
Le 15 aout dernier s’ouvrait la nouvelle édition du festival Musicalarue à Luxey, avec comme d’habitude une riche diversité d’artistes, des spectacles de rues, des gros concerts d’artistes confirmés à large public, des scènes plus modestes proposées aux artistes émergents, à découvrir ou à redécouvrir. Luxey ouvrait encore les portes du village à la polymorphie artistique, et trouvait ses organisateurs heureux d’accueillir au sein de l’évènement des
artistes pour tous les gouts et de toutes les dimensions, dont la légende Patti Smith, qui de leur propre aveu fut parmi les artistes à avoir éveillé cinquante ans auparavant leur passion pour la musique. Joli pied de nez aux lois de l’économie pour un évènement qui depuis sa création et malgré une fréquentation et une popularité expansives qui l’ont amené à être de taille à concurrencer les gros festivals industriels -au risque d’en devenir un- n’a cessé de cultiver et de conserver intact l’esprit alternatif, artisanal et convivial dans lequel il émergea. Musicalarue garde le cap, ancré dans des valeurs de partage, de
proximité, de défense de l’éclectisme culturel et de soutien aux artistes, les bénéfices amenés par les concerts de célébrités étant réinvestis dans la promotion d’artistes en quête d’un public attentif et curieux. Le festival persiste dans la volonté d’offrir de beaux moments à tous les publics et toutes les générations, preuve en est la présence cette année de Marcel Amont venu assurer une représentation pour le plaisir de tous et faire naitre beaucoup de sourires et quelques larmes sur les visages des anciens, heureux de partager un spectacle en famille.

Résolument devenu inévitable sur les lieux, Denis Barthe, que nous retrouvons avec plaisir chaque année -et pas toujours avec la même formation- était aussi de la fête avec The Hyènes, dont le nouvel album produit via un financement participatif sortira en avril 2020, pour un concert mémorable, où le groupe s’amplifie de la participation des chanteurs Cali et Olivier Daguerre, ainsi que de l’harmoniciste Kiki Graciet (The Very Big Small Orchestra) et du violoniste Rivaldo Becarre (idem). Ce fut un moment chaleureux et complice avec des artistes présents avant tout pour partager et communiquer du plaisir, en interprétant ensemble des chansons du groupe, mais aussi des titres de Cali (notamment un « Mille cœurs debout » vibrant avec Philippe Poutou), de Daguerre (« De l’ivresse »), et des reprises de standards du Rock (« I wanna be your dog » des Stooges, « L’opportuniste » de Jacques Dutronc ou encore « Heroes » de David Bowie) : musicalement énergique, humainement émouvant et politiquement militant, le concert accueilli
donc sur scène Philippe Poutou, invité à parler de la cause des salariés de l’usine Ford de Blanquefort et annoncer le concert de soutien qui aura lieu du 21 septembre au Krakatoa ( Voir ICI.) avant de finir le spectacle par un hommage à Nathalie Bidou, personnalité des nuits rock bordelaises, appréciée de tous et décédée récemment, et pour qui nombreux dans le public aussi eurent une pensée émue. Les indications de Cali promettant quelques heures auparavant qu’il « se passerait quelque chose » ne furent pas démenties durant ce temps fort de Musicalarue qui au gré des chansons s’abandonnait « de surprise en surprise », pour reprendre les mots de la chanson d’Olivier Daguerre « A notre guise ».
Le groupe, ayant intégré récemment Luc Robène (Strychnine, Noir Désir) -qui nous avait parlé de son projet de recherche sur l’Histoire du Punk en France PIND ( Lire ICI )– en remplacement de Jean-Paul Roy à la guitare, nous accordait un entretien qui fut l’occasion de parler de l’album à venir, mais aussi de l’engagement des Hyènes auprès de la cause des salariés en cours de licenciement de l’usine Ford de Blanquefort, pour lesquels un concert de soutien aura donc lieu le 21 septembre prochain au Krakatoa de Mérignac (33) avec entre autres The Hyènes et Cali, Radio Elvis et Bertrand Belin.
L’entretien fut réalisé en deux séquences, lors d’une conférence de presse précédant le concert avec les membres de la formation Denis Barthe (batterie), Vincent Bosler (chant, guitare), Olivier Mathios (basse), Luc Robène (guitare), et Cali, suivie d’un entretien privé après le concert avec Denis Barthe et Vincent Bosler.
