Mercredi 27 mars, le groupe Saez était de passage à Bordeaux. De passage, c’est l’expression appropriée. Car le concert du groupe, dont la dernière venue remontait à plus de deux ans, et que des fans en provenance de la région entière attendaient, Bordeaux étant la seule ville d’Aquitaine (hormis le festival Garorock de Marmande) où la tournée faisait une halte, laissa l’impression d’un vol d’hirondelles venues se poser furtivement pour repartir aussitôt. Trop tôt. La salle de spectacle de la Médoquine imposant désormais un couvre-feu à 22h30, les admirateurs de Saez, accoutumés à prendre des étoiles plein les oreilles durant trois ou quatre heures, affichaient leur déception à la sortie d’un concert qui n’en dura pas même deux. Heureux, mais pas comblés.
Non que la présence scénique de Damien Saez et l’énergie déployée par ses compagnons n’aient pas été fidèles à leur jeu. Mais pour un groupe qui vient de sortir un triple album, suivi de près par un autre, 1h50 de concert pour présenter les morceaux de ces 4 disques dans un set où s’insèrent également des inédits et des titres d’anciens albums, c’est très court. Et c’est peu dire que le public serait en droit d’attendre des initiatives moins timides, pantouflardes et conformistes sur les plans artistiques et culturels, de la part d’une ville de l’envergure de Bordeaux, qui plus est, qui se targue d’un prestige national et international. Pour avoir assisté à des concerts de Saez dans plusieurs villes de l’hexagone depuis 8 ans, je comprends que le fait que le public soit d’une manière générale, au nord du pays, plus largement réceptif à sa musique n’est pas dû uniquement à une adéquation de l’état d’esprit de ses fans avec la mélancolie dépressive qui habite ses textes : peut-être qu’on sait mieux y vivre et y exprimer ses émotions, ou que les politiques urbaines y entravent moins les manifestations artistiques…
La grande surprise sonore de ce concert, hormis quelques problèmes techniques qui pimentèrent le spectacle et gênèrent les musiciens, fut l’incorporation d’un accordéon à l’ensemble instrumental, dont le timbre embellissait terriblement les chansons, offrant toute une palette de nuances nostalgiques, des relents de chants de marins, et une dimension proche de la plénitude et rock saturé du groupe.
Et s’il était impossible aux musiciens de reproduire toutes les orchestrations classiques qui habillent certains titres du triple album « Les Echoués/Sur Les Quais/Messine », la subtilité des arrangements apportés aux chansons du dernier disque « Miami », au son plus cru et offensif et traité par un mixage plus agressif que le précédent, insufflait de la chaleur aux morceaux, dont les textes imprégnés d’une noirceur satirique aventurent l’écriture de Damien Saez loin du romantisme mélancolique très présent précédemment, même si, à l’instar de l’écrivain soviétique Isaac Babel, le chanteur conserve un sens de la sublimation poétique juxtaposable à des propos très crus.
Le jeu planant et délicat des guitaristes, Franck Phan, compositeur de certains titres, en tête, soutenu par la basse charismatique de James Eller, auquel le batteur Maxime Garoute imposait un rythme intelligemment manœuvré me fit quand même décoller de terre, comme à l’habitude. Damien Saez, lui, tantôt intime, tantôt sarcastique, portait sa verve haute, dénonçant encore le cynisme des milieux de pouvoir et d’argent, la corruption, l’absence d’empathie, prônant d’autres valeurs. Et s’il aurait sans doute été plus aisé d’apprécier la théâtralité brélienne du chanteur depuis les premiers rangs, les fonds de salle, où la foule est plus éparse, et d’où on obtient une perception plus globale du spectacle, m’ont toujours mieux convenu. La voix de l’artiste n’ayant rien perdu de sa puissance, de sa colère, de ses déchirures, et de son tourment, on s’y émeut tout autant, si ce n’est plus : un couple d’amoureux, visiblement éméchés, dansait la valse juste sous mes yeux, buvant au même gobelet de bière et partageant la même cigarette, les yeux mi-clos, sourire aux lèvres, et le pas maladroit. N’en déplaise à ceux qui réduisent volontiers, de façon simpliste et condescendante, le public de Saez à une agrégation de groupies adolescent(e)s mal dans leur peau, buvant des propos tranchés et sans nuance jusqu’à la lie : devant cette scène attendrissante, qui transformait l’atmosphère environnante en vecteur de chaleur humaine, il eu été malhonnête de ne pas souligner combien c’est à travers ses fans aussi que l’on apprécie l’univers d’un artiste.
Bien sur certaines âmes peuvent être moins sensibles et réceptives aux fictions satiriques et presque nihilistes de certaines des chansons de « Miami », qui réincorporent un peu de juvénilité dans l’écriture et le traitement de la voix, qu’au romantisme et à la maturité de précédents textes, mais comme dit mon collègue, Roddy Vandenabeele : « il faut de tout pour faire un monde, pourvu que ce ne soit pas le monde du silence ». Cela tombe bien : Saez sait faire de tout et fait du beau. Et puisque le groupe fait partie des rares noms connus du rock français qui remplissent des lieux de concert sans promotion médiatique, avec une communication réduite au minimum, et en refusant de compromettre leur intégrité et leur indépendance avec l’industrie de la musique commerciale, même si ses choix artistiques ne me séduisent pas toujours, et que le chanteur semble parfois répéter à outrance ce qu’il a à dire, avouons que sa démarche, elle, reste toujours de grand intérêt. Comme s’écrie Armel Guerne dans son livre L’âme insurgée : « Vive les hommes de plein vent ! ».
Les chansons de Saez compensent avec celles de tous ceux qui n’ont rien à dire, et d’ailleurs ne disent rien.
Miren
Nous remercions Laura (@DivaDuSud sur twitter) pour les photos du concert qu’elle a eu la gentillesse de nous communiquer pour illustrer l’article.
Quelle prose… n’en déplaise aux hystériques qui débordent d’une surenchère textuelle libidinale, rejetant tout effet de jouissance salvatrice de notre rockeur. Vive damien et vive saez., et vive le rock and roll
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