
Entretien réalisé par Miren Funke
Des artistes familiers de Musicalarue, les membres des Hurlements d’Léo sont sans doute parmi ceux qui ont le plus étrenné les scènes et arpenté les rues de Luxey. Présents l’an dernier dans le cadre de la tournée de leur album d’hommage « Les Hurlements d’Léo chantent Mano Solo », pour un concert après lequel le contrebassiste Renaud nous avait accordé un entretien [https://leblogdudoigtdansloeil.wordpress.com/?s=les+hurlements+d%27leo&submit=Recherche], ils étaient de retour, éparpillés ou réunis au sein de divers groupes : Télégram, fondé par le chanteur et guitariste Laurent (Kebous) et le violoniste et multi-instrumentiste Vincent, et Un Air Deux Familles. Cette dernière formation, sous le nom de laquelle fusionnaient il y a quinze ans Les Hurlements d’Léo et Les Orges de Barback, pour la sortie d’un unique album éponyme et l’aventure collective d’une tournée de plusieurs mois sous chapiteau -le « Latcho Drom »- à travers l’Europe de l’Est, et dont l’existence était restée en suspens depuis (à l’exception de quelques dates en 2007), avait laissé à chacun des groupes, ainsi qu’à leurs publics, la richesse d’une expérience exceptionnelle, tant artistique qu’humaine, et sans nul doute des souvenirs intenses. Une décennie et demi plus tard, 2017 sonne l’heure de la reformation, par une courte série de concerts au départ, qui débouche finalement sur un enregistrement, « Latcho Drom live 2017 », et la planification d’une tournée faisant escale au festival dimanche 13 aout, pour un concert jovial et sans économie d’énergie humaine. Quelques heures auparavant Laurent des Hurlements d’Léo et Fred des Orges de Barback répondaient à quelques questions.
Cet entretien fut mené en conférence de presse avec Radio UPM de Pau.
– Bonjour et merci de nous recevoir. L’an dernier, chacun de vous était présent ici : Fredo chantait Renaud et Les Hurlements d’Léo chantaient Mano Solo. Cette année vous voilà rassemblés à nouveau au sein de l’aventure commune Un Air Deux Familles qui vous avait liés il y a quinze ans. Comment est venue l’idée de cette reformation ?
– Laurent : R1 a quitté Les Hurlements pour aller s’occuper de son projet personnel, Wallace, en cours de route, et j’avais alors appelé Fred pour lui demander de venir chanter avec nous lors de la tournée de reprises de Mano Solo, parce que j’ai toujours été habitué à partager le chant avec quelqu’un. Comme on partageait une chambre, un soir on a discuté de ce projet commun qu’on avait laissé en plan il y a quinze ans, et décidé qu’on se ferait bien quelques dates, si ça avait encore un écho dans la tête et le cœur des gens. Il en a parlé avec ses frères et sœurs, moi avec les gars. On a mis des places en vente pour 5 concerts, qui se sont vendues très vite. Les gens nous ont envoyé tellement de bienveillance et d’énergie, et étaient tellement à fond, qu’on s’est dit : « on y va ! ». Les Ogres et les Hurlements sont toujours tellement en avance d’une idée, enfin c’est-à-dire que lorsqu’on est sur un projet, on pense déjà à celui d’après, qu’il ne s’agit vraiment pas d’un manque d’inspiration. C’était vraiment une envie de se retrouver.
– Fred : Durant la tournée qu’on a faite avec les Hurlements, on s’est vus pleins de fois. On a passé trois mois en Europe de l’Est ; on a fait des chapiteaux en France. C’était très intense, avec 25 personnes sur la route. On était très contents de la faire. Comme on dit, on n’a pas fait l’armée ; on a fait le Latcho Drom ! Donc on était contents que ça s’arrête aussi. Pas parce qu’on ne voulait plus se voir, mais parce qu’on voulait se revoir dans d’autres conditions. Et on n’en parlait pas trop, car on ne voulait pas que ce soit un sujet nostalgique entre nous : c’était très bien, mais c’était bien de passer à autre chose aussi.
– Avez-vous réussi à vous retrouver avec la même envie qu’il y a quinze ans pour travailler ensemble, bien que vos vies respectives aient évolué ?
– Fred : On a pris de la bouteille. Donc, on est arrivé en répétitions, avec les morceaux déjà choisis. C’est une autre aventure. Aujourd’hui, on se concentre plus sur la scène et le plaisir d’y être que sur toute l’organisation qu’on gérait avant. Le premier Un Air Deux Familles était parti avec un chapiteau, et on s’occupait de tout : les entrées, la logistique, la sécurité, je conduisais même le poids lourd… On était multifonction.
– Comment s’est passée la sélection des titres ?
– Laurent : Pour les nouvelles chansons, ça s’est passé comme d’habitude. On a chacun amené des choses, et on a tout mis sur la table. On était d’accord sur les sujets de chansons ; il y avait une échéance politique.
– Comment avez-vous ressenti cette élection justement ?
– Laurent : Comme tout le monde ! Mais je ne m’en occupe plus trop. Ça me dépasse.