– Bonjour The Hyènes, et merci de nous accorder cet entretien. Le 21 septembre prochain, vous occuperez la scène du Krakatoa de Mérignac avec d’autres artistes pour un concert de soutien aux salariés de l’usine Ford de Blanquefort, condamnée à la fermeture au terme d’une lutte de plus de dix ans pour sauver ces emplois. Pouvez-vous tout d’abord nous parler de votre engagement auprès d’eux ?
– Denis : Le 21 septembre, on refait un concert de soutien aux ouvriers de Ford Blanquefort qui se font salement éjecter par cette belle marque de voiture prestigieuse. Ce sont des gens qu’on laisse sur le carreau. Les ouvriers de Ford, nous les imaginons toujours comme des gens super costauds ; or nous les avons vu pleurer, parce qu’ils perdent leur boulot, parce qu’on les écarte comme ça. On a vu la ministre qui s’est battue, mais qui nous dit qu’on doit comprendre qu’on ne peut pas non plus y aller trop fort contre les entreprises, car ça envoie un mauvais signal et qu’après celles-ci n’investiront plus en France. On comprend bien. Mais si elles investissent en France pour prendre des aides et des subventions et après larguer les gens comme ça et rentrer aux États Unis ou ailleurs en disant que c’est comme ça que ça se passe… Il parait que ça va nécessiter vingt million d’euros pour décontaminer le site et le remettre en état pour une autre activité. Je peux vous annoncer que ces vingt millions d’euros ne seront pas payés par Ford, mais par toi, moi, nous.
– Vincent : Je ne paye pas, moi.
– Denis : Toi, tu vas payer comme nous, et tu vas même payer plus! Alors on a changé le line-up du concert, parce qu’il y a des gens qui se sont proposés. Toutes les bonnes volontés sont les bienvenues. On habite un pays où est marqué « liberté, égalité, fraternité » sur le fronton des mairies. D’abord ça commence par « liberté », et ça, on l’oublie toujours : tous les jours on nous en éteint une petite. Cette liberté, cette égalité, cette fraternité, il faut les défendre. Aujourd’hui c’est l’individualisme à temps plein qui prédomine. C’est chacun pour sa gueule, jusqu’au moment où ça tombe sur ta gueule. Et la précarité peut arriver très vite : il suffit de perdre son travail. Alors on fait des concerts, on continue d’avoir la patate, et on ne laisse pas les choses se faire. Lorsque Philippe Poutou est venu nous demander un soutien, on a répondu, même si bien sûr on ne va pas changer le monde ni le pouvoir. Mais on aurait pu répondre par la négative, que ce n’était pas bon pour notre carrière, qu’on allait se compromettre. On n’a aucune carte de parti, tous autant que nous sommes. Mais quand quelqu’un vient te demander de l’aide parce qu’il est aux abois, tu y vas.
– Vincent : Que ce soit sur les sujets sociaux ou climatologiques, puisque le G7 va se tenir à Biarritz, le seul ressort qu’il nous reste est la désobéissance. Quand on voit les centaines de millions d’euros que va coûter de sécuriser la zone pour le G7 au mépris de la population qui se retrouve bloquée pour que les mecs puissent faire un sommet devant un cadre balnéaire, on comprend bien que leur préoccupation n’est pas de faire le bonheur des gens. Sinon ils auraient pu se réunir à l’Elysée par exemple, où en plus la vaisselle est neuve, ou faire un skype. La seule façon qu’on a de mettre les dirigeants en difficulté, c’est de leur désobéir. Ils ont besoin de nous pour s’enrichir, mais nous n’avons pas besoin d’eux ; et ça, il faut que tout le monde en prenne bien conscience. Les élections ne servent à rien. Il n’y a jamais eu de changement ; la politique est un fond de commerce.
– Vous revenez ici chaque année, pas forcément avec la même formation, mais toujours pour témoigner votre soutien à Musicalarue. Qu’y a-t-il de si particulier pour vous ici ?
