Tribu de douze musiciens, dont les couleurs sonores ont fluctué et se sont chamarrées, au gré des arrivées successives de membres la rejoignant (notamment de l’orchestre symphonique Josem), important chacun son instrument, Opsa Dehëli, n’a, depuis sa fondation il y a bientôt dix ans, par des étudiants du DUT d’Animation sociale et socioculturelle de Bordeaux, cessé d’enrichir une musique composite, dont l’éclectisme se nourrit des influences et références respectives de chaque musicien, et qui vagabonde, tel un voyage culturel aux sources aussi variées que les horizons qu’il croque et explore. De voyage, il est aussi question géographiquement, puisque l’aventure collective amorcée dans une optique ludique et festive a fini par trimbaler les douze camarades, évoluant en technicité et professionnalisant leur jeu dans la longévité, sur un parcours les amenant à faire danser d’autres publics, dans d’autres pays : Allemagne, Croatie, Estonie, Hongrie, Slovaquie, Lituanie, outre les scènes françaises. Un enregistrement live, « Uy Uy Uy ! » en 2016, auquel succéda en 2019 un premier album studio, « Resaca Bailón », chacun saisissant une photographie sonore d’un moment du groupe à l’esprit en constante fertilisation, précédait le tout récent « Troisième escale », disponible depuis quelques mois. Il s’y profilent une densité et une profusion de sources et d’énergies témoignant de l’amour des diversités et du mélange qui a vu la patte enjouée d’Opsa Dehëli pétrir un agrégat de musiques latino et sud-américaines (cumbia, mambo), de folklores balkanique et tzigane, de chanson créole, et de musiques méditerranéennes et proche-orientales (Grèce, Liban, Kurdistan). De son expérience de groupe d’artistes de rue et des diverses rencontres, lui vient sans doute la convivialité et l’aisance spontanée dans la communication avec le public, les publics d’ailleurs. Et ça tombait bien, puisque comme tout artiste présent au festival Musicalarue, Opsa Dehëli n’eut pas à partager ses compositions qu’avec un public d’habitués, mais également avec tout festivalier profitant de son passage à Luxey pour se hasarder par curiosité vers l’inconnu et l’imprévu et se laisser envouter peut-être. Et aller chercher et captiver des auditeurs non conquis et pas acquis d’avance, c’est précisément pour la formation un automatisme devenu élément indispensable du processus alchimique qui opère à chacune de ses dates. Quelques heures avant le concert, le groupe nous accordait un entretien.
– Opsa, bonjour et merci de nous accorder cet entretien. Votre musique a évolué au fil des années, au gré d’influences majeures variantes, des musique latino-américaines à celles d’Europe de l’Est, et le groupe a connu concomitamment des arrivées de membres. Vous disiez ne pas recruter les musiciens en fonction des instruments dont le groupe a besoin, mais plutôt composer avec les moyens du bord en quelque sorte, à partir des instruments qui intègrent la formation. Comment cela a-t-il influé sur l’évolution de votre musique?
-Jérôme : Au départ, nous sommes tous étudiants en DUT de Carrières Sociales. Damien faisait du djembe, je jouais de la clarinette, Adrien du saxophone, et puis on a commencé à composer avec les humains qui étaient là. C’était une animation socioculturelle, dans un cycle qui n’était pas musical. C’était une bande de copains étudiants au départ ; il n’y a jamais eu cet axe artistique là. On a amalgamé les copains qui jouaient aussi un instrument, comme Clochette avec ses steel drums. Donc c’était un peu une blague au départ. Puis quand on a eu finit notre DUT, on a continué à jouer. Et on s’est professionnalisés. Mais du coup ça explique que l’axe artistique soit ainsi. Les musiques que l’on compose ne sont pas forcément inspirées que des musiques d’Amérique latine ou des Balkans, mais de tout ce qu’on aime.
