Entretien avec HK (Saltimbank) pour la Fête du Nouveau Front Populaire à Libourne vendredi 28 juin 2024

27 Juin

HK

Actualité politique oblige, sous l’impulsion de l’urgence, le Nouveau Front Populaire organise à Libourne (Gironde) ce vendredi après-midi une fête, qui sera l’occasion de rencontres autour d’un village associatif, journée ponctuée de débats, et clôturée par un concert d’HK. C’est au pied (et le poing) levé que le chanteur et ses musiciens, actuellement en répétitions en prévision de leur participation au festival d’Avignon Off avec le conte « Le poète en cavale », ont répondu présents à l’appel de la coalition unitaire de gauche. Ils viendront donc participer à cette fête, pour marquer ce moment où il devient impératif de réaffirmer fermement son attachement aux valeurs solidaires, fraternelles et émancipatrices, au progressisme social, à la liberté d’expression, au soucis du bien commun, qui n’ont été déjà que trop attaqués et menacés, et exprimer un rejet catégorique et limpide des idéologies et préjugés polyphobes et mortifères, qui gangrènent à nouveau le cœur des hommes d’où ils devraient être bannis depuis longtemps, et font glisser nos sociétés, graduellement, mais sûrement, un peu plus chaque jour, loin de l’Humanisme. Joint par téléphone, Kaddour (HK) a accepté un entretien pour en parler.

– Kaddour, bonjour et merci de nous accorder ce moment. Cette Fête du Front Populaire s’est organisée à la hâte. Quel sens y participer à-t-il pour vous ?

Ça s’est décidé là. Ils nous ont contactés ; à la base je n’avais pas le temps. On est en train de préparer le spectacle pour Avignon , où on va jouer le spectacle adulte « Le poète en cavale » et un spectacle enfants avec Saïd  ; on est au taquet. Mais la situation est exceptionnelle. Évidemment notre participation a un sens. Quasiment tous notre titres sont dans le sujet. En plus on vient de sortir la chanson « Une vie de rêve et de combat ». « Le poète en cavale » est aussi un spectacle à thème : il était sensé se passer dans le futur à la base, en 2029, et le point de départ est l’histoire d’un comédien qui s’est évadé d’un théâtre. C’est sur les dérives autoritaires de notre société, les atteintes aux libertés. Là, on craint qu’il y ait comme une accélération de l’Histoire. On n’est pas résignés, mais c’est une éventualité qu’on puisse être pas tant dans le futur que ça. Déjà ce qui s’est passé avec Guillaume Meurice est arrivé au moment même où on répétait le spectacle. Donc il y a déjà eu cette accélération. Et puis il y a tout le cadre de la dissolution et des élections, de ce qu’on sent qui pourrait arriver, même si on essaye de faire en sorte que quelque chose de plus beau arrive.

– Mais les glissements des choix rédactionnels médiatiques, entre autre sur les stations publiques, vers une ligne politique de censure n’ont-ils pas déjà commencé il y a quelques décennies, de manière insidieuse ?

Si. Personnellement j’ai subi cette dérive déjà ; c’est à dire que quand on commence la carrière au tout début, même avec MAP, il y avait des espaces, des émissions, des gens chez qui on savait qu’on pouvait trouver refuge et qui pouvaient nous donner la parole. Au début on a vu ces émissions être programmées de plus en plus tard, et puis de plus en plus rarement, et puis disparaître. Et nous avec, puisque les seuls endroits où on pouvait jouer avaient disparus et il était hors de question que notre musique soit programmée. Alors qu’il y a quinze ans, France Inter était un endroit où des artistes comme nous pouvaient avoir droit au chapitre. Et ça a été la même histoire avec France Culture un peu plus tard. Ça fait partie de tous ces grands médias qui sont des endroits où on n’est pas bienvenus, dont les portes nous sont maintenant fermées depuis plusieurs années. La bande a Charline avait presque réussit à se créer un îlot de liberté d’expression dans son émission ; la réalité les a vite rattrapés.

