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Henri Crolla, l’enfant de Caruso et de Django …

2 Mar

Mandoline napolitaine

Hasard ou presque, Enrico Crolla nait à Naples, le 26 Février, quelques années avant naissait Enrico Caruso*, le 25 Février… Naples,  patrie de la ritournelle emblématique O sole mio **, dans une famille de musiciens qui faisaient les belles soirées des grandes brasseries de Bavière et d’Allemagne. Et dès sa petite enfance, avec la mandoline ou le banjo-mandoline, ce sont ces airs populaires qui le nourrissent et le poussent à ensoleiller les rues de Paris. Dès 8 ans il fait l’école buissonnière pour faire la manche, et ça lui plait. Un air guilleret, trois passants qui s’attardent, et le spectacle est là. Et les pièces tombent dans la casquette ou le béret.

Bien qu’ayant été un proche de la famille Reinhardt, par la proximité dans la zone de la porte de Choisy, et par amitié – la mère de Django le considère comme un de ses enfants – c’est en 1936 qu’il découvre la musique de Django … Quelques années avant Rico a été adopté par la contre-bande de Prévert, et il a une chambre chez Paul Grimault, près de la Porte d’Italie. Là, il devient Riton, il devient aussi guitariste, car on lui a fauché son banjo, et Paul Grimault lui donne une guitare. Chez Grimault, grâce à Emile Savitry, on écoute souvent le QHCF, ce quintette qui invente un nouveau jazz typiquement européen, cette musique riche et tonique qui fait swinguer les âmes …

 

En deux ans le jeune Riton va devenir Henri Crolla, guitariste très en vue dans les clubs de jazz,  rue Delambre, au Schubert, où passent les grands jazzmen, Coleman Hawkins, Benny Carter, Bill Coleman, et Gus Viseur avec qui il fait une tournée. Et en 1939, il rencontre SA guitare, la Maccaferri Selmer N° 453, la Ferrari des guitares dans le jazz français.***

Jeune vedette , il  a 18 ans, le studio Harcourt  lui tire le portrait.

Crolla était admiratif de Django jusqu’à la dévotion devant un dieu qui le paralysait (quand il « devinait » que Django descendait l’escalier de la salle où il jouait, il posait la guitare, et c’est en 1947 que Django l’entend  sur le 78T Grand Prix de l’Académie du Jazz) mais il n’a jamais copié le style Django. Selon André Hodeir sa musique est une fusion entre le classique et le jazz. Avec cette touche particulière « la sixte napolitaine » **** José Artur a trouvé les mots justes qui définissent bien Crolla «  une désespérance élégante » ajoutée à un humour entre autodérision et narquoiserie à la Prévert. La sixte napolitaine étant la bande son ..

La guerre interrompt en partie son parcours de jazzman, mais en 1947, le Trio Chauliac, Crolla, Soudieux est récompensé par le Grand Prix évoqué précédemment. Et Django entend enfin comment joue le petit frère guitariste.  En 1946 pour les jam-sessions in Paris, Crolla est dans l’orchestre réuni autour d’Alex Renard, avec Hubert Rostaing, Léo Chauliac, Roger « Toto » Grasset, Lucien Philip, Harry Perret,  Arthur Motta, dans la jam sessions n° 4. Cette session fait partie d’une série de 25 réalisée par Charles Delaunay, à destination des USA pour y promouvoir le jeune jazz français d’après guerre.  « …  la séance permet en outre d’écouter la belle guitare d’Henri Crolla dont la discrétion n’a d’égale que la musicalité.. » dit Pierre Carlu, très grand amateur de jazz, connaisseur incomparable de la musique « swing » et consultant émérite chez Frémeaux.

