
Ce n’était pas la première fois que mes pas s’arrêtent à un concert des Sans Additif dans les rues de Luxey. Le groupe girondin est en effet un des habituels du festival, et depuis une vingtaine d’années revient régulièrement animer les soirées de Musicalarue, poursuivant son chemin, loin des expositions médiatiques, en complicité avec un public fidèle, qui s’agrandit, génération après génération. Qu’on flâne quand les rues du village ou galope d’une scène à l’autre, arrêter ses pas soudain, au son de quelques instruments acoustiques et à la vue d’un attroupement de gens, semblant indiquer qu’ici, il se passe quelque chose de sympathique, s’y attarder et se poser pour rester écouter des artistes jusqu’au bout de leur concert, c’est pour ainsi dire toujours un retour à l’essence de ce qui nous fait aimer la Chanson et les chansons : la générosité de la musique. C’est souvent ce que permettent les concerts d’artistes de rue : retrouver un lien à la Chanson très simple et authentique, léger et à la fois intense et dense, et par le partage qu’on en vit avec celles et ceux qu’il fédère, un lien humain honnête aux autres. C’est toute la magie que l’accessibilité du beau implante dans nos cœurs et sème dans notre quotidien. Les bien nommés Sans Additif, et bien que le choix du nom provienne d’un jeu de mots relatif aux prénoms des deux fondateurs – Nico (clarinette, accordéon, chant) et Laurent (guitare, chant), d’où « Sans Additif, Nico Laurent »- sont, en ce sens, avec leur poésie, leur fantaisie et leur humour, de ceux qui redonnent vie à la vertu initiale de l’expression musicale, et rendent justice au métier de chansonnier. Le duo devenu trio, avec l’arrivé de Franck à la basse et au ukulélé-basse, joua plusieurs soirs de suite les titres de son dernier et troisième album « Noces de Plastoc », ainsi que quelques des chansons du patrimoine populaire francophone, interprétées de concert et en chœur avec le public, dans ce genre d’ambiance chaleureuse et interactive qui donne le sentiment d’un public de copains venus voir jouer leurs copains. Avec une âme de saltimbanques qui ne se prennent pas au sérieux et rigolent bien, les trois musiciens néanmoins inventifs, chevronnés et passionnés, ont accepté de nous accorder un entretien pour parler de leur groupe.
– Bonjour et merci de nous accorder un entretien. Comment est né l’aventure de votre groupe ?
– Nico : On s’est rencontrés en septembre 2000. Laurent avait un groupe de Rock qui s’appelait Ici Même, et moi, je jouais dans un groupe de chanson française nommé le Quintet à Claques. Chacun de ces groupes faisait peut-être cinq ou six concerts par an, pas forcément payés. On a réfléchi ensemble à une solution pour pouvoir en faire plus, devenir professionnels et vivre de la musique. On a créé le duo comme ça. Au début on pensait plutôt faire des chansons pour les enfants.
– Laurent : On cherchait des voies pour pouvoir se « vendre » entre guillemets. Moi j’avais travaillé dix ans dans des écoles primaires à faire des animations pour les petits, donc c’était un réseau que je connaissais et je savais qu’il y avait de la demande pour ça : transporter de la chanson française dans les écoles. On a fait quelque fois des médiations, des ateliers d’écriture avec des écoles.
– La transmission de votre passion aux générations du futur est-elle une dimension importante du sens de votre activité, à défaut de parler d’activisme ?
– Frank : C’est intéressant d’expliquer aux enfants les différentes phases du métier d’artiste, entre écrire une chanson, monter sur scène, régler sa sono, vendre sa création. C’est très complet pour les enfants. Ces deux là ont cette proximité pédagogique, comme tout le monde a enseigné, entrainé des chorales ; ça permet de faire des débordements sur ce genre d’interventions en milieu scolaire. Ce n’est pas ce qu’on fait le plus bien sûr, mais les mairies, les médiathèques, les écoles, sont très demandeuses d’avoir ce type de médiations.
– Nico : Ce sont des leviers. Il faut savoir le faire. L’idée n’était pas de faire des chansons pour enfants, mais d’amener les chansons aux enfants. On a fait aussi une petite tournée des maisons de retraite dans les Landes, organisée par Musicalarue.
– Laurent : Moi je suis intervenu dans des prisons durant six ou sept ans ; ce sont des choses qu’on connait aussi.
– Nico : Et puis, en 2001 on a été embauchés au Parc du Bournat en Dordogne, qui est un village de reconstitution années 1900 pour jouer de vieilles chansons françaises. On jouait tous les jours de midi à 18h, avec une heure de pause. On a appris le métier comme ça, en faisant cela durant quatre ans. C’était super, artistiquement et financièrement, mais on en a eu un peu marre de ne jouer que des reprises, et de faire essentiellement des animations. Donc en 2005, on s’est mis à écrire nos propres chansons. Et là, ça n’a pas manqué : on a cessé de faire des concerts! Oui, parce que les gens nous connaissaient en animation, et ce qu’ils voulaient, c’était ça : des reprises de succès populaires.