-Max : On prenait un peu tout. Il y a des histoires de morceaux qu’on a repris, qui sont lunaires. Au début on faisait tourner trois ou quatre morceaux, qu’on rallongeait à souhait. Je me souviens un jour où on jouait rue Sainte Catherine à Bordeaux, nous n’étions que trois et je me suis calé derrière un ordinateur, en trouvant un son que j’aimais bien, une chanson libanaise qui s’appelle « Bint el shalabiya » [NDLR Fairuz], qu’on joue encore aujourd’hui, et les deux autres se sont collés avec moi, et une heure plus tard on jouait la chanson. Mal, mais on la jouait. Au début on ne se prenait vraiment pas la tête, car on n’avait aucune attente de ça. On jouait à dix pour un cachet dérisoire, qu’on dépensait ensuite en bières pour payer un after aux copains du DUT. Et puis, petit à petit, on a eu envie, non pas de se professionnaliser, mais de faire quelque chose d’un peu plus propre et carré, et d’explorer aussi d’autres cultures, comme la Créole par exemple. C’est comme ça qu’on a construit une espèce de voyage où on va en Grèce, au Kurdistan, un peu partout.
– Jérôme : Il y a eu tout un côté technique aussi qui a évolué. Au départ nous jouions beaucoup en acoustique, avant de nous amplifier avec des micros et d’apprendre à travailler le son.
-Max : Ça vient aussi du fait qu’avec les instruments qui se sont rajoutés au groupe, plus que des instruments, ce sont surtout des personnes qui se sont rajoutées, et chacune avec ses influences musicales différentes. Moi, qui viens de la campagne, je n’étais pas dans un milieu où j’avais coutume de voir plein de concerts. Jérôme faisait déjà des festivals, et il m’a apporté sa culture, notamment de musiques latines. Moi, j’écoutais pas mal de trucs des Balkans, et il y a eu un échange, et chaque personne a apporté son énergie et ses influences, et c’est cela qui a créé le voyage. Et au final on kife tous la musique que l’on fait ensemble. Il y a 8 ans, je disais que jamais je ne chanterais en Créole ; je détestais ça. Et aujourd’hui, tous les ans j’arrive avec une pépite créole. Mais on évolue tous ensemble, et chaque année on grandit et enrichie notre musique.
-Gaël : Il faut quand même dire que l’Amérique centrale, les Caraïbes, l’Amérique du Sud, ce sont des musiques qui ne sont quand même pas les mêmes. Mais ce sont des musiques qui ne possèdent pas les arrangements avec les instruments dont on joue tous ensemble. Nous sommes douze avec douze instruments. Nous écoutons une mélodie, un air, qu’on veut reprendre, et nous créons les arrangements, en prenant plaisir à choisir qui va jouer quoi sur quelle partie et à quel moment du morceau, selon ce qui nous plait et selon la pertinence que ça a. Parfois on change la tonalité, le tempo, qu’on accélère ou ralentit, parfois on rajoute des paroles, on créé des parties qui n’étaient pas là, à la base, dans le morceau original. C’est toujours un régal de mettre en place des résidences.
-Pour ce qui est des reprises par exemple, est-ce plus facile pour vous de reprendre un air nu, sans arrangements instrumentaux et de tout créer en termes d’arrangements que retravailler et restructurer un morceau qui en possède déjà ?
-Max : En général le premier arrangement proposé lorsqu’on sélectionne un titre est assez ressemblant à l’original. Et puis on demande lequel d’entre nous voudrait proposer des choses. Si on s’aperçoit que le morceau ne laisse pas la place pour que les instruments s’expriment, on peut choisir de la créer. Et là on se fait des espèces de brain-storming. Lorsque je travaille un morceau, je l’ai parfois écouté mille cinq cent fois, je me le saigne, et l’ai gavé en tête et ne suis plus du tout assez objectif sur les arrangements. Donc les autres apportent des idées fraiches, et parfois on peut revenir dessus des mois après. C’est pour ça que très souvent à l’arrivée, notre version est très différente de l’originale.