La période suivante, de 1947 à 56/57, ce sont les années music-hall, on y reviendra, mais le jazz est toujours là, pour la réouverture du Club St Germain, en 1954, c’est Crolla qui constitue le quartet idéal selon Soudieux, violon-guitare-contrebasse-drums. Avec Grappelli et Jacques David, et puis les « jeunes » René Urtreger, Roger Paraboschi, Maurice Meunier, Michel Hausser, Georges Arvanitas, Maurice Vander, la jeune garde du jazz français d’après guerre, quand certains considéraient Django et Grappelli comme des has been. Néanmoins, dans ce contexte Crolla sera un des maîtres d’oeuvre de la série d’enregistrements « Notre ami Django » avec la fine fleur des musiciens du moment . Et Stéphane Grappelli revient à la une.

 

Dans ces mêmes années 52/53 on trouve aux côtés de Crolla Martial Solal (Lalos Bing) dans des enregistrements d’airs populaires jazzy (Mon homme …) et aussi Lalos Schiffrin qui dans ses années parisiennes fréquentait les clubs de jazz, la Fontaine des 4 saisons, où Crolla avait ses habitudes et ses amis. Il n’y a pas de trace enregistrée avec Schiffrin, juste des témoignages.

 

 

Les musiques populaires, la sixte napolitaine, le jazz (et une curiosité permanente)  sont trois des composantes de l’art du musicien, qui décide dans les années 58/59 de quitter son métier de musicien professionnel, le métier, pour ne faire que de la musique par pur plaisir …  et retrouver le goût de l’école buissonnière, le long des rues …

 

* Enrico Caruso est un ténor italien né à Naples le 25 février 1873 et mort le 2 août 1921

** O sole mio (en français « Mon Soleil ») est une célèbre chanson napolitaine, publiée en 1898 et mondialement connue. Les paroles sont du poète napolitain Giovanni Capurro et la musique de Eduardo Di Capua

*** Sur  les guitares dans le jazz français, clic sur la guitare de Crolla,

Maccaferri-Selmer 453   Photo NGabriel 1999

****  la sixte napolitaine: accord de sixte napolitaine qui semble avoir été popularisé par les compositeurs d’opéra napolitain au temps d’Alessandro Scarlatti. Le dessin ci-dessous explique assez bien, j’ajoute après tu te mets à pleurer :  mais t’es pas triste..

Sinon on peut dire aussi,  c’est un accord parfait majeur construit sur le 2e degré abaissé d’un demi-ton chromatique, apparaissant le plus souvent dans une tonalité mineure, mais on l’observe, à l’occasion, dans une tonalité majeure.
C’est quand même plus clair …

 

Norbert Gabriel

Henri Crolla 26 Février 1920

26 Fév
crolla savitry

Photo Emile Savitry

Le personnage le plus extraordinaire … selon Moustaki, témoignage dans une revue dont il fut le rédacteur en chef exceptionnel pour le 3 ème numéro.

Né le 26 Février 1920, à Naples,  Rico, Mille pattes, Enrico, Henri Crolla, puis Crolla, au fil des années et des rencontres et de la notoriété.

Le prince des accompagnateurs selon Philippe Meyer…

Un gitan de Naples sorti d’un dessin animé de Prévert et Grimault selon Montand..

Notre petit copain du Flore en 1943-44 selon Simone Signoret

Mon père spirituel selon Higelin,

Frère de rue et de rêves de Mouloudji,

Fils adoptif virtuel de Prévert et Grimault

Un des enfants de la tribu par la mère de Django,  la belle Laurence…

Musicien subtil et unique, démonstration en 1’55 (avec Martial Solal au piano, alias Lalos Bing)

Et quelques airs pour finir cette première page.. à suivre ..

 

 

Pour infos, au cas où, sa notice wiki c’est là

PhotoNGabriel1999

sur la guitare de Crolla–>

 

 

 

Norbert Gabriel

Montand et les auteurs…

29 Nov

Une discussion animée a occupé les réseaux sociaux récemment, sur l’interprétation d’une chanson dont le texte a été plus ou moins modifié et amputé . Sans l’aval de l’auteur(e).

Le fait est assez fréquent, parfois au mépris du droit moral de l’auteur, et en déformant le sens de la chanson. Par erreur ou incompréhension… Remplacer «Ma mie » par « Maman » dans « La non demande en mariage » relève peut-être d’un lapsus freudien.

