Entretien avec Milos Asian pour le concert de présentation de son nouvel album « Breathe in, breathe out » aux Vivres de l’Art de Bordeaux

9 Mai

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Jeudi 11 mai 2023 aura lieu aux Vivres de l’Art à Bordeaux le concert de présentation du nouvel album de Milos Asian, « Breathe in, breathe out ». L’artiste girondin  [https://leblogdudoigtdansloeil.wordpress.com/2015/09/27/milos-unplugged-awakening-rencontre-avec-lartiste-en-preparation-de-son-4eme-album-finance-par-le-public/], acteur engagé depuis plusieurs décennies du milieu musical alternatif, qui trouva auprès de lui, dans son bar El Inca, plus qu’un lieu d’expression et de rencontres foisonnant, un véritable foyer chaleureux au creux duquel se tissaient, nuits après nuits, les liens tenaces d’une toile solidaire qui permis à de nombreux artistes de jouer, rencontrer le public, et établir des contacts entre eux, et dont certains continuent de recourir aux services de son studio d’enregistrement, Kitchen Studio, consacre donc un nouvel enregistrement à ses propres compositions, qui seront jouées en tournée au cours des prochains mois. Rien d’étonnant à ce que nombre de musiciens, anciens ou récents collaborateurs, et copains, aient participé à ce disque, le truffant d’instruments et embellissant son envergure sonore d’une richesse harmonique bien sentie. A travers ces douze titres, d’humeur généralement folk, mais dont les musiques se baladent dans un peu tous les genres auxquels Milos a touché et qu’il a aimé (Folk, Reggae, Rocksteady, Pop-rock alternatif), c’est un contraste entre les couleurs musicales enjouées aux allures inoffensives de comptines pour enfant, et des thématiques ressenties (ou pressenties?) comme parfois sombres, glauques ou tristes, qui bouscule et intrigue, sans toutefois qu’on en devine toujours le sens exact et précis, l’écriture de Milos laissant la place bien souvent à une multitude de possibilité d’interprétation, comme nous allons le voir avec lui. Entre influences plus inconscientes que calculées, mais toujours assumées tout de même, possibilités interprétatives, et ouverture à la libre appropriation par chacun de mots avec lesquels écrire sa propre histoire, Milos semble se promener, de chanson en chanson, à travers des paysages évasifs et oniriques. Mais laissons le nous raconter cela, lui-même, puisque l’artiste nous a accordé un entretien la semaine passée

Capture d’écran 2023-05-08 223148– Milos, bonjour et merci de nous accorder cet entretien. On a plaisir à te retrouver avec ces douze nouveaux titres, à travers lesquels s’entend une large palette instrumentale, et beaucoup d’échos de musiques qu’on imagine aisément parmi tes principales influences. On retrouve également à tes côtés sur l’enregistrement nombre de musiciens locaux, avec lesquels tu as déjà collaboré, comme Doclaine (Nicolas Deghuilem) [https://leblogdudoigtdansloeil.wordpress.com/2020/07/01/sortie-de-louves-de-doclaine-entretien-avec-lartiste/] : peut-on y voir une envie de rassembler toutes les richesses qui ont développé et étoffé ta musique ?

Doclaine! C’est un excellent musicien. Il a mis de l’harmonium sur l’album.  C’était magnifique ; cela donne une couleur, même si l’instrument n’est pas tout devant. Inviter beaucoup d’instruments était une volonté ; je voulais faire participer tous les artistes avec lesquels je travaille. C’est  un album collaboratif ; j’aime bien collaborer, et souvent avec les mêmes. Et musicalement j’ai voulu faire un mélange d’un peu tout ce que je fais depuis le début. Parce que j’ai consacré un album à la Folk, un au Reggae, et ainsi de suite. Sur « I scream you scream », j’entends quelque chose qui m’évoque la fin plutôt d’une chanson des Dexys Midnight Runners. Mais il ya plein de trucs dans cette chanson : un coté Rocksteady, qui part après en Punk, un côté un peu sautillant. Elle parle de complicité et de fusion, à la Bonnie&Clide, ou des projets un peu Woodstock de sauver la planète qu’on peut avoir quand on est jeunes. Et, j’avais envie qu’on retrouve sur cet album un peu un mélange de tout ce que je fais : il y a une chanson un peu à la Pixies, un Reggae, pas mal de Folk, un peu de Pink Floyd, Radiohead, Tori Amos. Ce n’est pas spécialement calculé, mais dans chaque chanson j’entends un truc qui me fait penser à une chanson que j’aime. Je m’en rends compte après coup ; ce n’est pas vraiment prémédité. La mémoire imprègne des choses qui ressortent inconsciemment. A la base ces chansons sont écrites pour du guitare-voix, donc c’est fait pour être chanté en acoustique.

