Amélie de Lambineuse, Zéphirin Hanvélo, Andy Blackshick, Onuphre Hirondelle, Josèfe Pignerole et Adolphe Schmürz sont heureux de vous annoncer … mais peut-être que ces noms vous sont inconnus ? Ce sont quelques uns des pseudonymes qui ont signé les chroniques, billets, critiques, émissions de TSF dont Bison Ravi, ou plutôt Boris Vian a usé dans ses multiples activités de Frégoli de l’écriture… Ordoncques, Boris Vian est heureux de vous annoncer qu’un spectacle met en scène le patchwork éclectique de ses talents.
A l’origine de ce projet, le Théâtre Antoine Vitez d’Ivry a confié des cartes blanches à Hexagone, à Flavie Girbal et David Desreumaux. Après Bashung, c’est Daphné et Mehdi Krüger, Etienne Champollion et Ostax, qui sont les partenaires de cette création. Un panorama élargi qui va bien plus loin que les habituels hommages en 12 ou 13 chansons. Les textes poétiques, surréalistes, caustiques, politiques, fantaisistes, les questions existentielles sur le monde et les temps modernes, la dérision et le provocateur Vernon Sullivan offrent un kaléidoscope frémissant de souffle libertaire, iconoclaste et nourri de rage de vivre, Mezzrow y aurait volontiers mis quelques riffs de clarinette rieuse avec la trompinette de Boris. En salut à Champollion et Ostax, les excellents décorateurs musicaux jazzant avec bonheur dans tous les registres. Et sublimer le lumineux duo, Daphné et Mehdi Krüger, qui entrelacent leurs univers pour cette fresque magistrale. En intégrant quelques chansons de leur répertoire qui résonnent en totale harmonie avec le contemporain. Elle est snob ? Il est hype…
Elle voudrait pas crever, il est désertaire… Plus libertaire que déserteur… Mais vivants ! Comme Boris dans cette création.
Pour résumer, ce spectacle est une intégrale Vian en 90 mn environ… Pas un best off réducteur, un voyage intime, avec une mise en scène et une scénographie inventives, subtiles, pour exemple, l’ustensile de cuisine chromé qui traverse le ciel de la scène, c’est un ange camouflé, évidemment.
Now ladies and gentlemen, the show must go on, Arrache coeur'(s) attend les invitations dans vos théâtres de France et de Navarre, de Belgique et de Suisse, et autres lieux de la francophonie et du théâtre réunis.
Last but not least, comme aurait pu dire Lydio Syncrasi, quelques mots de Vian, en vrac… Utiles ou pas ? A vous de voir..
Les prophètes ont toujours tort d’avoir raison.
Ce qui m’intéresse, ce n’est pas le bonheur de tous les hommes, c’est celui de chacun.
Dire des idioties, de nos jours où tout le monde réfléchit profondément, c’est le seul moyen de prouver qu’on a une pensée libre et indépendante.
Si on veut faire quelque chose de différent il faut s’attendre à ne pas rencontrer la compréhension tout de suite.
Nos chers résocios facebouquiens font circuler parfois des balivernes insultantes pour l’intelligence, ou des approximations du même métal. Ainsi, je viens de voir revenir quelques mots sur Le déserteur que Mouloudji aurait « édulcoré » pour éviter la censure. D’où le retour de l’histoire de cette chanson, publiée il y a quelques années.
Commençons donc par la version créée par Mouloudji.
Récemment encore, à la radio, un animateur a été plus qu’approximatif avec cette chanson, comme en Juin 2009, dans Vivement Dimanche avec Juliette Gréco à l’honneur, Michel Drucker fait une petite digression sur Boris Vian et « Le déserteur » et dans une approximation assez désinvolte, il explique que Boris Vian a réécrit quelques lignes de la chanson pour qu’elle puisse passer en radio…
Suggérons à Drucker de mieux choisir les collaborateurs qui le documentent, car si sa mémoire a des éclipses, il est notoirement connu que cette chanson est l’archétype de la chanson interdite de diffusion radio, et de vente (l’éditeur Salabert a dû retirer les petits formats des magasins) et ce, de 1954 à 1962. Sans faire un développement exhaustif, préciser que c’est Mouloudji qui l’a créée n’aurait pas été superflu.
Cette chanson donne toujours lieu à des commentaires d’autant plus animés que 54 ans après sa création, la légende s’enrichit, ou se déforme selon les témoignages et les interprétations qui en sont faites. En particulier sur les variations et modifications du texte initial, donc revoyons les faits
– Février 1954: Boris Vian écrit la base du texte qui deviendra « Le déserteur » sur une nappe de restaurant. Dans les variantes* qu’il a ébauchées, une première version émerge, «Monsieur le Président…. qui se termine par «… que j’aurai une arme et que je sais tirer » qu’il propose à tous les chanteurs du moment, ou presque. Refus de la chanson, pour des raisons diverses, certains ont déjà des chansons antimilitaristes dans leur répertoire, d’autres refusent l’idée de la désertion, d’autres ont d’autres raisons. Seul Mouloudji accepte, mais il en discute certains points avec Boris Vian, ils sont très copains; d’une part, Mouloudji est résolument pacifiste, il n’a jamais tenu un fusil de sa vie, et la fin le met en porte à faux avec ce qu’il est, d’autre part, dans le contexte de la guerre froide USA-URSS, il lui semble opportun d’élargir le débat. Réponse de Vian: « mais c’est toi qui chantes Moulou, tu fais comme tu veux » et en accord avec Mouloudji, il réécrit le début et la fin, (et une partie de la deuxième strophe) dans une version qu’il enregistrera en version mixte : « Monsieur le Président,» et avec la fin « que je n’aurai pas d’armes»
– Mouloudji interprète en scène « Le déserteur » le jour de la défaite de Dien Bien Phu, (7 Mai 1954) pur hasard, il apprendra la nouvelle le lendemain.
