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La mort solitaire de Hattie Caroll

25 Jan

The Lonesome Death of Hattie Carroll
ALBUM : « THE TIMES THEY ARE A-CHANGING ».  1964

Dans mes lointaines enfances péri-lyonnaises, il y avait de la musique et des chansons, toute la famille chantait, de Trenet à Verdi ou Puccini, Montand ou l’opérette hispano-marianesque, tout était bon à faire chorus selon l’heure et le lieu. Je suppose que j’ai plus souvent été bercé par « une chanson douce que me chantait ma maman les soirs d’orage dans la maison qui dort » que par Rock around the clock ou le grand air de La Tosca … Mais « Il masolin di fiori » par mémé Tina, c’est vraisemblable.

Toutes les chansons sont autobiographiques, mais c’est surtout l’autobiographie de notre vie. *

Le Grand Perron

Mon goût pour la chanson qui raconte, plus que la chanson à gigoter des pieds ou bouger son cul, est venu de la rencontre entre « Actualités » (d’Albert Vidalie et Stéphane Golmann), et mon environnement familier. 1951 ou 52, la fille du directeur de l’hôpital Jules Courmont, ou Le Grand Perron, est malade, elle a la maladie bleue… On ne sait pas bien ce que c’est, mais ça a l’air inquiétant, étant donné la façon dont les parents en parlent à mots couverts. Vu de nos 10 ans, c’est limite comique, le directeur de l’hôpital, c’est quasi Dieu le père, il donne du travail à plusieurs familles du quartier , c’est le seigneur du château, mon grand père lui fabrique des meubles d’ébénisterie, et on trouve plutôt rigolo que sa petite fille soit bleue. Une schroumphfette avant l’heure ? Les maladies en couleurs, on avait ça dans notre quotidien, la rougeole, la jaunisse, la rubéole, mais le bleu ?

Et puis … et puis voilà que la chanson repeint le tableau en couleurs moins rigolotes,

Un enfant bleu
Dans son berceau de bois blanc
Fermant ses yeux innocents
Meurt tout doux tout doucement…

Déjà, un enfant qui meurt, vu de nos 10 ans, c’est surréaliste, la mort c’est pour les vieux, et en plus, la fille du directeur de l’hôpital, comment envisager ça ? Ce n’était plus la mort de Mimi dans La Bohème, les morts d’opéra ou de cinéma, où on sait que c’est pas pour de vrai, et même quand c’est pour de vrai comme Jeanne d’Arc, c’est pas pareil, Jeanne est éternelle dans sa légende, comme Roland de Roncevaux ou Robin des Bois … Donc, voilà comment le principe de réalité est arrivé dans ma vie avec une chanson. Avec la guitare de Crolla, c’était rare une chanson à la radio en guitare voix … Les mots prennent une dimension de conte fascinant.

Quelques années plus tard, c’est aussi la radio qui m’apporte le negro-spiritual, qui me prend par cœur et par corps comme si j’avais des ancêtres esclaves en Louisiane . Ça ne s’explique pas, c’est entrer de plain pied dans le monde de « La case de l’oncle Tom » mais les couleurs pastels du conte deviennent rouge sang dans un carrousel d’images un peu floues, et puis tout devient concret, cruellement concret avec les premières chansons de Dylan, des chroniques sauvages présentées avec un humour acide, ou un dépouillement terrible, comme « La ballade de Hollis Brown »


* Tirée comme Hollis Brown d’un fait-divers réel, cette chanson est sans doute la plus désespérée de cet album. Elle illustre le racisme ambiant dans le sud des Etats-Unis au début des années soixante, mais aussi un thème récurrent chez Dylan, le peu de confiance accordée aux juges, et aux pouvoirs en place en général.

