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Festival Musicalarue, édition 2016 : rencontre avec Radio Elvis

1 Sep

Musicalarue

 

Sur scène quelques instants après la fin du concert d’Yves Jamait, il incombait à Radio Elvis de retenir le public et ne pas voir les lieux se vider. Curieux restés écouter quelques morceaux, et dont l’oreille fut accrochée dès les premières notes par le rock onirique et littéraire du groupe, et initiés venus spécialement assister au concert de la formation se rejoignaient dans l’atmosphère planante et parfois mystique des chansons d’un premier album « Les Conquêtes », sorti cette année même. Une fédération inattendue et souvent improbable de publics : telle est la magie qui s’opère dans les festivals aux programmations éclectiques. Radio Elvis a su capter l’attention de tous, et, à en juger par la confession des regards, certainement conquis de nouveaux adeptes qui ne manqueront pas de s’intéresser plus intensément à sa musique. En sortie de scène, après un concert initiatique envoûtant, Pierre Guénard, chanteur du trio rock nous recevait.

 

musicalarueIMG_9954-2– Bonsoir et merci de nous accorder cet entretien. Vous venez de jouer, pour la première fois à Luxey,  devant un public très attentif. Comment avez-vous perçu l’accueil qui vous a été fait ?

– En effet, c’est la première fois que nous venons ici. Colin était venu l’an dernier, mais avec un autre groupe. L’accueil du public a été super ; des gens étaient là pour nous, donc on est très contents. D’autant que c’est notre dernière date avant des vacances. On a l’habitude de jouer plusieurs dates par semaine, mais depuis 20 jours, on a joué à peu près une seule date par semaine. Et quand on est habitué à jouer beaucoup, et qu’on passe ensuite 6 ou 7 jours entre chaque concert, il faut se remettre dans le bain chaque fois. Là, c’est la fin de la tournée d’été pour nous. D’une façon plus générale, on est très contents. Déjà l’album avait été bien accueilli par la presse ; on a eu de beaux papiers qui ont participé à la promotion. Tout ça a beaucoup contribué à élargir notre public. Depuis deux ans de tournée, on a été chercher les gens un à un -ce qui est toujours le cas, car on ne bénéficie pas vraiment d’un buzz comme le groupe Fauve ou d’autres par exemple-, mais le soutien médiatique nous a donné un coup de pouce. Notre conquête du public est plus progressive, mais du coup plus stable aussi. Ce qui est bien, c’est que les gens qui viennent nous voir, reviennent ensuite ; petit à petit on passe de 100 à 200 personnes, puis 300 et ainsi de suite. On a eu l’occasion de faire des premières dates complètes en province ; c’était impressionnant et bizarre pour nous.

 

©Carolyn.C

– Se produire sur une scène de festival oblige en général à un concert plus court. Avez-vous pu exprimer ce que vous vouliez ?

– Ce soir, on a joué un peu plus longtemps. Mais il est vrai qu’en festival, on nous demande souvent de jouer une cinquantaine de minutes sur un plateau. Ici on a pu jouer une heure et quart, ce qui nous a permis de jouer quasiment tous nos titres, sauf deux, mais qu’on ne joue pas non plus ailleurs, parce qu’il faut qu’on les adapte pour la scène.

 

– Vos compositions ont la particularité de prendre le temps d’installer une atmosphère, souvent introspective ou mystique. Est-ce un souci qui guide votre créativité artistique ?

– Elles sont comme cela sur le disque. Et puis on est là pour faire de la musique. Donc on prend le temps d’installer des silences, des plages musicales et des ambiances. Cela nous permet de passer d’un titre à l’autre, en trouvant des chemins qui mènent aux paroles et les mettent en avant.

 

©Carolyn.C

– Au sujet des paroles, vos thématiques utilisent souvent des images géographiques relatives au voyage : fleuves, routes, continents, océans. Que souhaitez-vous exprimer à travers cela ?

– Ce sont des éléments très symboliques. Ce ne sont pas tant les éléments en eux-mêmes qui sont intéressants ; notre propos est plus la symbolique de l’eau, du départ, du voyage, du retour, et à travers tout cela le thème du temps qui passe.

 

– En parlant de temps qui passe, depuis combien de temps jouez vous ensemble ?

– Depuis 3 ans. On s’est formés en avril 2013, et nous avons sorti notre premier album en avril 2016.

