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Damien Saez : pré-achat (jusqu’au 7 juillet) et réalisation de l’album « Apocalypse », et concerts à venir

18 Juin

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La tournée éclair de l’hiver dernier, par laquelle Damien Saez retrouvait un public fidélisé depuis plus de deux décennies, venu lui témoigner massivement un amour, qui a, à l’évidence, profondément ému l’homme, rudement éprouvé ces dernières années, sonnait l’amorce d’une série de prochaines rencontres. Quelque chose de cette « plus belle histoire d’amour, c’est vous » de Barbara respirait dans ces concerts, aux allures de communions avec les « frangins » et « frangines », comme les nomme le chanteur -et comme ils se nomment eux-mêmes-. Car ces solidaires anonymes constituent un public qui le suit de longue dans une aventure poétique, débutée avec fracas il y a vingt cinq ans par un succès radiophonique et populaire devenu l’hymne d’une génération révoltée et tourmentée, vibrant de ce romantisme des âmes insurgées qui embrase le ventre, aventure qui s’écarta tôt du cirque médiatique pour défricher un chemin à l’ombre des projecteurs et en marge du show-business musical. Une date à La Rochelle (en solo) vient d’augurer une tournée de festivals d’été, alors qu’est annoncé depuis peu la tournée 2025 qui devrait être celle de son quatorzième album « Apocalypse » (annoncé triple) en cours de réalisation, et pour lequel une campagne d’achat est en ligne jusqu’au 7 juillet (lien en bas d’article). Les places se réservent déjà à grande vitesse, en dépit d’une absence de promotion publique, l’artiste, qui n’a jamais fait mystère de son aversion pour les médias de masse, ne communiquant presque exclusivement que via son site, dont les informations sont relayées par quelques passionné(e)s dévoué(e)s sur des pages internautes consacrées.

Capture d’écran 2024-06-13 163507Insoumis jusqu’à en paraître sauvage, entêté contre vents et marées souvent, en étant mal perçu, incompris et dés-aimé parfois, en vertu de ce qui fut appréhendé comme des égarements ou de sorties de pistes -mais une sortie de piste est-elle véritablement une incohérence pour qui a toujours revendiqué la liberté de ne pas marcher dans les clous ?-, Damien Saez a su tôt atteindre en plein cœur, et émouvoir toujours plus profondément, au grès d’une œuvre devenue tentaculaire et multicéphale, un public qui entend en lui le poète dont les mots foudroient, dont les mélodies transportent, dont la sensibilité aimante, et dont l’âme « frère encore », comme d’une fraternité émotionnelle, qui plonge (et abîme aussi) en fusion avec les émois, les lames, les colères et les rêves chantés, dans lesquels on retrouve beaucoup de soi-même. Comme si c’était notre pareil, notre copain, ou notre jumeau caché peut-être, qui nous invente des chansons qui nous ressemblent, avec des paroles qui nous rassemblent, et pourraient être les nôtres. Elle le deviennent d’ailleurs. Dans les luttes sociales et politiques, tout autant que pour nos combats intimes.

D’une émotivité intense, profonde, visionnaire aussi, parfois prophétique, l’artiste est de ceux qui cisèlent et emperlent des compositions audacieuses, affranchies des impératifs clientélistes et mercantiles (des formats et registres musicaux entre autres), portant avec acuité des textes au verbe amoureux, abrasif et acerbe aussi, cognant juste, et saignant d’une plume inspirée et référencée, dans l’encre de laquelle cohabitent maturité des tristes clairvoyances, fougue des rebellions, et utopisme des espoirs. De ceux aussi qui sèment des titres plus légers ou grossiers (mais efficaces)… Fut quelques fois déroutant le grand écart entre le sentimentalisme sublime ou la mélancolie vertigineuse de sa poésie à la sémantique foisonnante, et les formulations crues, impudiques et parfois outrancières qu’elle sait aussi cracher. Mais la verve populaire d’un poète libre de se faire franc-parleur (et franc-tireur) participe aussi à sa singularité ; et comment ne pas entendre, à travers la vulgarité qui choque pour interpeler, une mise en exergue de l’obscénité d’un monde dont le cynisme, la mesquinerie de cœur et l’hypocrisie de surface sont autant d’injures à l’Humanisme, et de pentes glissant l’Humanité vers l’abolition du sens moral ? Ne pas l’entendre, comme ne pas voir, derrière l’apparente pornographie des pochettes des albums « J’accuse » et « Miami » une dénonciation de l’objetisation des femmes, de la marchandisation des corps, du culte du paraître, et de l’hypocrisie encore, c’est passer à côté d’un essentiel. Plus indignante me sembla la censure (et les prétextes fallacieux qui l’ont justifiée) dont l’artiste fit l’objet au temps de ces albums. A se demander quel serait aujourd’hui l’accueil réservé par les censeurs et les offusqués à la pochette d’un « Dernières balises avant mutation » d’Hubert-Félix Thiéfaine…

