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Entretien avec Olivier Daguerre, un artiste alternatif sous courant continu

23 Mar

 

En 2019, Olivier Daguerre sortait son septième album « 107 812 km/h » sous forme d’un livre-disque dans lequel ses chansons s’accompagnent d’illustrations de Sarane Mathis, réitérant par là l’expérience du précédent « La nuit traversée », paru aux éditions LimaO, qui alliait déjà à sa musique d’autres formes d’expression artistiques, picturale -du même illustrateur- et littéraire avec des textes de l’écrivaine Mély Vintilhac. Mais plutôt qu’une continuité creusant le sillon déjà exploré d’émotions parfois très sombres et douloureuses, « 107 812 km/h » s’est enfanté à sa suite comme une réponse par l’instinct de vie et l’impératif d’appétit pour l’existence, se colorant de pigments, pour chasser la noirceur des tragédies auxquelles l’humanité nous confronte. De pigments bleus notamment, en référence à la couleur de notre planète, au parcours de laquelle le titre de l’album fait allusion, ce chiffre correspondant à la vitesse à laquelle la terre avance sans dévier de sa trajectoire et sans repasser deux fois par le même point. Sans doute peut-on y percevoir une métaphore relative à la manière dont le chanteur, que nous avions eu le plaisir d’entendre au festival Musicalarue au concert des Hyènes avec Cali [Lire ici], conçoit, arpente, avale et vit son propre itinéraire artistique depuis ses débuts sur la scène Punk-rock des années 1990, dont l’esprit et le sens de l’urgence lui restent chevillés à l’âme, au sein du groupe Les Veilleurs de Nuit. Avec cet album, pour la première fois sur l’intégralité d’un disque, Daguerre porte, non pas ses propres textes, mais ceux de son complice Michel Françoise, enchâssés dans l’écrin de compositions musicales, où la chanson francophone se rythme et se nourrit de Folk sobre et de Blues-rock ventral envouté de percussions chamaniques ( « Essuie-glace », « Pigeon Vole », « Parc Opéra-Bastille ») ou de tourne entêtantes (« 1700 km h »), qui remue du fond des tripes jusqu’à un degré spirituel hypnotique aux accents (John Lee) Hookeriens (« Boulevard du monde »). « On peut tout voir à travers, de l’évidence au mystère » chante-il dans le titre « Colophane ». On y entend surtout le mystère d’une évidence : l’alchimie qui permet à Daguerre, à l’instar d’un Bashung, d’incarner et d’assumer les mots d’un autre auteur avec le même instinct que s’il les avait écrit lui-même. Les deux hommes étaient venus dernièrement à Bordeaux jouer ces titres dans l’intimisme du Théâtre l’Inox, pour une soirée bouleversante en co-plateau avec l’agenais Sylvain Reverte (qui avait participé avec Daguerre au conte « L’enfant-Porte » mis en musique par Michel Françoise et Francis Cabrel) [ Lire ici]. Si l’album parle de séparations (« Dans l’incendie », « Avalanches », « Dans l’œil du cyclone »), décline des instants de vies qui se croisent parfois plus qu’elles ne se partagent, incline la poursuite de ces mêmes vies après une étape ou une fin, et rappelle aussi la tristesse de constat pessimistes à travers la chanson « En pointillés », dont la thématique aurait pu s’inscrire parmi les autres titres de « La nuit traversée », et dans l’apaisante sérénité mélancolique de laquelle résonne un lointain et doux écho de « L’agriculteur » de Ridan, il se penche introspectivement sur ce qui émerge de ces épisodes, ces expériences, ces tranches de parcours qui nous enrichissent autant, sinon plus, qu’ils ne nous vulnérabilisent, et nous font grandir le long d’une existence qui se comprend avec d’autres perspectives.

 Chaque jour ta voix,
Ma voix ou d’autres voix
C’est la voix de l’amour…

chantait Edith Piaf dans « Les mots d’amour ». Et c’est à l’image de cette conviction que se trace depuis 3 décennies la route de Daguerre : à chaque album, que ce soit la voix de la détresse ou celle de l’espoir, la voix du deuil ou celle de la survie, la voix de l’anéantissement ou celle de la résilience, la voix de la souffrance ou celle de la joie, la voix de l’horreur ou celle de la beauté, c’est la voix de la vie qui chante dans le timbre de l’artiste, la vie qui « s’accroche et renait comme les printemps reviennent », pour paraphraser le titre des Cowboys Fringants « Les étoiles filantes ». Daguerre lui aussi file et brille, mais au contraire des météores, ne fuit pas, jamais amarré trop longtemps dans le même port, mais toujours encré avec fidélité dans ses engagements et dans l’intensité et la générosité avec lesquelles il sait dégainer les fils pour laisser jaillir l’électricité. Dernièrement en résidence, l’artiste alternatif sous courant continu, qui foisonne toujours de projets, nous accordait un entretien.

 

– Olivier, bonjour et merci de nous accorder cet entretien. La résidence que tu fais actuellement concerne-t-elle la tournée du dernier album ou un autre projet ?

Ce sont des projets annexes. Je participe à beaucoup de projets de collectifs d’artistes, suite à des rencontres que je fais, ou des demandes d’écriture. Là je suis musicien dans un spectacle pour une metteure en scène, qui fait un seul en scène. J’ai donc composé des musiques sur ses textes et j’interviens dans son spectacle comme musicien. Je fais pas mal de trucs en dehors de mon projet personnel ; il y a toujours trois-quatre projets en même temps. J’écris aussi pour le jeune public actuellement.

 

– A ce propos, Sylvain Reverte, avec qui nous t’avons vu jouer dernièrement au théâtre l’Inox à Bordeaux [Lire ici] participe beaucoup à des ateliers d’écriture, en milieu scolaire, hospitalier ou carcéral, en tant qu’intervenant et formateur, tout comme toi.  Qu’est-ce que ces interventions apportent à ton appréhension du monde et éventuellement ta façon de transcrire les émotions?

C’est un état d’esprit. On a ça en commun avec Sylvain. Je l’ai fait dès que j’ai été intermittent. Ça a un rapport avec la transmission de la passion pour l’écriture de chansons. Chez moi c’est lié à mon adolescence : la musique, c’est comme si ça avait un peu sauvé ma vie. Alors c’est un acte un peu militant au départ. Maintenant depuis quatre-cinq ans dans le cahier des charges culturel des institutions, tout est axé sur la formation et la transmission, autour de l’écriture, et tant mieux. Il y a de plus en plus d’artistes qui interviennent dans ce sens. Et plus personnellement on se sent vivant différemment de quand on fait juste des tournées. C’est chargé en émotions ; c’est un partage incroyable. Tu crées des choses avec des personnes inattendues, et ça montre que tout le monde  a quelque chose à dire, et souvent artistiquement, notamment chez les cabossés ou les laissés pour compte qui sont en échec scolaire. Et ce, que ce soit dans l’activité musicale, ou théâtrale, sculpturale, dessinatrice. Ça déclenche beaucoup de choses, et ça se vérifie, que ce soit en milieu psychiatrique, hospitalier, carcéral, associatif ou éducatif. Ça rejoint la passion, mais il y a quand même un acte militant ; c’est un engagement. Et puis égoïstement, ce que ça apporte humainement n’a pas de prix. On devient presque accro à ça, à ces situations où on est en hyper sensibilité et on reçoit beaucoup d’émotions. Au grand désarroi de Sylvain, notre voyage à Dubaï pour ça a été reporté à cause du virus. Je l’avais déjà fait par deux fois. Ce sont des ateliers qu’on fait dans des lycées français, mais avec des gamins qui peuvent être d’une douzaine de nationalités différentes et parlent donc plusieurs langues, et ont chacun leur parcours. C’est très intéressant aussi, mais c’est encore autre chose. Les Émirats sont un endroit où je ne serais pas allé de moi-même, s’il n’y avait pas eu un projet artistique comme ça.

 

– Le précédent album « La nuit traversée » était un album très sombre, et le dernier, sorti à sa suite, « 107 218 km/h » se remplit au contraire de beaucoup de couleurs, de bleu notamment qui est la couleur de notre planète, et réveille des appétits de vie. Etait-ce comme une nécessité de répondre aux émotions graves et noires du précédent par un sursaut de la vie qui reprend le dessus?

