Un précédent entretien avec le chanteur irlandais David Carroll nous avait donné l’occasion de rencontrer l’univers hétérogène de ce bordelais d’adoption aux origines multiples qui joue à croiser héritages musicaux folkloriques et influences de genres plus modernes dont la fièvre l’a contaminé dès ses premières transcendances dans la musique [https://leblogdudoigtdansloeil.wordpress.com/2014/08/22/rencontre-avec-david-carroll-lhomme-par-qui-arrive-le-renouveau-de-la-protest-song/ ]. Ses deux premiers albums, « The Guest » et surtout « Songs of Love and Protest » célébraient le métissage, incongru pour certains, de la Protest song et de l’Electro -du Hip Hop même-, incorporant dans l’enveloppe Folk-Blues des ses chansons des éléments d’habillage sonore électriques, synthétiques, et électroniques, et semblaient défricher un nouveau sentier, à la fusion d’influences musicales pas si évidente à marier, dont on aurait pu s’attendre à ce que l’artiste creuse le sillon. On attendra encore… A contre-courant du mascaret qu’il a initié, et cette fois en groupe, David Carroll est venu nous surprendre au 16 septembre dernier avec un troisième album « David Carroll and The Migrating Fellows », qui sonne comme un retour aux racines acoustiques dépouillées et au Blues tellurique. Ni boites à rythmes, ni synthétiseurs, ni ordinateurs : juste une équipe de trois musiciens, renforcée ponctuellement, selon les titres, par les chœurs, les cuivres, les instruments à vent et à cordes d’invités (Gilles Puyfagès, Joseph Doherty, pour ne citer qu’eux), qui viennent amplifier l’ivresse et l’envoutement naturels d’un Blues instinctif, aux accents cajuns, aux couleurs gospel, et où néanmoins se fait toujours entendre un brin de culture celtique. David Carroll acceptait il y a quelques jours de nous parler de ce disque.
– David, bonjour et merci de nous accorder un peu de temps. Ce nouvel album arrive tout d’abord comme une surprise d’un point de vue sonore, après « Songs of Love and Protest » qui réinventait une Protest Song non conventionnelle jouée avec des outils propres à d’autres genres de musiques plus modernes, et en même temps frictionnait entre eux deux courants musicaux éloignés –et prétendument antagoniques- par curiosité pour les étincelles qui jailliraient de leur rencontre. D’où t’es venu ce désir de retour à un Blues plus originel, essentiel?
– Cela fait deux ans que j’ai eu envie de revenir à quelque chose de très acoustique. On en avait d’ailleurs parlé lors du précédent entretien : j’ai cette double culture à la fois de Folk très « roots » et d’Electro. Sur l’album précédent, je m’étais fixé le challenge de mélanger ces univers là. Ca n’a pas été simple ni en termes de productions, ni vis-à-vis de la manière dont le disque a été reçu ; beaucoup de gens n’ont pas compris ma démarche. Ce n’était pas du tout un disque de puriste ; or le milieu musical est quand même organisé autour de chapelles, et de plus en plus, de micro-chapelles. Dans la chapelle du Blues, les gens n’ont pas apprécié la présence boites à rythmes et de synthétiseurs, et inversement dans la chapelle de l’Electro, les gens ont trouvé ringard d’introduire du Blues. Pour ma part je suis très content d’avoir réalisé ce disque, car j’avais besoin de frotter ces deux sphères d’influences musicales différentes pour voir ce qui allait en sortir. Mais du coup, en suivant, j’avais envie de quelque chose de simple et spontané, sans avoir recours à des tonnes de matériels sur scène. Cela pose des contraintes techniques qui sont un peu lourdes et dont j’avais besoin de me débarrasser. Le spontané, le simple, l’instantané, c’est ce que je faisais quand j’ai démarré dans la musique. Ceci dit, les influences en terme d’écriture et de style sont toujours un peu les mêmes. Par contre en termes de production, c’est différent. C’est-à-dire qu’on a fait un truc très brut, avec uniquement des instruments acoustiques. Du coup ça ressemble à plein de vieux sons. Alors que sur l’album précédent, il y avait pas de mal de synthétiseurs, de boites à rythme, de guitares électriques, qui faisaient que ce songwriting de Blues-Folk traditionnel ne se sentait pas autant, car il était revisité avec des sonorités plus modernes. Mais si on considère cet album sur le plan de l’écriture de chanson, des grilles d’accord utilisées, ça change assez peu par rapport à l’album précédent.
