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Histoire d’une chanson: Toute la musique que j’aime …

26 Oct

Dans ses débuts de rocker simili Presley, et pseudo Halliday ( devenu Hallyday suite une faute de maquettiste) il n’était pas vraiment évident que toute la musique qu’il aimait venait du blues. Un de ses premiers succès Itsy bitsy, petit bikini est assez éloigné de Mamie Smith et son Crazy blues, Muddy Waters, Robert Johnson ou Bessie Smith.. Ensuite c’est le succès du twist, dont on cherche toujours le feeling blues.

Mais un jour, Johnny veut témoigner de ses racines musicales, et c’est en 1973 qu’arrive Toute la musique que j’aime ..

Dans ce tube blues rock emblématique de son répertoire, Johnny chante que

Toute la musique que j’aime
Elle vient de là elle vient du blues
Les mots ne sont jamais les mêmes
Pour exprimer ce qu’est le blues

J’y mets mes joies, j’y mets mes peines,
Et tout ça, ça devient le blues
Je le chante autant que je l’aime
Et je le chanterai toujours

Il y a longtemps sur des guitares
Des mains noires lui donnaient le jour
Pour chanter les peines et les espoirs
Pour chanter Dieu et puis l’amour

La naissance et la réalisation de cette chanson montre que Johnny a souvent été rebelle, en imposant ses vues, et souvent démissionnaire face à « son entourage » professionnel ou privé. Quand il demande personnellement à Hubert-Félix Thiéfaine et Paul Personne un album complet de blues*, il ne répondra jamais à leur proposition et ne donnera pas d’explications à son refus (officiellement c’est le label qui mis le véto)  mais quelques temps plus tard il enregistre un album ersatz de blues**, signé par la plupart de ses compères habituels. Doit-on comprendre que le duo Thiéfaine-Personne n’était pas personna grata dans « l’entourage » ? Comme on le voit dans les deux paragraphes ci-dessous, Johnny peut être directif, et être court-circuité par son directeur artistique, lequel s’avérera désavoué par le public

– Rebelle : après un premier travail de studio avec les musiciens, Michel Mallory enregistre une voix témoin, afin que les instrumentistes aient la mélodie « dans » l’oreille. Le lendemain , Johnny écoute le résultat et déclare :  Ce n’est pas comme ça qu’il faut la chanter , puis demande si tout est près pour enregistrer sa voix . Chris Kimsey, l’ingénieur du son, acquiesce. Par deux fois, en cabine, Johnny écoute le play-back sans chanter, puis annonce : Maintenant vous m’enregistrez et même si je me trompe, laissez moi aller jusqu’au bout !  Deux prises, sur deux pistes différentes, sont réalisées.  Il y avait tant de magie, de puissance et d’émotion dans chacune d’elles, qu’il fut difficile de choisir … écrira Mallory.

À l’écoute, tous sont satisfaits, mais pas Johnny qui trouve  qu‘il manque quelque chose :  un dobro qui jouerait en slide … annonce-t-il après réflexion. Chris Kimsey fait venir l’instrumentiste Brian John « B. J. » Cole , équipé d’un dobro artisanal (fabriqué selon ses dires par son père) et le son qu’il en sort est proche de celui d’une guitare hawaïenne. Une seule prise est réalisée et alors que tous les instruments cessent, Cole, pour le plaisir, continue seul et termine la chanson. L’effet jugé excellent est conservé.

– Démissionnaire : Jean Renard, alors directeur artistique de Johnny Hallyday, apprécie peu la chanson, pas plus que l’intégralité de l’opus Insolitudes et propose pour « sauver l’album » d’y joindre la chanson Comme un corbeau blanc (titre de sa composition, enregistré trois ans plus tôt par Hallyday, initialement pour l’album Vie et resté inédit). Par la volonté de Jean Renard, Comme un corbeau blanc devient le onzième titre d’Insolitudes et la face A du premier single extrait du 33 tours. La musique que j’aime n’est qu’une face B. C’est pourtant elle qui très vite s’impose dans les diffusions radios et au public. Elle trouve immédiatement sa place dans le tour de chant de Johnny Hallyday et, à deux exceptions près (Le Pavillon de Paris en 1979 et le Palais des Sports en 1982), est depuis de tous les spectacles de l’artiste.