« La nuit traversée » était vraiment sur ce qu’on traverse et la façon dont on sort la tête de l’eau. C’est nourri des personnes que j’ai pu croiser dans ma vie, et d’expériences personnelles aussi. Mais on avait ça en commun, cette force ou ce courage, qui fait que la vie l’emporte à chaque fois. Alors c’était un peu noir, et la transition était cette prise de conscience qu’une fois qu’on a relevé la tête, il n’y a plus de temps à perdre. C’est pour ça que « 107 218km/h » était tout bleu et qu’il comportait cette notion de vitesse avec ce chiffre particulier. Pour dire qu’il fallait bouffer la vie, mais de quelle façon ? Pourquoi ? L’album interroge là-dessus aussi.

 

– Ce chiffre précisément est celui de la vitesse à laquelle la terre se déplace sans dévier de sa trajectoire et sans repasser deux fois par le même point. Y a-t-il une dimension symbolique de ta façon de concevoir et de vivre la création musicale et ton métier?

Oui. Encore une fois c’est très personnel. C’est-à-dire que c’est mon mode de vie aussi, et que ça fait trente ans que je vis comme ça. Il y a un côté bohémien, et dans les projets, et dans les personnes que je fréquente, même si j’en croise que je ne reverrais jamais de ma vie, mais avec qui il y a toujours des choses très intenses. J’ai la chance de beaucoup voyager. Et plus tu bouges, plus tu vois que rien n’est immobile. Je suis toujours à la recherche de cette notion du vivant. Et chaque fois tu prends une sacrée leçon de personnes qui ont une force incroyable par rapport à ça. Même si nous restons immobiles et qu’on ne fait rien, il faut savoir qu’autour de nous, ça bouge. Il faut bouger, être curieux, savoir écouter, aller à la rencontre, surtout de nos jours. Ça parle de liberté à ce niveau là ; c’est la seule chose qui nous reste un peu. Alors ça parait naïf, mais je crois quand même à ça.

 

– Les textes du dernier album ont été écrits par Michel Françoise, ton complice de longue date. Toi qui es auteur, pourquoi avoir décidé de laisser la plume et les mots à un autre pour cet album?

Michel a écrit tous les textes et moi les musiques. C’est la première fois que je travaille comme ça, ce qui est super, parce que ça me permet de ne jamais vivre la même chose artistiquement. Ça me casse de toute routine. Lui m’avait envoyé plein de textes ; par contre j’avais carte blanche pour retoucher les textes, comme c’est moi qui les interprète. Il a accepté cette souplesse là. J’ai pu choisir et retoucher les textes, car il fallait quand même que ça me corresponde. C’est ce qui est génial dans l’échange. Et pareil pour les musiques que j’ai composées : c’est lui qui a fait tous les arrangements. C’est comme si on avait tout co-écrit à deux, et c’est super de travailler en binôme ; c’est la première fois que je le fait de A à Z sur un album complet. C’est un travail vraiment artisanal de création à deux. Je n’aime travailler que comme ça. Le mot « artiste » est souvent ampoulé. Je pense que nous sommes des artisans.

 

– Peut-on établir un parallèle avec la façon dont Alain Bashung, qui était aussi lui-même auteur,  travaillait avec d’autres auteurs, dont les textes lui allaient pourtant comme un gant si on peut se permettre l’expression?

Carrément! J’ai eu la chance de travailler aussi avec un des auteurs de Bashung, Jean Fauque, qui avait bossé sur les albums « Osez Joséphine », « Chatterton » et puis « Fantaisie Militaire » entre autres. J’avais rencontré Bashung une fois et on avait discuté de leur façon de travailler. Et Bashung travaillait comme ça avec les auteurs, c’est-à-dire qu’il remalaxait -il y a d’ailleurs une chanson qui s’appelle « Malaxe » qui parle de ça-, et il avait carte blanche de ses auteurs qui savaient comment il fonctionnait. Et en tant qu’interprète pour s’accaparer les mots, il intervenait soit dans une façon de réorganiser le texte, ou juste de saupoudrer quelques mots. C’était toujours l’auteur qui était au service. Effectivement c’est un artiste parmi d’autres que j’adore, et on a ça en commun avec Michel Françoise.

 

-« 107 218 km/h » est le deuxième album que tu sors sous la forme de livre-disque, accompagné d’illustrations de Sarane Mathis et aussi de textes. Est-ce d’avoir gouté à ce concept qui t’a donné envie de réitérer l’expérience ?

J’ai rencontré l’éditrice Fany Souville, qui venait de créer sa maison d’éditions, après qu’elle m’ait contacté pour un tel projet. Mais dès le départ je voulais partir sur l’idée d’un triptyque de trois bouquins qui auront tous le même format, et je voulais travailler avec le même illustrateur, et avec un ou une écrivain(e) différent. Il y a eu ça dans « La nuit traversée », mais pas dans le « 107 218 km/h ». Mais Michel l’a chapitré, avec des textes très courts, hors chanson. Actuellement je prépare le troisième qui sort en 2021, qui sera du même format que « La nuit traversée » et le « 107 218 km/h ». Il est déjà écrit et enregistré, et sera complètement différent, mais toujours illustré par Sarane Mathis. Je travaille dessus avec une écrivaine qui va, elle, écrire une nouvelle inspirée des chansons. Et puis ce sera par la suite décliné en coffret des trois bouquins. Tu auras donc la rencontre des trois entités artistiques avec un peintre, une écrivaine, et des chansons.

 

– Ne craint-on pas, lorsqu’on se lance dans un projet de proposer des images, accompagnant des chansons, de les imposer à l’imagination des auditeurs et de peut-être la brider, en les empêchant de se créer leurs propres images à partir des chansons, comme lorsqu’on réalise un clip vidéo?

A la différence des clips, dans un bouquin ou face à un tableau, tu as une seule image qui correspond à un texte. L’idée que j’avais de ce système de livre-disque, c’est que tu peux le feuilleter sans écouter la musique, tu peux même ne rien lire et regarder uniquement les images. Que ça influence des personnes, ça ne m’obsède pas. Je ne me suis pas posé cette question là. C’est quelque chose sur quoi on s’interroge plus quand on fait un clip, parce qu’un clip accompagne la chanson de A à Z avec plein d’images. Là tu as une proposition artistique de l’illustrateur, qui, lui aussi, avait carte blanche pour peindre ce qu’il voulait.

 

– Le titre « Rubicon », plus de par son ambiance musicale que par le texte vraiment, fait inexorablement penser à la chanson « Le labyrinthe » de Laurent Le Larron, qui est aussi un familier des collaborations avec l’équipe d’Astaffort et l’association Voix du Sud, comme toi. Est-ce un clin d’œil intentionnel ou un hasard?

C’est un hasard. Mais ça arrive souvent. On en parle entre chanteurs quand on se croise, ou même quand on créé quelque chose et on se dit que ça ressemble à mort à un truc qu’a fait Bob Dylan ou à un morceau des Stones ou de Bernard Lavilliers. Inconsciemment il y a des univers, des productions, des mélodies ou des façons de construire une chanson qui se répètent. Il faut avoir la modestie de se dire qu’on n’invente jamais rien réellement. C’est plus une façon de livrer une émotion à un instant T. Que la chanson évoque Le Larron, je n’y avais pas pensé, mais ça ne me surprend pas. Parfois on rencontre d’autres auteurs, ou on se rencontre soi-même sur d’autres chansons. Parfois je m’en rends compte huit mois après, que ça ressemble à Dylan, à Saez ou à un autre. Il arrive même que ça créé un frein quand on se rend compte qu’on a composé un truc qui ressemble vraiment trop à ce qu’on a déjà fait ou que d’autres on fait. On se dit que là, on est sur une fausse piste, qui rappelle trop quelque chose qui existe déjà.

 

– En parlant de Saez, c’est en première partie de son concert de Seignosse en 2005 que je t’avais découvert. En as-tu gardé un souvenir marquant?

Mais je croise beaucoup de gens qui m’avait découvert ce soir là, et ça fait vraiment plaisir, parce que c’était quasiment notre premier concert.  

 

– Y a-t-il dans le refrain de la chanson « L’œil du cyclone » une référence au poème de Paul Eluard « Liberté » ?

Il y a un petit clin d’œil. On en a parlé, parce qu’à un moment Michel et moi travaillions sur des poésies, mais chacun de son côté, et quand j’ai vu passé ce texte, ça me l’a évoqué.