– Cali : La première fois que je suis venu ici, je me suis « whaw ! C’est un vrai bordel ici ! ». Le village est impliqué, on dort chez l’habitant, on croise des gens, il y a des spectacles de rue. Pour venir de la loge jusqu’ici, on traverse parmi les gens, on se parle, on s’embrasse. Il y a aussi ce festival Pause Guitare [http://www.pauseguitare.net/]d’Albi avec Alain Navarro qui résiste de la même façon et arrive à être complet aussi. C’est beau ; ça me touche de voir tous ces bénévoles heureux. Et je suis heureux d’être ici avec mes potes, parce qu’ils défendent des valeurs. C’est bien, parce qu’on n’est pas d’accord sur tout, mais on est d’accord surtout! On est heureux de se retrouver, tous réunis. Olivier Daguerre est là aussi et chantera avec nous. Pour moi, c’est le poète. Ça me touche parce que je les aime tous profondément. Les gens m’ont dit que c’était super que les Hyènes jouent avec Cali et Daguerre, et il va se passer quelque chose à ce concert ; c’est sûr! Je ne peux pas vous dire quoi, mais il va se passer quelque chose.
– Pour revenir à la musique et au groupe, qu’en est-il de l’album en création pour lequel vous avez lancé un financement participatif via ulule ?
– Vincent : L’album va sortir en deux fois, avec un premier Ep cinq titres en octobre, qu’on a fini d’enregistrer et mixer, et après l’album qui sortira en avril 2020. On a commencé à enregistrer des choses, mais tout n’est pas traité. C’est en cours.
– Denis : Entre temps on va commencer une petite tournée qui va s’appeler « tour de chauffe » pour roder ces nouveaux morceaux dans de petits clubs. Le but est d’être au plus près possible des gens. Ça nous permet de tester ces morceaux sans dire qu’on est déjà sur la tournée ; c’est un peu un round d’approche.
– Vincent : On ne s’interdit pas d’essayer des versions différentes. On a parlé aussi de faire des sessions acoustiques, pour revisiter nos propres morceaux et jouer un peu avec.
– De quoi cet album va-t-il donc parler ?
– Vincent : Question paroles, je dirais que ce sera un peu moins brulot politique que le précédent album qui était ultra engagé. Notre aventure du BD Concert nous a ouvert pas mal de pistes, tout comme le fait de faire partie tous les deux du Very Big Small Orchestra ouvre d’autres horizons, un peu plus cinématographiques dans la façon d’aborder la musique. On est toujours un peu punkisants, forcément ; on vient tous de là. Mais on n’a pas nécessairement besoin d’être bourrins ; on ne s’interdit pas des arrangements. C’est marrant parce qu’en même temps on a enregistré tout en live et rajouté des arrangements après, ce qui va un peu à l’encontre de ce que je dis. Mais c’est dans la façon de concevoir les arrangements et les thèmes musicaux qu’on a quand même abordé pas mal de pistes.
– Denis : Ce qu’on retient du punkoïde dans le sens large du terme, c’est le côté faisabilité : on va le faire, même si on ne sait pas, on va y aller. A l’époque ce qui était intéressant avec le mouvement punk, c’est que les gars montaient sur scène en sachant tout juste plaquer trois accords. Et le jour où ils en faisaient un quatrième, c’était un évènement, et ils étaient chassés du groupe parce qu’ils avaient fait un accord de trop.
– Vous jouez ici avec Cali et Daguerre. Y aura-t-il des invités également sur le disque et la tournée ?
– Olivier : Olivier Daguerre, il vient foutre la merde, mais on en est très heureux! On se connait bien, on ne fait pas la même musique, mais on a la même manière de la pratiquer. Chaque fois qu’on fait des choses ensemble, c’est évident. Et puis c’est un plaisir, car on dit un milliard de conneries à la seconde, et ça fonctionne quand on joue ensemble. On se fait confiance ; c’est simple et sans calcul. Ça rejoint notre recherche permanente, parce que parfois par le passé on a pu se mettre des soucis, comme tout groupe soumis à des problématiques, des stratégies, des projets qui n’aboutissent pas toujours. Mais désormais on a décidé de faire les choses comme elles arrivent et comme on le sent. C’est comme ce qui s’est passé lors du projet qu’on avait monté à Dax, avec Olivier aussi, et qui a donné une chose monstrueuse, cohérente, car elle est tombée sur des gens qui ne sortent jamais leur guitare et ont vécu le concert de leur vie. Ça a engendré une espèce de fédération avec des groupes qui se montent, des collectifs où tout le monde se connait et joue ensemble, et qui se finissent souvent en apéro. J’avais travaillé dans une association dont le leitmotiv était de fédérer les publics des musiques actuelles. Et bien là, c’est fait! Et ça s’est fait au-delà de tout, des codes, des cases, des étiquettes, et on était six cent, et de tous âges. On appelle ça le partage.