 

– Quels artistes vous influencent ?

– Nous sommes des inconditionnels de Nick Cave, qui est un dieu, un dieu inca peut-être, et également d’Arcade Fire. Voilà pour les références communes. Ensuite, nous avons chacun notre panthéon personnel. On écoute vraiment plein de choses différentes : de la pop, du rock, de la chanson. Je pourrais citer Dominque A, mais on m’en parle tellement souvent ! C’est une grosse influence pour moi, surtout au début, pour Manu aussi. Moins pour Colin. Et puis j’ai beaucoup écouté Bashung, Noir Désir, les Doors. En ce moment, c’est un jeune artiste, Alex Cameron, qui m’inspire beaucoup, ainsi que la scène folk psyché américaine (Kevin Morby, Chris Cohen). Colin adore Future Islands et LCD Soundsystem. Quant à Manu, il a une influence plutôt rock années 90. C’est un fan de Sonic Youth : il a même une guitare en signature de Sonic Youth !

 

– Était-ce un pari pour vous de lancer du texte francophone sur du rock ?

– Non, pas vraiment un pari, parce que plein d’autres l’ont déjà fait. Même Arcade Fire arrive à chanter des paroles en français dans ses chansons. Talking Heads aussi l’a fait. Donc les gens qui prétendent que le français ne s’adapte pas au rock, sont sans doute des gens qui n’ont pas cherché plus loin que leurs propres références, parce que ça ne les intéresse pas. Je pense que tout est possible : on peut faire du rock en allemand ou dans la langue qu’on veut. Quand on regarde du côté du rock des années 70 un peu partout dans le monde, on trouve surtout des reprises de standards américains dans la langue du pays. Nous avons récemment participé à une émission sur France Inter avec un spécialiste de musique pop des années 70 au Cambodge. Tout existe ! Affirmer le contraire est peut-être une manière de se réfugier derrière une excuse pour chanter en anglais. Mais après tout, pourquoi ne faudrait-il pas chanter en anglais parce qu’on est français ? Chanter en français n’est pas un pari ; pour moi, le vrai pari est de se lancer dans la musique et de dédier sa vie à ça. Au fond, que ce soit pour faire de la chanson, du rock, du funk, de la pop, ou peu importe quelle forme de musique, on s’en fout. Le vrai contenu est de savoir pourquoi on fait ça.

 

– Et alors, pourquoi ?

– Excellente question ! Je pense qu’il y a une dimension mystique ; c’est une façon de se révéler. D’être autodidacte dans la musique ou dans la vie de tous les jours : on apprend beaucoup de choses à travers une vie de groupe. Le pari, c’est aussi avoir un groupe. Je me suis beaucoup posé la question au début, de savoir si je voulais chanter seul. Mais être un groupe implique d’autres choses ; ça implique déjà plus de partage et d’égalité. On ne rentre peut-être pas dans une dimension démocratique, comme Noir Désir a pu le faire, avec un côté politique dans la manière faire de la musique à plusieurs. Nous sommes plus dans une philosophie un peu à l’ancienne, comme on trouve chez des groupes comme Les Négresses Vertes ou la Mano Negra, c’est-à-dire dans une histoire de camaraderie, où on boit des bières avec des potes et on monte sur scène ensemble.

 

©Carolyn.C

– Question partage justement, comment composez-vous avec les influences et les envies propres de chacun?

– Cet aspect-là est en train de changer justement. En fait avant le premier album, j’avais déjà joué 3-4 ans en solo, en attendant de pouvoir monter un groupe, et donc j’avais pris pas mal d’avance dans la création musicale tout seul. Colin m’a rejoint et a travaillé la matière que j’avais déjà en duo guitare-voix ; puis Manu est arrivé à son tour et a fait de même. Maintenant nous commençons à composer tous en semble, et ça va être le pari du second album d’arriver à créer en commun. On l’a déjà expérimenté sur la chanson « Solarium » : j’avais le texte et une ligne harmonique pour la voix, et on l’a travaillée jusqu’à tout reconstruire en studio ensemble ; j’ai même réadapté le texte à la structure qu’on avait créée. Ce qui a moins été le cas pour les autres morceaux de l’album. Mais désormais on va composer ensemble. En revanche, je m’occupe des textes, puisque la voix est mon instrument.