– Aujourd’hui, depuis les élections européennes, la multiplication des émissions consacrées à l’Histoire du nazisme et des montées des fascismes en Europe dans les années 30, sur ces stations, donne le sentiment d’un vent de panique face à l’urgence de la situation qui menace, et d’un désir sincère de prévenir d’un danger de recommencement de l’Histoire. Mais n’est-ce pas une prise de conscience un peu tardive ?

C’est ce qu’on dit avec la chanson « La petite musique » : il y a eu un glissement assez clair avec une collusion médiatico-politique, un chemin qui a été dessiné. Quand tu as Zemmour matin, midi et soir à la radio, à la télé et dans les journaux pendant vingt ans, ça ne peut pas être anodin. Il y a peut-être quelques personnes naïves ici et là ; mais il y pas mal de personnes qui n’étaient pas du tout naïves, et qui savaient très bien qu’il y avait une idéologie qui ferait suivre son chemin à une société toute entière, et ça a fait des dégâts. Comme je dis dans le spectacle, les idées infusent, diffusent, atteignent, confusent, et nous, les cerveaux qui se refusent, on les accable, on les accuse des pires maux, on les menace, on les condamne par contumace. C’est à dire qu’on peut raconter les pires saloperies sur notre dos, dire des choses qui sont totalement l’antithèse de ce qu’on est, et comme on n’est pas dans cet espace là pour répondre, il se créé une image. Derrière, ils parlent de l’Histoire du nazisme. Je n’aime pas faire des comparaisons, mais l’histoire de toutes les sociétés qui dévient, c’est toujours petit à petit. Ce n’est pas du jour au lendemain, mais toujours sur dix, quinze, vingt, cinquante ans. Nous, par exemple, on nous disait qu’on était un petit groupe pas connu et que donc on ne parlerait pas de nous dans ces grands médias. Au début, soit. Mais après, beaucoup de gens nous suivent et viennent nous voir. Donc refuser de parler de nous derrière, c’est un acte volontaire.

– C’est la cas pour bien d’autres artistes qui ne sont jamais diffusés sur les ondes, encore moins invités, et pourtant que le public vient voir massivement à chaque concert. On pense à des Melissmell, Yves Jamait, Saez, Cyril Mokaïesh, et bien d’autres… N’êtes-vous pas une preuve qu’en suivant ces orientations politiques, les médias se sont déconnectés des goûts et choix musicaux et poétiques des citoyens ?

Je le dis sans m’en plaindre, mais pour dire qu’on sait que ce sont des choix, et que quand on invite d’autres gens qui parlent d’autres choses, c’est un choix culturel et politique. Les médias sont en grande partie responsables. Il y a des médias dont on le sait, puisque leur appartenance est assumée et revendiquée, ces médias qui appartiennent à de grands groupes ou des personnes, identifiés avec une idéologie politique. Mais il y a les radios publiques qui depuis une dizaines d’années disent juste « amen » et se font les porte-paroles de la voix gouvernementale. Il n’y a donc pas de place pour nous qui sommes des gens humanistes, profondément contre toute forme de racisme et de xénophobie, et pour des choses très simples, claires et positives : juste être heureux de vivre avec les autres de façon respectueuse et apaisée, en plus avec tout mon engagement sur la non-violence. J’en fonce des portes ouvertes, mais c’est ce qu’on défend. Mais on fait partie des infréquentables. J’espère que beaucoup de gens ont pris conscience qu’il y a des choses qui ne vont pas, et qu’il va falloir faire demi-tour sur un certain nombre de choix. En plus pour moi, cet air du temps qu’on nous dessine est effectivement en décalage avec le vrai monde, celui que tu vois dans la vie de tous les jours parmi tes voisins, des fréquentations, même chez des gens qui peuvent faire des choix qu’on ne comprend pas. Dans le vote RN il y a une partie qui correspond au fond historique de l’extrême-droite française, et une autre partie de gens en colère, qui ont l’impression de ne pas être écoutés, qui pensent ne plus rien avoir à perdre. Je fais partie des gens qui pensent qu’il y a encore des ponts à construire et qu’on n’est pas condamnés à se foutre sur la gueule. Donc on soutient le Front Populaire, et d’une manière générale, toute union de gauche humaniste. Je suis sorti de mon rôle d’artiste où je m’étais promis de ne pas rentrer dans le jeu politique, mais c’est un moment de l’Histoire, donc j’affirme qui ont est, quelles sont nos valeurs, nos engagements de toujours. Donc là, on a accepté de jouer pour cette fête. On reste à notre place d’artiste, mais on est dans un moment où il faut prendre position. Mais quoi qu’il se passe, il va y avoir du travail, pour construire, reconstruire, pas abandonner, ni s’abandonner à la colère ou la rancœur. Il faut sauvegarder ce patrimoine démocratiques qui a été gravement mis en danger ces dernières années. On se bat de différentes façons : moi en tant qu’artiste, d’autres se battent dans la rue, dans le cadre associatif. Et il va falloir se serrer les coudes autour de valeurs communes. Il y a quand même une façon de voir le monde et les rapports entre les gens qui nous anime et nous fait vibrer.