– Fred : Avec les Ogres et les Hurlements, on a quand même un engagement depuis le début de notre carrière, si on veut appeler ça comme ça. Mais c’est un engagement au jour le jour, pas uniquement en période électorale. C’est pour ça que même quand on gueule sur scène « la jeunesse emmerde le Front National », on y croit avec nos tripes. Mais après le concert et les élections, on reste encore engagé dans le milieu associatif et indépendant. Depuis le début dans notre métier, on est à cheval sur pas mal de choses : le prix des places, des disques ; on ne joue pas pour n’importe qui, ni n’importe où. Ça peut paraitre anodin, mais c’est très important pour nous. Parce que du coup quand on monte sur scène, on se sent très bien, parce qu’on n’a pas fait « d’arrangement ou de grimace » comme disent les frangins de Zebda. On n’est pas tous les jours dans la rue comme ceux qui organisent les manifestations ; on n’est pas une association politique. On est plutôt une association humaniste. Quand il arrive un truc comme ça, c’est toujours la même question qui nous tient. Après notre rôle, bien sûr c’est de dire au gens que le Front National n’est pas la solution. Mais s’il arrive à faire 55% dans certaines villes ou régions, c’est qu’un certain fossé s’est creusé, qui reste complètement inexplicable pour nous. Et je ne pense pas qu’on soit dans des sphères lointaines ; on n’est pas des nantis. Souvent la réponse à ça est de dire que les artistes sont des « bobos » et ne vivent pas dans le même milieu que les Français. J’habite à Cergy-Pontoise dans un quartier, et je ne suis pas complètement déconnecté de la réalité. Pour moi, il n’y a même pas de discussion à avoir avec le Front National ; c’est niet.
– Laurent : On est des artisans : on veille à ce que le pain soit bien fabriqué, car on veut le partager avec des gens, pour la joie et la bonne humeur, pour voyager. Il est évident que de moins en moins d’artistes prennent la parole, parce que ce n’est pas bon pour le business : si ton auditoire est composé de gens qui votent En marche, tu ne peux pas leur raconter n’importe quoi, parce que tu veux continuer à avoir du monde dans la salle quand tu joues. Nous ne sommes pas des artistes ; nous sommes des artisans. Il n’y a rien d’exceptionnel à ce qu’on fait. Tout ça est un accident, un accident heureux, mais un accident.
– Il y a eu beaucoup de collaborations de part et d’autre dans vos carrières. Qu’est-ce qui a fait que c’est avec Un Air Deux Familles que l’histoire s’est refaite ?
– Laurent : Au départ, on n’a pas fait ça pour gagner de la caillasse. Le premier billet d’avion que j’ai eu dans la main, ce ne sont pas mes parents qui me l’ont payé : c’est la musique qui m’a fait voyager. C’est un passeport de pouvoir être musicien et voyager avec sa musique ; ça transporte. Et ça forge un état d’esprit ; on comprend mieux ce qui se passe à l’extérieur et on voit ce qui se passe ailleurs, donc on est plus armé et on a plus de recul.
– Fred : Les Ogres et les Hurlements, quand on se rencontre, une espèce de fusion se crée. Il n’y a pas eu que nous sous le chapiteau : il y a eu Debout sur le Zinc, La Rue Ketanou. Mais entre nous ça a été particulier. C’est pour ça que le nom Un Air Deux Familles est super bien trouvé. C’est Zébulon [Raphael, ancien violoniste des Hurlements] d’ailleurs qui avait trouvé ça. C’est vraiment ça : quand on s’est croisés, on s’est reconnus. Ça ne s’est pas tout à fait passé comme ça, mais on aurait pu leur proposer : « tiens, est-ce que demain matin, vous partez avec nous en Europe de l’Est pendant trois mois ? » ; et ils nous auraient répondu : « à quelle heure on part ? ». Tous les autres frangins ont fait partie de l’aventure pour acheter le chapiteau, mais avaient plein de choses prévues. Alors que Les Hurlements ont lourdé l’espoir d’avoir une maison de disque pour partir avec nous.
– Laurent : Si on écoute les albums séparément, la musique des Ogres et celle des Hurlements d’Léo ne se ressemblent pas tant que ça. Ce que les Ogres ont, on ne l’a pas ; et ce qu’on a, ils ne l’ont pas. C’est ce qui a fait qu’on s’est rapprochés ; parce que si on avait été vraiment dans la même instrumentation, on n’aurait pas pu se rencontrer. C’est notre différence aussi qui nous a rapprochés. Et on a chacun fait des choses entre temps, et on s’est retrouvés à des moments clés de l’existence : des mariages, des décès, des anniversaires.
– Le Plaisir sur scène est-il intacte quinze ans après ?
– Fred : Ça faisait partie de la condition. Quand on est sur scène -et on se le dit parce que tout le monde n’a pas forcément le même nombre d’années d’expérience-, on monte sur scène jusqu’au dernier souffle. On donne tout ce qu’on a, parce qu’on va faire 15 ou 20 dates cet été, et on n’est pas là pour faire du réchauffé.
