Entretien avec Jéhan pour la sortie de son cinquième album « On ne sait jamais »

8 Juin

Jéhan

Cinquième album de Jéhan, « On ne sait jamais » porte un titre sonnant comme un présage, presque une promesse, que va survenir une contre-évidence qui défie l’avènement de ce qu’on croit inéluctable. Et pour cause : l’artiste breton, qui, après ses expériences en groupes à distiller le « drunk country folk » qu’ils avaient créé, inspiré des Pogues et des Bad Seeds entre autres, puis partager des scènes avec Les Têtes Raides et Mellino (Les Négresses Vertes), avait déjà pris à revers ceux qui l’attendaient en solo dans un registre similaire de musique folk-rock festive et à boire, en aventurant son chemin individuel sous l’étoile d’une chanson folk certes, mais littéraire et mélancolique, y a ciselé treize morceaux, qui, s’ils ne l’extirpent pas de cet univers totalement, et en émanent, y ouvrent des brèches, par lesquelles d’autres teintes et tintements instrumentaux (piano, violons, harpe, trompettes), d’autres façons de remplir l’espace sonore, et la rigueur d’une écriture capable de raconter simplement des êtres, des parcours, des situations, tout en invitant immanquablement -et peut-être involontairement- l’esprit à croire y entendre d’autres degrés de lecture plus sibyllins, ont fait le choix de la sobriété et de l’intimiste, pour inventer paysage musical épuré et reconquis parcimonieusement par une richesse harmonique éparse et subtile. Quelque chose de la Chanson française classique s’y engouffre, pour nous offrir des portraits de personnes et d’animaux, des histoires humaines singulières, des vies modestes, presque anecdotiques, dans l’ignorance desquelles on pourrait passer toute notre existence, qui nous sont soudain rendues sublimes, du fait d’avoir attiré l’œil du poète et lui avoir inspiré une chanson, et émouvantes jusqu’à s’installer dans nos mémoires et y vivre. En rendant les invisibles visibles, les silencieux audibles, et en rendant, à sa façon, les ordinaires extraordinaires, c’est de l’attention délicate d’un intérêt pour d’autres humbles que témoignent ces titres, dont plusieurs questionnent cependant sur l’universalité que revêt chaque individualité (« L’homme passé » au caractère très énigmatique, ou encore « Attendre demain » aux multiples sujets possibles). Car si les chansons de Jéhan suscitent indubitablement l’empathie pour leur sujet, elles alimentent tout autant l’imagination personnelle et sa capacité d’appropriation du sens qu’elle peut croire en percevoir. Joint par téléphone, le chanteur nous accordait il y a peu un entretien.

Jéhan par Stéphane Perraux– Jéhan bonjour et merci de nous accorder cet entretien. Ce dernier album, comme les autres aussi, compte beaucoup de portraits humains, de personnages, qu’on imagine réels pour certains, peut-être plus fictifs pour d’autres. D’où vient et où va cette envie de raconter des gens ?

– Derrière chacun des titres, il y a forcément une part de vérité. J’ai envie de dire, en toute modestie, que, un peu comme chez un certain Jacques Brel, les personnages qui apparaissent dans les textes de mes chansons existent vraiment. Par exemple pour le texte,« Tout est dit » il s’agit d’une femme dont le regard m’a touché au point d’en écrire une chanson. En ce qui concerne Jennie Parker, le personnage de la chanson du même nom, c’est une femme qui a existé au tout début du vingtième siècle, du côté de Birmingham, en Angleterre. Elle s’occupait de ceux qui étaient revenus de la première guerre, complètement abîmés, cassés; j’avais l’impression de pouvoir la comparer à une certaine « Céline » d’Hugues Auffray, de cette femme qui veille sur les siens, au risque d’en oublier de vivre. Quant à « Madame Butterfly », c’est un peu différent. Ça n’a pas grand-chose à voir avec l’opéra de Puccini. Je suis parti d’une partition que j’avais trouvé dans une brocante, avec un texte qui accompagnait une musique. En partant du début de ce texte là, j’ai raconté l’histoire de cette « Madame Buterfly ». Le prétexte aussi d’évoquer la complexité du sentiment amoureux, qui est l’une de mes thématiques récurrentes. « Le revenant » raconte l’histoire d’un ami très proche, qui est parti très loin, et qui revient, d’un phénomène d’addiction que l’on connaît trop bien en Bretagne. Sans même lui en parler, j’ai eu besoin d’écrire son histoire, et puis, après coup, je ne savais pas si ce titre devait figurer sur l’album jusqu’à ce que des intimes, me disent qu’il fallait l’enregistrer. Quant au personnage de « Soudain la nuit », c’est aussi un autre proche, atteint parla maladie d’Alzheimer, à laquelle de fait, je suis confronté depuis quatre ans. Je ressentais aussi le besoin de l’évoquer, mais sans pour autant la nommer. Ce morceau a été aussi sur la sellette pendant quelques temps, et puis finalement on a décidé de le mettre sur l’album. Peut-être que le point commun qu’il y a dans la plupart des personnages de mes chansons, c’est que ce sont des héros ordinaires, qui n’ont pas pour habitude d’occuper le devant de la scène ; des personnes un peu cabossées, abîmées par la vie, différentes, singulières, rescapées, souvent des gens de peu, mais qui ont aussi tellement de choses à nous dire, pour peu qu’on sache les écouter.