(Pour mémoire : tous les experts de toutes les armées du monde étaient d’accord sur un point, Dien Bien Phu (Muong Tanh) est un camp inexpugnable, car inaccessible aux véhicules blindés, chars, canons et autres fourbis militaires. Personne n’avait pensé à la possibilité de démonter tout l’armement, de l’acheminer sur des vélos, dans des sentiers de brousse invisibles du ciel, et d’installer sur les collines une ceinture de pièces de tir. Seuls les aviateurs avaient fait une réserve sur la position en cuvette, mais comme elle était en principe inexpugnable, on les a renvoyés à leurs machines volantes.
C’est donc un camouflet pour toutes les armées, surtout l’armée française ( uniquement des soldats de métier), que cette journée du 7 Mai 1954, la guerre du Tonkin prend fin, et celle du Viet-Nam commence…
De plus, avec la fin de la guerre d’Indochine, on voit arriver quelques mois plus tard le début de celle d’Algérie. Avec la mobilisation du contingent qui va sensibiliser les français, les p’tits gars d’chez nous expédiés dans un département français pour cause « d’évènements », ça passe mal. Et c’est un chanteur nommé Marcel Mouloudji qui envoie Le déserteur dans les bacs à disques !
Le scandale est de taille, censure immédiate sur les radios, disque interdit à la vente. Pourtant en quelques mois, cette chanson est connue de tous les français. Parce que le tissu associatif, syndical, est très actif, et s’il n’y a pas de Zénith ou d’Olympia pour inviter Moulou, et pas de Youtube, il y a les Maisons du Peuple, les salles genre Mutualité, qui relaient efficacement ce qu’on n’entend pas à la radio, TSF pas tout-à-fait transistor.
Toute la jeunesse française va chanter « Le déserteur » dans la « version Mouloudji », que Vian enregistrera d’ailleurs, ce qui tend à démontrer qu’il avait avalisé cette version. Et puis, je ne suis pas certain que Vian ait tenu absolument à imposer la version agressive, lisez le texte, on a un mec qui va prêcher la paix sur les routes de France, inciter les gens à refuser la violence, et il aurait un fusil pour tirer sur les gendarmes … ? C’est troublant, il y a un hiatus, provocation diront certains… Peut-être. Mais c’est une sorte d’option terroriste qui semble ne pas coller avec le personnage de la chanson. Cela dit, vu des années 2000, la glose est facile, en 1954, on est à dix ans de la fin de la guerre, de la résistance, avec certains policiers collabos, on peut imaginer qu’un fusil était un argument utile dans les discussions.
Mais le fusil ce n’était pas l’option de Mouloudji. Et quand dix ans plus tard en 1965-66, un chanteur reprend « Le déserteur » version avec fusil, c’est un peu facile de reprocher à « un certain » d’avoir trahi Vian. Reggiani réïtérera ce propos en 1998 ou 1999, Vian et Mouloudji n’étant plus là pour préciser les choses, et le contexte de la première version.
Et c’était en 1954 qu’il fallait y aller en front de scène, pas en 1964.
Parmi les nombreux interprètes qui ont choisi de mettre « le déserteur » à leur répertoire, bravo à Peter Paul and Mary (les premiers aux USA), à Joan Baez et à ces américains qui la chantaient pendant la guerre au Viet Nam, ils chantaient aux USA, pas sur les Champs Elysées**, où c’est plus facile de crier Paix au Viet Nam qu’à Washington.
Pour ce qui est des choix à faire dans ce genre de situation, on peut réfléchir à ce que disait un des derniers poilus de 14-18: « Devant moi il y avait les allemands, derrière moi il y avait ma famille, qu’est-ce que je pouvais faire d’autre?»
Avec cette chanson, (Le déserteur) on a un parfait exemple du rôle décisif de la scène dans l’expression libre. Une chanson peut être censurée par la production, quand elle est enregistrée, elle peut être censurée par les diffuseurs, ou les distributeurs (comme Allah, de Véronique Sanson) ou interdite à la vente, mais personne ne peut empêcher un artiste de s’exprimer en scène. Malgré le consensuel ambiant qui gomme les aspérités (pas de crime économique en diffusant un opéra à 20h30, ou une chanson qui segmente, ou qui provoque, tiens comme ce titre de Tachan, « fais une pipe à pépé » peu de chances qu’une grande chaîne invite Henri Tachan, toutefois, on a pu entendre Agnès Bihl chez Drucker… (invitée par Ségolène Royal, faut pas rêver…)
Norbert Gabriel
*Variantes: dans une des variantes, l’humour iconoclaste de Boris Vian lui inspire « ma mère est dans la tombe et se moque des vers » ... Il l’interprète lui-même dans un album qu’il a enregistré, mais il est pratiquement le seul à avoir osé ce jeu de mots, car de qui se moque-t-on? Des poètes ou des animaux pluricellulaires sans mains ni pieds… ? Sacré Boris !
** « Pauvre Boris » de Jean Ferrat, pour une mise au point. C’était en 1966.
Tu vois rien n’a vraiment changé Depuis que tu nous a quittés Les cons n’arrêtent pas de voler Les autres de les regarder Si l’autre jour on a bien ri Il paraît que » Le déserteur « Est un des grands succès de l’heure Quand c’est chanté par Anthony Pauvre Boris
10 Novembre 2019, une version féminine vient de faire son apparition grâce à Annie Nobel..