-Gaël : On a plusieurs méthodes d’ailleurs ; il n’y a pas une méthode de travail prédéfinie. Cela dépend des morceaux, et il y a parfois des morceaux qu’on croirait simples et rapides à arranger et qui ne le sont pas tant, et inversement des morceaux plus complexes avec beaucoup de parties qu’on peut croire compliqués et laborieux à travailler et qui s’avèrent l’être moins. Il n’y a pas de mode opératoire.
-Max : A part double tampon.
– Qu’est-ce ?
-Max : « Double tampon », ça veut dire : c’est acté. Tant qu’on n’a pas dit « double tamponnage », c’est que ce n’est pas sûr, il peut toujours y avoir quelqu’un qui revient à la résidence suivante sur des parties à modifier. On peut passer un après-midi à se demander si on fait « pam » ou « padam ».
– Damien : On voulait être animateurs socioculturels, donc on aime bien se prendre la tête sur les prises de décisions collectives, pour que tout le monde se sente bien dans le groupe. Si une personne se sent lésée à moment donné, on ne peut pas valider.
–Max : Des fois on fait même des réunions pour préparer les prochaines réunions!
– Comme dans la chanson « La sécurité de l’emploi » des Fatals Picards ?
-Max : Exactement! C’est hyper bien. Mais évidemment, comme nous sommes nombreux, cela peut être énergivore. Sur scène, on oubli tout, on est dans une osmose entre copains. Mais il est vrai que là par exemple, durant la pandémie, on a enregistré un album, en même temps préparé un spectacle avec Gambeat, et continué d’arranger des morceaux, et on se voyait souvent ; donc ça a été des moments de travail où ça brasse. Des fois c’est long, très long. Mais c’est parce que, de par nos études, on a des méthodes de travail effectivement où chacun doit être entendu et avoir la place de s’exprimer.
-Damien : C’est peut-être pour ça qu’on a cette énergie sur scène aussi, et qu’après neuf ans on s’entend toujours bien.
–Gaël : Cette bienveillance ne vient pas de rien : si on peut avoir cette énergie et complicité sur scène, c’est grâce à ça.
– Il y a dans votre musique beaucoup de passages instrumentaux. Est-ce que l’instrumental prime pour vous sur le besoin de porter un message par des textes?
– Max : A la base, c’était carrément instrumental ; il n’y avait pas du tout de chant. Le chant s’est greffé petit à petit. Mais il n’y avait pas de volonté d’avoir des paroles engagées ou quoi que ce soit. Ce ne sont pas les textes qui portent le projet Opsa ; c’est vraiment plutôt l’amour du musical et du festif. Quand on met du chant, c’est plutôt pour apporter une autre couleur ; on utilise le chant vraiment comme un autre instrument mélodique. On n’écrit pas nos morceaux en se disant qu’on veut dire ci ou ça. On compose, et ensuite on ajoute ou pas des petites mélodies de chant.
– Gaël : Cela dit, c’est le rajout de ces quelques textes, car certains sont légers, d’autres plus sérieux, qui fait que nous portons aussi un message : le message de la fête, de la danse, de la communication.
– Vous avez joué plusieurs fois pour soutenir la cause de l’accueil des réfugiés, notamment un concert pour le Collectif des Migrants de Bordeaux (C.M.B) il y a quelques années, auquel je vous ai vus. L’engagement social, sinon politique, est-il aussi une dimension pour vous logiquement et intrinsèquement liée au message d’une musique telle que la votre?
– Max : Justement, ça, c’est dans la démarche. On a eu la chance de faire une résidence ici avec Gambeat, qui est l’ancien bassiste de Manu Chao. Et lui nous interpellait sur le fait que notre musique déjà en elle-même porte un message, même indépendamment des prises de paroles qu’il peut y avoir durant le set : est-ce que ce voyage musical très éclectique ne suffit pas déjà à exprimer un engagement? Et ensuite on est quand même politisés individuellement, et donc par nos actions ou les endroits où on va jouer, on est toujours partants pour défendre ces gens.
