectacle, en chansons. C’est surtout que j’aime tourner tout le temps. Donc à partir du moment où je voyais que le spectacle précédent, qui pourtant a super bien marché chaque fois qu’on l’a joué, ne se vendait pas beaucoup, et posait des difficultés au tourneur, je me suis dis : « faisons un spectacle passe-partout, moins cher, qui aura besoin de moins de technique ». On ramène juste notre sonorisateur ; les lumières sont faites par le technicien de la salle. Effectivement on est dans un truc qui relève plus de la proximité avec les gens, et en général les gens aiment bien ça avec moi. Malgré tout, le « Tour de l’Autre » était de toute beauté. On a eu des trous de quatre mois sans le jouer, et c’était compliqué de retrouver les repères après ces périodes sans jouer. Donc il restait une ou deux dates de ce spectacle qu’on a changées en dates de « Plancha tour », et on a continué. Les dates partout sont pleines, ou alors il manque cinq ou dix pour cent de la salle. Déjà quand on a tourné avec « Parenthèse » juste après le covid, on a fait cent vingt dates. J’ai cette chance que les gens adhèrent aux chansons, et adhèrent aux personnages aussi, parce que les musiciens sont devenus des personnages à part entière. On est une équipe bien soudée ; on se marre bien, et c’est des fou-rires tout le temps. C’est vraiment très agréable. Je vis une belle fin de vie.

Capture d’écran 2024-04-19 193948– On a vu récemment des artistes tels Damien Saez et Hubert-Félix Thiéfaine, qui depuis des décennies continuent de remplir de lieux de spectacle de grande capacité d’accueil, sans aucune promotion médiatique et en ayant disparu des radars radiophoniques et télévisuels depuis longtemps. Tu fais parti de ces chanteurs artisanaux, qui, en marge de l’industrie du disque et des influents de la profession, et sans soutien des médias de masse, ont acquis et conservent la fidélité d’un public et une popularité nationale conséquente. Quels regrets ou quelle fierté ressent-on d’un tel parcours ?

– Je fais de l’artisanal par constat. Je ne le fais pas par militantisme. Longtemps on a cru que Thiéfaine le faisait, car il préférait être dans le côté sombre, ce qui n’est pas vrai. Il aurait tout à fait accepté d’avoir le statut d’un Renaud ou d’un Lavilliers. Je pense que Damien Saez va plutôt dans une autre politique de ce côté là, plutôt rebelle. Mais à un moment il faut regarder ce qui est vrai : les radios ne me passent pas ; la profession ne m’encense pas. Et puis il y a la volonté de pouvoir faire ce qu’on veut quand on veut. On s’est toujours arrangés pour ne pas être coincés et avoir une liberté de mouvement. Et ce n’est pas dans le sens rebelle de la chose. Si j’ai envie de faire un spectacle sur Maxime Le Forestier, je vais l’appeler et le faire, sans m’occuper de savoir si ça va se vendre, si ça fait bien, si, stratégiquement, ça passe. La maison de disque est le seul lien qu’on a avec un extérieur, et la maison de disque nous connaît : ils ont dit « oui », et ils savent que de toute façon, s’ils avaient dit « non », on s’en branle. Mais ça fait vingt ans qu’on travaille ensemble ; on se connaît. J’ai deux spectacle en projet, l’un sur Maxime Le Forestier, et l’autre de mes chansons avec deux accordéons. On ferait ça en attendant le prochain album. Avec Samuel et son comparse, Fred Langlais, avec qui il fait un duo d’accordéons ; ce sont deux bêtes à l’accordéon. Ça me permet de faire un pied de nez à tous les gens qui disent : « ah c’est ça, Jamait ; y a encore de l’accordéon ? ».

– Et une casquette ?

– « Y a la caquette ? Et encore de l’accordéon ? ». Oui ! Et y a encore de la guitare, et y a encore du clavier. C’est la raison pour laquelle j’ai fait cette chanson « Accordéon », et je sketch là dessus sur scène ; j’en plaisante. Et où est le problème ? Donc l’idée est non seulement d’assumer l’accordéon, mais en plus de faire un truc que à l’accordéon. Et le spectacle sur Le Forestier, j’aimerais le faire avec Jérôme, mon guitariste, et avec un guitariste qui a joué longtemps avec Le Forestier qui s’appelle Michel Aumont. Le Forestier avait écrit un bouquin qui s’appelle « Brassens et moi », et l’idée était de faire « Maxime et moi », et de raconter le parcours de fan que j’ai eu avant, à travers ses chansons, et pas forcément les plus connues. Je connais absolument tout de Maxime. Je pense que ça tournera de septembre 2025 à février ; l’idée est de faire quelque chose sur trois ou quatre mois, pas plus long. J’ai aussi un album à faire et une exposition de peintures à finir, un peu beaucoup de choses.