– Michel Mallory se souvient de ce début de musique improvisée en Corse et le joue en Mi majeur. Le chanteur écoute attentivement, puis prend la guitare : «Il manque le milieu, le pont, le refrain, écoute, il faut que cela fasse ça… 

En un instant, la musique définitive de ce qui va devenir La musique que j’aime prend forme.Il manque les paroles, écris moi quelque chose de fort, qui me ressemble , demande le chanteur. Le texte, Mallory l’écrit tard dans la nuit, après avoir pris congé de Johnny, dans sa voiture, sur son carnet de rendez-vous :

Toute la musique que j’aime, Elle vient de là, Elle vient du blues,
Les mots ne sont jamais les mêmes, pour exprimer ce qu’est le blues

Péripétie inattendue, Aujourd’hui, « La musique que j’aime n’a plus d’éditeur. Elle nous appartient. On l’a cosignée : Johnny Hallyday-Michel Mallory (J. Hallyday 1996)

Hit Parade : La musique que j’aime est la chanson que Johnny Hallyday a le plus grand nombre de fois interprétée en duo : 50 duos avec 35 interprètes différents.

Quelques versions au fil du temps…

La première


avec Paul Personne 1993


Olympia 2000


Limoges 2015 avec Greg Zlap


et avec les vieilles canailles en 2017,  aux guitares Yarol Poupaud Basile Leroux Thomas Dutronc Fred Chapelier..

 

Et pour finir, un petit film qui montre la démesure du personnage en spectacle, quoi qu’on en dise ..

 

  • * Quand ils ont envoyé l’album, ils n’ont eu aucune réponse de Johnny, quelqu’un de « l’entourage » a plus ou moins éludé sans répondre vraiment. H-F Thiéfaine et Paul Personne ont donc repris cet album pour eux et ont tourné plus d’un an avec cet Amicalement Blues.

** : Le cœur d’un homme (titré soufflé par sa femme Laetitia) n’est pas un album blues mais tendance blues.

Norbert Gabriel

 

Hubert-Félix Thiéfaine en concert à l’Arkea Arena de Bordeaux (Floirac)

19 Oct

Ouvrir le bal par « 22 mai 1968 » pour nous plonger directement en immersion dans les abysses des plus anciennes eaux troublantes de son répertoire, quelle idée savoureuse ! Et on allait y boire à la même barrique : les titres suivants -exception faite du magnifique « Toboggan », unique extrait du dernier album qui fut interprété-, tirés essentiellement de treize premiers disques du chanteur, et rarement de plus récents ( « La ruelle des Morts », « Le jeu de la folie », « Confessions d’un Never Been ») cimentèrent le sentiment initial induit : ce concert d’Hubert-Félix Thiéfaine s’annonçait comme un voyage à travers les innombrables paysages de la vaste discographie multipolaire d’un artiste qui a, depuis 40 ans, émerveillé, accompagné, soutenu et parfois secouru les nombreuses générations de son public, et sort ce mois-ci une anthologie de ces quatre décennies passées, « 40 ans de Chansons ».

Après avoir, au cours des précédentes tournées, interprété principalement les morceaux de ses deux derniers albums, Hubert-Félix Thiéfaine avait décidé de le régaler, ce public, conviant devant l’auditoire de la salle, pleine comme un œuf, des chansons qui, pour certaines lui appartiennent désormais moins qu’elles appartiennent au patrimoine de ces enfants qu’un peu de lui a fait croître. Car il en va ainsi : parfois la trace d’un autre peut nous apprendre à tenir debout. D’autres titres, que je n’avais plus entendus depuis fort longtemps (« Stalag-Tilt », « L’Agence des Amants de Madame Müller », « La Dèche, le Twist et le Reste », « Enfermé dans les Cabinets », « La Maison Borgniol ») me surprirent d’émotions enjouées et mélancoliques à la fois, d’un peu de stupéfaction aussi, tant leurs paroles revenaient en tête immédiatement, comme instinctivement, sans souffrir la moindre hésitation. A s’étonner soi-même de si naturellement toiser les trous noirs de la mémoire capables d’avaler des périodes entières de nos vies, mais qui n’ont rien aspiré de ces textes jadis fredonnés par cœur. C’est dire ce que parfois des chansons bâties de mots tristes et d’idées sombres peuvent contenir de lumineux.