 

– Lors de ton concert au Théâtre l’Inox à Bordeaux, une amie, Kate Beans est venue sur scène interpréter avec toi « De l’ivresse », pour un duo improvisé très spontané. Qui est-elle ?

Elle est professeur de musique dans un collège. Je l’avais rencontrée, car on fait des formations pour les enseignants à Astaffort, où ils viennent éprouver ce que vont vivre leurs élèves lorsqu’ils font venir un artiste intervenant pour créer des chansons. Et je suis allé ensuite deux fois à son collège à Lacanau travailler avec elle, ses élèves et deux professeurs de lettres. On a sympathisé. Parfois tu as des professeurs comme ça qui chante en dehors de leur métier d’enseignant, à côté, et qui ont une certaine folie qui fait du bien par rapport à l’éducation nationale. Elle rêvait de chanter cette chanson à l’arrache, puisqu’on n’avait rien répété, et je lui ai proposé de profiter du concert pour chanter ce morceau en duo. C’était complètement improvisé ; ça s’est fait naturellement.

 

– L’interprétation scénique chez toi frappe toujours par un magnétisme animal qui se libère et l’intensité d’une énergie qui attrape immédiatement les concerts, dès la première chanson, dès le premier mot même. Est-ce que cette impression correspond à la façon dont tu vis la scène ?

C’est surtout comme ça que je conçois la scène. C’est entier dès que je monte sur scène. On vit beaucoup avec le corps, qu’on bouge ou pas. Et ensuite ça monte au cerveau. Le côté animal dont tu parles, c’est ma façon d’appréhender la scène et de le vivre et de ressentir le plaisir, et de tout livrer comme ça. Après les gens se servent ou pas. On ressent vraiment le public, alors que souvent on ne le voit pas, mais on ressent cette présence. C’est ça qui est fou. Alors ça peut déranger aussi certaines personnes dans le public, ce côté physique. Ce n’est pas réfléchi. En fait j’étais comme ça dès le début, quand j’ai démarré, sur la scène Punk-Rock. Il y avait déjà cette violence. On jouait chaque morceau comme si on allait mourir au prochain titre. Il y avait cette urgence physique où tu te donnais entièrement. Alors c’est vrai que je conçois la scène ainsi, mais ça vient du parcours que j’ai eu, et tient à la façon dont je me suis construit. Je pense que je ne pourrais pas le vivre autrement. Je ne sais pas si ça correspond à la scène de fin des années 80, parce que j’ai démarré à cette période avec cet esprit là. Peut-être si j’avais démarré plus tard ou dans d’autres conditions, je n’appréhenderais pas la scène de cette façon. C’est comme une recherche de l’absolu, d’être le plus généreux possible. Un concert c’est comme un échange. On a la prétention de monter sur scène, de livrer une émotion, par l’écriture, la musique, la mélodie, mais je trouve que le corps est très important.

 

– Revenons à l’album « La nuit traversée ». La chanson dont le titre lui donne son nom évoque évidemment le sort des réfugiés lancés à la traversée de la Méditerranée pour rejoindre nos côtés européennes, mais l’album se construit autour d’autres chansons qui abordent des traversés intimes d’épreuves personnelles. Pourquoi cette métaphore qui établi des parallèles entre ces combats de natures différentes ?

Le titre « La nuit traversée » est effectivement une chanson sur les migrants. C’était l’axe. Pour moi ce qui se passe est le pire truc du XXI ème siècle. C’est insupportable ; on se sent vraiment impuissants. J’ai rencontré plusieurs migrants, et suite à leurs témoignages, voyant la force qu’ils avaient d’avoir traversé ce qu’ils avaient vécu, cette chanson a été le démarrage de tout. Et après le thème de cette première chanson est ce qui a déclenché le reste. Je n’allais pas faire un album entier sur les migrants. Mais leur exemple était le cas le plus extrême de la façon dont on relève la tête quand même, et à quel prix. D’eux-mêmes, eux regardent devant ensuite. Alors les autres chansons parlaient d’autres personnes, d’autres histoires, mais il y avait en commun cette question de traverser des épreuves et de relever la tête, que ce soit suite au deuil, à la maladie, à la mort, à toutes les écorchures qu’on peut tous avoir en nous.

 

– N’était-ce pas une thématique déjà présente dans une de tes premières chansons, « Les plaies ouvertes », enregistrée sur l’EP « Ici je » et par la suite sur l’album « Le cœur entre les dents », qui raconte les douleurs et les traumatismes d’une vie de femme confrontée à des abus ?

– « Les plaies ouvertes », c’est pareil. C’est hélas toujours d’actualité. J’ai tellement eu d’amies qui avaient vécu des viols, des attouchements, des violences. Ça rejoint le thème de « La nuit traversée » : il s’agit de personnes qui ont un courage incroyable. Ce sont tout le temps des femmes. Alors je n’aime pas trop le mot, mais j’ai toujours été féministe à mort, à cause de ça. Depuis tout petit je ne comprenais pas le sort qu’on peut te réserver, parce que tu es une fille. Et je ne comprends toujours pas la négation de ce droit d’être, de disposer de son corps la tête haute. C’est quelque chose qui me poursuit toujours et qui a toujours accompagné mon écriture. Cette chanson « Les plaies ouvertes » en fait partie, et elle concerne des gens très proches, que je côtoie toujours ou qui ont disparu. Mais c’est une chanson que je ne chante plus aujourd’hui. Il y en d’autres qui ont pris le relai.

 

 

Miren Funke

Photos : Miren à l’Inox de Bordeaux, sauf (2) Carolyn C à Musicalarue, Luxey

 

Liens : Daguerre : http://www.daguerre.mu/

LamaO editions c’est là –>

 

 

Daguerre et Sylvain Reverte en concert à L’Inox (Bordeaux) : entretien avec l’artiste

17 Jan

Samedi 07 décembre dernier, l’association Bordeaux Chanson, qui fidèle à son habitude de proposer au public bordelais un moment d’évasion et d’émotions, continue d’œuvrer avec ses acteurs bénévoles, pour qu’existent et s’expriment les auteurs compositeurs interprètes francophones, recevait au Théâtre l’Inox deux artistes au parcours professionnel et à l’histoire humaine intimement liés, puisque leur amitié se ponctue depuis plusieurs années de collaborations musicales (participation au conte musical « L’enfant-Porte » créé par Yannick Jaulin, et mis en musique par Francis Cabrel et Michel Françoise) : Sylvain Reverte, accompagné de son pianiste et complice Christophe Britz et Olivier Daguerre jouant, lui, avec Michel Françoise aux guitares. Cependant point de duo ce soir là entre les deux hommes, qui se succédaient pour un co-plateau où chacun interpréta ses propres morceaux.

Renversons quelques instants l’ordre chronologique de cette soirée, dont en seconde partie, le concert de Daguerre, accompagné donc de Michel Françoise, fut un moment d’une intensité ensorcelante. J’avais découvert l’artiste en 2005 à Seignosse (Landes), lors d’un concert de Saez, dont il assurait la première partie avec les morceaux de son premier Ep autoproduit « Ici Je ». Je me souviens avoir été d’entrée ébranlée par le magnétisme du personnage, qui m’avait aspirée et sonnée. Une claque, comme on dit (un coup de poing même). Tant et si bien que je m’étais empressée de quitter le concert de Saez avant la fin, pour être sûre de pouvoir acheter l’Ep de Daguerre à sa table de presse. Quatorze années, sept albums, où une poésie écorchée et éblouissante s’enchevêtre à des thématiques souvent graves et lourdes, parfois plus passionnées, pour ensemencer des chansons ciblant au cœur et sans détour les sentiments et les idées, et tant de concerts plus tard, le charisme du chanteur -que nous avions vu l’été dernier au festival Musicalarue avec les Hyènes et Cali [Lire ici]– n’a pas perdu un millième de degré : dès le premier mot prononcé, l’homme habite la chanson, électrise l’atmosphère, et aimante l’attention du public, happée par l’authenticité d’une âme qui interprète avec vérité et à fleur de nerf, sans filtre. Impossible de relâcher l’attention de cette tension que Daguerre a toujours su charger en haut voltage et tenir, comme instinctivement, accrochée aux câbles des émotions qu’elle fait tressaillir. Le concert arpenta des morceaux des derniers albums, «Mandragore », «La Nuit Traversée » et surtout «107218km/h », le dernier en date sorti en mars 2019, bouleversant. Seul ancien titre interprété, « De l’Ivresse » (extrait du « Cœur entre les dents ») improvisa une plage conviviale, où Daguerre invita spontanément une amie présente dans la salle, Kate Beans à venir chanter en duo avec lui.

