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Vernon Subutex – Luz Despentes 

14 Nov

En guise de préambule, évacuons les débats stériles qui aiment faire bruisser les réseaux où l’on a que ça à foutre : L’association Virginie Despentes/Luz. « Carpe et lapin » pour certains pisse-froid. Parce que Despentes a ouvert sa gueule après les attentats de Charlie et que ce n’était pas bienvenu. Oui. Sans doute. Mais je pars d’un principe : si Luz bosse avec elle, il en sait bien plus sur la dame que les pisse-froid, que vous, toi ou moi. Il est légitime à juger. Next.

Ceci étant dit, on va pouvoir parler de ce qui est véritablement intéressant : leur « Vernon Subutex ». Pour qui a lu Despentes, on sait que son écriture explose à la gueule. Sa façon de raconter cisaille, secoue mais est d’une proximité folle. Pour moi, elle a été une claque. Une baffe que j’ai prise justement avec Subutex avant de détricoter le reste de ses œuvres. Ensuite, Luz. L’indélébile Luz. Son dessin qui, lui, vous enveloppe sans rien vous épargner, vous cajole avec brutalité. Deux méthodes de narrations aux mêmes conséquences : si vous y êtes sensible, elles vous chopent, vous embarquent. Pas la peine de lutter. Vous êtes cuits.

Alors ici, le risque était que ces deux talents se court-circuitent. Que les monstres se neutralisent. Trop de trop aurait pu éteindre les flammes. Après la très oubliable série de Canal Plus, l’attente était immense de voir Vernon reprendre vie dignement.

Pour cette BD, les effets ne se sont pas annihilés. Bien au contraire. Je ne vous raconterai pas l’histoire de Subutex. Si vous avez lu les trois volumes de Despentes, inutile de rabâcher. Si vous ne connaissez rien à cette histoire, la plongée n’en sera que meilleure. Je rappellerais seulement que Vernon – obscur disquaire lumineux – voit sa vie s’effilocher en même temps que son époque. Sans un rond en poche, avec pour seul trésor la musique, il se retrouve à la rue. Son entourage, pourtant oublié, va partir à sa recherche.

L’intrigue a l’air un peu mince, résumée de cette manière. Trois romans pour ça ? Deux bandes dessinées de 300 pages chacune pour cette nouvelle version ?

Pourtant.

Dès la couverture de la BD, Vernon envoie du bois. Il flamboie. Marchant dans un crépuscule incendiaire, il nous emmène sans nous laisser le choix. Il ne sait pas où il va. Il chute mais ce n’est pas une perdition. Autour, les fils arrachés de sa vie vont bientôt se retisser. En attendant, on va échouer avec lui de canapé en morceau de trottoir. De précarité en déchéance. On devient ce mec si attachant qui crashe sa vie avec le panache de ceux qui font semblant de ne rien voir. Mais en même temps on est La Hyène, détective hors-norme qui peut détruire ou sauver sur un claquement de doigts. Aussi, ce beauf de droite si frustré par sa vie étriquée. Cette hardeuse ou ces clodos si beaux. Cette gamine voilée et rigoriste, ce père inquiet. On va danser, picoler, rouler les restes de mégots, baiser, vivre et mourir. Gagner et perdre. Ou le contraire. Etre homme, femme, trans, jeune ou vieux. Parce que si Vernon est le fil, la pelote est partout. Nous sommes cette génération de désillusions qui se désagrège. On a rien et tout à voir avec eux. On s’accroche pour donner du sens. Pas Vernon qui, lui, a lâché et finalement a sans doute raison.

Le trait de Luz est un volcan. Eruptif. Fouillis fouillé, rien n’est superflu. Rien n’est le fait du hasard. Du noir à la couleur, il donne le tempo vibrant de ces vies déglinguées. Les croquis débordent du livre. Il donne une épaisseur impressionnante à la dématérialisation de la vie de Vernon. Les mots de Despentes tapent juste. Ne sont pas empêchés par la luxuriance de Luz. Les deux s’harmonisent. Et puis il y a la musique… Elle est dans chaque page. Elle ne fait pas de la figuration. Un personnage à part entière. On regrette même qu’un QR code ne soit pas intégré au bouquin pour entendre la BO de ce film dessiné.