Comment ne pas deviner ressurgir les fantômes des histoires intimes de chacun, et sentir se réveiller la tendresse de l’oeil qu’on promène sur les blessures du passé, à travers cette foule de moments obscurs que la poésie et la folie de l’artiste ont rendu radieux ? On se regarde au fond des yeux dans le miroir des souvenirs, et il en va ainsi : parfois la plume d’un autre peut nous apprendre à porter des ailes.

Et voilà déjà «Mathématiques Souterraines » qui enfle une lame de fond me remontant du fond de l’âme, prête à déborder de mes yeux et en cracher son écume, alors qu’ils sont si nombreux tout autour de moi à en beugler en cœur les paroles, à tel point que leur chant couvre parfois la voix de l’artiste. Qu’importe : c’est sans doute leur chanson, comme c’est aussi la mienne. Eux au moins parviennent à le crier. Et c’est beau! Et ça sonne si juste, malgré les fausses notes. Phénomène identique avec plusieurs autres titres phares (« Les Dingues et les Paumés », « Alligators 427 », « Soleil Cherche Futur », « Sweet Amanite Phalloïde Queen », « Lorelei », « La Fille du Coupeur de Joints » et « Dernière Station avant l’Autoroute » a capella en rappel), qui confirme une idée persistante : plus que d’autres sans doute, Hubert-Félix Thiéfaine eu le talent d’inventer des « chanson-golems » qui ont fini par échapper aux mains de leur créateur pour partir vivre auprès d’autres âmes et s’offrir à elles.

Entouré du fidèle Alice Botté à la guitare, de son fils Lucas Thiéfaine (guitare, percussions), et du groupe de ses musiciens renforcé par les présence de deux violoncelles, d’un saxophone et de Yan Péchin (guitare, banjo, mandoline, lap-steel) que, tout comme Alice Botté, on a toujours plaisir à retrouver auprès des beaux artistes, c’est deux heures trente de bonheur et de délire que distilla un Hubert-Félix Thiéfaine en grande forme, d’un bout à l’autre d’un concert consacré aux retrouvailles avec nos souvenirs, et emprunt d’une humilité très humaine et de reconnaissance exprimée à l’endroit du public autant que des nombreux techniciens et travailleurs qui permettent aux spectacles d’exister. Un plein de vibrations somptueuses qui nous laisse quelques étoiles en tête et un sourire ému sur le visage. On reviendra ! Pour lui, on revient toujours…

Miren Funke

photos : Carolyn C (1 à 5), Emma Boireau (6)

Et le site de HFT, c’est là –> Clic on the cat..

Hubert-Félix Thiéfaine en concert à l’Olympia d’Arcachon

3 Nov

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N’ayant jusqu’alors choisi de voir Hubert-Félix Thiéfaine en concert que sur des scènes ouvertes au plein air, par goût des ambiances festivalières, du vent auquel ses mots nous remettent, et du sentiment de liberté, j’appréhendais cet Olympia d’Arcachon aux places assises et assignées, dont j’imaginais, à tort, l’atmosphère étouffée et quelque peu coincée. La soirée pouvait s’avérer intimiste ou bien viciée. Un concert de Thiéfaine, c’est un public venu partager son patrimoine à lui, ses hymnes, ses souvenirs, sa passion. Ça chante, ça se lâche, ça fume, ça boit, ça pleure, se marre et fête ses rites. Ça exalte et ça exulte… Quelle ne fut pas mon étonnement de me surprendre à apprécier le calme d’une immuabilité corporelle lovée dans un fauteuil, la conscience entièrement happée par le crépusculaire « En remontant le fleuve » qui ouvrait le concert ce vendredi par un moment d’une intensité rare.