– Laurent : On s’est cherchés pendant deux-trois ans.
– Nico : Et voilà, on a fini par trouver notre formule : on mixe, on fait deux ou trois reprises si on en a envie, et on joue nos chansons.
– Laurent : On essaye de faire en sorte que nos compositions soient dans le même esprit que les reprises, car le but du jeu c’était de continuer à chanter avec les gens, d’avoir beaucoup d’interaction avec le public. C’est ce qui est compliqué avec des chansons que les gens ne connaissent pas. On a quand même réussi à faire en sorte que les gens puissent chanter des refrains ou faire les chœurs, et à fédérer autour de nos compositions.
– Le fait d’avoir une expérience d’artiste de rue vous a-t-il permis une aisance dans le rapport au public?
– Nico : Seul Franck en a une, mais ta question marche aussi avec l’animation effectivement. C’est la proximité avec les gens, faire en fonction des gens. La scène, avec une distance imposée entre le public et les artistes, ce n’est pas du tout le même métier : tout est rodé, avec le son, l’éclairage ; tu fais tout le temps la même chose. Là, quand on joue devant Le Cercle [NDLR le bar de Luxey], on ne sait jamais à l’avance quel morceau on va jouer ensuite.
– Laurent : Lorsqu’on joue sur de grandes scènes, on a une liste planifiée de chansons. Là, quand on joue en rue, on improvise en fonction de ce qu’on ressent, de l’idée qu’on a, de ce qu’on voit face à nous, ce qu’on peut planter ou pas avec les gens, selon l’humeur.
– Comment Frank a-t-il rejoint le duo?
– Nico : En 2017, donc après quinze ans de vie commune, le couple s’est un peu lassé. Donc on a été obligés de mettre un peu de piquant ; c’est comme cela dans toutes les histoires d’amour. On s’était mariés en 2012, c’est-à-dire avant que le mariage homo soit légal, avec un vrai maire, à Créon. On avait fait un mariage un peu à la Le Luron et Coluche, tu vois. Les Astiaous [fanfare Louis Astiaous, habituels de Musicalarue] sont venus faire la cérémonie. Et donc en 2017, on a décidé de mettre un peu de piquant en intégrant Franck, la blonde d’Aquitaine, à la basse. Il est vrai que pour développer le groupe, on nous avait plutôt conseillé de prendre une jeune femme chanteuse.
– Franck : Là, t’as une petite grosse à la basse!
– Nico : Voilà… L’idée était de devenir un trio, mais on se connaissait depuis vingt ans, on ne pouvait pas prendre n’importe qui.
– Laurent : C’était pour amener autre chose. Avec la basse de Franck, on va un peu plus dans des sonorités graves. Ça change la dynamique, l’amplitude du son, on a tout revisité.
– Franck : Il est vrai qu’avec Laurent et Nico, nous nous connaissons depuis plus de vingt ans, et j’avais toujours eu de l’admiration pour leur spontanéité et l’énergie artistiques. Alors quand ils m’ont demandé, j’étais content.
– Nico : Un rêve s’est réalisé!
– Franck : Même dans nos amitiés, c’est comme si on avait rajouté une couche en plus, et je trouve cela assez touchant.
– Nico : Qu’est-ce qu’il nous arrive?
– Musicalarue est un rendez-vous que vous perpétuez depuis près de vingt ans. Quel rapport avec-vous avec ce festival ?
– Laurent : Il y a un fil conducteur important pour nous, c’est Musicalarue. On revient depuis vingt ans ici. L’association nous a toujours soutenus, même permis d’avoir des dates sur d’autres projets dans le Sud-Ouest, par contact. C’est aussi tous ces soutiens-là, ces réseaux qui font qu’on a tenu, car c’est rare, des groupes qui tiennent plus de vingt ans.
– Nico : Même Simon et Garfunkel, ils n’ont pas tenu aussi longtemps! Même les Innocents. Ou Java. Ils se sont tous déformés, avant de se reformer un jour.
– A part vous, il me semble qu’il n’y a que les Stranglers qui aient tenu si longtemps…
– Nico : On a tous aussi d’autres projets pour vivre, ce qui fait qu’on n’est pas tenus d’accepter toutes les animations proposées ni contraints de faire des trucs un peu plus chiants. Laurent a une autre formule, et nous, on joue souvent avec le chanteur-humoriste Wally, qui est venu à Musicalarue également. C’est une histoire très forte ; les gens de Musicalarue sont devenus de vrais amis. Nous avons joué pour le mariage de la fille de François Garin, le président. Il y a des liens humains qui se sont tissés. Et puis ce sont des rencontres : par exemple Sans Additif ne serait pas Sans Additif si on n’avait pas rencontrés les Astiaous. Ils nous ont d’ailleurs invités pour leurs 47 ans.
– Franck : Et puis avec le public de Musicalarue, j’ai l’impression que bientôt, les jeunes vont connaitre les chansons que leurs parents ont apprises.
