Depuis plusieurs semaines sur FB on pose la question : « Et pour vous, c’est quoi les Falaises » . On y répond, par petites capsules vidéo fantasques.
Alors c’est quoi, les Falaises?
Les Falaises, c’est le 7 ème album de Nicolas Jules. Une 7 ème marche dans l’escalier de son œuvre en cours, qu’il ne monte ni ne descend d’ailleurs. Ça pourrait sembler casse-gueule mais c’est bien là sa meilleure façon de marcher : pas droit, pas au pas, à l’instinct. Comme il l’explique à François Alquier alias Mandor dans un entretien, « Dans la vie et en tant qu’artiste, je réagis beaucoup en réaction… et beaucoup en réaction contre ». Les Falaises est ainsi le contre-pied du précédent Crève-Silence, album léché et travaillé. Les Falaises, c’est du taillé à même la roche, au cœur du roc(k) ; c’est du brut, du râpeux auquel on s’accroche et on s’écorche : « Je n’écris bien que ce qui fait mal» (Ratures). Les Falaises c’est de la sueur – moite, froide, érotique ou puante. Les Falaises, c’est du live, du vivant, de la tripe qui fume « comme après un crash d’avion » (Les Innocents) .
C’est du punk plein de chien : pas de passé, pas de futur, seul de l’infiniment présent. Car Nicolas Jules bouscule les cadres et les formats y compris ceux du temps et passe d’une chanson façon coup du lapin de 59 secondes (Magicien) à une litanie hypnotique de 11:50 mn (Ratures). Le rythme est donc donné dans la musique et l’écriture. Grâce à ces enjambements qu’il maîtrise à merveille, il semble trébucher à chaque fin de vers pour se rattraper au suivant et recommencer l’acrobatie. Ou alors de petites mécaniques répétitives se déglinguent comme sous l’effet du « putain de vent qui déviait [s]es petits missiles » (Missiles) et le manège désenchanté s’enraye : une Amélie Poulain grimaçante auréolée d’un néon approximatif règne sur une foule braillarde qui étouffe le vacarme intime. Ou bien encore pour finir l’album, la distorsion des guitares devient obsédante et nous entraîne vers ce qu’on imagine être les falaises, justement, pour contempler l’abîme ou se prendre un mur… en haut, en bas, c’est selon.
Les Falaises c’est du héros solitaire et paradoxal, un éternel « étranger » (La lumière et le bruit) : « Près de toi je me sentais seul » (Missiles). C’est un type en cavale : « je dessine sur ta peau des plans secrets d’évasion » (Gang) et qui voyage léger : Le Crayon, La Photo qu’il abandonne d’ailleurs, le Briquet Bic pour seul bagage.
Seul aux pluri-manettes, il est « un groupe de rock tout seul dans [s]a chambre d’hôtel » (Le Crayon), mais il se rend aussi à ceux qui savent le cerner : Roland Bourbon à la batterie et au marimba, Nicolas Moro à la mandoline, Pascal Thollet à la guitare et Yvan Herceg à la basse et au mixage. Quant à la pochette énigmatique, elle est signée Thibaut Derien, l’illustration rêvée de l’art de la chute. Les Falaises, ça sort ces jours-ci et c’est un point de vue à ne pas manquer.
Justine Keiss