Le décor s’ouvre sur un grincement. Rouages gigantesques qui s’enclenchent, jets de vapeurs, lourdeur des fumées de plomb qui enveloppent la scène. Le récitant présente les personnages. On voudrait que cela soit un album-concept, une seule et même histoire qui se déroulerait. Mais rien n’est jamais aussi simple. Le fil va, serpentant. Il est musical. La voix mue, on traverse les époques, on saute les obstacles. Basculés de l’univers urbain et mécanique, guitares saturées et percussions métalliques, au flottement de gouttes d’acide vertes. Des bourgeons. Une plante qui deviendra arbre. L’arbre sera scié. Des planches seront poncées, assemblées, une guitare classique. Un luth, classe, doigté et virtuose. À sauter à travers le mur on remonte le temps. Chanson de geste, le féodal et ses herses qui crissent, retour à la cour, la scène du début. Les histoires se mêlent. Un observateur lettré recoupe. L’expérience, l’anecdote, le texte qui a survécu à plusieurs siècles. La culture avec ou sans sa majuscule. Le neutre côtoie le sexuel, la parabole saute par dessus la scène de rue notée quelque part.
Et toujours le son, il est partout, se loge dans le silence d’après la pluie, se détache dans le chant d’un oiseau, gronde sa cadence dans le ciel noir d’un orage, vibre à la mode tibétaine, cordes vocales harmoniques, quelques notes qui s’égrainent, comme par hasard tombant d’une gouttière, rythme d’averse, un orchestre tout entier qui fait vibrer le feuillage, tu croyais que c’était le vent, c’est un violoniste assis sur une branche, qui regarde les images muettes et les met en musique, synchronisation, symbiose, le cheval tout seul sait parfaitement quand il faut chanter. D’aucun parle de bruitage. Tu parles. Poésie de la goutte qui sonne différemment à chaque nouveau plongeon dans la casserole. Les autres diront ambiance. Habillage. Mais il n’y a pas de parure. Qui enlumine l’autre du texte ou de l’illustration sonore ? On ouvre les écoutes. On ne te laissera pas t’orienter dans ce dédale, tu es là pour te faire déconcerter et voyager. Trimballé, auditeur, dès que tu accostes une nouvelle rive on te fait suivre la voix qui charme les rats, on t’hypnotise d’une berceuse ou d’une mélodie enchanteuse, on te remettra sur ou sous le lac.
Tu en sortiras peut-être en sifflotant ou tu y replongeras encore. Pas de manolo ou Juliet, c’est le « on » qui compte dans cette histoire. Pas un seul temps off. Bons voyages !
Leslie Tychsem