Au final, le défaut majeur de cette BD est de n’être que le Tome I. On arrive au bout du pavé et déjà on en redemande !

Heureusement, La Hyène nous rassure comme elle rassure un Vernon fracassé et pas encore de retour dans la vie : « Ne t’en fais pas. Détends-toi… Tu es fêlé, ça arrive à plein de gens… tu vas revenir »

Oui, reviens Vernon. On t’attend.

« Vernon Subutex » Luz – Despentes / Volume 1 / Editions Albin Michel 

 

Fabienne Desseux

 

 

 

Indélébiles » de Luz…

29 Déc

On m’a offert « Indélébiles » de Luz.

J’en avais très envie de ces Indélébiles. J’ai aperçu Luz l’autre jour à la télé. Je savais qu’il voulait nous parler des gens de Charlie, loin du 7 janvier. Nous parler de ses collègues.

Une fois entre mes mains, son livre pesait un peu lourd. Faut dire qu’il est tout dodu, ramassé sur lui-même. Mais il ne se donne pas un genre rabougri ou grognon, non ! Il est même d’emblée rassurant.

J’avais deux-trois mails à écrire ce matin. Je voulais poser la bande dessinée sur mon bureau, je l’ai finalement gardé sur mes genoux en finissant mes courriels. Elle n’arrêtait pas de me faire de l’œil. Je sentais qu’on s’agitait drôlement sous la couverture.

« Catharsis », autre ouvrage de Luz, m’avait fait un effet différent. Il était grand, anguleux. Il m’intimait. Je savais que j’allais me blesser sur ses arêtes.

« Indélébiles » m’a invité. En vérité on dirait que ce livre est rond. Ce qui est con pour une BD rectangulaire. Rond et chaud. Ce qui est encore plus con.

Alors j’ai cédé. Je l’ai ouvert. Juste pour lire cinq ou six pages. Pas davantage. Simplement pour voir ce qui se trame là-dedans. Sérieux, je n’arrivais presque plus à écrire mes mails tellement ça faisait du bruit dans ce rectangle rond. Je suis tombée sur Luz avec un décapsuleur Simpson, il a ouvert une bière. Je me suis retrouvée à suivre ce minot, ce provincial qui débarque à Paris avec ses premiers dessins sous le bras. Et on a croisé Cabu… Si, si, Cabu ! Il pétille, je peux vous le dire. Puis on a rencontré Tignous, Charb, l’équipe de la Grosse Bertha. A un moment, avec d’autres dessinateurs, on s’est retrouvés à la rédaction de Charlie Hebdo. On a aussi célébré l’anniversaire de Luz, il a 21 ans et Cabu a sorti une part de tarte aux pommes de son sac pour fêter l’événement. Je me marre bien.

J’ai refermé « Indélébiles ».

Chuis bête. Je ne suis pas avec Luz, je ne suis pas à Paname, je ne suis pas chez Charlie.

J’ai quand même entrouvert à nouveau le bouquin. Putain ça sent la clope à des kilomètres, ils fument trop ! Y’a des chiures de gomme qui tombent des pages. Des miettes de tarte aux pommes aussi. J’entends au loin les vannes foireuses de Charb. Le bruit des rotatives, du fax. Ça sent l’encre d’imprimerie jusque dans mon bureau.

Charlie n’est pas un mausolée. Ce canard n’est pas figé dans le 7 janvier 2015. Il bat, il palpite, il est drôle. Ses dessinateurs ont fait un boulot formidable. Parce que dessiner n’est pas un métier de rigolos. C’est un travail essentiel, difficile.

« Indélébiles » est posé à côté de moi. J’entends qu’on rigole sec à travers ses pages. Mais je sais qu’ils marnent, y’a des bouclages à finir.

Ce livre n’est pas une nostalgie. Il est une réalité, une chaleur, qu’on avait presque oubliées à cause de cette saloperie de 7 janvier. Charlie et ses dessinateurs sont indélébiles.

Allez, je vous laisse. Ils chahutent de plus en plus fort. Je crois qu’il faut que j’y retourne… Il reste un bout de tarte aux pommes à finir et des bouclages à terminer.

Indélébiles – Luz chez Futuropolis—> clic là bas, et ça s’ouvre.. 

 

 

 

Fabienne Desseux

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