– Tu évoquais tout à l’heure le fait d’être accusé de pires choses qui sont l’antithèse de ce qu’on est et porte, par stratégie, sans doute, de diabolisation, pour jeter l’opprobre. Fais-tu référence à cette propagande surréaliste d’inversion des réalités, qui s’invite depuis les attentas de 2015 sur la scène politicienne, selon laquelle les partis de gauche seraient, aujourd’hui en France, les tenants de l’antisémitisme (via le fameux «  islamo-gauchisme »), et ceux d’extrême-droite seraient, par magie, devenus les défenseurs des communautés religieuses minoritaires qu’ils ont toujours persécutées, les garants d’une laïcité qu’ils ont toujours exécrée et combattue, et les héritiers d’un esprit de la Résistance que leurs pères spirituels et historiques ont pourtant tenté d’anéantir ?

Oui, c’est hallucinant. Mais c’est le procédé que j’ai expliqué : à partir du moment où, sur les plateaux, il y a des gens qui sont tous colorés de la même idéologie, qui disent la même chose matin, midi et soir, et sont écoutés par des centaines et des milliers de personnes, les gens prennent cela pour vérité. Dire que la gauche, l’extrême-gauche, c’est pire que l’extrême-droite ; et puis ce n’est même plus d’extrême-gauche qu’il est question, mais d’ultra-gauche, de terroristes, bref toute la sémantique développée. Il va falloir mettre fin, à un moment donné, à leur pouvoir de nuisance avec ça, car l’idéologie qui sous-tend ce discours est celle du choc des civilisation, du retour des croisades, du « grand remplacement ». Il faut réunir les gens qui pensent qu’on peut vivre ensemble avec nos valeurs communes de juste partage des richesses, de protection des plus démunis et opprimés, de fin de toute-puissance des ultras-riches. Le côté dramatique de la chose, c’est que beaucoup de gens répètent ce qu’ils voient à la télé. « Les extrêmes » est une des grandes victoires sémantiques, à très court terme, de Macron. On a installé ça médiatiquement. On va toucher les limites de son machiavélisme à deux balles, mais l’idée était : tout ce qui n’est pas lui est à bannir, sous prétexte d’extrémisme. Mais le dirigeant qui a eu les comportements les plus extrêmes ces dix dernières années, c’est lui, dans sa façon d’afficher son mépris le plus complet pour les mobilisations citoyennes. Même cette phrase qu’il a dit à un journaliste, comme quoi il aurait « balancé une grenade dégoupillée dans les jambes » de ses adversaires, on peut penser que ce n’est rien, mais pour moi, ça dit tout sur le mauvais fond de la personne. On est dans une époque où on va chercher des mots, des expressions, qui vont loin ; et, pour moi, ce type de phrase en dit beaucoup d’une personne, une personne mauvaise qui a un pouvoir énorme dans les mains. Il a fait en sorte qu’on se monte les uns contre les autres pendant dix ans et se foute sur la gueule, en jouant aussi à faire croire aux gens qu’il n’y a qu’une seule alternative à lui, l’extrême-droite, en éliminant idéologiquement tout ce qui est à gauche. Mais les gens le détestent tellement aujourd’hui… Alors comment arriver à défendre nos idées de façon forte, radicale, non négociable, sans vouloir entrer en bagarre avec les gens, ces gens qui, pour un certains nombre sont des personnes avec qui on peut avoir à construire quelque chose dans un futur proche ou lointain ? Il faut déconstruire. C’est ma façon de voir, et mon rôle en tant qu’artiste : essayer de voir les chemins possibles, construire des ponts, dans une époque où tous les ponts on été dynamités, à coup de « grenade dans les jambes » donc, et on a bâti des murs partout.

