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Rencontre avec le groupe Emidji

12 Mar

Si le Rock indépendant et la chanson alternative ont plus précisément porté à Bordeaux un esprit rebelle et des valeurs solidaires, et continuent de le faire ou le font à nouveau, l’aventure de la scène reggae locale n’est pas en reste, et prend désormais un nouveau souffle, après s’être quelque peu époumonée. A l’instar de formations créatives comme The Dawn Project, le groupe Emidji se fait, de concerts en concerts, une renommée croissante qui le conduit à partager des affiches prestigieuses, et notamment assurer la première partie de Clinton Fearon, ex-membre du mythique groupe The Gladiators. Né sous le signe de l’amitié, et dans un esprit à l’origine plutôt amateur et festif, Emidji a su, au fil du temps, catalyser les synergies par une osmose un peu magique pour se dessiner une identité propre, qui, loin d’isoler son public dans une bulle musicale hermétique, parle à tout le monde, et inventer un Reggae ouvert à diverses influences, mais qui ne perd pas pour autant ses repères, un peu à l’image de ce Blues qui n’a pas besoin de se dénaturer pour être accessible aux non-spécialistes du genre. Quelques heures avant un concert donné au bar-restaurant « Quartier Libre » à Bordeaux, le chanteur, qui a parallèlement à son actif un disque solo de chansons acoustiques explorant divers héritages musicaux, dont celui de ses origines touareg, et quelques membres du groupe nous accordaient un entretien.

 

– Emidji, bonjour et merci d’accepter cet entretien. Pouvez-vous nous présenter le groupe ?

– Marcel : Emidji s’est créé en juillet 2009, au départ avec des potes que je connaissais depuis le collège pour certains. C’était un délire d’ado, au sens où à 14-15 ans, on s’était dit qu’un jour on ferait un groupe ensemble pour jouer la musique qui nous rassemblait, c’est-à-dire le Reggae. Et finalement, 25 ans plus tard, le groupe est là, même si c’était un peu de l’amateurisme au début, et encore aujourd’hui, mais de moins en moins : plus ça va, plus notre répertoire s’étoffe et notre identité musicale se dégage. Mais nous avons gardé l’amitié comme lien. Emidji signifie « les vieux amis », en Tamacheq, langue des Touaregs du Niger d’où je suis originaire. Et le principe est de faire jouer dans le groupe des amis ou des amis d’amis. Nous avons intégré de nouveaux musiciens à partir de 2011, dont Cécile et Agnès qui sont choristes, Thomas et notre batteur. Du groupe initial, il reste Mathéo aux claviers, Roman à la guitare et moi. Nous sommes donc actuellement 8 : une batterie, un clavier, une basse, deux guitares et trois personnes au chant, dont les deux choristes.

– Es-tu le seul au chant principal ?

– Marcel : Oui, il n’y a que moi qui chante en lead. Mais les choristes ont pris de plus en plus de place.

– Marcel, tu possèdes une formation de chanteur lyrique, qui probablement contribue à donner à votre Reggae une couleur particulière. Comment est-ce que les acquis et l’expérience du chant classique influencent ta manière d’interpréter une musique à la base plutôt intuitive et folklorique ?

– Marcel : Effectivement j’ai suivi une formation de chant lyrique au Conservatoire de Bordeaux, et également de chant en chorale. Ce que ça m’a apporté principalement, c’est une technique et un travail dans la recherche de justesse des notes. Et puis ça a aussi beaucoup développé la tessiture de ma voix et l’étendue des gammes avec lesquelles je joue, ce qui donne une couleur un peu soul à notre Reggae. La Soul est souvent chantée très aigue ou très bas, avec beaucoup de variations, et c’est ce que ma formation lyrique amène. D’autant que ce genre musical fait aussi partie de nos influences.

– Quels artistes vous influencent principalement ?

– Marcel : Desmond Decker, bien sûr. Toots and The Maytals est une grande influence aussi. Personnellement j’affectionne Groundation, pour la voix et l’énergie, et Peter Tosh pour son côté lyrique et soul ; pour moi, vocalement, il était meilleur que Marley, et possédait une gamme largement plus développée.

– Cécile : Personnellement, mon idéal, question coup de cœur, c’est The Abyssinians.