– Ton utilisation de l’harmonica aussi a évoluée vers un son plus « sale ». Est-ce une nécessité esthétique pour cette musique ?
– Ça fait bientôt deux ans que nous sommes sur scène en trio acoustique –contrebasse, batterie et guitare- et l’harmonica prend de plus en plus de place. Il y a même des morceaux où je lâche la guitare pour ne jouer que de l’harmonica. J’aime bien le côté « cradingue » de cet instrument. Il y a des gens qui jouent de l’harmonica très proprement, à la Steevie Wonder bien sûr. Mais l’harmonica que j’aime est celui qui possède ce son un peu crasseux. En plus je l’ai encore plus sali dans le mixage en rajoutant de la distorsion, pour aller chercher ce son un peu roots que j’aime beaucoup. Le Blues est une musique qui a au départ les pieds dans la boue. Ensuite quand le Blues est devenu urbain dans les années 40, avec tous ces musiciens qui sont montés du Delta jusqu’à Chicago, c’est toujours resté malgré tout une musique un peu sale. Le Blues ne fait pas dans le raffinement ; c’est brutal et animal, rudimentaire. C’est faire de la musique avec que dalle. Ce qui est à peu près le principe de toutes les musiques traditionnelles. Mais le Blues présente cette spécificité noire-américaine qui est que ce n’est pas seulement la musique du peuple, mais la musique d’un peuple en esclavage, donc jouée avec des moyens encore plus rudimentaires, mais qui exprime aussi peut-être une douleur encore plus grande.
– On entend néanmoins toujours des influences de musiques celtiques dans ton écriture. Comment parviens-tu à intégrer cette culture, dont tu es issu, dans une -sinon la- musique noire-américaine par excellence ?
– Pour moi en fait, dans l’espèce de Big Bang de la musique américaine du XXème siècle, il y a des ingrédients celtiques. Le Blues, c’est la rencontre des traditions africaine et irlandaise et écossaise. Historiquement il y a eu une grande proximité entre les Irlandais immigrés en Amérique et les esclaves ; les Irlandais n’étaient pas légalement en esclavage, mais ils formaient une communauté de sous-fifres et de servants au service des colons anglais et des patrons de la jeune Amérique. Leurs conditions de vie étaient proches de celles des esclaves. Il y a sans doute une part de fantasme chez moi aussi, au sens où je m’imagine bien les servants irlandais et les esclaves noirs fraterniser autour d’une guitare et d’un violon, et j’aime bien l’idée que toute la musique américaine est issue de cette rencontre. Mais il n’empêche que cette proximité a existé entre les deux communautés. Et puis harmoniquement, on retrouve des correspondances de gamme entre le folklore irlandais, l’africain et le Blues : ils se jouent tous en pentatonique, sur les mêmes 5 notes, certes avec des rythmes un peu différents. La tradition cajun, qui est aussi un Blues, est restée en lien avec les musiques irlandaises, alors que le Jazz demeure plus proche de la tradition africaine. Mais tout cela sort du même bouillon.
– La musique cajun justement, parlons-en. Ses influences sont très présentes dans cet album. Comment cette référence nouvelle, qui a, du reste, sans doute été pour beaucoup dans l’enregistrement inédit chez toi de chansons en Français, est entrée dans ta musique ?