NB: il est assez fréquent depuis quelques années de gloser ou ricaner sur Aufray et Dylan, mais les faits sont têtus, en 1964, c’est lui  qui fait connaître Dylan en France, même si une ou deux chansons avaient été enregistrées un peu avant par des chanteurs adaptant des tubes américains devenant « une chanson de Richard Anthony » .  Pour le grand public la découverte d’un album entier consacré à Dylan a été une révélation. Et dans ces années de variétés yé-yé, les textes  corrosifs de Dylan donnaient un autre regard sur nos amis ricains… Dernier point, contrairement aux précédents interprètes de Dylan, Hugues Aufray a vécu aux USA, à New-York, où il a connu Peter Paul and Mary, et Bob Dylan  à Greenwich Village. Et pour les adaptations, faites avec Pierre Delanoë, chaque traduction a été validée par Dylan et ses avocats.  Delanoë était réticent en raison de son anglais scolaire, et il demandé à Aufray de travailler avec lui, Aufray maîtrisant mieux le langage populaire américain. Ils ont fait un erreur avec Tambourine man, dans l’argot de New York, c’est le dealer qui vient frapper à la porte. Aufray ne le savait pas, et ils traduisent par,

  • Hey ! Monsieur L’homme orchestre
    Joue moi ta chanson
    J’ai pas sommeil
    Et la vie me mèn’seul’ n’importe ou
    Hey ! Monsieur L’homme orchestre
    Fais chanter mes nuits
    Dans cet’jungle-monnaie
    Emmèn’moi loin d’ici

Hey! Mr. Tambourine man, play a song for me..

La traduction est partie sur l’idée que la musique ouvre des « espaces de rêve »  alors que Dylan évoquait d’autres vecteurs pour ces voyages oniriques. Mais la traduction l’a amusé, et  il l’a validée. Le sujet étant moins sensible que la mort solitaire de Hattie Caroll, l’adaptation a été acceptée, la même chose n’aurait pas été possible pour Hattie Caroll.

Norbert Gabriel

Aufray a chanté Dylan…

25 Août

Comment naissent les légendes ?

Et comment naissent les dénigrements …

Photo ©Tony Frank 1964

Depuis quelques temps je lis sur ma page FB des communications ou des partages dont le fond et la forme risquent fort de provoquer un coup de balai salutaire… Parmi ces dénigrements c’est Hugues Aufray qui est souvent la cible avec son album Aufray chante Dylan. J’ai lu que c’était une légende et qu’avant lui Dylan était chanté en France, souvenirs « précis » à l’appui. N’ayant pas la mémoire qui flanche sauf parfois pour ce qui s’est passé hier matin, les années 60 et suivantes sont y gravées fidèlement surtout en matière de chanson. Ces années-là, c’est la déferlante des néo rockeurs aux noms anglicisés et légendes bidonnées qui adaptent la plupart du temps des succès américains parolés en français avec plus ou moins de talent. Parmi eux Richard Anthony qui, dans ces années, a constamment adapté les succès de variétés US. Et parmi ceux-ci, il interprète dans la foulée Blowing in the wind (traduit par Pierre Dorsey) que Peter Paul and Mary ont vulgarisé en en faisant un tube. Anthony s’y colle en 63/64 sans jamais faire une quelconque référence à Dylan.

Dans ces mêmes années 61/64  Hugues Aufray qui a passé du temps aux USA (un an en 1961) où il a connu Peter Paul and Mary, a aussi entendu Dylan. Et de retour en France il envisage de lui consacrer un album. Avant 1960,  Aufray a commencé à chanter en interprète , Gainsbourg,  il est un des premiers a graver Le poinçonneur des lilas, Vian, Michel Vaucaire, Moustaki, (Le jugement dernier)  Michèle Senlis, Kurt Weil, Trenet , Carmichael (Georgia...) et d’autres américains.

Pour ce projet Dylan, il demande à Pierre Delanoë de traduire, mais Delanoë n’est pas sûr de son anglais scolaire, et il travaille avec Aufray, qui a passé un an à New York et connait mieux  le langage populaire. Dans ce projet soumis à Dylan, ils s’engagent à envoyer chaque traduction pour validation, ce que feront Dylan et ses avocats. Ces faits ont été rapportés par Delanoë qui avait en général la modestie enthousiaste sur ses travaux. Il remet bien les choses en place sur qui a fait quoi.