– Marcel : Le label Daptone Records produit des groupes assez récent, mais de gros niveau, et avec un son qui te renvoies direct à l’époque du Rock Steady. Après localement, le milieu reggae bordelais est un microcosme. Il y a encore quelques anciens comme Moon Hop, Souleyman de Niominka Bi, que j’ai vu au reggae Sun Ska festival cet été. 

– Thomas : Il y a encore 15 ans, le Reggae à Bordeaux était très vivace avec des groupes comme Small Axe, et puis ça s’est un peu cassé la gueule, à part quelques rares qui ont continué. Et puis aujourd’hui, ça revient un peu. Tout comme le Rock, qui après avoir vécu les heures de gloire du « Bordeaux Rock » avait disparu et renait. Mais tout ça a été beaucoup causé par la fermeture progressive et la disparition des bars et petits lieux de concerts où on pouvait s’exprimer. Les gens ont besoin de ça.

– Cécile : On le sent dans nos concerts : les gens se laissent facilement emporter par le rythme et la danse ; ils sont réceptifs à la musique et à la joie de vivre.

– Composer à 8 ne doit pas être une mince affaire. Comment parvenez-vous à tirer profit de vos divergences ?

– Marcel : Au départ, j’écrivais seul dans mon coin, et d’ailleurs ça ne laissait pas beaucoup de place aux chœurs. Mais désormais la composition est de plus en plus une oeuvre collective. Donc on intègre de plus en plus dans l’écriture le fait qu’il y ait des passages sans chant.

– Roman : La place des chants a évolué. Auparavant on rajoutait des chœurs à des morceaux existants. Désormais ils sont pensés pendant la composition, au même titre que les jeux des autres instruments. Pour ce qui concerne la composition musicale, on a toujours fonctionné en jouant ensemble, et puis, selon l’humeur du moment, on garde des choses qui fonctionnent ou nous plaisent et on travaille dessus. Ce n’est pas très prémédité ; on fonctionne beaucoup au feeling et en improvisant. On essaye des choses ; on enregistre un peu à chaque répétition, et on voit.

– Marcel : C’est assez magique cette affaire là d’ailleurs, parce qu’on doit avoir une vingtaine de morceaux, alors qu’au départ, on fait des bœufs ensemble en début de répétition, on se lâche, y en a un qui met des accords, et puis ça part sans vraiment qu’on y réfléchisse. Et beaucoup de nos morceaux sont nés comme ça, et c’est assez bizarre, comme si une espèce d’alchimie opérait. Il y a des groupes qui réfléchissent à leurs compositions. Nous, non. On se lâche, et parfois, ça créé des petites pépites qu’on retravaille après.

– Thomas : C’est vraiment trippant ; il y a un côté un peu surnaturel. On ne sait pas d’où ça vient, mais ça vient. Il y a des choses qui sortent d’un coup, alors qu’on aurait pu passer deux jours à les chercher et y réfléchir sans les trouver.

– Roman : Je ne sais pas si c’est si bizarre que ça. C’est une sorte d’émulation ; et puis on se connait tous, de mieux en mieux et ça joue.

– Marcel : Il y en a toujours un en début de répétition qui balance une énergie, et les autres se greffent dessus, et s’agrègent. Et puis les fois d’après, on retravaille et on essaye de structurer. C’est ce qu’on est en train de faire avec un morceau repêché d’il y a quelques mois. On ne bosse plus pareil. Il y a eu une évolution. Et puis on prend des reflexes, en ce qui concerne les choix artistiques. Par exemple sur le dernier morceau, qu’on ne va pas jouer ce soir, car il est encore en préparation. On sait qu’on fait du Reggae roots ; on ne fait pas du Reggae-Dance Hall, du Reggae-Hip Hop ni du Reggae je ne sais pas quoi. Et ce choix s’affirme de plus en plus, avec l’idée d’aller vers des choses assez simples. On épure de plus en plus, et de plus en plus facilement. Remplir des blancs, c’est facile. Mais les lâcher pour laisser respirer le morceau, et dégager une ambiance et une sensation, c’est le plus dur en réalité. Savoir se taire un peu pour laisser le public s’approprier le morceau, avoir le temps de le sentir. Et ça, on le fait de mieux en mieux. C’est un groupe un peu atypique, au sens où tout se décide à tous. Alors parfois c’est compliqué, mais après plusieurs années d’existence, on est encore là, donc ça roule ! Il n’y a pas un leader qui dicte les choix. Ce serait sans doute plus facile, mais beaucoup moins riche. C’est la richesse de la co-construction : dans chaque chanson, il y a un bout de toi, mais aussi un bout des autres, et c’est ça, la vie. Alors même si c’est parfois un peu frustrant, c’est tellement bon de se dire que tout le monde a un peu contribué. Ca implique énormément d’écoute, de recherche de consensus, de négociations aussi en tenant compte des caractères. C’est cette construction collective qui nous porte.

