

Anna Prucnal au Forum Léo Ferré décembre 2010
C’était peut-être sa dernière représentation… Anna Prucnal comédienne et chanteuse hors du commun est venue faire ses adieux à la scène chanson au Forum Léo Ferré, enfin peut-être… Ce sont peut-être les derniers adieux, ou les avant derniers.. Allez savoir avec cette diva exigeante et fantasque qui a toujours mis son art au coeur de sa vie. Exigeante et fidèle, depuis pas mal d’années tous ses spectacles sont élaborés en collaboration fusionnelle avec Jean Mailland.
Pourquoi les adieux ? Peut-être parce qu’elle a tout fait, peut-être parce que sa voix n’a plus les éclats d’hier, mais grâce à une technique parfaite, une hyper sensibilité et un sens du texte très affiné, elle porte les mots avec une intensité émotionnelle exemplaire. C’est un moment de spectacle rare, et une leçon de spectacle exceptionnelle. On redécouvre avec la voix retenue les textes de révolte et de rage qui prennent une dimension nouvelle avec ces nouvelles interprétations.
Dans les 2 ou 3 premières chansons, on sentait qu’elle souffrait de cette retenue, mais très vite la comédienne prend ses marques, s’affranchit de la contrainte, c’est bouleversant, intense, ça touche en plein coeur, et dans cette petite salle chaleureuse, il y a une intimité , une proximité qui nous a laissés en totale communion avec Anna Prucnal, Jean Mailland, et l’excellent pianiste Martial Paoli
En quelques chiffres, Anna Prucnal, c’est 22 albums de chansons, 26 films , 15 téléfilms, 38 pièces de théâtre et 40 ans d’amour avec Jean Mailland …
Et si ces adieux étaient vraiment les derniers, mais sait-on jamais ? il y a un livre « Moi qui suis née à Varsovie » et quelques albums d’anthologie, où on croise Brecht, Vissotski, ces poètes flamboyants qui ont trouvé avec Anna Prucnal leur meilleure interprète , celle qui ne joue pas, mais qui incarne dans toutes les fibres de son être les sentiments exacerbés de ces oiseaux insoumis… Pourquoi elle vient trop tôt la fin du bal Pourquoi c’est les oiseaux jamais les balles qu’on arrête en plein vol.. A qui la faute ?
… Il écrivait comme on se sauve d’un piège
faute au soleil faute aux tourments
mais comme il prenait pour papier la neige
ses idées fondaient au printemps
et quand la neige recouvrait sa page
faute aux frimas faute à l’hiver
au lieu d’écrire il essayait courage
d’attraper les flocons en l’air
mais aujourd’hui il est trop tard
il n’aura pas pris le départ
et son souvenir ne sera
que la chanson d’avant la lutte
et l’évadé qui n’aura pas atteint son but
(Vladimir Vissotski: « Le vol arrêté »)
C’était le 18 décembre 2010 , au Forum Léo Ferré à Ivry
(Clic pour agrandir)
Norbert Gabriel
Puisqu’il est question de votation prochaine pour refaire la chambre de nos chers élus, ceux qui sont, disent-ils, près du peuple, et de ses soucis quotidiens, il est peut-être opportun de leur rappeler quelques points de détails en ce qui concerne la culture… On n’ira pas jusqu’à leur demander de
Mettre un bicorne à la romance
Et la mener à l’Institut
Avec des orgues et que ça danse
La poésie est dans la rue !*
mais de répondre à quelques bonnes questions, et, rêvons un peu, d’apporter de bonnes réponses.
Quand on proposa à Winston Churchill de couper dans le budget de la culture pour aider l’effort de guerre, il répondit tout simplement :
« Mais alors, pourquoi nous battons-nous ? »
Nous ne sommes pas vraiment en guerre, ou sous des formes différentes de celles qui ont ravagé l’Europe, mais si nous demande pourquoi se battre, il y a de quoi faire..