Une seule chanson a un sens différent de l’original, Tambourine man, mais Dylan a laissé faire, l’essentiel des autres traductions le satisfaisait. C’est donc en 65 que sort l’album Aufray chante Dylan… et si Blowing in the wind était connu avant, c’est quand on a entendu  La ballade de Hollis Brown  ou   La mort solitaire de Hattie Carroll  que les français, en général, ont compris la réelle dimension de Dylan. A qui Hugues Aufray rendait hommage dans les concerts ou les émissions radio-télé… Je ne me souviens pas que Richard Anthony ait parlé de Dylan et de son importance dans la chanson qui raconte la vie rugueuse, et les zones sombres de l’american way of life.

Pour mémoire, la mienne, la première fois que j’ai entendu Aufray c’était avec San Miguel, une chanson de Jane Bowers adaptée par Michel Vaucaire sur une musique de D (Dave?) Bowers, une chanson assez dylanienne… C’était en 1960 ou 61.

Lorsqu’Hugues Aufray prépare ce projet, il est suffisamment connu pour mener à bien cette affaire ambitieuse et imposer un album entier avec quelques chansons pas très propices à faire danser les teen agers dans les surboums. Comme les deux ci-dessous .

Ajoutons que dans les sons néo french rock hallydesques, les couleurs musicales du skiffle group apportaient un souffle vraiment nouveau …

 

et la chanson qui m’a bouleversé autant que Nuit et brouillard,

 

Et pour compléter quelques minutes d’entretien récent pour bien comprendre qu’une adaptation de chansons américaines sont mieux traduites quand le traducteur est aussi un musicien, c’est pas Sarclo qui dirait le contraire … Et Dylan non plus quand ils évoquent la traduction de « Like a rolling stone » et le sens du texte, quand Aufray traduit  « How does it feel / How does it feel » par « Où vont ces files / Ces sans-domicile » ce n’est pas une assonance douteuse, mais comme le dit Dylan, c’est l’esprit de la chanson.

 

 

Et pour mes souvenirs San Miguel version originale intégrale avec intro parlée

 

 

 

PS : à lire aussi René Troin  Dylan, comment ça se dit en français ?

clic ici –> 

Thats all folks.

Norbert Gabriel

26/8/2019 NB:  le commentaire ajouté ci-dessous précise sans équivoque ce qu’il  en est .

Histoires de chansons et cauchemars…

4 Mai

Il y a quelques mois, un humaniste un peu particulier a dit que l’esclavage n’avait pas que du mauvais, et que les africains déportés et importés comme bois d’ébène au Nouveau Monde étaient en quelque sorte partis pour trouver un monde meilleur. C’est un point de vue qui n’est pas tout-à-fait partagé par tout le monde. Bien sûr, on doit à ces déportations la naissance du jazz, mais c’est quand même cher payé… Les temps changent chantait Dylan vers 1960.. sans doute, mais tout ne change pas aussi bien que ça… Quelques faits divers récents ont mis à la une la légitime défense préventive qui permet à des policiers US de tirer dans le dos d’un individu qui n’a pas d’arme (mais en général afro-américain) … Quelques chansons pour faire le point ? Les temps changent ou pas ?

Melody Gardot vous raconte une partie de l’histoire d’Emmett Till, si vous avez le cœur bien accroché, demandez la suite à mister Wiki…

Auparavant Dylan lui avait consacré une chanson, (chantée aussi par Joan Baez)

Là-bas dans le Mississippi il n’y a pas si longtemps
Un jeune homme de Chicago franchit un seuil de sudiste
La tragédie terrible de ce garçon, je m’en souviens encore
La couleur de sa peau était noire et il s’appelait Emmett Till

This song is just a reminder to remind your fellow man
That this kind of thing still lives today in that ghost-robed Ku Klux Klan
But if all of us folks that thinks alike, if we gave all we could give
We could make this great land of ours a greater place to live.

….

Il y a eu d’autres chansons qui ont fait état de cette tragédie, pour une bonne raison, elle a été  l’origine de la création du mouvement afro-américain des droits civiques.

Les détails de l’histoire d’Emmett Till, et l’horreur, ici, clic sur la photo.

 

Merci à Pascale Gabriel  qui est à l’origine de cette chronique.

Norbert Gabriel

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