– Roman : C’est vrai que la vie à 8 est compliquée, ne serait-ce que pour caler les répétitions ou organiser les tournées. Et parfois, on doit s’adapter avec 8 avis divergents sur un morceau. Mais ça apprend à ne pas s’accaparer la chose, et à savoir laisser filer les choses parfois, même si on entend un morceau d’une autre façon que les autres.

– Cécile : On s’oriente aussi vers des choix plus déterminés ; on cherche certains styles, tout en suivant les impulsions qui ont été au départ complètement improvisées, mais qu’on essaye d’approfondir dans un certain sens.

 

– Marcel, tu as également produit un album solo, plus acoustique, dans lequel tu chantes dans ta langue maternelle, le Tamasheq et en Français, entre autres. Mais les textes d’Emidji sont principalement anglophones. Qui les écrit et n’envisagez-vous pas l’utilisation d’autres langues ?

– Marcel : Au début, c’était principalement moi qui écrivais les textes. Et puis, vu que mon Anglais n’est pas de très haut niveau, de plus en plus Cécile et Fabrice participent à l’écriture.  

– Cécile : Ce n’est pas qu’une question de niveau de langue. Fabrice écrit beaucoup ; j’écris pour ma part quelques textes aussi. C’est souvent Marcel qui écrit, mais sur l’impulsion du moment on a des idées qui viennent aussi et on participe.

– Marcel : Et pour répondre à ta question sur l’utilisation d’autres langues, pas encore. Mais je pense qu’un jour, ça se fera en Tamasheq. Ce soir, on va jouer une chanson en Wolof, qui a été interprétée par 3-4 membres d’Emidji, mais au sein d’un autre groupe ; elle porte une instrumentalisation qui se rapproche plus du Reggae à l’africaine que du Reggae jamaïcain. Un jour j’avais fait venir un de mes cousins touaregs pendant une répétition, et on avait créé un morceau qui est assez sympa, et que Roman a bien travaillé. Je pense qu’on va essayer de se métisser d’avantage.  Par contre je ne me sens pas d’écrire du Reggae en Français. Il faudrait vraiment être bon pour que ça sonne.

– Cécile : Le Français est bien moins musical comme langue. C’est pour ça qu’on a de très bons paroliers en Français, mais des chanteurs, moins. Les voyelles anglaises se chantent beaucoup mieux.

 

– Revenons aux genres musicaux dont la pluralité est présente dans les influences de chacun ; irriguent-ils, même inconsciemment, sans calcul, vos compositions ?

– Thomas : Oui, mais ça n’est pas conceptualisé. On a une base Reggae roots, mais on ne copie pas le Reggae des années 60. On le fait roots, mais avec plein d’influences, très diverses, modernes même, des sonorités Trip Hop par exemple.

Marcel : En fait dans le groupe, bien sur nous avons tous un métier alimentaire et nous nous considérons musiciens amateurs, mais certains viennent du Rock, même du Hardrock, d’autres aux influences de Pop britannique (Beattles), d’autres encore qui jouent dans des groupes de musiques latino-américaines comme Thomas, d’autres encore écoutent de la Soul… Et tous ces horizons enrichissent notre musique.