Capture d’écran 2024-04-19 194005– Tu disais précédemment que la Chanson, des chansons, t’avaient éduqué. Est-il question de quelque chose comme une reconnaissance éternelle à cette forme d’expression artistique qui t’a permis de devenir l’artiste que tu es ?

– Complètement ! Je dois tout à la Chanson. Le peu d’instruction et le peu de culture que j’ai sont passés par la Chanson d’abord. Ça ne fait pas sérieux… Ce n’est pas un diplôme. Mais c’est en écoutant les chanteurs que j’ai appris des choses, et que j’ai cherché à creuser. Les premiers temps où j’écoute Maxime Le Forestier, j’ai quinze ans, à l’école je suis plus que médiocre, je l’entends chanter « Entre 14 et 40 ans » sans savoir de quoi il parle, ou « Parachutiste » sans comprendre pourquoi on peut leur en vouloir. Il dit le mot « fasciste », et je ne sais même pas ce que ça veut dire, pour te dire d’où je viens. Quand on me dit que mes chansons sont magnifiques, je reviens de loin ; je suis vraiment parti de zéro. La première fois que j’écris et commence à vouloir poser un texte, c’est vraiment à chier : il n’y a pas une petite lumière de quelque chose où on peut voir du talent. C’était vraiment très mauvais. J’ai respiré, vécu, ressenti, « Chanson » pendant des années ; ça a été ma béquille, ma bouée de sauvetage, face à la vie. C’est de là que j’ai tout puisé. Et après j’ai écarté sur d’autres : Moustaki, des gens qui m’ont fait voyager, la culture, la peinture. Je suis passé par là pour apprendre des choses. Donc assez brouillon. Et puis par une culture de gauche qui t’accueille bien, avant de t’enculer, mais qui t’accueille. J’ai ce parcours là. La gauche était la gauche. Maintenant j’ai plus de recul : je me sens homme de gauche, mais « la gauche », politiquement parlant, ça ne me parle plus. Je me sens de gauche par l’aspect social, alors que je n’ai pas spécialement envie de décapiter un roi, personnellement, même si historiquement ça vient de là : au parlement étaient à gauche ceux qui voulaient décapiter le roi, et à droite ceux qui ne voulaient pas. La bien-pensance sociale de gauche m’a attiré ; maintenant j’ai beaucoup plus de recul là dessus. Je suis plutôt heureux d’avoir élevé mes enfants dans un esprit un peu comme ça, tout en leur disant que ce n’est pas la panacée. Mais c’est ce qui m’a cultivé, donc je ne peux pas non plus le rejeter. Je ne le rejetterais pas, car je me sens profondément de gauche. Mais politiquement je ne me reconnais dans aucun parti, et je pense qu’on a été beaucoup utilisés, les gens comme moi, par un parti dit « socialiste » qui ne me fait que douter maintenant. La droite ne m’a jamais trahi : elle n’a fait que ce que je n’avais pas envie qu’elle fasse. Alors que la gauche a toujours dit qu’elle allait faire des choses qu’elle n’a pas fait, tout en rappelant qu’il y a eu l’abolition de la peine de mort et les congés payés. Merci ! Vingt cinq ans pour ça, on va peut-être arriver à faire autre chose, un peu. Mais on n’apprend que par l’expérience, et maintenant on va dire que j’ai l’expérience de m’en foutre.

– Tu dis que la Chanson t’a éduqué et instruit. Et tes propres chansons ne sont pas dépourvus de texte, souvent très poétique, et fourmillant d’idées. Néanmoins tu as souvent eu une parole critique envers la Chanson dite « Chanson à texte », qui, pourtant est précisément à même, par sa qualité littéraire, de pouvoir éduquer et instruire, et enrichir le vocabulaire de ceux qui en possèdent moins -et je dis cela sans condescendance, car les chansons de Thiéfaine ont enrichi le mien dès une préadolescence où je maîtrisais très mal le Français, qui n’était pas ma langue maternelle-. Est-ce à cause d’un certain élitisme faisant du peu d’accessibilité et d’intelligibilité un critère de bon goût, logique qui peut s’apparenter à une forme de mépris du populaire ?