 

 

Mais moins de deux heures auparavant, c’est Sylvain Reverte qui amorçait l’envolée des émotions avec son « Soleil Rouge » que nous avions découvert dans ce même théâtre de l’Inox trois ans plus tôt [ici]. Torche ardente, qui au grès d’une ascension exhortant nos sens vers un ciel embrasé et aveuglant, nous enflamme de sa beauté intérieure qui en met plein la vue, avant de laisser choir et virevolter en nous quelques milliers d’étincelles incandescentes, ce « Soleil rouge » agrippa le public d’une main de feu, pour le laisser, encore ébloui, s’apaiser doucement à des accords plus légers et des accents moins abrasifs, avec un second titre du même EP (« Soleil Rouge ») « Madame joue », regard ému et attendrissant que l’artiste pose sur la paternité. S’enchainèrent à sa suite d’autres morceaux de ce dernier enregistrement : « Josephine Baker », « Pauvre d’elle », « On levait le poing », ou encore « Les bords de mer ». Les réactions de l’auditoire à l’interprétation de cette dernière chanson, dont j’avoue avoir pensé à l’écoute de l’EP qu’elle constituait peut-être, de par le choix des instrumentations et des arrangements, l’élément faible de l’ensemble, mes gouts personnels ayant plutôt inclinés à imaginer la puissance de dérision du texte habillée dans un costume plus Rock,  m’interpellent. Preuve que l’arbitraire des gouts personnels ne peut prétendre être rien de plus que ce qu’il est -et c’est tant mieux!-, la chanson vécu un moment d’interaction avec un public très participatif, battant le tempo et se laissant charmer par la légèreté sans prétention d’une rythmique en clin d’œil aux variétés des années 80. Un constat s’impose : le morceau fonctionne. Avant de retrouver deux titres du précédent album (« Un homme dans l’ombre »), « Page 48 » et « Rendez-vous » qui clôtura cette première partie de concert par un instant de sidération, trop spontané pour être feint, où durant l’espace de quelques phrases, on perçu la voix de Sylvain Reverte traversée par le spectre de Mano Solo, le public s’entendit offrir quelques titres inédits, dont certains seront probablement de ceux constituant le prochain album en cours d’écriture. L’attention générale se focalisa particulièrement sur l’un d’eux, « Le lac », qui évoque les souvenirs d’un lac aux confins du Lot et Garonne et du Gers, où l’artiste passait sa jeunesse, et dont l’accès est à présent interdit. Mais la chanson raconte en réalité bien  plus. Et si elle bouleverse et atteint autant, c’est qu’elle est de ces morceaux par lesquels certains artistes parviennent, à travers le récit d’une histoire intime, à véhiculer des thématiques très universelles qui concernent et touchent tout le monde, comme le fit en son temps le « Toulouse » de Nougaro : la nostalgie d’un jeune âge à coup sûr, et le regret de l’insouciance avec, la provincialité peut-être, l’amour de la nature aussi, la perte des repères également, et sans doute la disparition de la liberté, de toutes ces petites parcelles de liberté de faire ce qui fut permis et n’est plus autorisé. La chanson marquera certainement un temps fort du prochain album de l’artiste et saura être de celles qui donnent de leur souffle (« Pauvre d’elle »). Quelques heures après la fin du concert, Sylvain Reverte acceptait de nous accorder un peu de temps.

 

– Sylvain bonsoir et merci de nous accorder cet entretien. Il y a quelques années que tu étais venu à Bordeaux, lors de notre première rencontre. Et ce soir, Olivier Daguerre et toi nous avez offert deux beaux concerts. Quelles sont à chaud tes premières impressions ?

 – C’est toujours bien de venir jouer à Bordeaux, car je ne viens pas souvent. La dernière fois que je suis venu, c’était il y a  deux ou trois ans en effet. Et ce qui est intéressant, c’est d’arriver avec de nouvelles choses pour voir la réaction du public et ce qui se passe en live. Et donc je sors de scène rassuré, avec une bonne impression sur les chansons à venir et le nouveau projet. Quant à Olivier, c’est le parrain de ma fille et un ami fidèle. On s’est connu depuis plus de dix ans ; il faisait les premières parties de mon groupe Le Manège Grimaçant. On était signés sur le même label, de Michel Françoise. Ensuite on a appris vraiment à se connaitre lors de la création de « L’enfant-porte », et à s’apprécier. Dès qu’on peut jouer ensemble, on est contents. J’adore le personnage et ce qu’il propose.

 

– La dernière fois que nous t’avions vu en concert, c’était à Agen, en première partie de Romain Humeau[ici], pour la présentation de ton EP « Soleil rouge ». Où t’a mené ta route depuis ?

On a fait des concerts avec Christophe, qui m’accompagne. Ca m’a conforté dans l’idée d’approfondir le travail qu’on a amorcé ensemble. C’est un rythme qui me convient : on se voit de temps en temps pour travailler sur les prochaines compositions ; on prend le temps sans être stressés. On n’a pas d’impératif avec une major ou un label qui nous pousserait à produire. Donc on fait ça au rythme des saisons, tranquillement. C’est un luxe ; mais je n’ai jamais voulu que la musique soit un impératif avec une commande, comme un produit à mettre en rayon. Ca me bloque. Donc le fait de savoir que quelque part personne ne m’attend, et de sortir du bois et arriver comme une  surprise, je trouve ça intéressant.

 

– Dirais-tu que la collaboration avec Christophe se renforce et prend plus de place dans les créations ?

Exactement. J’ai envie de me laisser porter aussi par ce qu’il propose. Il a un univers à côté, puisqu’il a un groupe qui s’appelle Alnoï, avec lequel il est vraiment dans la musique électro-pop anglaise. Et je trouve intéressant de me laisser un peu porter par cet univers, parce que ce qu’il propose me plait, et que donc j’y adhère assez facilement. Je ne suis pas forcément quelqu’un de très malléable en termes de direction artistique, et c’est quelque chose que je travaille depuis un certain temps, parce que je trouve dommage de ne pas profiter des talents des gens qui m’accompagnent. J’étais plutôt du genre à diriger l’opérationnel, et à être complètement frustré, et pas à l’écoute, lorsque ce n’était pas moi qui dirigeait. C’est ce qui s’est passé pendant assez longtemps. Et désormais, j’arrive à me laisser convaincre plus facilement. C’est un risque qu’on prend à deux avec des orientations musicales vers lesquelles je n’étais pas forcément prêt à aller. Et je pense que plus ça va aller, plus je vais me dévêtir de la guitare, la conserver, mais doser différemment les choses, de façon à laisser plus d’espace au texte. C’est ce que je suis en train de faire actuellement : me cibler sur ce que j’ai envie de transmettre et ce que je suis en tant qu’auteur. J’ai envie de viser dans le mile, et c’est la complexité de ce travail là : être en accord avec ce que l’on ressent, ce que l’on veut dire. C’est donc plutôt pas mal que je puisse me concentrer là-dessus, et qu’en deuxième plan Christophe vienne enrober et enjoliver tout ça, et faire des propositions sur les arrangements.

 

– A propos de ces arrangements, les réactions interactives du public ce soir lorsque vous avez joué « Les bords de mer », dont je crois la composition a été particulièrement orientée par ses gouts personnels, m’ont fait réviser le sentiment dubitatif que la chanson m’avait laissé au premier abord. Ce titre recueille-t-il toujours autant l’adhésion du public en concert ?

Oui, ça marche, car elle est assez rythmée, et j’ai l’impression que les gens aiment bien quand ça bouge un peu. Alors j’essaye de penser à ça aussi, et d’alterner. Je sais que c’est un moment un peu libératoire.

 

– Tu as joué ce soir quelques nouvelles chansons. Peux-tu en parler ?

Il y a « De la haut » que j’ai coécrite avec Bruno Garcia, avec qui j’ai fait « L’enfant-porte ». Et ensuite il y a « Le lac », qui pour moi va être le point de départ de la création d’un nouvel album. J’ai d’autres chansons en travaux, mais j’ai fixé la ligne de mire là-dessus. J’ai été plus exigeant avec moi pour l’écriture de « Le lac ». Je me suis aussi plus dénudé, car c’est vraiment mon histoire. Ce n’est pas trop romancé. Et du coup, je tends à ça : aller puiser dans mon existence et mes sentiments de façon à être le plus juste et le plus authentique possible. Ce n’est que comme ça que ça peut marcher pour moi.