– A ce propos, « L’homme passé » me fait exactement l’effet d’une chanson qui a des choses à nous dire entre les lignes aussi, pour peu qu’on sache les écouter. Avec le personnage assez énigmatique, l’ambiance un peu mystique, l’identité probable de ce personnage m’intriguait beaucoup : s’agissait-il d’un héros de récit biographique ou fictif ? D’un prophète de parabole ? D’une extériorisation d’un « soi-même » passé, celui qu’on fut ou a été, et qui revient nous croiser parfois ? Au point que s’est insinuée l’idée que, peut-être, la chanson ne parlait pas d’un personnage, mais de l’amour ; et réécouter la chanson, en remplaçant « il » par « l’amour » m’a confortée dans cette interprétation, tellement toutes les phrases prennent ainsi un sens assez clair, et ça fonctionne. Est-ce donc un titre à plusieurs clés de lectures ?

– En ce qui concerne ce personnage, je n’avais pas du tout pensé à la lecture que tu en proposes, mais oui, effectivement, ça fonctionne carrément. En fait l’« Homme passé » existe vraiment ; je le croise au moins une fois par semaine. Il marche sur les routes et les chemins à l’est de Rennes, à proximité de là où je vis. C’est un homme de petite taille, avec un manteau deux fois trop grand pour lui, et avec le regard qui fixe loin devant. Je trouve que, l’air de rien, dans une époque où tout va très vite, trop vite, cet homme qui marche, qui ne fait que marcher, interroge, à sa manière, et pose les bonnes questions : d’où vient-on ? Où va-t-on ? Qu’est-ce qu’on fait là ? Lui, il redistribue le jeu : il invite à s’arrêter et à se questionner. Ce qui est assez troublant, c’est que je ne suis forcément pas le seul à le rencontrer sur les routes. Il y a plus d’un mois, on a joué à l’est de Rennes, et après le concert, plusieurs personnes sont venues pour échanger à propos de « celui qui marche ». Ils avaient reconnu de qui il s’agissait, et c’était assez troublant. Il m’ont appris qu’en fait, on le surnommait « Jésus ». Je suis reparti avec ça , avec une sorte de satisfaction. Par contre je n’ai jamais osé m’arrêter pour lui dire qu’il m’avait inspiré un texte de chanson. Je ne sais pas si des gens lui ont dit, car il impressionne : il est de petite taille, mais il en impose tellement que, comme je le dis dans la chanson, on aimerait le serrer dans les bras, et en même temps, on n’ose pas. Mais ce qui m’importe surtout, c’est qu’il impressionne, intrigue, surprend. C’est peut-être avec ces personnages là, un peu singuliers, particuliers, que les choses vont évoluer, et qu’on ne va peut-être pas complètement finir dans le mur. Ils sont décalés et nous font peut-être peur parfois, mais ce sont eux qui ont une grande part de la vérité, ou du moins qui ont aussi des choses à nous dire, à leur manière, et qui nous amène à nous décentrer.

– Tu as parlé de « héros ordinaires » précédemment, et pourtant, tes chansons leur octroient une dimension de personnes assez extraordinaires. Le résultat correspond-il à l’intention ?

– J’essaye peut-être de les sublimer un peu. Quand je regarde dans le rétroviseur, depuis mon premier album, c’est un phénomène récurrent. Il y a des personnages comme ça qui s’invitent l’air de rien, au risque de nous déranger peut-être parce qu’ils ne se contentent pas simplement d’exister, mais d’oser vivre comme ils l’entendent. Ils font envie.

– Et y a-t-il dans ton intention d’écrivain une dimension de transmission, un désir de graver un peu de l’histoire de ces personnes pour en garder la mémoire, la partager, témoigner de leur existence ?

