Prolégomène : Dans le top 5 des photographes qui m’accompagnent, Willy Ronis, dont l’exigence en matière de photo de reportage ‘engagée’ a toujours été d’une honnêteté rigoureuse, jusqu’ à quitter l’agence qui vendait ses photos, car on respectait pas l’esprit avec des légendes inexactes. Ce qui l’a conduit à s’exiler dans une quasi ruine provençale durant plusieurs années, en raison de la perte de revenus qui a suivi cette décision, quitter l’agence de diffusion. Ce qui suit est indirectement un des effets secondaires d’une mauvaise lecture possible d’une photo de reportage.
« C’est une des 100 photos qui a changé le monde selon le magazine Life. Au beau milieu d’un marathon, on voit une femme qui court, soudainement bousculée par un homme en costume qui tente sans succès de lui arracher son dossard n° 261. »

Ce texte accompagne la photo ci-dessus sur une page FB. Cette femme c’est Kathrine Switzer, engagée dans le marathon de Boston en 1967… Pendant la course, au 6 ème km, le directeur de la course se précipite pour lui arracher son dossard : « sortez de ma course... » L’action est brève mais violente, et il est éjecté par deux concurrents masculins Tom Miller, et John Leonard, amis de Kathrine Switzer, l’un est athlète, et l’autre joueur de foot-ball américain . Sur la page FB où cette photo était publiée, avec les 3 lignes de présentation, j’ai précisé que les deux concurrents masculins ont éjecté l’importun, parce que c’est ambigü sur l’image, on pourrait y voir une agression de leur part.. Ça m’a valu illico le qualificatif de « tocard » ce qui est peut-être vrai, mais l’imprécision des lignes accompagnant la photo méritait de souligner que -selon les propos de Kathrine Switzer- elle n’a pas eu d’hostilité de la part des concurrents, mais uniquement des instances du sport, voilà .. Une photo mérite parfois une légende précise pour éviter d’être mal comprise, c’est pas Willy Ronis qui me contredira sur ce point.
Les protagonistes de cette affaire :
– Kathrine Switzer, universitaire et athlète
– Jock Semple un des organisateurs
-Tom Miller et John Leonard, des amis sportifs, foot-ball américain et athlétisme
– Arnie Briggs son entraîneur
Une autre photo aurait été plus explicite sur qui fait quoi dans cette affaire ..

En 1967, elle a 20 ans, elle parcourt davantage que la distance d’un marathon à l’entraînement et le règlement du marathon de Boston n’interdit pas explicitement aux femmes de participer, Kathrine Switzer parvient donc à convaincre Arnie Briggs de soutenir son inscription. Lors de son enregistrement officiel, elle préfère utiliser les initiales de ses prénoms, « K.V. » (Kathrine Virginia), qu’elle emploie déjà pour signer ses articles écrits pour le journal de l’université .
Le 19 Avril 67, jour de la course, elle porte le dossard 261. Elle est encouragée par les autres participants et le public. Malgré son apparence et le fait qu’elle porte du maquillage, du rouge à lèvres et un serre-tête en plus de son short et d’un survêtement, elle n’est pas empêchée de prendre le départ aux côtés de son entraîneur Arnie Briggs et son compagnon Tom Miller,… (pour la suite voir wikipédia qui indique qu’une autre concurrente, Roberta Gibb, qui n’était pas enregistrée avait parcouru le marathon l’année précédente. ) Suite de son palmarès:
1972 Marathon de Boston Boston 3 eme Marathon 4 h 49 min 18 s
1974 Marathon de New York New York 1ère Marathon 3 h 07 min 29 s
1975 Marathon de Boston Boston 2 ème Marathon 2 h 51 min 37 s
A écouter cette émission de 2016 : https://www.franceinter.fr/emissions/l-oeil-du-tigre/l-oeil-du-tigre-09-octobre-2016
Revenons au propos initial qui concernait cette photo, une de celles qui ont changé l’histoire. Le petit texte qui la présente est très incomplet, mais surtout il met en avant l’agression dont est victime la concurrente. Et sans explication, on peut croire que les deux hommes derrière elle, essaient de lui arracher son dossard et la sortir de la course, on pourrait même ne pas comprendre que le seul agresseur est celui qu’on voit le moins. Pour avoir apporté cette précision, j’ai eu une réponse « tocard qui fait du mansplaining »… J’aurais pu souligner aussi que ce n’est pas au milieu du marathon, mais au 6 ème km, mais c’est un détail sans grande importance.
Que certains sports soient résolument misogynes, personne n’en doute, que la société ait de considérables progrès à faire dans ce domaine, ça me semble d’un évidence criante. Il m’a semblé dommage que cette photo laisse autant de place à des imprécisions dommageables.
Norbert Gabriel