 

– Et paradoxalement ce titre qui est vraiment imprégné de ton histoire personnelle semble parler à beaucoup de gens et voué à ce qu’ils se l’approprient. Selon toi, y projettent-ils peut-être une identification avec leur vécu, leurs souvenirs, leurs sentiments propres ?

Oui. D’ailleurs c’est assez marrant, car j’ai joué cette chanson quatre fois, et les gens chaque fois ressortent avec cette chanson en tête et m’en parlent. Ca n’arrive pas souvent. Car ce sont des gens qui ne connaissent pas forcément mon répertoire, ni mon histoire, et cette chanson marque. Alors je me dis que c’est bon signe, et que je dois continuer là dessus.

 

– Y a-t-il donc un nouvel album qui se profile à l’horizon avec ces chansons ?

L’album en projet sera travaillé pour que trois ou quatre titres soient enregistrés courant 2020, et que sorte l’album en 2021. Pour le moment j’ai quatre compositions, et des idées qui arrivent. On va voir ; je ne me mets pas de pression. Il faut dire que j’ai des enfants en bas âge et beaucoup de mal à décrocher de mon rôle de père, qui prend beaucoup d’espace. Ma compagne qui est auteure compositrice, est aussi accaparée que moi. Donc là on vient de finir une petite tournée durant laquelle on a fait une dizaine de dates de septembre à décembre. L’idée est de se poser un peu. Et puis on risque de partir avec l’Alliance française faire des concerts à Dubaï. Partir tourner dans un pays étranger va me permettre de terminer la boucle de l’album « Soleil Rouge », pour partir sur autre chose ensuite. C’est une expérience que j’attends de vivre, le voyage qui va peut-être ouvrir encore d’autres horizons, même si j’arrive très bien à voyager chez moi aussi ; d’ailleurs je me suis mis au piano aussi pour m’ouvrir à d’autres horizons. Je me trouve en fait dans une période de transition.

 

– Continues-tu de participer à l’animation d’ateliers ?

Je continue à fond. J’ai découvert les ateliers d’écriture en hôpital psychiatrique à Angoulême, et ça m’a vraiment marqué d’une façon très positive. J’ai été impressionné de la façon dont j’ai été reçu. Aller dans des lieux où il y a des gens en souffrance et apporter une petite lumière, c’est comme si à un moment donné on brisait leur quotidien monotone et on arrivait pour chambouler ça, l’espace de quelques minutes, pour repartir avec des yeux qui pétillent et des sourires sur les lèvres. Je considère que le premier travail que je dois faire est celui là : marquer les gens sur un temps donné qui va faire qu’ils oublient leurs problèmes et la routine quotidienne. C’était une première expérience. Et la seconde fut dans un centre de détention. On m’avait demandé de faire des trucs très Rock’n’roll, au motif que c’était un public difficile en attente de quelque chose de rempli de testostérone. J’ai pensé que j’allais me faire casser les dents avec mes balades et que ce serait compliqué, et en fait pas du tout : ça a été totalement l’inverse. Certains gars sont enfermés pour de longues peines, et il y a eu du partage et de l’échange autour de mes chansons. Je me sens en vie dans ces moments là. C’est quelque chose que j’affectionne énormément.

 

– Tires-tu peut-être de ces rencontres avec des expériences de vies autres, éloignées de la tienne, une ouverture sur des thématiques nouvelles ?

En fait je n’ai pas franchi le cap d’écrire sur ce que peuvent ressentir les autres. Je reste dans la cible de mon histoire, et c’est peut-être une erreur de ma part. Je n’en sais rien pour l’instant. Mais il y a des choses qui m’ont marqué, et je me demande comment je pourrais être bien placé pour me mettre à leur place ; ça me semble impudique. Je ne sais pas si c’est à moi de le faire. Mais peut-être que d’ici quelques temps, ça viendra. J’ai besoin d’un temps de digestion en fait, car ce sont vraiment des moments très forts, et seul le temps pourra dire si j’accouche d’idées. Bizarrement je préfère me dénuder face aux autres que d’aller dénuder les autres et m’en servir comme vecteurs. Il y a quelque chose qui me gène là dedans.

 

– Une dernière question sur la chanson « Pauvre d’elle » que vous avez jouée ce soir, et qui pour moi, hausse la barre d’un cran, d’un point de vue de la qualité poétique et de la force d’impact du propos. De quelle envie est-elle née ?

C’est  marrant : j’ai fait un atelier de cinq-six jours à Voix du Sud, enfermé avec mes notes sous le regard bienveillant d’un artiste qui me rassure dans la progression de l’écriture. Et à cette période j’avais la chance d’être avec Jean Fauque. J’ai commencé à écrire les premiers vers, avec le style du regard, des yeux, des oreilles et du cœur de Jean Fauque. J’étais alors dans une période assez turbulente, perturbé moi-même, sans savoir si j’avais vraiment un certain talent pour écrire. Il m’a accompagné dans l’écriture et rassuré, en validant chaque fois le fait d’utiliser certains mots, certaines métaphores. Lorsque j’ai eu fini le texte, il m’a dit qu’en fait je n’avais pas besoin de lui. Jean Fauque me dit ça ? Wahou! C’était super. J’étais parti dans l’idée de faire une sorte de déclaration à la France, ou à la liberté, à ce que peut représenter la France pour moi, peut-être pour d’autres aussi, à savoir que c’est juste un bout de terre où des gens vivent, passent, meurent, et que certains se battent pour ce bout de terre, certains autres y font des choses magnifiques, d’autres un peu moins. Ce mot de France évoque beaucoup de choses, et derrière lui, des gens qui sont prêts à mourir, prêts à gouverner, prêts à travailler pour elle, prêts à créer des œuvres, construire des monuments, etc… Le côté patriote est quelque chose qui me questionne, car si on remet les choses à plat, ce n’est qu’un bout de terre. Il y a certainement des choses à défendre, des choses belles et uniques. Je voulais porter mon petit témoignage là dessus. Mais souvent les gens l’écoutent et me disent que c’est sur la liberté. On peut le prendre comme ça effectivement. Du coup ça me convient, car on associe quand même la France à une idée de la liberté, même si c’est compliqué, extrêmement compliqué en ce moment, mais justement il ne faut pas le perdre de vue. 

 

Miren Funke

Photos : Miren

 

 

Liens : Sylvain Reverte : https://www.sylvainreverte.com/concert

Daguerre : http://www.daguerre.mu/

Bordeaux Chanson : http://www.bordeaux-chanson.org/

Sylvain Reverte en concert à Agen

14 Mar

S’il est des concerts que l’on se prive volontiers de chroniquer à chaud, tant on sent préférable de se revivre le moment intérieurement et de laisser au temps toute latitude pour faire germer les semences émotionnelles répandues, celui que Sylvain Reverte offrit à l’Adem Florida d’Agen le 11 février dernier (en première partie de Romain Humeau) est de ceux-là.

Nous avions rencontré l’artiste quelques mois auparavant à Bordeaux , clic ICI , alors qu’il s’engageait dans une voie plus personnelle, s’écartant des ses expériences de groupe (La Manège Grimaçant et Duo Grim), et de co-écriture, après la sortie d’un premier album solo « Un homme dans l’ombre », réalisé en collaboration avec des auteurs. Le nombre des créations destinés au prochain album à venir courant 2017 s’étoffant, Sylvain Reverte entamait donc une série de dates intimistes, accompagné de son pianiste et complice Christophe Briz.

C’est en formule de duo acoustique (électro-acoustique pour certains titres) qu’il déplia dans l’espace de l’Adem Florida ses nouvelles compositions, parmi lesquelles s’étaient glissées deux reprises du précédent album, distillées en version épurée et pourtant tellement riche, dépouillement sonore rimant avec fertilité intentionnelle et générosité mélodique. Nous avions déjà gouté, lors de son passage à Bordeaux, à la magnificence du sublime « Soleil Rouge » ; la découverte des autres chansons ne fut pas moins accompagnée d’intensité, et même frappée de stupéfaction au cours du titre « Pauvre d’elle », qui hisse le chanteur dans la stratosphère des plumes poétiques savantes, ciblant le mot, l’expression juste, intuitivement, comme on peut en croiser chez Thiéfaine ou Bashung. Si les chansons se sèment sur le chemin comme des pierres précieuses, celle là est une géode qui invite à croire aux miracles de la lithothérapie. J’aurais eu presque l’impression d’un artiste sortant de son costume pour endosser une armure plus grande que lui-même, s’il ne s’y était pas incarné et révélé avec autant de pertinence, de justesse et d’évidence.