– Non. Ce n’est pas le propos, même si la chanson, reste quelque part un vecteur de transmission. Ce sont juste des rencontres qui me touchent, qui m’impressionnent. Je pense par exemple à cette femme que j’ai croisée lors d’une tournée au Québec. A partir de sa silhouette que j’ai à peine aperçue, et qui m’a touchée, j’ai questionné les personnes autour de moi à propos de cette femme qui vivait dans un des quartiers populaires de Montréal dans les années 70, le quartier de Hochelaga. Quand j’ai remis dans l’ordre les différentes pièces du puzzle de son histoire de « femme publique » en quelque sorte, comme il y a des écrivains publics, et que par la suite, elle en était rendue à vivre de la collecte de bouteilles consignées, je me suis dit qu’il y avait une belle histoire vraie à raconter, en s’efforçant de ne pas donner dans « le pathos », mais plutôt de lui rendre la dignité qu’elle méritait. En fait, comme je l’ai déjà dit, je suis souvent impressionné par ces hommes, ces femmes qui n’occupent pas le devant de la scène, mais qui pour moi, n’en sont pas moins importants. Ceux de peu comptent beaucoup.

– Il n’y a pas que les portraits de gens récurrents dans tes albums. Les chevaux, sont aussi des héros de tes chansons, et, cet album n’échappe pas au thème, avec le titre « Les chevaux de Montebello ». Quelle est donc l’origine ou l’histoire de cette fascination pour les équidés ?

C’est vrai que depuis le premier album, les chevaux sont très présents. Je suis né en ville, dans la région parisienne, avant de venir très vite, avec ma famille, nous installer en Bretagne. J’ai grandi dans les champs, et quasiment toujours vécu à la campagne, entre autres, avec des chevaux. Mais pas des chevaux que j’appellerais « de plaisance ». En centre-Bretagne, on côtoyait plutôt le cheval de labour. Ce compagnon important du paysan qui travaille la terre. Ce qui n’empêchait pas de considérer aussi les chevaux de courses; mais avant tout on était attentifs et reconnaissants envers les chevaux de trait, de labour. Le cheval m’a toujours attiré et impressionné en même temps. Parfois il me fait peur aussi. Il possède une force d’intelligence, une force de caractère si singulières. Et sans que j’y prête attention, c’est devenu un peu comme une marque de fabrique, d’une partie du propos des textes de chanson, où les chevaux sont souvent au rendez-vous. Si l’on s’arrête sur la chanson « Les chevaux de Montebello », il faut remonter en 1995. Lors d’une tournée dans Le Nord, on arrive à Lille, boulevard Montebello. Quand j’ai vu ce nom là, j’ai tout de suite trouvé qu’il sonnait et je me suis dit qu’un jour je ferai quelque chose avec ce mot. Et voilà : presque trente ans après, « Les chevaux de Montebello » sort enfin ! Mais le texte m’a surtout été inspiré au départ par le travail de Bartabas et le Théâtre Zingaro. Et par ma fille ! C’est elle qui est allée voir plusieurs fois ses spectacles, et à chaque fois qui me les racontait au détail près..! Étonnamment pour une fois, c’est la musique, qui au départ, m’a guidé pour ce texte là. D’habitude, ou la plupart du temps je travaille à l ‘inverse J’écris le texte, et ensuite, je cherche une musique de base, qui est arrangée par les gens avec qui je travaille. Ce morceau est un peu l’exception concernant la manière dont il a été construit.

– Tu as un parcours dans la musique assez riche, avec des expériences en groupe de musiques plutôt d’inspirations anglo-saxonnes, avant de démarrer un chemin en solo il y a plusieurs albums de ça. Peux-tu nous le raconter ?