– Et comment se décide les arrangements du coup avec les musiciens ?

En fait j’enregistre seul  tous les instruments à la maison en mode maquette (guitare, basse batterie, claviers, ect..) donc, et je l’envoie à mes musiciens pour qu’ils aient un aperçu de ce que je cherche . Et après on les joue en live et chaque musicien va trouver un truc sympa à jouer avec son instrument. Après ça va peut-être se retrouver dans l’album ou pas, on choisit en fonction de si ça imprègne les chansons. Celles-ci ont été jouées en live pendant deux ans, et plusieurs propositions différentes ont été essayées. Par exemple « Candlelight » à la base a été écrite avec et pour des claviers ; je la jouais au mellotron. Et puis j’ai invité un ami, Stéphane Jach, à faire des flûtes. Il a repris un peu le thème, posé sa vibe, mis sa couleur. Il y a une autre chanson où Quentin Gendrot, au violoncelle, qui a l’oreille parfaite et entend tout ce qui est juste ou faux, a proposé des cordes. Chacun a un peu son mot à dire sur mes compositions. En fait je ne sais pas vraiment écrire de la musique, donc j’enregistre mes démos avec mes mélodies, j’indique comment j’aimerais que soit l’esprit de la chanson, et je suis à l’écoute des propositions des musiciens. Avant j’étais un peu plus directif, avec un côté « duce », lorsque j’étais jeune. Aujourd’hui je suis plus cool et à l’écoute.

– Est-il déjà arrivé qu’une chanson s’en retrouve modifiée musicalement, au point que sa musique raconte finalement autre chose et change son esprit, mais que tu décides de garder cette autre proposition ?

Non, pas vraiment. La seule fois où ça a pu arriver, c’était avec l’album de Reggae. Évidemment je n’ai pas écrit toutes ces chansons en Reggae, donc les transformer a pu en modifier quelque chose ; ça s’est mis en place tout seul.

Capture d’écran 2023-05-08 223229– Plusieurs chansons présentent comme un contraste frappant entre leur musique, assez guillerette, aux airs de comptine enfantine, et des textes, laissant place à de nombreuses interprétations possibles, mais qui peuvent sembler aborder des sujets glauques, sombres, douloureux, comme la deuil, la rupture. De quoi parlent-elles ?

Y a quelques chansons tristes, mais pas tant que ça. « Hungover » et « Out in the cold » touchent des sujets sensibles. Au début de « Hungover », ce qu’on entend, c’est mes parents dans le salon qui parlent des herbes hallucinogènes du Pérou. La chanson raconte l’histoire d’un monsieur retiré de l’armée, désormais à la retraite qui voit sa vie défiler, il se rappelle de tous ses bons moments qu’il a pu avoir. « Hungover », c’est la gueule de bois du lendemain, quand tu te retrouves seul devant ton miroir. Pas mal de personnes connaissent ces moments de solitude, qui plus est, à la vieillesse, après une vie remplie. « Out in the cold » parle, elle, d’un jeune homme, un peu en dépression, qui rencontre un chien qui lui donne la patate et se remet à courir. Il se retrouve un jour dans le stade où il courait, après une cuite -encore une histoire de cuite et gueule de bois-, se réveille, se dit qu’il connait ce lieu, et se remet à courir, après s’être retrouvé devant le miroir. Encore une fois, une histoire de miroir ; je crois que j’aime bien cette image. Ensuite beaucoup de chansons parlent de mon enfance, mon adolescence, mes souvenirs. Il y a beaucoup de souvenirs là dedans. Quant aux thèmes du deuil ou de la rupture, on pourrait sentir ça, effectivement. Je ne sais pas s’il y a vraiment une chanson de rupture ou d’amour là dedans, sauf peut-être « Man for diner », qui parle des hommes qui sont « pour le diner ». Tu sais, les histoires de femmes qui te prennent et qui te jettent après, qui t’attendent pour te manger, qui te mangent, mais qui te jettent ensuite.

– Illustration parfaite de la possibilité de mésinterprétation, alors, puisque celle là, par exemple, m’a laissé imaginer qu’elle évoquait la mort personnifiée au féminin qui va venir te prendre, et non pas une femme.