– Ça fait deux ou trois ans que je m’intéresse vraiment de plus en plus à la musique du sud des Etats Unis, de la Louisiane et de la Nouvelle-Orléans particulièrement. Pour moi, c’est le berceau de toutes les musiques populaires du XXème. Je me suis un peu penché sur les différentes ramifications de cette musique. Le Cajun avait au départ un côté un peu « blanc bec » qui ne m‘attirait pas trop. Mais en fait il existe une branche de la musique cajun, qui s’appelle le Zydeco, qui est jouée exclusivement par des Noirs francophones ; c’est une musique de danse géniale, très proche de plein de musiques de danse d’Afrique de l’ouest et d’Afrique du sud. Ca me parle beaucoup. Par ailleurs, ça faisait longtemps que j’écrivais occasionnellement en Français, et je n’arrivais pas à faire rentrer mes chansons en Français dans l’univers musical qui est le mien. Et c’est en me penchant sur la musique cajun que j’ai trouvé une petite porte d’entrée sur la francophonie. Cela m’a permis de me décomplexer un peu, et j’ai réussi à mettre pour la première fois trois morceaux en Français sur un disque, en ayant le sentiment que ça ne dépareille pas trop. Le titre « Parlez Nous à Boire » est un morceau d’un groupe cajun des années 60-70, les Balfa Brothers. Evidemment la musique cajun est microcosmique : tu as quelques milliers de personnes qui écoutent ça en Louisiane, un peu au Canada francophone, et très peu en France. Je trouve cela assez hallucinant d’ailleurs que la musique cajun soit aussi peu connue en France. Il y a quelques années Féloche avait fait un disque un peu sous influences cajun, mais ça reste des expériences isolées. Je ne comprends pas qu’il n’y ait pas une grosse scène cajun ici, alors qu’on est baignés de francophonie et de musiques américaines. Mais c’est peut-être en train de sortir un peu de l’undergound : j’ai récemment entendu des morceaux de Rap cajun par exemple. C’est une musique dans laquelle je retrouve toutes les branches de ma culture musicale : à la fois le celtique et l’afro-américain. Et avec Joe [Joseph Doherty], on se retrouve sur ces musiques. Ca lui parle aussi beaucoup, car il est irlandais et nourri de musiques afro-américaines comme moi. Il a d’ailleurs joué du violon sur mon album pour le titre « Parlez Nous à Boire ». Et sur ce même titre, Gilles Puyfagès [accordéoniste du groupe Rue de la Muette] joue de l’accordéon.
– Gilles Puyfagès, que nous avons vu récemment avec son groupe Rue de la Muette au festival Musicalarue, est un accordéoniste très talentueux. Comment s’est faite votre rencontre ?
– Je l’ai rencontré grâce à Sam, mon contrebassiste, qui est de Limoges et joue avec Gilles dans différentes formations. Gilles, lui, est d’Argentat. C’est un peu le jeune prodige de l’accordéon, et en plus cette région est un peu la maison mère de l’instrument. On a fait une ou deux scènes ensemble, et puis une session pour ce titre là. Le traitement de l’accordéon d’ailleurs est assez rigolo, puisque c’était un morceau cajun, et contre toute attente, le jeu ne s’apparente pas au jeu traditionnel de l’accordéon cajun. Nous avons principalement conservé le jeu de la main gauche, et comme il n’y a pas de contrebasse sur le titre, c’est le clavier d’accords de l’accordéon qui constitue la base basse du morceau. Et cela ramène une atmosphère un peu de transe, qu’on peut parfois faire durer sur scène 15 ou 20mn pour la pousser à fond. Invariablement en concert, les gens pètent un câble sur ce morceau, parce qu’il y a ce truc qui rend un peu dingue de répétition d’une phrase en boucle. En tant que danseur, j’adore me mettre dans ce genre d’état de transe, et pouvoir proposer ça en tant que musicien, c’est génial.
– Revenons au Français. Pourquoi n’as-tu pas, selon toi, trouvé le moyen de composer avec cette langue avant ?