 

Photos Crolla par Emile Savitry, Montand Harcourt, Prévert DR

Un des interprètes les plus connus dans le monde, Yves Montand, a souvent apporté des modifications dans les chansons qu’on lui proposait. Mais chaque fois, il en parlait avec l’auteur, et c’est uniquement avec l’aval de celui-ci qu’il enregistrait la version modifiée selon ses suggestions.

Le premier exemple c’est « La chanson des cireurs de souliers ». Prévert avait demandé à Henri Crolla de mettre une musique sur ce poème. Quelques mois après, nous sommes en 1947, Prévert et Crolla vont chez Montand, lui montrent la chanson, Montand est emballé, et adopte les cireurs. Toutefois, malgré sa timidité envers les intellos comme Prévert, il suggère une fin différente. Prévert accepte, et c’est la version Montand qui est déposée à la Sacem: «  Les cireurs de souliers de Broadway ».

On peut souligner que Montand n’a jamais revendiqué le moindre centime sur ses participations, au contraire d’une célèbre canadienne Céline D. qui demande 20% uniquement pour chanter ce qu’un autre a écrit. De même, Montand a repéré un texte de Gébé et a demandé à en faire une chanson, ce que l’auteur n’avait jamais envisagé. (Casse-Têtes, mis en musique par Philippe-Gérard, sur la demande d’Yves Montand qui avait repéré ce texte dans Charlie Hebdo )

On peut rapprocher l’attitude des auteurs avec Montand à celle de Boris Vian, quand Mouloudji lui a demandé des modifications pour « Le déserteur » réponse de Vian: « mais Moulou, tu fais ce que tu veux, c’est toi qui chantes.. »

Et non reprocher à Mouloudji d’avoir changé quelques vers… Que Vian a repris dans un de ses enregistrements de la chanson.

Pour conclure avec Montand, il a eu des intuitions fulgurantes, mais aussi raté des occasions… Toutefois, il était à l’écoute de sa garde rapprochée, Bob Castella, Henri Crolla, Simone, par ordre d’apparition dans sa vie. Quand Jacques Verrières lui a présenté « Mon pote le gitan » il était dubitatif et c’est Crolla qui l’a convaincu. Et si on peut reprocher à Montand un côté grande gueule italo-méridionale, il a toujours été d’une honnêteté scrupuleuse avec ses auteurs. Paraboschi, autre impulsif tonitruant a toujours été constant, « Montand pouvait pousser une gueulante de mauvaise foi dans le feu de l’action, mais après il venait s’excuser et reconnaître ses torts, quand il avait tort . Ce qui arrivait parfois.

Une de ses dernières interventions concerne « La bicyclette » dont le titre initial est à « à bicyclette »… Quand Pierre Barouh lui a montré la première version, une sorte de récit en deux temps, si on peut dire, il a suggéré à Barouh d’en faire un court métrage, plutôt qu’un documentaire, et en effet, l’auditeur entre d’emblée dans le film, alors que dans le documentaire, il est témoin extérieur ..

De l’ébauche d’une chanson à sa version définitive, gravée dans le marbre de la Sacem, la vie de l’artiste peut l’amener à faire des variantes, changer un mot, modifier une phrase, mais c’est toujours avec une raison précise. L’interprète qui modifie devrait avoir le scrupule d’en discuter avec l’auteur. En justifiant son point de vue.

Un des exemples les plus étonnants est l’histoire des « (..) Plaines du Far West ».   Montand a un peu plus de 20 ans, il a débuté avec un répertoire « Trechenel »  (Trenet-Chevalier-Fernandel) et il veut une chanson à lui. Il est fou de cinéma américain.  Son imprésario du moment l’envoie chez un musicien aveugle qui n’a jamais vu un western, Montand raconte, et la chanson nait ..  Co-écrite avec Maurice Vandair. Cette chanson n’a jamais quitté son répertoire, la voici dans une version très cartoon …  Les ragazzi qui l’accompagnent c’est le gang des ritals, Castella,  Balta, Paraboshi, avec Soudieux,  le trombone de Claude Gousset et Hubert Rostaing clarinette.  Crolla, qui était un des piliers du gang des ritals, était absent sur la scène, mais présent sur l’album, en scène c’est Didi Duprat qui l’a remplacé ..  and the show must go on …