– Ce n’est pas que je n’aime pas les chansons « à texte » ; je trouve prétentieux de dire que je fais de la « Chanson à texte ». Une chanson comme « La mémoire et la mer » de Ferré est une vraie chanson à texte. Mais Patrick Sébastien, c’est aussi de la chanson à texte : il va faire rire, chanter, danser autour d’un mariage ou d’une fiesta, et si tu mets à ce moment là « La mémoire et la mer », tu vas te faire jeter, alors que c’est un des plus beaux textes qui aient été faits. Mais dire qu’on fait de la « Chanson à texte » a un côté prétentieux ; en général c’est un truc qui se pose et dit : « je ne fais pas n’importe quoi ». Pour moi la Chanson, c’est d’abord un truc populaire. Alors après on essaye de soigner, de faire des choses bien tournées, qui chantent un peu. J’aime beaucoup l’écriture du XIXème siècle. C’est un peu rétrograde ; mais enfin Brassens allait chercher dans le Moyen Age. Mais Brassens avait quand même vocation à être populaire. Il ne voulait pas chanter pour une niche ou une élite. D’ailleurs maintenant ceux qui font de la chanson pour des niches ou des élites écrivent assez simplement, parce que ça fait mieux d’écrire simplement. Il y a une espèce de posture. Dire qu’on fait de la « Chanson à texte » est une posture qui m’emmerde. J’ai eu une marraine, qui m’a élevé, qui était complètement analphabète : j’aime l’idée de penser que mes chansons auraient pu la séduire. Ça me ferait chier qu’elle ait pu écouter ça en se disant : « je ne sais même pas de quoi il parle ». Maxime Le Forestier était accessible. Il m’a fait sortir le dico, comprendre des choses ; je trouvais ses syntaxes et tournures de phrases poétiques, avant même de trouver un côté politique dedans. C’est ça qui m’intéressait. « Y en a qui », qui est une chanson que j’ai écrite pour mon premier album, et qui marche beaucoup, est une chanson vindicative, de colère. Mais aujourd’hui, je ne l’écrirais plus. D’abord je ne la trouve pas très bien écrite ; et puis je me sentirais racoleur et démagogue. Bon, je l’ai écrite, je l’assume ; je peux la chanter, car j’incarne des personnages quand je chante. Mais je ne l’écrirais plus aujourd’hui. Je suis un petit bourgeois aujourd’hui : je vis bien de ce que je fais, et je n’ai pas la vie que j’avais quand je l’ai écrite. J’ai acheté ma maison à crédit il y a deux ans ; je n’avais jamais fait ça de ma vie. Donc je me considère bourgeois. Je fais encore des choses, comme tout mec qui n’a jamais rien eu avant et tout d’un coup a la sensation d’être choyé par la vie. Je suis un fan de boxe, et Tyson allait en banlieue d’où il venait et distribuait ses tunes partout, parce que l’injustice était insupportable pour lui : on reste un peu comme ça. Donc les Emmaüs m’ont contacté, et j’ai été jouer pour eux ; je parraine une asso. Il y a des choses qui me mettent en colère, qui peuvent m’énerver, qui peuvent m’agacer. Mais je ne me permettrais pas de dire « allez, soutenez-moi ». Je connais des chanteurs qui sont comme ça, et des fois ils en ont marre, parce qu’on ne les attend que là. Et ils sont emprisonnés dans ça. Maxime, ça a été son cas : il m’a dit un jour qu’à un moment, tout le monde le prenait pour le chanteur hippie par excellence, qui représentait ce mouvement. Dans sa jeunesse il y était, parce qu’il y avait des choses inadmissibles pour lui ; mais il n’était ni plus ni moins que le témoin d’une société, pas forcément le porte-parole d’un mouvement. C’est pour ça que je me suis vite défendu de ça, après « Y en a qui », parce que je ne voulais pas devenir le porte-parole de quoi que ce soit. J’aime la « Chanson à texte », mais je suis venu par la variété. J’ai dans la chanson « Les poings de mon frère » d’ailleurs revendiqué Johnny Halliday. Un coup, avec Linda Lemay, on a fait un concours à celui qui connaîtrait la chanson de Johnny que l’autre ne connaîtrait pas. Alors qu’on est deux chanteurs dits de « Chanson à texte ». J’écoute beaucoup « La mémoire et la mer » ces temps-ci ; je ne sais toujours pas ce qui m’émeut, mais je la trouve d’une beauté et d’une liberté d’écriture rares. Mais la Chanson, c’est un truc qui accompagne la coiffeuse, le banquier, le routier, la boulangère, le mécanicien, des cadres. Je fais de la Chanson française, ce qui n’est absolument pas un genre, parce que la Chanson française, ça va de Stromae à Patrick Sébastien, en passant par tout ce que tu veux, et moi je suis là dedans. La question de la posture m’évoque ces vieux chanteurs qui font de la Chanson et disent qu’ils font du Rock, parce qu’ils doivent penser que ça fait rester jeune. Je n’ai pas envie de rester jeune ; je n’ai aucun problème à être vieux. Ça fait partie de la vie. J’ai soixante deux ans, je ne suis pas un gamin, et je ne vais pas faire du jeunisme. La jeunesse n’est pas quelque chose vers quoi je veux aller ; et je ne voudrais surtout pas y retourner ! J’étais tellement mal dans ma peau, étant jeune. Je suis mieux dans ma peau de vieux que dans ma peau de jeune.