– Denis : Il y a déjà eu Guillaume Schmidt au saxophone qui nous a rejoints. Pour le moment il n’y a pas d’autres invités, mais tout est ouvert.
– Vincent : On fait le truc en plusieurs fois, c’est-à-dire que là par exemple on a une version radio avec le saxophone de trois minutes et quelques, une version longue avec un solo, et pourquoi pas encore d’autres versions. Cela fera peut-être partie de cadeaux à offrir aux gens qui ont participé au financement, leur offrir quelques versions en bonus.
– Sur le site du financement vous mentionnez la création de votre propre structure de production. Lorsqu’on a un passé artistique comme le votre avec des habitudes liés au mode de production classique se faisant par le biais de labels et maisons de disque, comment prend-t-on la décision d’y renoncer pour privilégier l’autoproduction ?
– Denis : Ce n’était quand même pas évident ; on a longuement réfléchi avant de se dire qu’on y allait seuls. On a revu les propositions des maisons de disque qu’on avait, qui n’étaient ni pires ni meilleures que la dernière fois. Mais justement! Et puis on est toujours animés de cette obsession de conserver une autonomie. Peut-être même est-ce maladif. Lorsqu’on discute avec quelqu’un d’une maison de disque, très souvent on s’aperçoit que les moyens qui nous sont proposés ne sont pas exactement ce qu’on aimerait, ce qui ne veut pas dire que c’est malvenu, mais simplement qu’ils n’ont que ces moyens là. On ne peut pas rentrer dans ces cases : il y a des gens qu’on ne touchera pas, des gens qu’on ne peut pas intéresser. En revanche il y a toute une partie du public et des médias qu’on peut toucher, si on les touche en direct. Il existe aujourd’hui tout un circuit qui privilégie les contacts directs. Il y a des artistes à qui contacter un tourneur ou une boite de disque fait peur, car ils savent que les prix vont être prohibitifs, ou que la demande ne va pas aboutir.
– Vincent : Ceci dit, la structure est déjà montée.
– Denis : Mais après il faut la faire vivre. Et ce qu’on a demandé via ulule n’est pas la totalité. On avait déjà cinq mille euros, alors qu’il nous en aurait fallu vingt cinq mille. Mais on avait aussi une gêne à demander aux gens de nous faire confiance, en leur promettant ce que ça allait devenir alors que pour le moment ce n’était rien. On va essayer de ne pas décevoir, de faire les choses bien, de rester, je l’espère, inventifs et un petit peu bordéliques.
– Vincent : Ça, on ne pourra pas s’en empêcher!
– Denis : On continuera de jouer avec les gens et d’ouvrir notre gueule ; ça, ça ne s’arrêtera jamais. Si un jour ça s’arrête, ce qui serait bon signe, c’est que ce soit parce qu’il n’y en a plus besoin et que tout va mieux. Moi, j’aimerais qu’il n’y ait plus de Restos du Cœur, parce que ça voudrait dire qu’il n’y a plus de problème. Donc on ouvre notre gueule, mais notre propos principal est quand même la musique.
– Olivier : L’album est notre nouvelle aventure. Nous sommes partis pour écrire la suite des Hyènes, avec un souci d’indépendance. Avec les labels ou dans tous les rouages de la musique, on n’est jamais contents. Alors on s’est dit, quitte à travailler avec des gens qui vont moins nous rémunérer ou qui gagnent moins que nous, autant y aller tout seul. Et puis le fait de ne rendre de compte à personne est appréciable. Donc nous sommes partis sur cette histoire de financement participatif. Ça nous a donné un rapport différent, car nous sommes d’une génération où on fonctionnait effectivement avec un label, avec un tourneur, et on attendait que ça tombe. Et là on est repartis au mastic comme quand on avait quinze ans, ce qui fait qu’on se retrouve dans un rapport avec plein de gens qui s’investissent dans notre histoire. Donc le financement est bouclé ; on n’a plus qu’à se mettre au travail et accoucher. On pousse, on pousse, on pousse! La pression, on l’a quand même, parce qu’il y a des personnes qui attendent, donc on va se battre, et d’autant plus pour ceux qui nous ont fait confiance. On se met une pression différente, mais pas seuls, avec des gens.