– Je dois avouer, en tant que citoyenne désillusionnée et gagnée par l’incrédulité et le scepticisme depuis longtemps, avoir été surprise par la réactivité des partis de gauche au lendemain des résultats électoraux pour construire un front commun et élaborer un programme rapidement, en dépit de tous les désaccords politiques, querelles de chapelle, et parfois rivalités d’egos, ce qui a, au moins, le mérite d’avoir ouvert une perspective moins sombre dans le sinistre de l’horizon. Comment as-tu personnellement accueilli cette réponse, ce sursaut peut-être, aux élections ?

C’est un motif d’enthousiasme et d’espoir. Après il y a une limite à cela : on a de belles valeurs, des choses qui nous font vibrer, qui résonnent en nous, des idées qu’on a envie de porter et de voir s’incarner au quotidien, et c’est pour cela qu’on s’engage ; mais si certaines figures politiques s’engagent dans l’union, pour aller ensuite faire des déclarations dans les médias contre les uns et les autres, en cédant à cette idéologie de la diabolisation de l’extrême-gauche, où est le sens ? Ont-ils envie d’être le responsable de gauche le plus aimé des médias et des dirigeants de droite ? Il faut être heureux et fier de nos valeurs. A un moment donné il faut avoir le courage de dire aux médias que c’est faux de diaboliser certains avec des pires saloperies, des accusations ignobles, parce qu’ils se sont engagés pour défendre le peuple palestinien. C’est pour ça que quand les copains et copines de Libourne nous ont appelés, on à accepté tout de suite. Il y a une belle dynamique, quelque chose de frais, avec la jeunesse des figures politiques, quelque chose de la passation de témoin avec une nouvelle génération. Qu’on nous parle de défense des opprimés, d’entraide, de solidarité humaine. Bien sûr ce sont des valeurs de gauche, mais plus largement ce sont des valeurs humanistes. Une fois qu’on aura déblayé ces mensonges médiatiques, on se rendra compte qu’une immense majorité de gens dans notre pays veut vivre ensemble, avec les différences de chacun, dans un cadre respectueux, heureux et apaisé. C’est ce qu’on voit tous les jours quand on parle avec les gens.

– Il n’est, pour moi, pas question de nier l’existence d’une judéophobie à nouveau croissante dans notre pays, qui instrumentalise parfois le sort des Palestiniens et l’utilise comme prétexte, pour s’exprimer : tout acte criminel xénophobe, quelle qu’en soit la victime, est à condamner sans tergiverser. Toi qui étais aux côtés de Stéphane Hessel, à qui tu as dédié ta chanson « Indigniez-vous », on imagine combien ces accusations d’antisémitisme qui ciblent systématiquement toute personne s’indignant du sort du peuple palestinien et dénonçant la politique gouvernementale israélienne doivent t’écœurer. D’ailleurs précisément, toi qui as marché aux cotés et dans les pas de Stéphane Hessel, tu viens de parler de « passation de témoin » avec une jeune génération : que cela t’évoque-t-il ?

Ma fille fait partie de cette génération, engagée, dans le combat, avec cette foi qui a des raisons d’être. Ils ont des façons de faire très différentes, mais il y a un vent frais. Je trouve cela génial : déjà nous-mêmes, ça nous réveille, ça nous bouscule. On passe notre temps à dire qu’on ne « lâche rien », mais parfois on peut en être fatigués. Et là, on en est presque à regarder cette jeunesse et se dire que c’est nous qui allons les suivre, repartir au combat avec eux.

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Miren Funke

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