Last but not least, dans « Les feuilles mortes » il y aussi une trace de Montand…

Voir ici–>

Norbert Gabriel

Prévert et Izis

23 Avr

Avant d’être consacré « poète » avec Paroles, Prévert était plutôt un homme lié aux images du cinéma, scénariste à succès, mais polyvalent, il est l’auteur des textes du Groupe Octobre, les activistes du théâtre à l’usine. Il a été aussi auteur de chansons, presque par hasard, grâce au hasard des rencontres, sa «contrebande » réunissait à peu près des représentants de tous les arts.

Jacques Prévert et l’image

Sa bibliographie comprend des albums à quatre mains co-signés avec des amis peintres Picasso, Chagall, Calder, Miro, Ernst et photographes Izis, Brassaï et tout le monde connait ses ballades avec l’ami Doisneau.

En Avril 2017, le Cherche Midi et Jean-Paul Liégeois ont réédités deux albums, dont un introuvable jamais réédité depuis 1951, Grand bal du printemps.

Izis Bidermanas né en Lituanie, immigré à Paris en 1930, résistant en Limousin de 1941 à 1944, est une des figures de la « photo humaniste » aux côtés de Brassaï, Edouard Boubat, Robert Doisneau, Willy Ronis. Il a co-signé trois ouvrages avec Jacques Prévert : Grand bal du Printemps, Charmes de Londres, Le Cirque d’Izis.

Grand Bal du Printemps est une célébration de Paris, chantée en duo par un poète, Prévert, et un photographe, Izis. Un chant d’amour pour une ville. Jacques Prévert a toujours aimé et chanté Paris : il a été et demeure « le poète de Paris ». Cet ouvrage, de 154 pages, enrichi de 62 photos d’Izis sur Paris, en constitue la meilleure preuve. Paris est tout petit / c’est là sa vraie grandeur . Le Paris de Prévert est celui des quartiers populaires, des musiques de rue, des fêtes et de la misère, des enfants en liberté et des « étranges étrangers ». Le Paris de Prévert est une ville humaine, une ville au quotidien, avec ses grands malheurs et ses petits bonheurs. Les photographies d’Izis donnent des visages à cette humanité.

Charmes de Londres, autre promenade dans Londres, plus près  de l’East End, de Leytonstone, ou de White Chapel que des ors de Buckingham Palace, chacun son folklore, même format que Grand bal du printemps, 105 pages, avec l’essentiel des biographies des auteurs. (dans les deux ouvrages)

Quand il est dit « à quatre mains » ce n’est pas une figure de style, les deux auteurs ont construit ensemble ce qui est un récit lyrique en photos et textes, pas une simple illustration avec des photos plus ou moins en situation. Le mot appelle l’image, ou bien c’est l’image qui appelle les mots..

Pour cet album, rien à ajouter à ce qu’a écrit Charlie Chaplin, en 1952, dans une lettre à Izis, il saluait la qualité du rêve et d’aventure, puis ajoutait en 1954:

La combinaison photographie-poème crée une émotion au delà de toute parole.

Il n’y a pas de meilleure conclusion.

Last but not least, cette double page de Charmes de Londres, qui ira droit au cœur de Valérie B. la rédac-chèvre initiatrice de la revue Le Doigt dans l’oeil, qui a raté Picasso dans sa quête des chèvres d’artistes… Et qui était venue à Paris pour une sorte de thèse sur Prévert avant de mal tourner vers la chanson… mais à cause de ce Jacques… (private joke)

Et puisqu’il est question d’images, de Prévert et de livres, voir éventuellement Prévert n’est pas un poète…  Clic sur le collage, 

 

Norbert Gabriel

Chanter la langue de chez nous

18 Août

La chanson est l’expression la plus authentiquement populaire. Le seul art qui soit resté près de ses sources. Un des rares où toutes les valeurs Qulturelles (avec un Q) soit mises échec. »  (…) Piaf et Brassens étaient aussi des parias de l’éducation. Tout comme Gershwin et Django Reinhardt. La pauvreté du bagage scolaire n’a jamais empêché qui que ce soit de chanter. (…)  Un aphone inculte, par sa seule sensibilité, peut émouvoir. Mieux que la voix ou le cerveau les plus cultivés.