– Denis, tu évoques une gêne à demander aux gens de faire confiance au groupe. Mais si autant de gens participent au financement, n’est-ce pas avant tout parce que ça fait plaisir, lorsqu’on est musicophile ou admirateur d’artistes, et aussi sans doute contestataire de la manière dont l’industrie du disque impose les choix musicaux selon des critères commerciaux, de reprendre la main en quelque sorte et avoir son mot à dire au sujet de ce qu’on a envie de voir produit et d’entendre? Et n’est-ce pas un plaisir lorsqu’on est artistes de constater combien de gens ont à cœur de vous soutenir et vous permettre de continuer?
– Denis : Tu verrais les messages qu’on a reçus!
– Vincent : Les messages de soutien sont hallucinants ; ça fait vraiment chaud au cœur.
– Denis : Et je peux te dire qu’on a flippé à cinq jours de la clôture de la souscription, quand il manquait cinq mille euros, parce qu’on avait décidé de ne pas mettre d’argent au bout s’il en manquait. Et les dons ont dépassé le seuil des 104%. Donc on voit que les gens ont vraiment envie que ça se fasse : s’ils ont autant contribué dans les derniers jours pour que le financement se fasse, c’est parce qu’ils voulaient voir ce projet exister. Moi-même je participe souvent à des souscriptions. Et ce rapport direct qu’on peut chercher à avoir avec des organisateurs ou des producteurs, on l’a avec le public. Et c’est ce qui fait que depuis des années, dès qu’on a terminé un concert, on vient voir les gens et discuter. Je me verrais mal sortir de scène, monter dans un bus et rentrer à l’hôtel. Ce n’est pas facile de toucher des médias et naturellement, rien que par ta musique. On regarde combien tu as de « like » sur facebook, combien tu pèses… Nous, on s’en fout de tout ça. On a quelques interlocuteurs avec lesquels on va bosser ; on a reçu plein de messages via facebook et ulule, et les gens nous parlent de musique. Ils ne nous parlent pas d’autre chose, de retro-planning, de plans de promotion ou autre.
– Vincent, tu expliquais un jour à propos de l’utilisation de pédales d’effet sonore pour guitares, que la dimension de l’effet ne devait pas entrer en compte pour la composition, avec cet argument qu’une composition musicale doit pouvoir exister et tenir la route à nu, sans effet. Au sein des différentes formations musicales qui sont les vôtres, la multiplicité instrumentale est variable. Compose-t-on différemment et en prenant d’autres paramètres en compte, selon qu’on envisage de jouer le morceau avec une formation réduite ou plus ample, acoustique ou rock ?
– Vincent : C’est une angoisse personnelle. Prends des morceaux de U2 : si la pédale de delay ne marche pas, le morceau ne peut pas exister. J’ai cette angoisse de ne pas composer un morceau que, si mon matériel d’effet tombe en panne, je ne pourrais pas jouer avec autre chose. Mais je ne suis pas le seul à le dire : une bonne composition, quand tu la reprends à la guitare sèche ou au piano-voix, tient la route. C’est la force de la composition. Et scéniquement, c’est la même chose : on ne peut pas faire des shows en pensant que s’il n’y a pas quarante cracheurs de feu et des artifices, ça va être chiant. Il faut que le show soit ce qu’on apporte, nous, et que notre patte soit déterminante.
– L’an dernier, lors de l’entretien que votre autre formation, The Very Big Small Orchestra nous accordait, nous avions évoqué la participation de certains d’entre vous au projet de Luc Robène et Solveig Serre sur l’Histoire du Punk en France, PIND. Aujourd’hui nous retrouvons Luc à vos côtés, récemment intégré aux Hyènes, en remplacement de Jean-Paul Roy à la guitare. Saviez-vous alors qu’il vous rejoindrait l’année suivante?
– Denis : Non. Lui ne le savait pas non plus à ce moment là!