imgp5495Mais puisque toujours faut se tenir debout, il ne fallut pas attendre le troisième morceau pour qu’avant même les premiers riffs de « Errer Humanum Est », une partie du public ne décide de se lever et de descendre devant la scène pour célébrer ces communions dont il a l’habitude avec Hubert-Félix Thiéfaine et ses musiciens. Rassurée ? Certainement ! C’était parti pour des retrouvailles avec l’esprit festif et l’humanité familière d’un univers dans lequel nous plongent les concerts de l’artiste, parti pour un peu plus de deux heures d’ un set éparpillant entre les titres des derniers albums quelques classiques qu’on garde toujours contre son coeur, tels, entre autres, « Autoroute Jeudi d’Automne », « Lorelei Sebasto Cha», « Alligator 427 », ou encore un très rock « 113ème Cigarette sans dormir » aux nervures incisées par les griffes acérées des guitares d’Alice Botté et Lucas Thiéfaine, sans oublier les incontournables « Les Dingues et les Paumés » et « La fille du coupeur de joints » réservés pour le  rappel . Alors que certains, restés assis, optaient pour une écoute attentive et délicieuse des paroles, le nombre des admirateurs dansant au pied de la scène ne cessaient de croitre, redimensionné par l’arrivée incessante de gens ne tenant plus en place. Splendeur du mouvement perpétuel d’une salle vivante, vibrante, aimante. imgp5480 Au milieu du concert, l’électricité s’apaisa le temps d’une plage intimiste pour une interprétation épurée, seul avec guitare et harmonica, de « Petit matin 4.10 heure d’été » et d’un émouvant « Je t’en remets au vent », fredonné en chœur par le public, avant que le groupe des musiciens rejoigne l’artiste pour une version suave et aérienne de « Syndrome Albatros », suivi de titres qui relançaient énergiquement le concert ( « Stratégie de l’inéspoir », « 113ème Cigarette sans dormir », « Bipède à station verticale» notamment).

imgp5446Une fois de plus, un concert d’Hubert-Félix Thiéfaine ne tardait pas à convoquer les souvenirs d’hier et en même temps à fabriquer ceux de demain. Murmures de rêves confus… Chacun ses mémoires troubles ou vivaces, chacun ses nostalgies douloureuses ou magnifiques, chacun ses fantômes épouvantables ou féeriques. Le miens ne sont ni plus laids ni plus beaux que ceux des autres, mais l’écho des mots du poète ce soir encore me ramène à l’émerveillement d’un exil, à la providence d’un asile, au secours qu’une parole, une musique, un univers peuvent apporter, à la passion qu’ils peuvent faire naitre, au message qu’ils peuvent transmettre. Thiéfaine, lugubre ? Sordide ? Déprimé/déprimant ? Jamais ! Et moi je lis ses lettres le soir dans la tempête…  Ma tempête, ce fut une année sinistre dans mon enfance qui aurait bien pu étendre son ombre sur le reste de ma vie, si ma route n’avait pas croisé les chansons de l’artiste il y a 30 ans et entendu qu’on pouvait regarder le monde ailleurs, le voir autrement. Quand la chanson s’autorise à apprivoiser l’obscurité, à désamorcer le drame, à rire du fatalisme, à renverser la réalité pour faire du beau avec ce qui est moche, négatif et triste, créer du quelque chose contre le rien, c’est un peu de sens donné à l’insensé pour recoller du soleil sur nos ailes d’albatros…  imgp5437Une fois encore un concert au milieu de ces gens, liés par les chansons d’Hubert-Félix Thiéfaine, et visiblement intrinsèquement atteints du même syndrome me rappelle combien c’est parmi eux que je me sens à ma place. L’esprit si particulier au public de l’artiste était au rendez-vous pour une soirée chaleureuse, à laquelle la gentillesse de tous les travailleurs de l’Olympia d’Arcachon n’était d’ailleurs pas étrangère. Un lieu de spectacle accueillant, sympathique, et géré par des personnes attentionnées et bienveillantes qui ont contribué à nous faire vivre ce concert avec un sourire vainqueur jusqu’au dernier soupir, jusqu’à cet ultime cadeau de Thiéfaine revenu seul avec sa guitare pour répondre à l’appel de la salle entière qui chahutait aux cris de « Hubert ! Hubert ! » après le dernier rappel : « Des adieux ». Des adieux ? Non. Pourvu que ce ne soit qu’un « au revoir », mes frères.

 

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Miren Funke

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