Sylvain Reverte assura une première partie généreuse et bouleversante, preuve qu’il n’est nul besoin d’aligner des guitares saturées, des sons électriques et un déluge de décibels à n’en plus finir pour remplir l’espace d’une présence. Aussi si l’on peut regretter ou plaindre quelque chose de ce concert, c’est qu’il ait échappé à une partie du public, ayant préféré rester au bar en attendant Romain Humeau… Un manque de curiosité et de respect d’autant plus incompréhensible de la part de gens sensibles à la poésie et à l’ailleurs. Tant pis pour eux. Pas pour nous.

Miren

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Nous remercions amicalement Véro

Sylvain Reverte, un homme qui sort de l’ombre : rencontre avec l’artiste

28 Déc

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Le 8 octobre dernier, l’artiste lot-et-garonnais Sylvain Reverte, accompagné de son claviériste et complice Christophe Briz, ouvrait la soirée du festival « Courant d’Airs », organisée par l’association Bordeaux Chanson au théâtre l’Inox, avec quelques titres de son précédent album, et surtout des morceaux inédits, dont l’enregistrement se profile à grand pas (sortie d’album prévue courant 2017). Après avoir agité les scènes durant plusieurs années avec ses deux groupes successifs, Le Manège Grimaçant (album « 1er Des Tours » en 2006) et Duo Grim (album « Dans le vide » en 2009), et joué dans le conte musical « L’enfant-Porte » dont il a participé à la création avec Francis Cabrel, sous la direction de Michel Françoise, le chanteur et auteur-compositeur amorçait en 2015 une carrière solo, avec un premier album « Un homme dans l’ombre ». Le titre, tiré de la chanson du même nom, s’imposait aussi comme un clin d’œil au fait que, pour la première fois, le parolier s’essayait à l’exercice d’une mise en retrait pour laisser la plume à une équipe d’auteurs (Marc Estève, Gilles Guerif, Emmanuelle Cosso Merad, Gauthier Lacherest) convoquée pour partager l’écriture des textes. Pour fruit de cette collaboration, neuf chansons d’un pop-rock mélodieux, sachant éviter la surcharge orchestrale pour viser la cohérence juste, et acheminer avec élégance les mots et les histoires qu’ils racontent, que l’on saisit parfois partiellement, s’approprie, puis laisse repartir vers d’autres compréhensions émotionnelles, comme ces nuages au ciel dans lesquels on croit reconnaitre un spectre, une silhouette, un visage, puis qui se déforment pour reformer d’autres figures. Mais l’écriture collaborative peut s’avérer être une expérience fructueuse et profitable tout autant qu’une source de frustration, lorsqu’on a des choses à dire, à écrire, par soi même. C’est donc par une reprise en main de la plume que Sylvain Reverte envisage la suite quasi imminente, avec des nouvelles compositions. Une petite heure avant les balances de son concert, l’artiste acceptait de nous recevoir.

 

415215434– Sylvain, bonjour et merci de nous accorder du temps. Les chanteurs qui, après avoir vécu une vie de groupe, se lancent sur une route solitaire sont souvent motivés par besoin d’exprimer une vision plus personnelle. Or c’est par un album réalisé en collaboration avec divers auteurs, « Un homme dans l’ombre » que tu as choisi d’amorcer ton parcours en solo. Pourquoi ?

–  En fait il n’y a que deux textes qui ne sont pas de moi. Tous les autres résultent de co-écriture. Mais c’est vrai ce que j’ai voulu faire sur cet album consistait à demander aux gens de travailler pour moi. J’étais en plein doute, après deux expériences en groupe, quant au fait que je sache faire des chansons et à la question de savoir si ça valait le coup de faire de la musique en mon nom seul. Je pensais que peut-être mes deux expériences avaient fonctionné, parce qu’il y avait des gens autour de moi, un groupe, et que seul, je ne saurais pas faire. Donc l’idée était d’aller chercher des gens qui savent faire et de travailler avec eux pour comprendre pourquoi et comment ça peut fonctionner. Déjà  j’ai pu voir l’approche qu’ils avaient, et j’ai été très flatté qu’ils souhaitent travailler pour moi et se mettre non pas à mon service, mais au service d’une chanson. Car ce qui a fait le lien avec tous ces gens qui ont collaboré avec moi, c’est qu’avant tout, on se mettait au service d’une chanson. Cette vision que des gens ont du métier est très importante : il ne s’agit pas de travailler sur un individu, mais sur une chanson. En plus ces gens là sont des amis, ce qui arrangeait les choses en termes de complicité. C’est d’ailleurs de là que vient le titre de l’album « Un homme dans l’ombre » : je l’ai appelé ainsi car je me suis mis à l’ombre de moi-même en demandant aux gens de travailler sur ce projet pour qu’ils puissent mettre leurs talents au service des chansons que j’allais défendre sur scène.

 

imgp5247– Cela a-t-il été expérience heureuse pour toi ?

– Avec du recul, je n’ai pas du tout assumé cela. Je m’étais mis dans un rôle d’interprète, ce qui n’était pas du tout ce que j’avais l’habitude de faire jusque là. J’assumais pleinement mes propres chansons auparavant, parce que même si elles étaient parfois tordues, avec des maladresses d’écriture, c’était moi. Aujourd’hui je reviens là-dessus, en me disant que ce projet est fait, que je suis toujours en vie artistiquement, même si je suis un peu sonné, car je n’ai pas voulu défendre ce projet particulièrement et je ne me suis pas vraiment battu pour qu’il y ait un éclairage sur cet album. En fait j’ai été très vite dépassé par le fait que des gens s’occupent de moi ; je me suis un peu perdu. Ce n’était plus mes mots, ni mes chansons, mais ceux des autres. Pour revenir sur l’historique, suite au conte musical  «L’Enfant-Porte » sur lequel j’ai travaillé avec Francis Cabrel, j’ai embrayé sur mon projet personnel, et comme j’étais un peu perdu, j’ai demandé aux copains de me donner un coup de main. Emmanuelle Cosso Merad, Gilles Guerif et Marc Estève, ainsi que Michel Françoise on répondu présents. Et on a fait cet album, qui est pour moi un point de démarrage. Donc il est important pour moi, et j’ai beaucoup d’affection pour cette aventure collective. Mais il est vrai que je ne me suis pas senti de le défendre plus que ça. C’est plus facile de partager la composition que l’écriture. Mes prochaines chansons sont donc en cours de création, et même si ce n’est pas parfait, et parfois même un peu bancal, ce sont mes chansons et elles seront assumées. Si on me dit qu’elles ne plaisent pas, je ne vais pas me cacher derrière le fait que je ne me suis pas assez imposé : je les aurais faites par moi-même et tout seul.

 

imgp5252– Mais interpréter les chansons des autres n’aide-t-il pas à savoir prendre un certain recul ou un regard différent pour interpréter autrement ses propres chansons ?

Il y a d’abord un effort de mémorisation à faire lorsqu’il s’agit des textes d’autrui, puis un travail pour coller des émotions sur les mots et les phrases, travail que je n’ai pas besoin de faire pour chanter mes chansons. Quand j’écris, c’est l’émotion qui me pousse à écrire les mots ; elle revient donc naturellement quand je chante, parce que je suis en phase avec moi même. En l’occurrence pour cet album, il a fallu que je m’invente des situations pour essayer de comprendre l’émotion à trouver. C’était presque un jeu d’acteur. Du coup, cela ne m’a pas vraiment servi à changer mon interprétation personnelle. Je préfère jouer avec mes propres émotions, parce que je suis comédien de nature. Depuis que je suis né, on m’a toujours dit que j’étais un enfant comédien ; je pense donc qu’il y a une part de vérité là dedans. Et le fait de raconter mes propres histoires ou ma propre vision d’une certaine réalité est plutôt inné chez moi. En revanche ce que m’a appris le travail d’interprète, c’est à moins sur-jouer les choses, à les lisser, et faire un peu moins de la chanson « néo-réaliste » avec du pathos, à comprendre en fait que le poids des mots est parfois suffisant, sans qu’on ait besoin d’en rajouter. Mais c’est moins l’album en lui-même qui m’a apporté, que les rencontres avec les gens et le travail sur les chansons.