Sur scène, et d’aussi loin que je me souvienne, des premières tournées que j’ai suivies il y a vingt ans, Damien Saez est artiste jamais économe de sa personne, et qui ne ment pas, tant il est investi par l’âme de ses chansons et les vit intensivement. A son détriment parfois, car au point d’en être régulièrement perçu comme premier degrés et sans filtre ni nuance, perception qui fait oublier ou négliger qu’il peut aussi y avoir, dans l’écriture du parolier, provocation volontaire, éventuelle dose d’autodérision dans l’envie d’orpailler le filon du pathos brélien, et, derrière le sarcasme des phrases et la violence des mots, foncièrement un amour de l’humain. Entrer dans l’arène d’un concert de Saez, c’est pénétrer l’immensité temporelle d’un moment hors du temps, s’y sentir en osmose avec une poésie intègre, en authentique partage d’une chaleur humaine émanant de la communauté du public, et en ressortir fatalement pas tout à fait identique à celui ou celle qu’on était encore quelques heures avant (ou ne pas en ressortir totalement, d’ailleurs). Paradoxe ou magie ultime d’un semblable qui vous ressemble et parvient à vous changer encore, à immiscer encore plus de beauté à travers les fêlures dans l’âme.

Cependant la campagne de financement d’« Apocalypse », selon l’initiative alternative du « pay for listen », en vue d’écouter en direct l’artiste dévoiler ses chansons, fruits de quatre ans de travail, puis d’accéder ensuite aux titres gratuitement, a jusqu’alors reçu un accueil mitigé, et peine à s’approcher des objectifs financiers qui donneraient les moyens à Damien Saez de concrétiser ce projet d’envergure. La raison principale en est sans doute le coût de la contribution requise (100 euros), certes, lourd pour nos budgets de modestes prolétaires, et d’autant plus mal perçu que l’appréciation des difficultés financières faisant obstacle à la réalisation d’une création artistique indépendante aujourd’hui n’est pas aisée, à qui l’envers du décor de ce secteur professionnel est étranger. Si la source des budgets voués à soutenir l’expression artistique, l’évènementiel et la culture en général, se tarie, et, lorsqu’elle « ruisselle » encore, coule toujours vers les poches des mêmes, le déclin des ventes de disques, associé à la rémunération quasi-néante des artistes via les plateformes d’écoute en ligne, ne permettent plus aux artistes artisans -et Saez en est un- de disposer des moyens de créer comme ils imaginent, rêvent, et ambitionnent la grandeur de leur musique, de rétribuer décemment les musiciens et techniciens, et d’en vivre soi-même. De surcroît, les usages internautes ont accoutumé les publics à une exigence de presque gratuité de l’accès aux créations musicales (presque, puisqu’il paye des abonnements pour cela, mais qui ne rémunèrent pas les artistes), et lui ont occulté quelques notions qui devraient nous être restées évidentes, quoi qu’on pense idéologiquement de la marchandisation des « biens » culturels : que les créateurs et acteurs de l’artistique exercent des métiers et vivent d’un salaire, comme nous. A refuser les concessions, s’être extirpé du système classique de l’industrie du disque, et privé de publicités médiatiques, l’artiste avait tôt fait le choix courageux -peut-être insensé, mais digne en tous cas- de l’indépendance, en déclinant les propositions des majors et renonçant aux ponts d’or que lui faisaient miroiter les promesses alléchantes d’une carrière auréolé de célébrité. Il n’est pas homme qu’on puisse accuser d’opter pour les solutions de facilité ; et il semble l’avoir cher payé, en termes de sacrifices personnels, et au péril de sa vie. Mais c’est aussi cette dissidence obstinée à ne pas renier l’amour de la liberté, qui a orienté les aiguilles de sa boussole, pour tracer son chemin sous des horizons à inventer, qui force l’estime, et même la gratitude. Car le chanteur qui partageait ses doutes et craintes de ne pas parvenir à tenir debout face aux vents contraires de la course au rendement et de la déshumanisante évolution (ou plutôt régression) du monde il y a quelques années dans le titre « S’ils ont eu raison de nous », doit savoir que si nous, rêveurs, utopistes, passionnés et amateurs, avons eu raison des logiques du système, ne serait-ce que quelques années, en construisant, et participant à, des fonctionnements solidaires, équitables, alternatifs, c’est grâce à la ténacité d’artistes comme lui. Il me paraît d’autant plus légitime que plutôt que de multiplier les concessions jusqu’à se compromettre, Damien Saez, s’en remette à la main (à la poche) de celles et ceux que sa musique accroche, et dont elle sublime, questionne, émeut, accompagne, et construit ou métamorphose un peu de l’existence, pour pouvoir produire cette œuvre, et continuer, espérons le, de nous inventer et esquisser encore des horizons bouleversants. « Menacé, mais libre », certes. Mais pas seul et libre, aussi…