– Nico : Oui, on a des chansons assez familiales comme « Eh papa » qu’on avait écrites il y a une vingtaine d’années autour de notre premier public, parce qu’on a des gosses aussi, et c’est bluffant de voir maintenant les enfants de cette génération venir chanter les mêmes chansons que leurs parents.
– Dans quelques années, se peut-il de vous voir faire un concert ici à la Hugues Aufray devant quatre générations de mêmes familles ?
– Nico : Ce serait terrible! Hier j’ai vu Nadau, 75 ans. Il avait une voix impressionnante. Et c’était pas du tout ringard ; ça sonnait super bien, la cornemuse, la vielle, le son. Impressionnant. Moi qui voulais arrêter ce soir….
– Mais non, il y a les Vieilles Charrues après. N’avez-vous pas prévu d’y jouer?
– Nico : Mais les Vieilles Charrues, c’est loin. Et puis c’est surfait… Je rigole. C’est un des rares festivals qui doit faire partie des réseaux avec Poupet, Albi et d’autres, qui ne sont pas encore rachetés, qui sont gérés par des associations qui résistent encore. Pas comme Garorock ou d’autres qui utilisent le bénévolat, captent des subventions, et cassent le marché en plus, en exigeant des exclusivités aux artistes qui s’y produisent, contre gros cachet sur lequel les autres ne peuvent pas surenchérir, qui rendent les choses très difficiles pour des festivals comme Musicalarue. C’est pour ça que les prix des têtes d’affiche ont doublé en cinq ans, à cause de ces pratiques. Donc les festivals à budget plus modeste ne peuvent pas s’aligner. Les tourneurs augmentent les tarifs à souhait, les assureurs aussi et la plupart des festivals et lieux de spectacles ne rentrent plus dans leurs frais et voient leur existence menacée. Cela va avoir des conséquences catastrophiques.
– Laurent : Alors que nous… On ne signe pas d’exclusivité, on n’est pas assurés, on joue partout. Et on est mieux payés que l’an dernier en plus ici!
– Franck : C’est cela aussi l’engagement de Musicalarue, un des rares qui promeut les artistes émergents, jeunes, moins jeunes, peu importe, mais il y a un réel effort de soutien aux artistes fait.
– Nous voilà rendus au sujet politique, puisque le propos politique n’est pas absent de vos chansons, mais que vous l’abordez toujours avec un angle humoristique. Le recours à la dérision est-il pour vous un outil de pertinence ou plutôt de bonne humeur?
– Laurent : L’humour n’est pas forcément dans nos chansons. C’est plus dans la communication qu’on a avec les gens. Il y a un clown, là.
– Nico : Et après tu peux faire passer un engagement en ayant de l’ironie et du second degré dans l’écriture. On a une chanson qu’on voulait appeler « Serrer la ceinture » sur la politique de Macron, puisqu’on explique toujours aux pauvres que c’est à eux de se serrer la ceinture.
– Laurent : Après l’idée c’est quand même de rester dans le positif et l’optimisme. On ne va pas faire des chansons engagées plaintives ou même revendicatives et donneuses de leçon. « La voisine » par exemple est une chanson qui fonctionne super bien, parce que le refrain, qu’on chante avec le public, démystifie le drame. Les trois quart du temps, on écrit à quatre mais avec Nico. On va se poser au bord de l’eau et on passe quelques jours à écrire.
– Nico : Et à boire du rhum. On parle toujours des méfaits de l’alcool ; jamais des avantages. Ça désinhibe, ça aide à écrire et trouver des rimes.
– Vous mentionniez plus tôt des expériences à la rencontre de publics différents : enfants d’écoles, anciens en maison de retraite, détenus en prisons. Qu’est-ce que cette diversification vous amène en termes d’ouverture d’esprit?
– Laurent : Normalement tout ce que tu fais t’enrichit! Et nous, on ne joue pas qu’avec Sans Add, et je pense que c’est ça qui fait notre force ; on va se ressourcer ailleurs.
– Nico : C’est ça, le secret. On ne peut pas faire que de la scène ou que du conservatoire, comme certains musiciens le font, et qui fait qu’après ils n’ont plus grand-chose à raconter.
– Laurent : Quand tu vas en prison, tu rencontres des gens que tu n’aurais jamais rencontrés autrement, qui parlent parfois de leur musique à eux ou leur rapport à la musique, d’ailleurs. Je me rappelle des discussions sur Johnny Hallyday. Moi, en bon bobo, je me fichais un peu de Johnny, mais pour les gars c’était très important ce que ses chansons leur apportaient : ils t’expliquent que ça les sauve, et donc effectivement tu es obligé de regarder cela. Et ce sont eux qui ont raison ; ils ont compris plein de choses que nous, en intellectuel sans recul, n’avons pas forcément comprises sur la chanson. Pour eux, la musique, ce n’est pas que des paroles et des notes ; c’est le sentiment d’être compris. C’est ce qu’ils te disent : ils écoutent Johnny, parce que lui, il comprend les prisonniers.
Miren Funke
Photos : Carolyn Caro, Miren
Pour les suivre —>
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