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Ces lignes sont de Georges Moustaki,  Questions à la chanson, 1973 . Elles sont d’une pertinence éternelle. Dans le débat qui revient régulièrement à la une des interrogations existentielles sur la chanson à texte, ou la chanson « pas à texte », on ergote sur le fait que la bonne chanson se doit d’être forcément dans la langue de chez nous. Qu’on soit bantou, auvergnat, alsacien, patagon ou brésilien, hors du langage natal, pas de salut. Peut-être. Ou peut-être pas. Il y a parfois des mystères qui nous dépassent. Je connais assez bien quelqu’un qui a été élevé au bel canto, l’opéra à la TSF, ou dans l’atelier de mon grand-père, Luis Mariano ou Caruso dans la cuisine-salon-salle à manger, et qui un jour, vers 13-14 ans a découvert « Fleuve profond » une émission qui racontait le negro-spiritual, un choc émotionnel d’une intensité inouïe, c’était quelque chose que je ressentais comme si c’était en moi depuis toujours. Sans comprendre le sens des mots, je percevais bien le sens de la musique, et la force du propos. Ce n’est pas pour autant que j’ai balancé à la poubelle Bécaud et  mes mains qui dessinent dans le soir la forme d’un espoir qui ressemble à ton corps  ou Brassens, Marie-Josée Neuville, ou Brel, ou Félix Leclerc, eux qui me parlaient avec

cette langue belle à qui sait la défendre.
Elle offre les trésors de richesses infinies
Les mots qui nous manquaient pour pouvoir nous comprendre
Et la force qu’il faut pour vivre en harmonie. 

 

Il n’était plus question d’ergoter sur le bien-fondé de l’imparfait du subjonctif et des beautés de Ronsard ou Malherbe dans leur écriture, la chanson était devenue un formidable générateur d’émotions, portées par des voix, des voix venues de partout

C’est pas seulement ma voix qui chante
C’est l’autre voix, une foule de voix
Voix d’aujourd’hui ou d’autrefois
Des voix marrantes, ensoleillées
Désespérées, émerveillées
Voix déchirantes et brisées
Voix souriantes et affolées
Folles de douleur et de gaieté…

et qu’elles chantent en slang, en argot, en russe ou en patois javanais, quand il y a une émotion qui passe, pas besoin de sous-titres. C’est pourquoi, avec ma pile en vrac jamais rangée, à côté de la chaîne, avec Ferrat, Jacques Yvart, Elisabeth Wiener, Higelin, Pagani, Pauline Julien et Anne Sylvestre, Pierre Barouh, Leprest, une partie de ceux qui sont là depuis plus de 20 ans, il y a aussi Melody Gardot, Madeleine Peyroux, Alela Diane, Vissotski, qui ne sont pas tout à fait francophones, mais qui me racontent des histoires. Comme Serge Utgé-Royo, dont tout le répertoire est inspiré d’une histoire, celle des exilés. Et de tous les exilés finalement. Utgé-Royo m’a fait comprendre une chose que je n’avais pas vraiment cernée, c’est la qualité de son écriture dans une langue parfaitement maîtrisée qui crée cette addiction à cette forme de chanson qui raconte. Elle est « à texte », bien sûr, mais ce n’est pas toujours suffisant. Il faut le fond et la perfection de la forme pour ne pas casser la magie par une rime hasardeuse, qui me ferait décrocher.