 

13241580_266557133695098_1377331683_o– La difficulté de co-écrire n’induit-elle pas aussi une frustration peut-être plus intense, lorsque l’écriture aborde plus volontiers des sujets intimistes, comme le fait la tienne ?

Exactement. S’il s’agit de poser un regard sur la société, ça peut se faire collectivement. Mais quand on commence à parler d’histoires intimes, d’amour, c’est plus personnel. C’est marrant, parce que pour l’album, on m’a dit de certaines chansons qu’elles m’allaient bien. Mais personnellement, je ne les aurais pas écrites, pas comme ça, parce que ce n’est pas du tout ce que je ressens, ni ce que je vis. Du coup j’ai pris cet album vraiment comme un interprète. Il a eu le mérite de m’apprendre ce rôle là et l’expérience de mettre mon ego en retrait.  Au départ par exemple, je proposais un couplet. Et une fois que c’était écrit, j’avais bien des idées pour le reste de la chanson, mais il fallait que je laisse la plume à l’autre. Pour le coup cela m’a forcé à faire un travail sur mon ego et à apprendre à gérer la frustration, et accepter qu’on ne soit pas seul à détenir la vérité et qu’il n’y a pas qu’une vérité. J’ai eu beaucoup de plaisir à travailler avec Emmanuelle Cosso Merad, qui est une fille, car partager une histoire d’écriture avec une fille est une aventure particulière. Bien sur je pense que chaque individu a un regard singulier ; mais l’approche féminine qu’elle a pu avoir dans le choix des mots, des images, pour une histoire d’amour par exemple est vraiment différente. La chanson « Déjeuner avec vous » parle d’un homme qui souhaite inviter une jeune de 20-25 ans à passer un moment. Je ne voyais pas comment je pouvais me mettre dans la peau du personnage, comme si je ne réalisais pas que j’approche aussi la quarantaine, et ce texte m’a renvoyé à une certaine réalité. C’était donc très intéressant de laisser faire l’auteure.

 

13262535_266559833694828_1317650403_o– En tant que compositeur, comment as-tu vécu l’exercice de mettre en musique les mots des autres ?

J’interviens dans les écoles pour y diriger des ateliers de chanson, et j’utilise souvent cette parabole de dire que le compositeur est un couturier, l’auteur un mannequin, et que l’idée est que l’habit doit mettre en valeur le corps : il faut que la musique habille le texte. Pour ma part, je couds en même temps. Pour en revenir à sa chanson, je trouvais intéressant d’habiller son texte, le corps qu’elle me présentait et redessinait pour moi. Donc j’ai laissé les autres travailler ; je me suis reposé sur des gens, car j’avais complètement perdu confiance en moi. Mais ce jeu là m’a un peu perdu. Auparavant j’avais fait des chansons sans vouloir forcément que ça marche, sans même avoir l’idée que ça pouvait marcher. Mais dès que ça a commencé à marcher, je me suis mis une pression qui n’avait pas lieu d’être. Et aujourd’hui j’ai retrouvé l’essence de la raison pour laquelle j’écris des chansons. Je ne pars plus du tout avec l’idée que les chansons doivent plaire absolument. Je veux qu’elles me plaisent et touchent mon entourage proche. J’écris une chanson pour ma mère, pour ma compagne, pour mes amis. Pas parce qu’il faut que ça rentre dans un projet commercial ou que ça touche tel ou tel public. Je ne peux pas fonctionner comme ça. J’avais commencé à prendre ce chemin avec cette idée de réunir une équipe autour de moi pour créer un projet avec des chansons qui pourront rester dans le temps, être écoutées par n’importe quel public et ne pas être démodées, par stratégie en somme, et je me suis perdu dans les convictions des autres et laissé entrainer. Tout le monde croyait à ce projet, et c’était bien ; ça a été en quelque sorte une expérience nécessaire pour me renforcer dans mes convictions personnelles. Mais je n’y crois plus et c’est pour cela que je passe à autre chose. J’ai le sentiment d’avoir laissé ma planche de dessin et mon pot de feutres aux copains pour qu’on colorie ensemble. Mais au bout du compte plus rien ne m’appartenait. Du coup, quand je regarde le dessin maintenant –et y en a qui le trouvent très beau-, je n’ai pas envie d’aller le montrer partout. Bien sur c’est problématique, parce que des gens comme Michel Françoise et Gilles Guerif qui se sont impliqués et ont donné de leur temps pour que j’arrive à finaliser ce projet. C’était un peu un accouchement dans la douleur, et je reconnais cet enfant, mais il n’est pas que de moi !

 

imgp5244– Revenons sur tes interventions pédagogiques auprès des jeunes publics. Qu’est-ce que cela t’apporte ?

Il m’arrive effectivement souvent d’intervenir en école élémentaires, dans des collèges et des universités. Je fais cela depuis 2009. C’est d’ailleurs à l’occasion d’une intervention à Parentis que j’ai rencontré Christophe [NDLR Christophe Briz, claviériste], qui était le professeur de musique de la classe. Pour moi, c’est très important de revenir au collège, parce que j’étais très fâché avec l’éducation nationale dans ma jeunesse : mon parcours scolaire s’est arrêté très tôt, à 16 ans. Donc le fait de revenir à l’école à 35 ans m’a réconcilié avec l’enseignement. Quand on débarque en milieu scolaire, on sait qu’on va changer la vie des collégiens pendant une semaine et bouleverser le système mis en place par l’enseignant, avec son consentement. Parallèlement j’exerce mon métier d’animateur de quartier et je dirige un service pour l’enfance et la jeunesse pour une ville de 10000 habitants, Le Passage d’Agen. Je suis très sensible à tout ce qui relève de l’éducation populaire. J’ai mis en place des festivals avec la jeunesse, et nous travaillons sur les questions de citoyenneté, de prévention de la délinquance et des incivilités entre autres, en proposant des animations et des rencontres. C’est un rôle qui m’a toujours tenu à cœur, d’arriver à un moment donné dans un milieu social et de bouleverser les éléments, parce qu’on commence à manipuler, animer et organiser les choses pour une amélioration. Et c’est exactement ce qui se passe aussi lors de ces interventions en école : bien sur on va aider le jeune à écrire une chanson, lui donner deux ou trois conseils, mais l’essence de l’intervention n’est pas là, mais dans le fait de l’amener à se questionner sur ce dont il a envie de parler. Cela peut être le regard des autres, la différence, l’intolérance, les problèmes rencontrés au quotidien ou encore le bonheur d’être amoureux. La chanson est alors un vecteur qui peut conduire le jeune à se mettre face à sa propre réalité. En général les enseignants ne s’attendent pas à cette démarche, car ils pensent que nous venons simplement pour apprendre à écrire une chanson ; et on voit, tout au long d’une semaine par exemple, des gamins qui n’ouvrent jamais la bouche, ne prennent jamais position, parvenir à exprimer des choses qu’ils ont à raconter, et qui sont souvent des choses un peu lourdes, parce qu’on les a bousculés et poussés dans leurs retranchements. On peut se le permettre, car il n’y a pas entre les élèves et l’intervenant de lien de subordination ou de hiérarchie, comme avec l’enseignant. Au final on se rend compte qu’on ouvre des portes, et que chacun ouvre sa petite porte personnelle. Et cela créer une dynamique, qui, si elle s’enclenche assez tôt dans l’année, peut être exploitée par l’enseignant pour créer et tisser des liens entre les élèves et aussi avec lui-même. Je pars du principe que quoi qu’il arrive la chanson est existante dans leurs gènes ; tous les gosses écoutent de la chanson.

 

imgp5204– « La chanson ». Mais quelle « chanson » ?

