Bernard Dimey, un des auteurs majeurs trop souvent réduit à quelques chansons tubesques, ou pittoresques qui ne montrent qu’un fragment déformant de son œuvre. Dans « L’homme de la manche » Jean-Michel Piton fait vivre Dimey, ce personnage gargantuesque, le clochard céleste, l’imprécateur fulgurant, le poète qui voit plus loin que l’horizon un futur en forme de cataclysme, sinon pour l’humanité en général au moins pour son humanité en particulier, vu que le paysage est borné par une tombe, dont on ne sait si elle ouvre sur le néant ou l’infini. Ou l’infini du néant.
Je sens que le jour vient de la nuit qui s’installe,
Une superbe nuit, sans planète ni rien
Où j’irai naviguer, visiter les étoiles
Et parler de la terre où l’on était si bien.
Toutefois, dans les pages de Manque à vivre, La mer à boire, Testament, se dessine ce géant, qui voyait parfois arriver sous sa plume des mots trop grands pour lui, dont il a fait des fresques lyriques, des envolées magistrales, les pieds dans le ruisseau mais la tête dans les étoiles.
Et ce géant qu’on a entraperçu dans les pages, on le voit vivre sur scène avec Piton. C’est Dimey qui traverse le plateau dans cet opéra de mots, soulignés par les notes de Nathalie Fortin et Bertrand Lemarchand. C’est un clochard ? Diogène dans son tonneau ? Un prophète tombé du ciel ? Un poète narquois qui cultive l’art oratoire et l’ivresse dans toutes ses nuances et ses excès ?
Quand j’ai vu je bois double… dira Leprest en écho à l’heure des ivrognes…
Ivrogne, ça veut dire un peu de ma jeunesse,
Un peu de mes trente ans pour une île aux trésors,
…
J’avais dans le regard des feux inexplicables
Et je disais des mots cent fois plus grands que moi,
Il faut la densité d’un parcours de vie riche d’expériences de toutes sortes pour aborder les pages de Manque à vivre, ou de Testament ;
Je ne dirai pas tout
J’ai le sang plein d’alcool, d’un alcool de colère
…
J’aurai, j’en suis certain, de l’intérêt plus tard
Vous aurez des machines à faire parler les morts
Je vous raconterai mes crimes et ma légende
et je vous offrirai des mensonges parfaits
Que vous mettrez en vers, en musique, en images
Mais vous aurez beau faire
Je ne dirai pas tout !
Il nous en dit beaucoup, Jean-Michel Piton dans ce spectacle formidable, dans tous les sens du terme. Il nous dit aussi que Dimey est toujours d’actualité, la preuve par un Rap-Hiphop étourdissant. Il y a eu pas mal d’hommages à Dimey, surtout axés sur les chansons, celui-là met en lumière ce poète que les nuits emmènent vers des mondes parfois accessibles quand on embarque sur un rafiot aux caves bien garnies. Si la goélette de Jean-Michel Piton passe par chez vous, embarquez le temps de ce voyage avec Dimey, l’ogre blessé, le géant titubant, capitaine au long cours d’une Odyssée au cœur de l’humain.
Norbert Gabriel
Le site de Jean-Michel Piton: http://www.jeanmichelpiton.com/
Si ce spectacle n’est pas invité dans les festivals, c’est à désespérer de la compétence des programmateurs.
Et pour finir, une chanson belle comme du meilleur Dimey,