©NGabriel Forum Léo Ferré 2015

©NGabriel Forum Léo Ferré 2015

Il y a des interprètes ou auteurs qui essaient de me raconter des histoires, mais quand j’entends «le soleil-le dans le ciel-le, sur le port-re…» je peux pas. Et il y aussi «un mirador-re» pour achever le tableau. Bien que la voix soit belle, la mélodie réussie, ça ne passe pas… Et je suis beaucoup plus touché par la voix de Léonard Cohen, celle de Billie Holiday, ou celle d’Emily Loizeau récemment, entendue en aveugle à la radio. Sans pré annonce, ni quoi que ce soit. Sans image glamour, la voix, l’expression vocale, quelque chose qui émeut, c’est tout. Le fait que ce soit en français, n’est pas une garantie d’extase textuelle. Sinon les rappeurs seraient en orgasme perpétuel avec leurs rimes appuyées et scandées en mode marteau piqueur. Durant des années, «My gypsy wife» de Léonard Cohen m’a bouleversé sans que j’aie jamais eu envie de chercher la traduction. Une fêlure dans la voix, un écho de violon…

Il est sûr que je suis souvent devant les scènes françaises, celles de Louis Ville, Agnès Debord, Valérie Mischler, Bernard Joyet, Lili&Thierry, (Cros&Chazelle)  Romain Didier, Jérémie Bossone et celles et ceux des Lundis de la chanson, n’empêche que Chappel Hill m’a envoyé dans les nuages un peu comme The Doors ou Johnny Cash. Mais pas Presley … Sorry Elvis, t’as une belle voix mais ça ne me raconte pas grand chose.

Le travers qui se répand chez les néo french rockers babillant en anglais canada dry, est en effet préoccupant, c’est vide, c’est creux, c’est sans intérêt. Mais ça peut faire gigoter en buvant une bière, et en discutant avec les copains.

Aujourd’hui, tout le monde se fait un point d’honneur de reprendre les chansons de Leprest… Pourquoi pas? Il n’y a pas tant de maîtres dans ce domaine, mais combien savent vraiment apporter quelque chose de neuf, de mieux que l’original ? Ce qui vaut aussi pour les adaptations qui émigrent, mais c’est un autre débat.

J’aime assez le parcours de Louis Ville, qui a fait du rock en anglais, et qui s’est mis à écrire en français pour être plus précis et riche dans ce qu’il voulait partager. «Cinémas, cinémas» c’est de la chanson qui raconte, qui a du sens et du son . Une chanson dont Pierre Dac aurait dit : « Pour bien comprendre les gens, le mieux est d’écouter ce qu’ils disent. » Bien sûr qu’on comprend mieux quand c’est la langue de chez nous.

©NGabriel2013

©NGabriel2013

Que ce soit une langue belle et riche, personne ne devrait contester ce fait que la chanson soit un art populaire, c’est aussi une évidence. Mais la musique est aussi un langage universel, sans frontières, qui s’enrichit de métissages heureux, et qui s’appauvrit quand des néo-rockers babillent des insignifiances en anglais, parce que c’est tendance, et que ça se « dance »… Comme La danse des canards, c’est dansant, et français. Mais il ne suffit pas non plus que ce soit en français pour avoir un label de qualité systématique. Genre CFQ* qui ne serait qu’Only French, mais si on y chante plus souvent dans la trace de Jehan Rictus ou Gaston Couté, et leurs descendants que dans celle d’Eric Morena ou de Chantal Goya, ce serait dommage de se priver d’Elisabeth Caumont, cervantesque princesse Micomiconne qui explore avec bonheur les espaces ellingtoniens ou ceux de Chet Baker. Et irait-on se priver aussi de Paco Ibanez , Angélique Ionatos ou Paolo Conte parce qu’ils ne chantent pas qu’en français ?

Peut-être que ça se discute, c’est un point de vue qu’on peut ne pas partager. Peut-être que c’est un crime de lèse majesté de saluer un album qui ne parle pas français.

Mais j’ai du mal à limiter mes enchantements au format hexagonal quand je peux avoir le monde entier à découvrir.

« Le monde ouvert à ma fenêtre… » a toujours des airs balladins à découvrir, on n’est jamais à l’abri d’une bonne nouvelle.