– Luc : Ça fait très longtemps que je connais Denis, puisqu’on a joué il y a longtemps ensemble dans un petit groupe qui s’appelait Noir Désir. Et puis ça fait un petit moment que par ailleurs avec Denis et Vivi, nous faisons des choses ensemble, pour ce projet sur l’histoire de la scène punk en France, et qu’on réalise des concerts, des bœufs, enfin on essaye de donner du sens à tout ça. Donc très simplement quand Jean-Paul a exprimé le désir de quitter les Hyènes, Denis m’a demandé si ça me branchait de venir prendre la guitare. Le sentiment que j’ai pour l’instant, et j’espère que ça va durer, mais je n’en doute pas, est que c’est une superbe aventure. On peut voir les choses sous l’angle musical qui est décisif, mais ce serait réducteur, car de mon point de vue, c’est une histoire qui renvoie à la manière dont notre bande a toujours géré la musique et la manière d’en faire, depuis notre adolescence. J’ai rencontré Nini en 1981, avant d’intégrer Noir(s) Désir(s) l’année suivante (été 1982), puis de repartir pour jouer avec Kick en 1985 (Kick, Kick and the Six, puis Strychnine). Autant que je puisse l’analyser Noirdez a toujours fonctionné sur la base du collectif, et les uns sont partis, jamais très loin, et d’autres sont revenus : Serge est revenu dans Noirdez quand j’en suis sorti, Bertrand était parti en 1983, remplacé par Emmanuel, puis il est revenu, avec sa compagne Ninou, Fred est parti, Jean-Paul est passé du statut de road à celui de bassiste, puis de guitariste au sein de the Hyènes. Aujourd’hui je rentre dans the Hyènes, quand Jean-Paul en sort. Et pour moi, c’est à la fois une marque de confiance et aussi le signe que les groupes ont une véritable histoire, ancrée dans l’humain. C’est une manière de dire que l’aventure Noir Désir-the Hyènes, pour moi, est une aventure qui renvoie à des sillons que nous avons tous tracés durablement, jamais très loin les uns des autres. Lorsque je monte avec Solveig le projet PIND / Punk is not Dead, Une histoire de la scène punk en France (1976-2016), le premier à répondre à l’appel pour venir témoigner sur les tables rondes du colloque d’ouverture à la Philharmonie (novembre 2016), c’est Denis (Nini). L’année suivante il revient avec Vivi (Olivier Mathios) et on répète au studio à Sore, tous les trois (c’est presque the Hyènes actuelles), et on monte des morceaux d’anthologie pour taper le boeuf punk avec tous les acteurs de la scène punk présents, dont Tai-Luc (La Souris Déglinguée), Lucas Fox (Motorhead), Arno Futur (Les Sales Majestés) , Lionel, un super sax de Lyon, Solveig, et tous les membres de l’équipe. Le Punk nous a permis de renforcer tous ces liens et cette fraternité. PIND, the Hyènes, même combat!!! Ce sont des retrouvailles sans fin, et c’est très bien comme ça !!! Le punk est une histoire qui n’a pas de fin et se réinvente en permanence. Et pour le dire très simplement, la musique est au coeur de cette histoire. Je suis vraiment content de retrouver les potes. Cali en a parlé, mais il y a ce côté chaleureux très important que je ressens aussi.
– Olivier : Et puis il y a une cohérence quand on joue ensemble ; ça ne se discute pas : c’est évident. C’est Denis qui a exprimé le désir de jouer avec Luc, mais ça s’est fait naturellement.
– Luc : Entre nous, il y a une partie histoire, une partie vécue, et une partie à vivre.
– Vincent tu as soutenu l’existence du festival basque Euskal Herria Zuzenean [https://www.ehz.eus/fr/]. Luc nous parlait lors de l’entretien au sujet de PIND de l’appropriation de l’idéal et de la pratique punk du « do it youself » dans la ruralité, les luttes agricoles, les ZAD. Voyez-vous dans l’engagement local, notamment auprès de festival artisanaux comme celui là, une manière de donner une pratique concrète à un idéal philosophico-politique universaliste ?
– Vincent : Oui. Sans repartir sur le terrain politique, ce festival est un peu similaire à Luxey au sens où il a connu des très hauts et des très bas, et il a failli disparaitre. Une nouvelle équipe de jeunes s’est investie dedans et ça fait plaisir de voir ça. Le nom du festival parle de lui-même : Euskal Herria Zuzenean signifie « le concert du Pays Basque ». Ce n’est pas Live Nation ou une boite de production qui vient faire un festival ; c’est nous, habitants du Pays Basque qui réalisons notre propre festival avec notre propre programmation. Bien sûr il y a des choses culturelles basques, mais aussi de tous bords. Nous étions très fiers avec The Very Big Small Orchestra d’y être programmés, car nous ne sommes pas un groupe bascophone. Euskal Herria Zuzenean est fait à la main par des gens normaux. Donc ça fait plaisir de voir se maintenir des festivals comme celui-là, comme Luxey, comme Les Vieilles Charrues, qui reste le plus gros festival de France, mais étant au départ une initiative associative.