– Jusqu’à maintenant je n’avais pas trouvé la bonne porte d’entrée. Il y avait même un morceau écrit, composé et produit qui était prévu sur l’album précédent, « Ouvrez les frontières », que j’ai retiré au dernier moment, parce que j’ai trouvé qu’il ne s’imbriquait pas dans la cohérence de l’ensemble des autres chansons. Ce que j’ai compris avec la musique cajun, c’est que ça a à voir aussi avec le niveau de langage utilisé. C’est-à-dire que dans le Cajun comme dans le Blues, on emploi un langage très populaire, très simple, avec des mots de tous les jours pour aborder des thématiques du quotidien. Et comme, même si je suis anglophone, j’ai fait toute ma scolarité en France, j’ai spontanément un niveau de vocabulaire beaucoup plus élaboré en Français qu’en Anglais. Je suis en train d’apprendre à me débarrasser de ça, à écrire des choses un peu compliquées, poétiques et abstraites pour revenir à des choses simples. Et ce n’est pas facile. Mais j’y travaille ! L’autre chanson en Français qui ouvre l’album « Nulle part où aller » porte un texte que j’ai écrit en dix minutes. Alors il est imparfait, mais fonctionne très bien avec cet univers harmonique très minimal. C’est un morceau avec un accord ; le texte doit donc aussi être simple et direct pour que ce soit cohérent.
– Peux-tu parler des musiciens qui t’entourent ?
– J’ai d’abord rencontré Sam Tardien, le contrebassiste, à Astaffort, chez Francis Cabrel. Nous étions l’un et l’autre là pour accompagner des artistes, Denis Paroton pour lui et Le Larron pour moi. Nous travaillions sur des ateliers d’écriture en journée, et mangions ensemble le soir. Et naturellement on s’est retrouvés à taper le bœuf ensemble avec l’artiste limousin Anthony Picard. On s’est rejoints sur des influences communes de Blues, de Folk, de Traditionnel irlandais ; et ça m’a un peu surpris à vrai dire d’être là, au fin fond du Lot et Garonne avec des musiciens qui ont passé toute leur vie dans le Limousin et découvrir qu’on partage les mêmes repères musicaux. J’ai trouvé ça assez fou, incongru et magique. Du coup, lorsque j’ai eu envie de remonter un groupe plus acoustique, j’ai appelé Sam, et on a commencé par jouer dans des bars, un peu à l’arrache. C’était d’une fraicheur et d’une spontanéité que je n’avais plus connue depuis longtemps sur scène ! Un vrai courant d’air frais. Quelques mois plus tard, Joe [Joseph Doherty, toujours] m’a présenté un copain batteur, Laurent Besch, avec qui j’ai fait plus ample connaissance à l’occasion d’un repas de quartier, et dont j’ai découvert qu’il était avant le batteur d’un groupe de Noise ultra dansante que j’adorais, Otto. Je me souviens
avoir même écrit un article sur ce groupe qui était un gros coup de cœur pour moi, car il m’arrive de faire le gratte-papier occasionnellement pour des sites musicaux. Le hasard était vraiment drôle de me faire rencontrer ce batteur issu de ce groupe, et en plus grâce à Joe ! Je lui ai donc proposé de se joindre à mon groupe. Notre trio s’est tout de suite entendu, avec les apports que chacun y amène : Sam a une culture de Bluegrass et donc un jeu de contrebasse hyper solide et des harmonies vocales intéressantes, et Laurent qui vient du Rock et de la Transe apporte ce côté un peu vaudou. On s’est retrouvés dans une espèce de triangle louisianais et on creuse ensemble ce terroir. La rythmique et les harmonies vocales sont les deux axes qu’on travaille en ce moment.
– Cela s’entend notamment dans le morceau « A child is born », aux accents très gospel. Comment s’est imposé le choix de traiter ce thème qui s’inspire pourtant d’une histoire irlandaise avec un registre musical plutôt afro-américain ?