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– Et, toi qui te montres peu indulgent avec la qualité littéraire de tes anciens textes, à quel moment, ou par quel déclic es-tu venu au goût de l’écriture poétique ?

– Je n’ai jamais fait un concours de ma vie, ni passé d’examen à part des examens sanguins. Je n’aurais pas osé. Simplement j’écoute, je lis, les autres et quand je vois une belle tournure de phrase, qui est bien pensé, j’essaye de trouver des formules. J’avais un copain qui écrivait très bien, qui n’est pas devenu chanteur, mais donne des cours de guitare, et je regardait ce qu’il écrivait, et petit à petit, de temps en temps, j’arrivais à trouver une formule dont j’étais content. Entre ma première chanson, je devais avoir quinze ans, et le moment où j’ai commencé à oser montrer mes texte, j’avais fait un concert à la vingtaine avec un groupe qui s’appelait l’Adam de Sagesse -d’ailleurs je chantais les chansons de ce copain qui écrivait pas trop mal-, j’avais trente sept ans quand j’ai sorti ma première. Donc il s’est passé vingt deux ans, assez douloureux : je n’osais pas me lancer, parce que je trouvais que ce que je faisais était à chier ; j’en avais une envie folle. Et à trente sept ans, quand je suis monté sur scène, je me suis dis qu’incontestablement j’étais là chez moi. C’est l’endroit où je suis le mieux au monde. Il n’y a aucun autre endroit dans la vie où je me sens mieux que sur scène. L’envie venait de là ; j’avais surtout envie de faire le pitre. Après, écrire des chansons était très compliqué. De mes quinze a mes trente ans, j’ai pris une cuite qui en gros a duré quinze ans, avec des problèmes à régler, l’absence d’un père, qui fait que la confiance en soi est problématique. Mais de temps en temps il m’arrivait de m’enfermer dans une piaule pour me hurler dessus ; j’en chialais de ne pas écrire bien. Et j’y retournais, avec, de temps en temps, une petite réussite. Et je jouais le soir pour mes potes bourrés et tout le monde trouvait ça bien. Parce que quoi qu’il en soit, une fois que j’étais parti à chanter une chanson, je l’incarnais vite et j’envoyais. Mais de là me lancer dans quoi que ce soit… Quand je discute avec Joyet, qui, lui, a un vrai parcours littéraire depuis très jeune, moi, je suis parti vraiment de rien. Une barque qui rame, mais sans eau dessous. Donc tu avances comment quand c’est comme ça ? Tu pousses ta barque jusqu’à trouver un point d’eau. Quand j’ai écrit le premier album, j’ai été en panique à l’idée de devoir en écrire un autre ; j’avais l’impression d’y avoir tout mis. Et puis ça a été exponentiel. Ce que j’ai appris à faire, c’est noter absolument toutes les idées, le moindre mot, la moindre tournure de phrase, la moindre mélodie. Et quand j’ai besoin d’écrire un album, je me plonge dans la relecture, je tire des phrases, parfois je ne sais même pas ce que je vais écrire, mais je tricote, tire le fil. Ce qui fait que je n’écris pas en partant de thèmes, ou rarement. Sur le dernier album, il y a « A marrée basse » que j’ai écrit sur commande. C’était une commande de l’université de Besançon sur le temps qui passe, alors que je ne fais que ça, des chansons, sur le temps. Et puis je leur ai envoyée ; trois mois après toujours pas de retour, et puis on a fini par me dire que ce ne serait pas pour cette année, donc je l’ai reprise. Pour le coup c’était très écrit. Mais sinon je fais des chansons, pas de la littérature ; je n’ai pas envie de faire de la littérature chantée. Pour « Toi », par exemple, c’est encore une autre façon de faire, qui est plus à l’américaine, car je n’avais que « toi » et un air qui tournait, sans savoir ce que j’allais écrire d’autre. Alors il fallait chercher avec les sonorités. Un qui excelle là dedans, c’est Philippe Lafontaine, qui fait vraiment sonner et claquer le Français. Il a des chansons absolument merveilleuses ; je suis un gros fan de ce mec. L’écriture a évoluée avec moi. D’abord j’ai réussit à ne plus avoir un regard critique assassin sur moi. Pour les trois premiers albums, je me jugeais vachement. Maintenant je suis plus apaisé pour écrire. Ce qui est bien dans le fait d’avoir pu continuer, c’est la sensation de se réaliser. Chose à laquelle je ne pensais pas pouvoir accéder un jour. Vivre de ce que tu aimes, je ne pensais pas non plus pouvoir faire cela un jour dans ma vie.