– Denis : On en revient à des choses concrètes. Je me rappelle quand j’étais petit : la production locale existait pour la denrée alimentaire et autre, puis a disparu petit à petit pour être remplacée par des choses qui venaient de bien plus loin, qui font des kilomètres et des kilomètres. Je ne crois absolument pas à la centralisation et au regroupement des choses : un jour ou l’autre à force de faire de l’intercommunalité, on sera voisins avec Paris, Nice, Grenoble ou Roubaix. Sans être chauvin ou territorialiste, il y a un moment où je pense que tu ne peux faire le bonheur des gens que dans un cercle proche. Ici il y a des gens à cinquante kilomètres qui ne savent pas ce qu’il se passe à Luxey et qui vivent très bien. Et si un jour on leur dit que désormais tout va se décider à Luxey, Sore ou Bordeaux et qu’ils vont dépendre de gens qui ne les connaissent pas, ce sera une sombre erreur. Que ce soit pour la production musicale, alimentaire ou culturelle, il faut que ça reste à taille humaine. A la base personne n’est là pour faire des bénéfices ; ce dont on a tous besoin est de vivre bien. Je dis souvent qu’on a juste besoin de ce dont on a besoin pour vivre plus un euro. Alors bien sûr tout le monde peut rêver d’une Porsche Cayenne ou d’une Rolex ; c’est naze. J’ai toujours pensé que le bonheur n’était pas le luxe. Ça me fait toujours bizarre de penser que les œuvres d’art sont aux mains de quelques gens qui ont un pognon énorme, alors que les gens qui les ont crées sont morts dans la misère pour la plupart. Et ils créaient leurs œuvres pour que le plus grand nombre possible puisse les voir, mais seuls quelques élus sont admis à venir admirer le tableau que tu as acheté quarante briques. Si on peut éviter d’appliquer ça à tout, ce serait bien. Je ne pense pas qu’il y ait des gens fermés à l’art ; simplement il faut leur donner accès à l’art au lieu de décider à leur place que ça ne va pas les intéresser. L’art peut intéresser tout le monde.
– Le dernier mot sera pour Nathalie Bidou qui est décédée le mois dernier et à qui vous avez rendu hommage en fin de concert. Elle était proche de vous. Voulez-vous en parler ?
– Denis : Ce sera bref, mais Nathalie était une copine d’adolescence. Nous avons traversé un peu toutes les périodes ensemble, parce que comme j’ai dit et disait son compagnon, bien qu’elle n’ait jamais joué une note de musique, c’était une rockstar. C’était une femme de la nuit ; elle a tenu des bars et des restaurants, et on l’a croisée régulièrement tout au long de notre parcours. Je ne me rappelle pas qu’il y ait eu une personne qui m’ait dit un mauvais mot sur elle. Elle faisait l’unanimité. Tu vois, encore quelques semaines avant sa mort, c’est elle qui me rassurait et me disait que ça allait aller. Son décès m’a scié les pattes, et pour être honnête, je ne pensais pas que ça me les scierait aussi profondément. J’ai du mal à aller aux enterrements, car ça me touche trop. Mais là c’est comme si j’avais perdu un membre de ma famille.
– Vincent : Un jour j’avais lu une critique d’un album de Noir Désir qui disait qu’un autre album du groupe était sorti et que c’était encore la bande originale de nos vies. Les chansons qui t’accompagnent te donnent l’impression d’être la musique du film de ta vie. Nathalie, c’est pareil, mais en humain : elle fait partie de gens qui t’accompagnent et font partie du film de ta vie. A toutes les étapes, tu finis toujours par les recroiser.
– Denis : On pouvait rester six mois sans se voir et se retrouver comme si on s’était quittés la veille. Et maintenant je vais faire hyper attention, parce que je sais que chaque fois que je vais faire un pot-au-feu, elle va être au dessus de moi.

Liens : site : https://www.label-athome.com/thehyenes.html
Facebook : https://www.facebook.com/The-Hy%C3%A8nes-130117367042219/
Miren Funke
Photos : Carolyn C, sauf Miren (1) , sauf Pierre Wetzel pour photo de Nathalie Bidou
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