Une discussion animée a occupé les réseaux sociaux récemment, sur l’interprétation d’une chanson dont le texte a été plus ou moins modifié et amputé . Sans l’aval de l’auteur(e).
Le fait est assez fréquent, parfois au mépris du droit moral de l’auteur, et en déformant le sens de la chanson. Par erreur ou incompréhension… Remplacer «Ma mie » par « Maman » dans « La non demande en mariage » relève peut-être d’un lapsus freudien.
Un des interprètes les plus connus dans le monde, Yves Montand, a souvent apporté des modifications dans les chansons qu’on lui proposait. Mais chaque fois, il en parlait avec l’auteur, et c’est uniquement avec l’aval de celui-ci qu’il enregistrait la version modifiée selon ses suggestions.
Le premier exemple c’est « La chanson des cireurs de souliers ». Prévert avait demandé à Henri Crolla de mettre une musique sur ce poème. Quelques mois après, nous sommes en 1947, Prévert et Crolla vont chez Montand, lui montrent la chanson, Montand est emballé, et adopte les cireurs. Toutefois, malgré sa timidité envers les intellos comme Prévert, il suggère une fin différente. Prévert accepte, et c’est la version Montand qui est déposée à la Sacem: « Les cireurs de souliers de Broadway ».
On peut souligner que Montand n’a jamais revendiqué le moindre centime sur ses participations, au contraire d’une célèbre canadienne Céline D. qui demande 20% uniquement pour chanter ce qu’un autre a écrit. De même, Montand a repéré un texte de Gébé et a demandé à en faire une chanson, ce que l’auteur n’avait jamais envisagé. (Casse-Têtes, mis en musique par Philippe-Gérard, sur la demande d’Yves Montand qui avait repéré ce texte dans Charlie Hebdo )
On peut rapprocher l’attitude des auteurs avec Montand à celle de Boris Vian, quand Mouloudji lui a demandé des modifications pour « Le déserteur » réponse de Vian: « mais Moulou, tu fais ce que tu veux, c’est toi qui chantes.. »
Et non reprocher à Mouloudji d’avoir changé quelques vers… Que Vian a repris dans un de ses enregistrements de la chanson.
Pour conclure avec Montand, il a eu des intuitions fulgurantes, mais aussi raté des occasions… Toutefois, il était à l’écoute de sa garde rapprochée, Bob Castella, Henri Crolla, Simone, par ordre d’apparition dans sa vie. Quand Jacques Verrières lui a présenté « Mon pote le gitan » il était dubitatif et c’est Crolla qui l’a convaincu. Et si on peut reprocher à Montand un côté grande gueule italo-méridionale, il a toujours été d’une honnêteté scrupuleuse avec ses auteurs. Paraboschi, autre impulsif tonitruant a toujours été constant, « Montand pouvait pousser une gueulante de mauvaise foi dans le feu de l’action, mais après il venait s’excuser et reconnaître ses torts, quand il avait tort . Ce qui arrivait parfois.
Une de ses dernières interventions concerne « La bicyclette » dont le titre initial est à « à bicyclette »… Quand Pierre Barouh lui a montré la première version, une sorte de récit en deux temps, si on peut dire, il a suggéré à Barouh d’en faire un court métrage, plutôt qu’un documentaire, et en effet, l’auditeur entre d’emblée dans le film, alors que dans le documentaire, il est témoin extérieur ..
De l’ébauche d’une chanson à sa version définitive, gravée dans le marbre de la Sacem, la vie de l’artiste peut l’amener à faire des variantes, changer un mot, modifier une phrase, mais c’est toujours avec une raison précise. L’interprète qui modifie devrait avoir le scrupule d’en discuter avec l’auteur. En justifiant son point de vue.
Un des exemples les plus étonnants est l’histoire des « (..) Plaines du Far West ». Montand a un peu plus de 20 ans, il a débuté avec un répertoire « Trechenel » (Trenet-Chevalier-Fernandel) et il veut une chanson à lui. Il est fou de cinéma américain. Son imprésario du moment l’envoie chez un musicien aveugle qui n’a jamais vu un western, Montand raconte, et la chanson nait .. Co-écrite avec Maurice Vandair. Cette chanson n’a jamais quitté son répertoire, la voici dans une version très cartoon … Les ragazzi qui l’accompagnent c’est le gang des ritals, Castella, Balta, Paraboshi, avec Soudieux, le trombone de Claude Gousset et Hubert Rostaing clarinette. Crolla, qui était un des piliers du gang des ritals, était absent sur la scène, mais présent sur l’album, en scène c’est Didi Duprat qui l’a remplacé .. and the show must go on …
Last but not least, dans « Les feuilles mortes » il y aussi une trace de Montand…
Voir ici–>
Norbert Gabriel