– Le fait d’avoir entamé une carrière musicale et rencontré l’amour du public tardivement, à un âge déjà serein, ou en tous cas, expérimenté et conscient des réalités et de la valeur des choses, en comparaison d’artistes qui ont explosé avec un premier succès populaire dès le départ et très jeunes, a-t-il eu l’avantage de te protéger de certains périls contre lesquels, jeune, on manque de méfiance et d’accompagnement psychologique ?

– Moi ça me serait arrivé jeune, je serais mort. Ce qui est arrivé à d’autres à vingt ans m’est arrivé à quarante. Et je n’ai pas eu une reconnaissance du métier, des « professionnels de la profession » comme disait Godard. J’ai rencontré des tas de gens, des artistes que j’aimais, mais surtout le public est venu. Je n’aurais jamais bougé mon cul si le public n’était pas venu. Et je ne me suis jamais dit qu’il fallait que j’explose. Je n’avais pas besoin de ça. A partir du moment où je pouvais gagner un smic en chantant, pour moi, ça marchait. Avant je bossais à l’usine, alors gagner un smic en chantant des chansons, super. Je n’étais pas avide de reconnaissance. Maintenant j’ai derrière moi deux Olympia, je ne sais combien de Cigale ; j’ai été jouer en Belgique, au Québec, en Russie ; j’ai chanté partout en France, moi qui ne voyageais pas et serais resté sédentaire, si je n’avais pas fait ce métier. Ça fait vingt ans que je fais ça ; les gens sont contents quand ils me voient : il y a pire à vivre, quand même! Et je ne suis plus énervé. Pour certains chanteur, partir en tournée est une source d’angoisse. Pour moi c’est un vrai plaisir, partir sur les routes. On est une belle équipe ; on se parle bien. Quand tu dois supporter un chanteur qui n’est pas bien dans sa peau, qui vit mal d’être chanteur, c’est compliqué. Si c’est comme ça, il vaut mieux faire comme Gérard Manset : lui n’a jamais fait de scène, car il n’aimait pas ça.

– As-tu prévu des festivals ce été ?

– Les festivals, j’aime bien, car on rencontre d’autres artistes et c’est plutôt cool pour ça. Mais après c’est toujours frustrant, car tu ne joues qu’une heure. Et puis, nous aimerions bien en faire ; notre spectacle marche plutôt bien avec les publics. Mais en général, ce sont les petits festivals artisanaux qui m’accueillent, et il faut bien reconnaître, qu’eux ont du mal à survivre. Je vais aller faire le festival des fromages de chèvres pour Paco, et peut-être quelques autres. Mais pour cet été il n’y a pas de grand festival prévu. Jouer une heure et devoir s’arrêter, alors qu’on vient juste de rentrer sur scène, ça frustre les musiciens aussi qui doivent arrêter quand ils commencent à être dedans. En plus tu joues devant un public debout ; il n’y a pas la même attention. C’est pour ça que j’aime bien que le public soit assis. Je profite. Le dernier concert, on a joué deux heures et demi, et ça me paraît rien.

– Et les « Bars à Jamait » ?

– Quand on nous en demandera. C’est un truc qu’on n’a jamais fermé. Bien sûr il n’y aura plus Anne Sylvestre, qui était u des piliers. Les deux derniers que j’ai fait se passaient en Suisse, donc il n’y avait pas les piliers, mais des chanteurs suisses ou transfrontaliers, et Nicolas Jules. C’est toujours ouvert : on s’est toujours dit que s’il y avait une demande, on sortirait les téléphones et on rappellerait les copains. Et maintenant il y a plein de jeunes que j’inviterais bien. Le noyau ne sera plus le noyau dur, puisqu’on en avait fait vingt sept avec Anne. Il y avait Agnès Bihl, Nathalie Miravette, Bernard Joyet, Gérard Morel et moi. La parité, en plus ; je ne m’en étais jamais rendu compte! Mais le départ d’Anne a fait que ce ne sera plus jamais la même chose. On commence tous à se faire vieux. Mais c’est bien aussi quand on peut inviter des jeunes.

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Miren Funke

Photos:Carolyn C