Liens : campagne de financement d’« Apocalypse » –>   https://apocalypse.saez.mu/

Site : https://www.saez.mu/

Miren Funke

Photo : Sarah d’Hont

SAEZ EN CONCERT, BORDEAUX EN PANTOUFLES

8 Mai

saezmars2013cinqMercredi 27 mars, le groupe Saez était de passage à Bordeaux. De passage, c’est l’expression appropriée. Car le concert du groupe, dont la dernière venue remontait à plus de deux ans, et que des fans en provenance de la région entière attendaient, Bordeaux étant la seule ville d’Aquitaine (hormis le festival Garorock de Marmande) où la tournée faisait une halte, laissa l’impression d’un vol d’hirondelles venues se poser furtivement pour repartir aussitôt. Trop tôt. La salle de spectacle de la Médoquine imposant désormais un couvre-feu à 22h30, les admirateurs de Saez, accoutumés à prendre des étoiles plein les oreilles durant trois ou quatre heures, affichaient leur déception à la sortie d’un concert qui n’en dura pas même deux. Heureux, mais pas comblés.
Non que la présence scénique de Damien Saez et l’énergie déployée par ses compagnons n’aient pas été fidèles à leur jeu. Mais pour un groupe qui vient de sortir un triple album, suivi de près par un autre, 1h50 de concert pour présenter les morceaux de ces 4 disques dans un set où s’insèrent également des inédits et des titres d’anciens albums, c’est très court. Et c’est peu dire que le public serait en droit d’attendre des initiatives moins timides, pantouflardes et conformistes sur les plans artistiques et culturels, de la part d’une ville de l’envergure de Bordeaux, qui plus est, qui se targue d’un prestige national et international. Pour avoir assisté à des concerts de Saez dans plusieurs villes de l’hexagone depuis 8 ans, je comprends que le fait que le public soit d’une manière générale, au nord du pays, plus largement réceptif à sa musique n’est pas dû uniquement à une adéquation de l’état d’esprit de ses fans avec la mélancolie  dépressive qui habite ses textes : peut-être qu’on sait mieux y vivre et y exprimer ses émotions, ou que les politiques urbaines y entravent moins les manifestations artistiques…