Tout ce qui dégrade la culture raccourcit les chemins qui mènent à la servitude. Albert Camus
Je relaie donc volontiers cette réflexion de Raoul Bellaïche, qui donnera du grain à moudre dans les soirées de propagande électorale, en attendant les lendemains qui chantent… Quoi ? On sait pas encore, mais entre Le temps des cerises, et La Carmagnole, le choix est vaste. A vos diapasons pour que ça sonne juste et fort.
(N Gabriel)
…
Ceux qu’indigne le silence assourdissant des candidats à la présidentielle sur la « culture » croient la défendre en invoquant son « poids économique » et/ou le « lien social » qu’elle crée, la réduisant à un moyen, ne se rendant pas compte que c’est cette réduction même qui est la cause de son déclin.
Si c’était son « utilité » qui justifiait son existence et sa protection, la « culture » aurait disparu avec les dinosaures. L’ordre de l’utilité est celui des moyens, et l’ordre de la culture celui des fins, qui apparaît avec l’homme, lequel, à la différence de l’animal, ne se contente pas d’exister passivement mais entend donner un sens, une direction, à sa vie, autrement dit devenir. La culture est la nourriture de l’esprit, de sa quête de sens, de son dynamisme créateur, l’aliment de la créativité, qui a décliné, comme par hasard, avec elle.
La culture a cessé de nous intéresser en même temps que l’avenir : son déclin est parallèle à celui de l’espérance, de la prospective, de l’imagination, de l’audace, du courage ; elle décline depuis que nous craignons l’avenir au lieu de l’aimer, que nous l’attendons au lieu de le faire.
La culture redeviendra notre préoccupation principale quand nous sortirons de notre torpeur, de cette résignation suicidaire dans laquelle nous a plongés le matérialisme, qui, réduisant la vie aux moyens d’existence, a fait de l’économie et de la technologie les agents principaux de notre destinée, nous dépossédant ainsi de notre libre-arbitre et de notre destin.
Raoul Bellaïche
Et pour épicer les débats de quelques bonnes paroles, voici quelques témoignages en situation.
L’imagination est plus importante que le savoir. Albert Einstein
La culture ne s’hérite pas, elle se conquiert. André Malraux.
Dans des temps de tromperie généralisée, le seul fait de dire la vérité est un acte révolutionnaire. George Orwell
La difficulté n’est pas de comprendre les idées nouvelles, mais d’échapper aux idées anciennes. John Maynard Keynes
La culture est un antidote à la violence, car elle nous invite à la compréhension d’autrui et féconde la tolérance, en nous incitant à partir à la rencontre d’autres imaginaires et d’autres cultures. Renaud Donnedieu de Vabres
La culture est la possibilité même de créer, de renouveler et de partager des valeurs, le souffle qui accroît la vitalité de l’humanité. (…) Proverbe africain
Une preuve infaillible de la supériorité d’une nation dans les arts de l’esprit, c’est la culture perfectionnée de la poésie. Voltaire
Je trouve que la télévision est très favorable à la culture. Chaque fois que quelqu’un l’allume chez moi, je vais dans la pièce à côté et je lis. Groucho Marx
*Vous aurez reconnu Léo Ferré, avec Les 400 coups,
Raoul Bellaïche est, entre autres, l’éditeur de la Revue Je Chante.
Lundi 15 Août, France Inter a consacré son émission Le téléphone sonne à la chanson, avec un angle Poésie et chanson française, Et s’il y avait un après à Saint-Germain-des-Prés ?
Avec en invité virtuel si on peut dire, Allain Leprest, et en invités réels, Romain Didier, Bertrand Dicale et Daniel Nevers.
L’éclairage apporté par les différents intervenants peut se résumer en quelques mots: sur l’éternelle question des médias obtus qui ignorent les valeurs de leur temps -Leprest dont Claude Lemesle a dit qu’il était le Rimbaud de la chanson – un des invités a rappelé que Rimbaud en son temps a vendu un nombre ridicule de ses poèmes édités. Leprest a eu un peu plus de succès sur ce plan, mais sans atteindre le « grand public ». Et il est le plus connu des chanteurs inconnus .