Il y a  un premier jeu auquel j’aime jouer, lors des présentations, c’est de demander aux gosses quel artiste représente pour eux la Chanson Française. J’arrive à chaque fois à avoir une trentaine de noms improbables, au sens où on ne s’attend pas à ce que des enfants de cet âge connaissent Brassens, Perret, Brel, Cabrel ou Nana Mouskouri. Quand des noms d’artistes de R’n’B sortent, je leur parle de représentation, de celui ou celle qui représente la chanson de façon patrimoniale, et à ce moment là, ce sont des noms d’artistes écoutés par leurs parents, grands-parents ou autres qui arrivent, preuve qu’ils les connaissent et que la chanson circule entre les générations d’une famille. Le constat est là : les jeunes connaissent au moins 50% du patrimoine de la Chanson Française, soit par transmission, soit parce qu’ils ont écouté une reprise de chanson par un artiste plus moderne. Pour moi une chanson est une balise temporelle : les gens y associent une émotion quelque part dans le temps qu’ils vont aller retrouver en la réécoutant. Et quand une chanson fait le tour du monde, tu peux considérer que c’est des millions de balises qui sont disposées. Et puis c’est souvent une référence culturelle : quand tu demandes à des Américains s’ils connaissent la France, ils sont capables de citer Édith Piaf, même si c’est la seule chose qu’ils connaissent de notre culture.

 

patrick-batard-nb-20161210_fuj4322– Et toi, comment es-tu venu à la musique ?

– A la naissance ! Mon père écoutait beaucoup de musique. Très tôt j’ai souffert d’angoisses nocturnes et le pédiatre à conseillé à ma mère de m’endormir avec de la musique. On m’a donc acheté un mange-disque et j’ai commencé à écouter en boucle des 45 tours, puis des 33 tours sur platine. Je jouais à écouter de la musique durant des heures. Mais apprendre un instrument ne me disait rien, jusqu’au jour où, à mes 16 ans –j’étais alors aide animateur- j’ai vu un animateur sortir une guitare pour jouer et j’ai trouvé ce moment tellement magique, à le voir centrer les gens autour de lui et les faire communier et prendre du plaisir juste avec quelques accords. C’était Fred Batista, le chanteur du groupe Le Baron de Gouttière. Il m’a appris quelques accords et à jouer des chansons, comme « Le lion est mort ce soir »… L’idée, c’était d’animer des feux de camps, et pour moi, l’approche n’a pas changé : il s’agit de faire vivre une communion, dans le sens philosophique du terme. Plus tard j’ai monté un groupe, Le Manège Grimaçant, et nous avons rapidement été programmés pour jouer dans des bars à Agen, et puis le public grossissait et les bars devenaient trop petits. Ensuite, ça a été les festivals, et des gens sont allés parler à Francis Cabrel, en lui disant qu’il fallait faire quelque chose pour les « petits jeunes ». Il nous a permis de rencontrer son arrangeur Michel Françoise, qui nous a fait enregistrer quelques titres, et tous les deux ont décidé de nous produire. Quand le groupe s’est arrêté, on a continué en duo, sous le nom de Duo Grim, et Francis a continué d’être derrière nous avec le label et Michel Françoise pour réaliser un second disque. J’ai ensuite écrit avec Francis et une dizaine de collègues dans le cadre des Rencontres de Voix du Sud pour le conte musical « L’enfant porte », de l-enfant-porteYannick Jaulin. Puisque j’étais intervenant à Voix du Sud, mais également stagiaire pour les Rencontres d’Astaffort, j’ai participé à des rencontres avec de jeunes publics ; ayant un parcours dans l’animation, je ne pouvais pas passer à côté d’une telle occasion. On avait présenté un premier jet, qui a plu à Francis, lequel nous a proposé de revoir tout le projet pour aller plus loin. J’ai donc eu la chance de passer plusieurs heures avec lui à échanger, écrire et comprendre comment il fonctionne.  C’est-à-dire qu’il écrivait, nous soumettait son travail, et s’il arrivait que je doute d’un mot, car le vocabulaire était trop soutenu, il revenait dessus, car pour lui ce qui n’est pas universel n’est pas bon : il faut que ce soit efficace et d’une simplicité absolu pour que le message passe le plus facilement possible. Il réalise un travail d’une grande intelligence là-dessus. Pour moi Francis Cabrel et Hubert-Félix Thiéfaine sont les deux pôles dans la chanson : ce sont deux intelligences d’écriture, l’une qui cible rapidement, l’autre qui passe par plein de chemins au point que tu ne sais plus où elle t’amène et que tu dois décoder. J’adore cela. Il y a quelque chose qui relève de la poésie psychanalytique. Par contre, si tu mets dix personnes autour d’une chanson de Thiéfaine, tu auras probablement dix compréhensions émotionnelles différentes, alors que la poésie de Cabrel est plus limpide.

 

patrick-batard-nb-20161210_fuj4342– Parlons du futur presque immédiat : tu repars donc sur des rails personnels en te réappropriant l’écriture, et quelques chansons du prochain disque seront jouées ce soir. Peux-tu en parler ?

L’album s’appellera certainement « Soleil rouge », du nom de la chanson déjà maquettée. On vient d’écrire deux chansons, et j’en suis très content. Avant j’étais content car les chansons existaient ; maintenant ça va au-delà : je suis content parce que quelque chose est sorti qui émane d’une volonté. C’est comme si j’avais retenu tellement de choses qui devaient sortir depuis un certain temps et que ça sort enfin ; ça répond à un besoin presque primaire, viscéral. Et puis la réaction des gens autour de moi est bonne, alors je me sens bien. Alors c’est un peu bateau de parler de l’album « de la maturité ». Mais je pense sincèrement que ce qui s’amène vers moi est quelque chose dans lequel je vais me retrouver comme je ne me suis jamais retrouvé de toute ma vie. On avait amorcé le travail à quatre, dans le studio de Julien Lebar, [NDLR pianiste de Cali], à Perpignan où nous avons enregistré 5 morceaux, dont nous ne garderons que 3. Et nous allons continuer à deux, moi et Christophe, car j’ai envie de travailler épuré et d’aller à l’essentiel, sans me cacher derrière des arrangements et du traitement sonore sur des instruments additionnels. Je veux mettre en avant mon écriture, présenter mon corps tel qu’il est, avec ses défauts, mais mien. On va partir en résidence une semaine à Voix du Sud pour travailler sur les chansons à aboutir, et Jean Fauque nous fera l’honneur de venir porter son regard. patrick-batard-nb-20161210_fuj4309Je pense que je vais écouter attentivement ses conseils, même si je ne prendrais pas forcément la direction indiquée. Et s’il donne une direction que je comprends et avec laquelle je suis en phase, je la suivrais. Ce soir nous allons jouer une chanson qu’on a finie et une autre qui est en chantier. Et puis nous en attaquerons certainement d’autres pendant la résidence qui vient. Futur album ou EP ? A voir. Tout dépend de ce qui sera produit pendant la semaine ; nous allons travailler déjà 6 ou 7 morceaux, car j’aimerais intégrer une reprise. Mais je considère que Christophe a aussi son avis à donner ; il prend du galon ! Ça fait presque 3 ans que nous jouons patrick-batard-nb-20161209_fuj4096ensemble, et j’ai besoin de cet équilibre, de ne pas me retrouver seul. On part sur un projet de défendre le prochain album à deux. Donc on va aller à l’essentiel. C’est un travail que j’ai déjà fait, donc je sais ce que ça nécessite comme approche. Mais pour repartir dans ce genre d’aventure collective, il fallait vraiment que je sois sûr de la personne avec qui je joue.

 

imgp5258– Est-ce à dire que ce projet en solo prend la tournure d’un duo et que la création collective te convient finalement mieux ?

Je ne supporte pas d’être tout seul ; pour moi il n’y a aucune utilité à faire de la musique, si c’est pour la faire seul. Je n’en tire aucun plaisir. Si j’écris, c’est pour essayer de faire vivre quelque patrick-batard-nb-20161209_dsc8285chose dans le cercle amical, pour qu’on puisse la ressentir ensemble et s’amuser à jouer. La construction collective me motive.

 

 

 

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Sylvain Reverte partagera la scène avec Romain Humeau le 11 février à L’Adem Florida d’Agen [https://www.facebook.com/ademflorida?pnref=story]

Plus de dates sur son site ici : http://www.sylvainreverte.com/concert

 

 

Nous remercions chaleureusement Véro de Ariane Production d’avoir rendu cet entretien possible.

Photos : Dave Brook (1 ; 4 ; 5 ; 8 et 14), Patrick Batard (8 ; 9 ; 10 ; 11 et 13), Miren Funke (2 ; 4 ; 6 ; 7 et 12)

 

Miren Funke

Liens : http://www.sylvainreverte.com/

https://www.facebook.com/revertesylvain/?pnref=lhc

https://www.facebook.com/sylvain.reverte

 

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