– En fait j’ai toujours écrit en Français. J’ai commencé de façon assez tardive, car je n’ai osé monter sur scène que lorsque j’avais déjà presque 30 ans. J’ai commencé avec un groupe, en chantant en Anglais, mais très vite je me suis dit que ce n’était pas forcément la meilleure idée. En 1993 j’ai eu une autre formation, avec laquelle on était fier d’avoir créé le « drunk country folk », influencé par les Pogues, les Bad Seeds et Nick Cave, les Violents Femmes, les Shoulders aussi. On avait très peu de compos, mais on a quand même tourné une année. Ensuite j’ai contribué à la création du groupe Jack O’ Lanternes, avec qui on a joué plus de six ans à travers toute la France, et aussi en Palestine, avec des souvenirs qui me reviennent à la figure ces dernières semaines avec l’actualité. C’est une tournée de 5 dates qui m’aura bien marqué. Contrairement à ce que le nom du groupe pourrait indiquer, on était dans la lignée de Chanson dite festive, de groupes comme Les Négresses Vertes, ou Les Têtes Raides, avec qui on a partagé la scène plusieurs fois, avec la particularité d’une sonorité, peut-être pas traditionnelle celtique, mais d’instruments traditionnels, avec un violon notamment et un bodhran. Dans cette formation, nous étions deux chanteurs et deux paroliers. En 2000, pour différentes raisons, j’ai décidé de quitter le groupe et de partir sur un projet solo, avec un premier album en 2003. Au début, j’ai été influencé par l’écriture de chanson réaliste, dont je pense m’être affranchi par la suite. Même si mon propos est loin d’être celui de La Compagnie Créole. J’étais très attendu du côté de la Chanson festive, et donc les gens ont été un peu déroutés au départ. Et puis à partir du troisième album, ils ont vu que j’avais encore des choses à dire, et une autre manière d’exister sur scène. Mes influences viennent d’un Jacques Brel, Alain Bashung, Allain Leprest, Bernard Dimey aussi, et d’ un certain Arno qui aura été un jalon de mon parcours.Et puis, il y a les autres, comme Nick Cave, Léonard Cohen, Bob Dylan, et d’autres moins connu, comme Stuart Staples, le chanteur des Tindersticks. Mais en termes d’influences, il y a aussi beaucoup la littérature. Pierre Mac Orlan, qui est à l’initiative de ce qu’il a appelé le « fantastique social », m’aura incité à écrire mes tous premiers textes de chanson. Après, il y aura eu la rencontre de l’oeuvre de Georges Perros, de Xavier Graal, et puis du belge William Cliff, des américains comme Raymond Carver, ou Dan Fante. Je lis essentiellement de la poésie. Mes derniers coups de coeur sont Sarah Teasdale. et Kate Mansfield.

– D’un point de vu instrumental et musical, cet album s’écarte un peu (pas tout à fait) des précédents, par des orchestrations moins folk-rock, et plus calmes et sobres, et une présence remarquée du piano. Cela relève-t-il d’une volonté d’aller plus vers la Chanson française dite « à texte » ?

Cet album a d’abord la particularité que c’est la première fois que je travaille de manière consécutive avec les mêmes musiciens. Jibé Polidoro et Gaël Faun forment un peu un binôme inséparable que j’ai reconcentré grâce à Gil Riot. Jibé avait travaillé sur l’album de Gil, et j’avais beaucoup aimé ce qu’il avait pu faire. Gaël et Jibé étaient déjà présents sur mon album précédent, « Vivement Maintenant », pour lequel la collaboration s’était vraiment bien passée. Il me semblait qu’on avait encore des choses à faire, à dire ensemble, et le fait de retravailler avec eux était une évidence. Pour moi la musique est avant tout une histoire de rencontres. Et là, ça faisait longtemps que j’avais envie de faire un album piano-voix, mais je n’avais pas forcément les bonnes personnes pour le réaliser. C’est un album qui est aussi construit autour d’un événement personnel, qui a orienté les directions qu’on a prises. Je ne l’avais pas conçu comme cela au départ ; j’avais l’idée de faire deux albums : un album piano-voix, et un avec guitare-basse-batterie. Et finalement on est parti sur le projet de resserrer les choses. Avec Jibe, on a préparé l’album, et Gaël nous a rejoint. Et puis les invités sont venus, comme Gil Riot, une toute jeune artiste lilloise, Lila Frogg, qui chante à mes côtés sur « Loin de tout », et commence à avoir ses propres compositions, du haut de ses 18 ans. C’est une amie de Gil Riot. Au niveau de la voix, elle a quelque chose, vraiment, même si elle n’a pas encore beaucoup de « coffre ». Mais on ne va surtout pas lui reprocher d’ être jeune.. ! C’est une jeune femme qui a des choses à dire, des émotions à faire passer, et que l’on va vite découvrir en solo sur scène. A mon sens, elle fait partie d’ une génération qui n’a pas eu besoin « d’aboyer » pour se faire entendre. Peut-être aussi parce que ce sont des gamins qui ont tout eu ou presque, sans avoir eu besoin de demander. C’est peut-être pour ça qu’ils chantent tout bas.. ! En studio ça a été tout un travail pour Jibé de capter sa voix et cette émotion, si singulières. Il y a aussi Morgane Le Moal, qui a couvert l’album en tant que photographe, mais qui, accessoirement, joue aussi de la harpe. On en a donc posé quelques notes sur « Les chevaux de Montebello » , qui se marient assez bien avec le jeu du violon de Pierrick Lemou. Il y a aussi Fanch Lagadec qui joue de la trompette et de la scie musicale. C’est donc un album produit de façon assez sobre, mais quand même avec une certaine diversité, et c’est grâce au travail de Jibé, qui a une culture très Rock, mais aussi une culture très Chanson française des années 60-70, vraiment pointue. Il voyait où aller pour tirer le projet vers un album plus « Chanson française » que le précédent, qui restait très Folk-rock. C’est le parti pris, avec des textes en avant. Je fais encore beaucoup de dates en solo pour la scène, mais nous allons tourner en trio avec Jibé et Gaël pour les chansons de cet album.