– Laurent : La joie est intacte ; on en profite. C’est comme se retrouver à une teuf pour célébrer un gros anniversaire. C’est l’effet que ça me fait. C’est aussi un pied de nez à ceux qui pourraient se demander pourquoi on fait ça : parce qu’on en a envie ! Des fois on a juste envie de faire des choses pour les faire, parce que ça fait plaisir. Et on se rend compte que ça donne aussi du plaisir à des gens, parce que ce qu’ils nous renvoient est énorme. On sort de scène avec une grosse émotion.
– Fred : On est sortis des 5 dates de concert bouleversés, parce qu’on avait l’impression à chaque fois qu’il y avait 1500 personnes qui avaient l’impression de retrouver de vieux potes, et qui chantaient tout par cœur.
– Les autres projets sont-ils en stand by ?
– Laurent : Non. Les Hurlements vont mixer un album la semaine prochaine qui sort en 2018. On va fêter nos 20 ans à l’automne. Les Ogres aussi ont plein de choses en préparation. C’est clair que si les Hurlements d’Léo avaient toujours voulu faire la même salade, on n’existerait plus. Chacun allait se nourrir ailleurs, pour retrouver les autres et avoir des choses à se proposer, et qu’on se regarde de nouveau avec un regard tendre et curieux. Et c’est génial de pouvoir faire plein de choses avec d’autres gens.
– Fred : Je joue « Fredo chante Renaud » quand mes sœurs tombent enceinte ; il faut bien que je m’occupe un peu ! Et il y a un disque de reprises de Pierre Perret, avec d’autres artistes, comme Flavia Coelho, Féfé, Loïc Lantoine entre autres, qui va sortir en octobre sous le nom de « La Tribu de Pierre Perret ». Quand on a monté le chapiteau, on avait deux albums auto-produits, mais distribués chez Pias, et lorsqu’on leur a dit que pour le troisième, on voulait sortir un album sans nom, avec juste des lives et des reprises, ils nous ont répondu que c’était impossible, que ça ne se vendrait jamais. Et quand on a dit qu’en plus on partait trois mois sous chapiteau avec Les Hurlements, faire le tour de l’Europe, Pias ne voulait pas nous suivre sur un projet pareil. Donc on a créé le label Irfan pour sortir ça, et on a eu l’idée de sortir Un Air Deux Familles sur ce même label pour payer notre tournée. Depuis Frédéric Fromet nous a fait le cadeau de venir sur notre label, et ça a boosté pas mal, puisqu’il a quand même une belle promo, comme il est sur France Inter tous les jours.
– Lors de l’entretien que Les Hurlements nous avaient accordé l’an passé ici même, Renaud nous disait que la tournée de reprises de Mano Solo drainait vers le groupe une partie du public du chanteur qui n’était pas forcément un public acquis aux Hurlements avant. Sentez-vous que ces gens ont continué à vous suivre ensuite ?
– Laurent : Oui, je pense qu’ils ont continué à nous suivre, en tous cas je le souhaite. La fusion de ces deux publics, celui de Mano Solo et le notre, était vraiment chouette. C’est là que j’ai commencé à comprendre que les gens pouvaient vieillir avec notre musique. Nous, sur scène, avons le même âge que ceux qui sont dans la fosse désormais, et ça amène autre chose dans la façon d’appréhender les choses et de les proposer.
– Melissmell qui est venue d’ailleurs interpréter un moment de musique avec vous lors de ce concert, nous a confié qu’elle monterait sur scène demain lors du concert de ton autre groupe, Télégram. Vous ne vos quittez plus ! Comment avez-vous croisé sa route ?
– Laurent : Je ne la connaissais pas spécialement, mais quand j’ai fait le tour des artistes avec qui nous pourrions interpréter des duos sur notre album « Les Hurlement d’Léo chantent Mano Solo », j’ai pensé à elle. Je l’ai contactée, mais elle n’avait pas bien compris la démarche au début. Je lui ai expliqué, et il s’est passé quelque chose ; elle s’est laissé faire. Mélanie, c’est quelqu’un qu’il faut dompter : c’est une lionne. Elle est venue avec ses musiciens, et on a passé un très bon moment. Elle a enregistré une très belle version de « La Rouille ». C’est une interprète exceptionnelle. C’est quelqu’un qui a une très forte émotion dans sa proposition de chant. Et je suis ravi de l’avoir rencontrée grâce à Mano.
– Qu’écoutez-vous en ce moment ?
– Fredo : Pas mal de choses. Ce n’est pas le style qui compte pour nous ; c’est la manière dont est faite la chose. On peut avoir un groupe de Trad et qui est rock’n’roll dans la tête.
– Laurent : J’écoute beaucoup Calexico, et de plus en plus de Musiques du Monde, grâce à une application sur le téléphone qui s’appelle « RadiOOOOO», dont le principe consiste à choisir une année et un pays du monde, par exemple l’Algérie en 1962, et tu peux te retrouver à écouter ce qui s’écoutait à l’époque là bas.

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Miren Funke
Photos : Miren (1), Benjamin Pavone (2 ; 3 ; 6 ; 9), Loic Cousin (4 ; 5 ; 7 ; 8)
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