– En effet, le morceau est inspiré d’une nouvelle de Joseph O’Connor qui s’appelle Agnes More, tirée du recueil Where have you been. C’est une lecture qui m’a beaucoup marqué, et cette nouvelle là en particulier. Elle raconte une tranche de vie dans une famille irlandaise, dans les bas-fonds new-yorkais au début du XIXème siècle, famille irlandaise, qui, comme des milliers d’autres, a fuit la famine en Irlande pour trouver la misère en Amérique. Partie pleine d’espoirs, elle se fait rapidement rattraper par la misère du prolétariat américain. Et puis une naissance arrive dans cette famille, mais l’enfant meurt peu de temps après être né. C’est très sombre, et bien écrit, pour parler du deuil et du rapport à la mort, qui pour moi a un côté très africain, au sens où ça parle de la douleur de perdre un enfant, qui est la plus grande qu’on puisse vivre dans une vie, et en même temps de cette distance induite par le fait que ça arrive souvent, que la mortalité infantile est très présente. Certes cet enfant meurt et c’est triste, on en fera d’autres. J’ai retrouvé à travers cette histoire ce cousinage afro-irlandais dont je parlais plus tôt. On a en Irlande aussi une tradition de veillée funèbre et d’enterrement qui est assez festive : tous les proches se retrouvent, on boit, on joue de la musique, on pleure, mais on rigole aussi. Au moment d’écrire, j’étais plongé dans une série qui s’appelle « Treme » et qui raconte la vie des musiciens de la Nouvelle-Orléans après l’ouragan Katrina. Elle a été réalisée par David Simon, qui a également fait la série « The Wire » ; c’est quelqu’un qui a amené le commentaire social dans la série américaine. Et il y a dans cette série des scènes d’enterrement fabuleuses, dans la tradition festive de la Nouvelle-Orléans, avec des marches funèbres où le cercueil du défunt est accompagné par un Marching Band menant à une espèce de catharsis musical qui va des larmes à la fête et la joie de se retrouver pour célébrer le disparu. En fait j’avais envie de raconter cette histoire irlandaise avec une bande originale louisianaise, car elle porte ce même rapport à la mort, où la musique est très présente comme moyen de transcender la douleur de la perte d’un être aimé. C’est pour ça que se mêlent dans le morceau cette tourne rythmique traditionnelle de la Nouvelle-Orléans, du violon cajun et des cuivres.
– Beaucoup de musiciens et choristes t’ont rejoints sur scène, lors du concert au bar Quartier Libre à Bordeaux pour l’interpréter. Qui sont-ils ?
– En fait c’est toute une bande qui est venue enregistrer sur l’album pour deux titres « A child is born » et « Even your love can’t save me », bande composée d’une section de cuivres et d’une section de chœurs. Et ils nous rejoignent quand c’est possible sur scène pour interpréter ces morceaux. C’est ce qui explique qu’au bar Quartier Libre, nous nous sommes retrouvés à la fin à 8 ou 9 sur scène. Comme musicien additionnel, on retrouve Joe Doherty au saxophone baryton et au violon, Gilles Puyfagès à l’accordéon, François-Marie Moreau au saxophone ténor, Alexandre Maillard au trombone, Gilarno Perrin au saxophone soprano et sa compagne Maud Gari au chant, Alain Duffort à la trompette, Anthony Picard (sur le disque) et Pierre Bellouard (qui nous a prêté son dobro au Quartier Libre) au dobro, et Marjory Besch, la compagne de Laurent. C’est toute une bande de copains musiciens bordelais. Avoir une section de chœurs et de cuivres sur scène est une chose vers laquelle j’aimerais vraiment aller plus fréquemment. Pour l’instant, on se heurte à des difficultés de gestion de planning et d’économie, au sens où il est plus
facile de tourner à trois musiciens qu’à huit dans des réseaux indépendants, sans compter que
certains ne sont pas intermittents du spectacle et exercent donc un métier alimentaire à côté qu’ils ne peuvent pas toujours quitter pour venir en tournée. Mais ce qui est sympathique dans le fait d’être un trio très solide, c’est qu’on peut inviter au pied levé des musiciens à nous rejoindre pour renforcer l’équipe ponctuellement, comme nous le faisons avec les copains de Limoges, ou parfois même des gens que nous ne connaissons pas forcément. C’est un ensemble à géométrie variable, et c’est chouette de pouvoir accueillir des rencontres musicales spontanées.
