Il y a des chansons dont on perçoit dès le début qu’il y a une histoire particulière dans leur genèse, on dit parfois que les chansons sont les autobiographies de ceux qui les écoutent. * Selon l’âge et la période, des hypothèses diverses surgissent, et deviennent des sortes de légendes urbaines. Pour ma part, j’ai été intrigué par cet étrange chanson-rêve, sans avoir une piste quelconque.
Ce que disait Barbara :
Alors qu’elle finalise un nouvel album en 1970, Barbara se rend compte qu’il lui manque un titre. Elle raconte avoir retrouvé dans le tiroir d’une commode un texte écrit quelques années plus tôt, à la suite d’un rêve dans lequel elle aurait vu un aigle descendre sur elle. Elle se met au piano et compose une musique sur ce texte en s’inspirant d’une sonate de Beethoven.. (Le texte de Barbara reprend quelques mots de la prophétie de l’aigle d’Ézéchiel, Bible Segond (Ezéchiel 17.1-24)
De son vivant, Barbara se dérobait à chaque fois, prétextant que cela ne concernait qu’elle : « Ce ne sont pas les paroles qui sont importantes… », disait-elle.
Et elle a dit de cette chanson qu’elle l’avait rêvée, « un rêve plus beau que la chanson elle-même .. »
Et puis, à la suite de la publication de ses mémoires en 1998, une interprétation bien plus sombre de L’Aigle noir fut supposée … interprétation dont on va voir qu’elle ne tient pas compte de ce qu’a dit Barbara de sa chanson.
Démonstration par Thierry Desseux***,
L’aigle noir n’a rien à voir avec son père. C’est une invention de psychologues de comptoir qui perdure… non seulement ils n’ont pas lu les paroles mais ils n’ont pas un centimètre d’argument pour appuyer cette théorie ! Barbara elle-même n’a jamais donné la moindre explication sur le fond et encore moins accréditée cette pure idiotie. « L’Aigle noir » (sorti en 1970) évoque plus sûrement sa folle histoire d’amour avec le peintre Luc Simon (de 1962 à 1964). Les paroles sont bien trop consentantes, lumineuses et exaltées pour raconter cet enfer qu’elle a vécu enfant. C’est d’amour dont il s’agit.
NB: « Je raconte parfois aux amis – mais seulement aux amis – cette histoire confidentielle de « L’Aigle noir », Quand Barbara quitta Luc, elle écrivit « un beau jour ou était-ce une nuit… » Et l’Aigle noir demeure le secret de leur amour et leur amour de secret. (Luc Poindron)
Et sur le plan musical, Thierry Desseux précise :
… cette chanson est montée comme Marienbad (lyrique, une envolée, presque dansante) et non comme Mon enfance ou Nantes (sombre, grave et intérieure)… CQFD
En réponse à une question sur les mémoires inachevées :
… elle révèle en effet l’inceste dont elle fut l’objet par son père (dans son autobiographie inachevée). Mais sans référence aucune avec la chanson. Barbara a rarement expliqué ses titres. Le récit de « Nantes » en revanche crève les yeux. Mais cette version autour de l’Aigle noir est une aberration : « emmène-moi… retournons au pays d’autrefois… pour cueillir des étoiles… allumer le soleil… et faire des merveilles. » Quelle victime de viol écrirait cela ?
Suite à une question sur le rêve d’une enfance avant l’inceste,
… elle a souvent parlé d’un rêve oui, c’est exact. Mais rien de plus. Et c’est une chanson d’amour. D’ailleurs elle ne la chantait pas avec douleur (comme ses autres titres dramatiques)… mais avec grandiloquence et éclat ! (Thierry Desseux)
Dernier élément de compréhension :
Franchement ! Jamais Barbara n’aurait dédicacé sa chanson à Laurence sa nièce, si cela avait été l’histoire de l’inceste de Barbara. ( Nèsnès )
Suivons aussi Pierre Dac dans son conseil, Ecouter les autres c’est encore la meilleure façon d’entendre ce qu’ils disent. Voici donc le texte intégral, à vous de lire,
Un beau jour ou peut-être une nuit
Près d’un lac je m’étais endormie
Quand soudain, semblant crever le ciel
Et venant de nulle part,
Surgit un aigle noir.
Lentement, les ailes déployées,
Lentement, je le vis tournoyer
Près de moi, dans un bruissement d’ailes,
Comme tombé du ciel
L’oiseau vint se poser.
Il avait les yeux couleur rubis
Et des plumes couleur de la nuit
À son front, brillant de mille feux,
L’oiseau roi couronné
Portait un diamant bleu.
De son bec, il a touché ma joue
Dans ma main, il a glissé son cou
C’est alors que je l’ai reconnu
Surgissant du passé
Il m’était revenu.
Dis l’oiseau, ô dis, emmène-moi
Retournons au pays d’autrefois
Comme avant, dans mes rêves d’enfant,
Pour cueillir en tremblant
Des étoiles, des étoiles.
Comme avant, dans mes rêves d’enfant,
Comme avant, sur un nuage blanc,
Comme avant, allumer le soleil,
Être faiseur de pluie
Et faire des merveilles.
L’aigle noir dans un bruissement d’ailes
Prit son vol pour regagner le ciel
(Quatre plumes, couleur de la nuit,
Une larme, ou peut-être un rubis
J’avais froid, il ne me restait rien
L’oiseau m’avait laissée
Seule avec mon chagrin)**
Un beau jour, ou était-ce une nuit
Près d’un lac je m’étais endormie
Quand soudain, semblant crever le ciel,
Et venant de nulle part
Surgit un aigle noir.
Et voici la chanson dans laquelle 6 vers ont été supprimés
* « Que toute chanson soit autobiographique c’est certain. Simplement, il s’agit de l’autobiographie de celui qui l’écoute ».
La chanson est non pas l’enfance de l’art mais bien plutôt son adolescence. Philippe Forest
**On apprit bien plus tard qu’elle s’était même autocensurée et n’avait jamais chanté intégralement toutes les paroles de l’Aigle noir, tel que couché sur le papier. « J’avais froid, il ne me restait rien, l’oiseau m’avait laissée seule avec mon chagrin. »
***Thierry Desseux : Romancier, parolier, interprète. Chroniqueur radio. Auteur d’Affaires Criminelles. Ancien journaliste
L’intégrale des chansons
Clic sur l’image –>
Avec l’aide précieuse de Thierry Desseux
Et Catherine Laugier pour le tableau ci-dessous.
Le peintre Luc Simon a réalisé beaucoup de tableaux avec des oiseaux, et il avait dans son atelier un aigle noir empaillé, de plus, ce tableau est assez éloquent sur « un aigle noir venant de nulle part …