La grande surprise sonore de ce concert, hormis quelques problèmes techniques qui pimentèrent le spectacle et gênèrent les musiciens, fut l’incorporation d’un accordéon à l’ensemble instrumental, dont le timbre embellissait terriblement les chansons, offrant toute une palette de nuances nostalgiques, des relents de chants de marins, et une dimension proche de la plénitude et rock saturé du groupe.
Et s’il était impossible aux musiciens de reproduire toutes les orchestrations classiques qui habillent certains titres du triple album « Les Echoués/Sur Les Quais/Messine », la subtilité des arrangements apportés aux chansons du dernier disque « Miami », au son plus cru et offensif et  traité par un mixage plus agressif que le précédent, insufflait de la chaleur aux morceaux, dont les textes imprégnés d’une noirceur satirique aventurent l’écriture de Damien Saez loin du romantisme mélancolique très présent précédemment, même si, à l’instar de l’écrivain soviétique Isaac Babel, le chanteur conserve un sens de la sublimation poétique juxtaposable à des propos très crus.
Le jeu planant et délicat des guitaristes, Franck Phan, compositeur de certains titres, en tête, soutenu par la basse charismatique de James Eller, auquel le batteur Maxime Garoute imposait un rythme intelligemment manœuvré me fit quand même décoller de terre, comme à l’habitude. Damien Saez, lui, tantôt intime, tantôt sarcastique, portait sa verve haute, dénonçant encore le cynisme des milieux de pouvoir et d’argent, la corruption, l’absence d’empathie, prônant d’autres valeurs. Et s’il aurait sans doute été plus aisé d’apprécier la théâtralité brélienne du chanteur depuis les premiers rangs, les fonds de salle, où la foule est plus éparse, et d’où on obtient une perception plus globale du spectacle, m’ont toujours mieux convenu. La voix de l’artiste n’ayant rien perdu de sa puissance, de sa colère, de ses déchirures, et de son tourment, on s’y émeut tout autant, si ce n’est plus : un couple d’amoureux, visiblement éméchés, dansait la valse juste sous mes yeux, buvant au même gobelet de bière et partageant la même cigarette, les yeux mi-clos,  sourire aux lèvres, et le pas maladroit. N’en déplaise à ceux qui réduisent volontiers, de façon simpliste et condescendante, le public de Saez à une agrégation de groupies adolescent(e)s mal dans leur peau, buvant des propos tranchés et sans nuance jusqu’à la lie : devant cette scène attendrissante, qui transformait l’atmosphère environnante en vecteur de chaleur humaine, il eu été malhonnête de ne pas souligner combien c’est à travers ses fans aussi que l’on apprécie l’univers d’un artiste.

saezmars2013quadBien sur certaines âmes peuvent être moins sensibles et réceptives aux fictions satiriques et presque nihilistes de certaines des chansons de « Miami », qui réincorporent un peu de juvénilité dans l’écriture et le traitement de la voix, qu’au romantisme et à la maturité de précédents textes, mais comme dit mon collègue, Roddy Vandenabeele : « il faut de tout pour faire un monde, pourvu que ce ne soit pas le monde du silence ». Cela tombe bien : Saez sait faire de tout et fait du beau. Et puisque le groupe fait partie des rares noms connus du rock français qui remplissent des lieux de concert sans promotion médiatique, avec une communication réduite au minimum, et en refusant de compromettre leur intégrité et leur indépendance avec l’industrie de la musique commerciale, même si ses choix artistiques ne me séduisent pas toujours, et que le chanteur semble parfois répéter à outrance ce qu’il a à dire, avouons que sa démarche, elle, reste toujours de grand intérêt. Comme s’écrie Armel Guerne dans son livre L’âme insurgée : « Vive les hommes de plein vent ! ».
Les chansons de Saez compensent avec celles de tous ceux qui n’ont rien à dire, et d’ailleurs ne disent rien.

Miren

Nous remercions Laura (@DivaDuSud sur twitter) pour les photos du concert qu’elle a eu la gentillesse de nous communiquer pour illustrer l’article.