 

Radio Elvis– Quelles formations musicales avez-vous ?

– Colin a commencé la batterie à 4 ans. Il est issu d’une famille de musiciens et joue donc depuis très longtemps : à 8 ans il faisait déjà des concerts avec ses parents. On peut donc dire qu’à 30 ans, il a déjà 22 ans d’expérience scénique ! Il a fait quelques écoles de musique actuelle ; mais ce n’est vraiment pas ça qui l’a influencé. Il a appris beaucoup en autodidacte et a participé à bien des projets. Quant à Manu, il est violoniste de formation et vient également d’une famille de mélomanes, mais joue de tous les instruments. Pour ma part, je n’ai pas de formation ; et pour tout dire, je commence tout juste à me sentir musicien. J’ai appris tout seul à la guitare et je pense avoir développé un jeu qui reste assez personnel.

 

– Envisagez-vous d’introduire du violon dans vos compositions, ou d’autres instruments ?

– On l’a déjà fait sur une composition, mais joué en pizzicato. Et en dehors de ça, on l’a également fait pour un projet d’album de reprises qui va sortir à la rentrée, mais joué par un violoncelliste extérieur. Ceci dit, c’est instrument qui a un son très particulier, et autant on aime ça quand c’est joué par Warren Ellis avec Nick Cave, autant dans notre musique, ça fait beaucoup moins d’effet. Donc on ne l’envisage pas trop encore, mais pourquoi pas, si un jour on en a besoin.

 

– Y a-t-il une chanson en particulier ou un artiste qui a fait naitre le désir de faire de la musique en toi ?

– Y en a pas mal. Cela dépend des jours ; la réponse change en fonction des jours. Aujourd’hui, je dirais Alizée… J’ai eu le malheur de dire un jour dans une interview « pourquoi pas un duo avec Louane ? », pour expliquer le fait qu’on se laissait libre de chanter dans la langue qu’on veut ou avec qui on veut, et c’est la phrase qui a été mise en exergue dans l’article et prise au premier degré. Revenons au sujet sérieusement. Une chanson qui m’a beaucoup marqué quand j’étais petit, c’était « A girl like you » d’Edwin Collins. A la même période, où je découvrais la musique, il y a eu « Cargo de nuit » d’Axel Bauer et « Take a walk on the wild side » de Lou Reed. Ces trois titres là dégagent vraiment quelque chose qui m’a marqué. Après c’est Noir Désir qui m’a vraiment donné envie de faire de la musique ; je n’ai d’ailleurs écouté que ça pendant des années.  

 

Radio Elvis– On a souvent tendance à vouloir comparer des artistes issus d’une même génération, ou à les rattacher à une filiation ou une « famille ». Vous cite-t-on souvent Feu ! Chatterton ?

– A peu près 4 fois par jour ! Mais toutes les comparaisons auxquelles on a droit se font avec des artistes qu’on adore, donc ça ne nous pose aucun problème. Feu ! Chatterton a commencé deux ou trois ans avant nous, mais nous avons émergé au même moment et nous sommes arrivés sur les mêmes tremplins un peu en même temps. On s’est beaucoup côtoyés ; on a fait des dates ensemble. Nos disques sont sortis à la même période, donc la comparaison s’est fatalement faite. On n’est pas 36000 groupes à se situer entre rock, chanson et textes français. Il y a eu aussi Grand Blanc et Bagarre, même si les gens parlent beaucoup moins de ces groupes là, simplement parce que Feu ! Chatterton et nous sommes ceux qui bénéficions le plus d’un soutien radiophonique. Bagarre et Grand Blanc sont des groupes vraiment indé, et qui connaissent un développement différent, puisqu’ils trouvent un public moins facilement, mais en même temps un public plus serré et impliqué. Car pour le public de la scène indé, écouter un groupe est quasiment un acte politique ; c’est un mode de vie. Mais nous appartenons à une scène rock, électro-rock, punk assez large qui existe réellement ; on se sent très proches de ces groupes. Reste que nous avons notre public propre, qu’il faut construire date après date. C’est assez long, mais assez cool, puisqu’on joue beaucoup, et on progresse beaucoup aussi. Et surtout on sait pourquoi les gens sont là, et que si on garde le cap, ils seront là dans 20 ans aussi.

 

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Miren Funke

photos : Carolyn C

 

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