– Roman : Ce qu’on a composé jusqu’à maintenant a été pensé un peu comme des morceaux pop, au sens où nous travaillons des airs qui restent en tête. C’est pour ça que ça parle aussi à un public qui n’est pas forcément spécialiste de Reggae. Les gens à qui le Reggae parait être un genre hermétique, défini avec ses codes stricts, qui leur semble sonner tout le temps pareil, aiment venir nous entendre, parce que c’est simple et accessible ; ils peuvent facilement repartir avec un refrain en tête.

– Thomas : En même temps ça reste du Reggae roots, au sens où on n’y intègre pas non plus trop de choses à la mode par envie de séduire. C’est comme le Blues : ça parle à tout le monde, mais ça reste brut.

– Roman : Quand on est ensemble, on peut écouter les Beattles… Et ça se ressent forcément à un moment dans la musique ou dans les chœurs. On n’est pas scotchés au Reggae.

– Thomas : Mais on aime tous ça, donc c’est ce qui nous lie.

– Marcel : En parlant de lien, ce qui est important, c’est qu’on n’est pas un groupe qui se voit que pour les répétitions et les concerts. On voit souvent en dehors ; on part en vacance ensemble, y compris quand on tourne ; ça a un côté vacance familiale, avec les gosses… C’est un peu un clan, une famille en fait. Notre relation va plus loin, sur le plan humain, que le seul fait de participer à un groupe musical. Roman parlait d’émulation tout à l’heure ; elle n’existe pas seulement quand on joue. Il y a tous les à côté de la vie qui font qu’on se connait bien et qu’on s’élève ensemble.

 

– Tu parles de l’amitié comme d’une valeur qui vous est chère. Mais elle n’est pas la seule. Pouvez-vous parler de vos engagements ?

– Marcel : On n’est pas un groupe qui court après les cachets. Il nous arrive de jouer pour pas grand-chose, mais à condition que le projet ou la structure qui nous accueille ait des valeurs cohérentes avec les nôtres, par exemple qu’elle soit dans une démarche écologiste, ou participative et solidaire. Ce créneau là nous plait. C’est un peu Cécile, Mathieu, Fab et Agnès qui ont amené ça dans le groupe. Si l’esprit et l’accueil du lieu nous conviennent, on peut jouer pour presque rien.

– Roman : Il y a le concert d’une part, mais il y a aussi la rencontre avec les gens qui est importante pour nous.

– Cécile : Dans cet esprit là, on a déjà fait des concerts chez l’habitant. Alors, pas dans des appartements, parce qu’à huit musiciens, c’est un peu compliqué, mais dans un jardin par exemple.

– Marcel : Et puis aussi pour des C.A.T, par exemple pour des personnes handicapées. On aime pouvoir amener la musique là, devant des publics dits plus « fragiles » -je dis ça sans jugement- . J’ai en tête un concert notamment avec une personne atteinte d’une trisomie 21 qui nous a marqués par son sourire énorme et une sensibilité terrible au son ; j’ai pris un pied pas possible à ce concert.

– Cécile : Il s’agit de créer des moments. Dans les 8, il n’y a que Thomas qui est intermittent ; nous avons tous nos sources de revenus par le travail. Donc la musique, c’est surtout pour créer des moments, que ce soit entre nous, ou avec les gens qu’elle nous permet de rencontrer.

– Où peut-on se procurer les productions discographiques du groupe ?

– Marcel : Pour le moment nous avons enregistré un EP de 4 titres, et nous sommes en train d’enregistrer un 8 titres, qui aurait du sortir déjà, mais a un peu de retard, pour les raisons de coordination des plannings que nous évoquions, qui rallongent parfois les délais. Mais on arrive toujours à se bloquer une semaine ou plus pour être tous ensemble. Tous les soirs, on a des dates. On a donc cet EP 8 titres à achever, une tournée prévue pour l’été, et puis une tournée en bus, puisque la ville de Bègles nous a fourni un bus gratuit. Notre idée, c’est de faire un disco-bus itinérant pour tourner et rentrer un peu d’argent pour pouvoir partir en Afrique jouer notre Reggae et s’arrêter dans des écoles et des dispensaires où porter des fournitures scolaires par exemple, de la musique et être dans l’échange avec les populations. C’est un projet qui nous tient à cœur.

 

Miren Funke

Liens : site : https://emidji.jimdo.com/

Facebook : https://www.facebook.com/Emidjireggae/?fref=ts

 

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