Oh c’est génial! C’est beau, ça. Mais tu sais, mes chansons démarrent souvent par des paroles jetées intuitivement, sans l’idée de parler de quelque chose de précis, et puis ça se dessine au fur et à mesure. Pour « Can you set me free? », j’avais des images d’un pompier en train de courir à travers un immeuble en feu, puis de quelqu’un qui jette de la peinture sur les murs, un peu des images de folies de personnes dans des asiles qui voudraient être libérées, alors que les paroles pourraient aussi bien s’entendre comme une prière d’être libéré d’un lien affectif. « Be my dear deer », c’est l’histoire d’un chasseur qui voit une biche tous les jours et qui aimerait bien faire sa vie avec. C’est ce que je vois quand j’écris et je chante. Mais après chacun peut s’approprier les chansons comme il le veut. La chanson porte sur un jeu de mot entre « dear » (« chérie ») et « deer » (la biche), et j’imagine le chasseur partir avec la biche un jour et devenir biche lui-même pour vivre leur histoire.

– Comme dans le Lac des cygnes ?

Ah, ouais! Il va falloir faire un clip pour ça ; j’attends l’hiver prochain, ou peut-être aller dans un pays, genre la Norvège ou l’Islande. On peut faire en peu de temps avec des moyens modestes. L’idée est que le clip soit un support pour la chanson et pas que la chanson devienne une bande-son pour un mini-film. Parfois il arrive de voir un clip, puis d’écouter la chanson ensuite sans le clip et de la trouver décevante, parce qu’on s’aperçoit que sans les images, c’est beaucoup moins bien. L’image t’emmène, et ça permet de mieux vendre. Alors si ta chanson est bien à la base, et que l’image est bien, comme chez Bjork, c’est cool. Mais pas si la chanson est médiocre et que sans les images, elle ne raconte rien.

Capture d’écran 2023-05-08 223120– J’avoue avoir été surprise et alléchée de lire sur la pochette de l’album un titre en Français, « Dans les rivières » puisqu’on a coutume de t’entendre chanter en anglais depuis toujours. Et puis, ce n’était qu’un titre de chanson dont les paroles sont en Anglais. Y a-t-il un trait d’humour?

C’est déjà un titre! Il faut bien commencer quelque part… Je ne sais pas en fait. Je crois que ce sont les sons Electro qui m’ont fait penser à des rivières. Alors celle-là par contre parle de rupture, pour le coup, de ces moments où tu commences à être vraiment copain-copain ou copain-copine avec quelque qu’un, dans un truc fusionnel, à partager beaucoup, t’échanger les habits, ces choses là. Mais pour revenir à ta question, si un jour je chante en Français, j’aurais envie de chanter des choses sérieuses. Ce que je fais là a une légèreté, un côté comptine, qui, je crois, ne collerait pas avec ce que j’aimerais chanter en Français. Mais ce n’est pas facile d’écrire en Français. Déjà, parce que là, tout le monde va me comprendre. En Anglais, je suis un peu dans ma zone de confort, dans mon cocon. Comme on se dit qu’en France, les gens comprennent moins bien l’Anglais, et le perçoivent plus intuitivement qu’intellectuellement, c’est moins stressant sur scène ; on n’a pas la crainte d’être jugé sur la qualité littéraire du texte. J’écoute beaucoup Alain Bashung, Mathieu Boogaerts, Christophe Miossec, Arthur H, Mano Solo bien sûr, des artistes comme ça, qui ont une qualité de plume incroyable. Ce sera toujours Bashung, le meilleur! Mais, c’est cool s’il y a des « petits » Bashung comme Arman Méliès, Bertrand Belin.

– Dans un futur album, peut-être, alors, aura-t-on le plaisir de t’écouter en Français. Un mot sur la pochette de l’album qui intrigue : qui l’a réalisé et que représente-t-elle?

C’est Gwenael Marseille qui l’a faite. C’est un batteur, de métier, et il jouait sur mon premier album. Mais il est également peintre et a décidé depuis plusieurs années de se consacrer à ses toiles : il fabrique lui-même ses couleurs, à l’ancienne, comme les peintres du Moyen-âge, et a coutume de reprendre ses tableaux et les remanier. Du coup on trouve plusieurs couches de couleurs, et la toile n’est jamais finie. Elle fait deux mètres sur deux, et un jour, je lui avais dit que sa toile serait parfaite pour un album, mais à l’époque, je préparais un album de Reggae et ça ne collait pas. Et avec cet album, je suis revenu le voir pour lui faire écouter la démo, et on était d’accord tous les deux que ça collait. Il faut savoir que ses toiles m’ont aussi inspiré des chansons. Ce tableau intitulé « A battre la chamade » représente l’armée de l’air, et ses codes musicaux de battements de tambour qui transmettaient des messages, des informations ou des ordres, alors que les ennemis étaient sensés croire que ce n’était que de la musique.

 

Miren Funke

Photos : Carolyn Caro

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