Sur les grands malentendus de la chanson, Boby Lapointe. Extra marginal devenu culte quelques années après sa mort, outre l’ésotérisme un peu surréaliste de ses chansons, il faut aussi rappeler ce que dit Brassens qui l’a soutenu sans réserve, sur le plan métier, Lapointe, c’était le farfelu absolu, Brassens étant passé au début d’un gala, lui, la tête d’affiche, parce que Boby avait raté l’heure, ou l’adresse, ou la date…
C’est aussi un point qui concerne d’autres artistes dont le manque de rigueur sur le plan organisation ou entourage, a été une des raisons de l’échec dans la reconnaissance grand public de leur vivant. Pour Allain Leprest, c’est depuis les années Pascalis que la reconnaissance arrive avec un nombre d’albums et de spectacles hommages qui lui rendent sa juste place dans la scène chanson. Longtemps avant Alain Brisemontier s’est battu corps et âme, et entre temps, quelques « amis amateurs» se sont dévoués, l’un ayant créé le Prix Alain Leprest (!!)… Après sa mort… La vie d’artiste, c’est aussi un métier qui a des exigences, un minimum de rigueur. Et sur ce plan le génial Boby n’était pas le meilleur exemple.
Bon, finalement, le mieux est d’écouter cette émission, ça dure 40 mn, et puis une émission sur France Inter où on entend Romain Didier, et aussi un auditeur qui cite Marc Havet, c’est comme un miracle d’été et de 15 Août.
Norbert Gabriel
En bande son, on peut écouter…
C’est beau, n’est-ce pas ? Oui… mais quel rapport entre le Fuji Yama et l’album Hors cadre de Mathias Vincenot ? J’explique, imaginez que vous sortez de la forêt, en bas de l’image, et vous découvrez ce paysage extraordinaire, cette montagne suspendue entre le ciel et la terre… Si tout ce qui vous vient à l’esprit est « C’est beau », vous avez immédiatement conscience que vos mots ne sont pas à la hauteur de la situation. Je ne parle de l’altitude relative mais de cette beauté qui vous éblouit et vous envahit tout entier.
Voilà ce que j’ai vécu en écoutant Hors cadre, une sorte de sidération irradiante. J’entends Savinien qui murmure, c’est un peu court, jeune homme… Bon, d’accord. Procédons par étape. En un temps déjà ancien, j’étais en effet jeune, 10 ou 11 ans, la poésie m’a pris par cœur et par corps avec « Demain dès l’aube... » Trois strophes, douze vers, qui disaient avec des mots simples, limpides, toute la détresse d’un père, et du bas de mes 10 ans, je l’ai vécue cette détresse, avec ces vers… En ce temps, à part la mort des lapins, la mort m’était étrangère.
Il y eût aussi en chanson, un autre choc du même genre, avec Actualités, chantée par Montand, une partie de la chanson évoquait un drame concernant un enfant, et j’avais le même cas– la maladie bleue- à côté de chez moi. En quelque sorte j’étais dans la chanson.
Ce sont des situations où les mots vont au plus profond de l’intime, en débusquant parfois des émotions insoupçonnées. Quand Mathias Vincenot écrit « Le testament du vieil homme » j’ai le sentiment qu’il m’a radioscopé, et je suis bien certain que pas mal d’auditeurs de tous âges auront la même sensation pour d’autres poèmes, les poètes sont dangereux parfois, ils entr’ouvrent des portes dérobées, suscitent des traversées du miroir, mais le risque vaut le coup.
Voilà ce que j’ai ressenti, c’est personnel, ou abstrait, ou abscons, peut-être, mais regardez simplement le Fuji Yama, ça devrait vous éclairer sur la grâce, la puissance, la beauté, la sensibilité de cet album extra-ordinaire, et unique en son genre. Pour la forme, il est constitué de 21 textes en duo avec l’ensemble DécOuvrir sous la direction d’Etienne Champollion, un poème dit par 53 artistes, et 3 poèmes chantés.
… Retrouver le chemin et rattraper au vol ce qu’on croyait perdu…
Et on le trouve où ? Voir ici.
Distribué par EPM / Collection « Dire » dirigée par Bernard Ascal.
Norbert Gabriel