– Quelles sont les exigences d’écriture qui guident ta plume ?

– Le format chanson me correspond bien. J’ai aussi la prétention d’écrire peut-être un jour un recueil de poésie. Mais je suis déjà sur l’écriture d’autres textes de chanson pour un prochain album, alors que celui-ci vient tout juste de sortir. Aujourd’hui pour moi, ça va de soit. Pourtant il y a vingt ans, lorsqu’on me parlait de l’écriture du prochain album, alors que je venais tout juste d’en sortir avec l’impression d’avoir tout dit, d’avoir tout donné, et de n’avoir plus rien à dire, je ne comprenais pas la question.. ! Aujourd’hui ce n’est plus le cas : même si les thématiques sont récurrentes, j’évoque les même choses, mais d’une autre manière, en essayant d’aller plus loin. C’est un peu comme un filon. Un album, c’est une photo, un point de situation, là où l’on est rendu. J’écris un peu tous les jours, et je fonctionne avec des sortes de filtres : parfois j’écris des bouts de texte, et je sais qu’ils vont aller pour tel ou tel morceau, ou pas, et je les garde pour plus tard, et parfois aussi j’écris d’un trait, ou en une nuit, comme une sorte de fulgurance. Rien n’est vraiment déterminé ; je n’ai pas de recette d’écriture. L’exigence en écriture pour moi est que le texte sonne et qu’il reste accessible, que chacun puisse s’y retrouver. Cela me touche beaucoup que tu aies pu voir autre chose dans « L’homme passé » que ce que j’ai voulu raconter. Pour moi, le texte se doit de rester à la portée de chacun, quitte à ce qu’il soit interprété, ou lu d’une autre manière. Aujourd’hui l’écriture vient plus facilement, mais je reste attentif à ne pas bâcler les choses non plus.

– J’oserais un parallèle entre mon interprétation de « L’homme passé » et la chanson « Attendre demain », qui, pour moi, peut parler d’une personne, mais aussi de la vie en général, qui passe pour chacun de nous, voire de la mémoire. Y a-t-il de ça ?

– C’est un peu ça oui. J’ai aussi un peu hésité avec ce texte, « Attendre demain », parce qu’il n’est pas très fun, et je ne voulais pas plomber l’album. Mais comme de plus en plus d’entre nous, je suis dans le dernier tiers temps du voyage, comme pratiquement la moitié des gens du pays. Malgré moi, La mort s’invite de plus en plus souvent dans ma vie, avec les interrogations qui vont avec, mais sans pour autant me faire peur. Chaque jour, je sais que c’est un jour de plus, et un de moins. J’ai besoin de l’évoquer, pour mieux l’appréhender je crois. Pas avec dérision, mais avec de vraies questions. « Attendre demain », c’est ça.

– Tu as cité Dimey tout à l’heure parmi tes influences. Tu sais, j’imagine, que tu as un presque homonyme, le chanteur Jehan, qui a fait un album de reprises « Jehan chante Dimey ». A quand un duo ?

– Oui ! J’aimerais vraiment le rencontrer un jour. Je sais qu’il a fait parti de cette bande, dans laquelle il y avait Leprest, et un certain Gustave Pierron aussi, à l’écriture remarquable. Et je devine que nous n’avons pas que le nom en commun, avec cette petite nuance de l’accent. Pour ma part, il est sur le « e », alors que pour lui, il est dans la voix.. ! Un jour, on va forcément se croiser. Qui sait .. ?! Ah mais oui, mais non, c’est vrai. On ne sait jamais…

Jéhan par Annick Fidji

Miren Funke

à la mémoire de mon ami Gilles, de Rennes et Martin, et de ses chevaux.

Photos : Stéphane Perraux, Annick Fidji

Liens : https://www.jehanofficiel.com/

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