– A ce propos, tu as joué au Krakatoa de Mérignac avec le groupe Moriarty. Peux-tu dire un mot de cette rencontre et d’éventuelles autres collaborations qui te plairaient ?
– Ils m’ont invité la dernière fois qu’ils sont venus jouer à Bordeaux. Ce sont des copains depuis l’époque où nous avons démarré la musique à peu près au même moment et nous avons partagé des scènes. Nous avons beaucoup d’influences communes ; en outre ce sont des gens que j’apprécie humainement. A l’époque, il y a trois ans, j’avais monté un petit spectacle en hommage à Woodie Guthrie, et comme sur leur album précédent, il y avait une reprise de Guthrie, « Buffalo skinners », ils m’ont invité à venir interpréter la chanson avec eux au Krakatoa. La Maison Tellier est aussi un groupe que j’aime bien et que je croise régulièrement, même si nous n’avons jamais eu l’occasion de jouer ensemble. Ce sont des gens qui font parti des rares en France à faire justice à cette tradition de musique américaine, et qui en plus le font en Français et très bien. Etant anglophone, je ne suis pourtant pas très bon client de chanson francophone, mais ce groupe possède un songwriting vraiment de qualité ; ils savent raconter des histoires et réussissent à poser ce style de conteur très français dans un écrin musical purement américain. Et ça fonctionne chez eux, alors que généralement ça fonctionne très rarement. Ce sont des gens avec qui je partagerais volontiers des moments de musique.
– Avez-vous des concerts en prévision ?
– Nous allons jouer le 8 octobre dans un festival de Blues en Pyrénées Atlantiques, à Sames, le Sames Blues Fest. Nous avons beaucoup joué cet été, donc pour l’instant à part cette date, c’est assez calme. Mais ça va reprendre d’ici la fin de l’année, puis repartir en tournée de manière plus intensive au printemps. D’ailleurs nous allons retourner à Chanteix (19), où nous avons joué cet été pour le festival Tuberculture. J’aime beaucoup ces festivals à l’esprit de « village gaulois », ou le tissu social du village entier est impliqué, comme c’est le cas à Luxey aussi. L’esprit de proximité et de convivialité se ressent dans les rapports entre les gens, les artistes, les organisateurs : on est plus dans du lien véritable que dans de la représentation spectaculaire avec débauche de moyens techniques. J’aime pouvoir avoir un échange avec les gens. Et au sein du public, beaucoup de gens sont aussi à la recherche de festivals à taille humaine ; nous avons constaté cela avec le festival Slowfest qu’on a organisé et qui prend vraiment le contre-pied total du gros festival, avec des concerts sans électricité, où ne sont donc accueillis au maximum qu’une centaine de personnes. Les gens sont très curieux et hyper contents : ils expriment une réelle envie de ce genre d’événement.
– Cela n’exprime-t-il pas aussi chez les gens un besoin de tendresse, et de plus en plus dans ce monde qui est de plus en plus cynique est violent ?
– Carrément ! Tu as raison de parler de tendresse. Car il y a énormément de violence dans le quotidien, et particulièrement en ville. C’est comme cela que je vis mon métier de musicien : les concerts sont des occasions de générer de la tendresse, de l’amour, et de la politique. La fonction sociale du musicien pour moi est de donner une excuse aux gens pour se retrouver, être ensemble et refaire le monde. C’est à ça qu’on sert. Et concert d’ailleurs ! (pour la petite chute lacanienne).
Miren Funke
photos : Carolyn C (2, 4, 5, 6, 8 et 9), Miren funke (1, 3)
Liens : http://davidcarroll.tumblr.com/ (pour commander l’album http://davidcarroll.tumblr.com/shop)