 Tu me diras que j’ai tort ou raison,
Ça ne me fera pas changer de chanson,
Je te la donne comme elle est,
Tu pourras en faire ce qu’il te plaît.
Et pourtant dans le monde
D’autres voix me répondent
Et pourtant dans le monde…

Bande son: Louis Ville. Pour le langage universel de la chanson, voici l’archétype de la réussite, avec images si on veut, ce serait dommage de se priver d’Elisabeth Masse, mais la première fois, c’était sans autres images que celle générées par la voix de Louis Ville…

 

« The gypsy wife  » avec commentaire de Leonard Cohen ( from the record: Field Commander Cohen. Tour of 1979 (Sony Music ent. Columbia. 501225 2

Et la version studio, la première…

Merci à Yves Duteil et Jacques Prévert pour La langue de chez nous et Cri du coeur. Ainsi qu’à Georges Moustaki pour Et pourtant dans le monde.

 

Norbert Gabriel

*CFQ; Chanson Française de Qualité (emprunt à Floréal Melgar)

Les sentiers de la résistance chanson, Vanina Michel.

25 Fév

  résister« Seuls les poissons morts vont avec le courant. »

Ce proverbe séminole illustre bien ce que fut l’esprit de ce peuple indien qui n’a jamais enterré la hache de guerre. Quasi exterminé, quelques familles ont survécu dans les marais insalubres de Floride, qui ne présentaient aucun intérêt pour les colons néo américains. Et un siècle après la fin des guerres indiennes, les descendants de ces résistants invaincus ayant fait fortune dans le tabac et les jeux, ont racheté la totalité d’une chaîne emblématique de l’American Way of Life, les Hard Rock Cafés.http://fr.euronews.com/2006/12/07/les-indiens-seminoles-rachetent-l-enseigne-hard-rock-cafe/

Dans ce préambule, on pourrait remplacer « indiens séminoles » par artistes indépendants de la scène chanson, en leur souhaitant le même parcours, racheter Universal dans 100 ans … Pour le moment, essayons d’apporter un souffle d’oxygène à celles et ceux qui se battent pour faire vivre cette scène, celle qui a permis à leurs parents ou grands parents de découvrir Anne Sylvestre, qui chante encore et toujours, Félix Leclerc, Brassens, Brel, Ferré, Ferrat, et quelques autres.

Parmi les lieux de résistance chanson – entendons par là des salles où l’artiste est programmé sans avoir à payer la salle, la pub, les musiciens, la Sacem…- il y a au Vingtième Théâtre, les Lundis de la chanson, soirées avec une première partie choisie en harmonie avec l’invité principal, ou des co-plateaux, ou des spectacles comme les Nuits de la pleine lune, avec multi invités. Il y a aussi « La passerelle des arts » un rendez-vous mensuel, le deuxième mardi, sur une péniche, La balle au bond, avec une scène « découvertes » et ouverte. Le 4 ème rendez-vous le 12 mars sera parrainé par Didier Lockwood, et l’esprit de ces soirées est dans la ligne d’un des maîtres et partenaires de Vanina Michel, l’initiatrice de cette passerelle, « Ne pas faire demain ce qu’on a fait aujourd’hui, qui était différent de ce qu’on a fait hier. » Stricto sensu c’est le spectacle vivant. Selon l’évangile de Lubat, et les homélies de Prévert, dont Vanina Michel est une des interprètes maîtrisant le mieux les dits de maître Jacques.

Ça commence à 19h30 , et ça peut se terminer tard, tout est possible. passerelle

En attendant le 12 mars, vous pouvez passer à l’Angora Café, à deux pas de Bastille, Vanina Michel y reçoit régulièrement pour un de ces moments de cabaret chanson dans une ambiance très conviviale …

Elle y sera  JEUDI 7 MARS 20H30  L’ANGORA 3, Boulevard Richard Lenoir Paris 11°   01 47 00 25 00.  http://www.langora.fr/
A 50 m de la place de la Bastille, à l’angle du boulevard Richard Lenoir et de la rue Amelot,

Vanina Angora groupe 4 A2

Norbert Gabriel

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