–Gaël : Enfin ça fait partie d’une démarche spontanée de groupe, de répondre à des appels. Mais ce n’est pas quelque chose qu’on met en avant. Je me souviens de ce concert, et c’était vachement bien. Ça nous fait voir aussi autre chose : ce sont quand même des moments particuliers, avec un public particulier. On ne peut pas comparer ça à une scène comme on va faire ce soir. Par contre nous sommes toujours dans l’échange musical et de danse, et sur scène, on se nourrit toujours de l’énergie.
– Par public « particulier », entendez-vous les associatifs et surtout les réfugiés eux-mêmes, parmi lesquels des gens à qui les musiques qui inspirent la votre sont familières ?
–Max : Je me souviens d’un autre concert, par loin de la Zone Libre à Cenon, et c’est vrai que c’était exactement le genre de lieu et de public qui correspondent à notre message et notre musique. Il y avait des gens de partout ; c’était l’auberge espagnole où chacun avait cuisiné un petit plat de chez lui ; plein de nationalités différentes se rencontraient, plusieurs générations différentes aussi. Et nous, on avait trop kiffé. On était sous un arbre. C’est là où on arrive à retrouver le contact et le partage.
– Sentez-vous également en écho une forme de réceptivité intuitive, comme elle a pu s’exprimer lors de concerts de Buscavida ou du Cri du Peuple devant des publics de réfugiés, qui n’étaient pas forcément locuteurs de la langue des chansons, ni ne connaissaient l’Histoire à laquelle elles se réfèrent, comme la guerre civile espagnole ou la Commune de Paris, mais étaient visiblement réceptifs à ce que la musique ou les élans du chant en eux-mêmes transmettent intuitivement comme message : la nostalgie, la combativité, l’espoir ?
–Gaël : La musique est un langage universel! Lorsqu’on joue de la musique, on parle la même langue finalement, oui.
–Max : Rien que de par les sourires, les regards, les attitudes. Là on revient de Lituanie par exemple, et des fois on essaye de communiquer un peu avec le public, sans savoir si les gens comprennent, mais par contre on voit bien qu’il se passe quelque chose, même si on ne se comprend pas. Et à la fin les gens viennent te voir, et tu comprends qu’ils ont passé un bon moment.
–Gaël : On n’a pas les mêmes codes de culture, en fonction des endroits où on va. Ce n’est pas parce que les Lituaniens sont plus froids ou stoïques qu’ils apprécient moins la musique, et chez eux le geste de danse va prendre beaucoup plus d’ampleur. Ce sont des cultures différentes de la notre, et c’est ça qu’on aime dans le voyage, qu’il soit musical ou géographique et culturel, quand on part en tournée.
– L’envie d’enregistrer une trace sur disque s’imposa-t-elle tôt ?
– Max : Ce sont les gens qui nous ont poussés à faire ça, car ils venaient à nos concerts, et bien souvent à la fin nous demandaient si on n’aurait pas un CD. On n’avait rien. Et puis nous avions chacun des niveaux musicaux très différents : moi, par exemple, je n’avais jamais fait partie d’une groupe avant, Jérôme venait d’une formation d’orchestre, Josem, Gaël avait une formation musicale, Adrien sortait du conservatoire. Donc on se disait que passer en studio serait forcément long, énergivore et anxiogène pour nous, et nous couterait de l’argent. L’idée d’enregistrer un live s’est imposée comme une évidence, et c’est notre premier album « Uy Uy Uy ! » qu’on a toujours. Cet album est un peu le souvenir de l’aventure humaine avec les copains.
–Gaël : Il marque aussi une époque. En le réécoutant aujourd’hui, c’est sur que nous sommes à mille lieues de ça. Dans l’énergie et la musique, on voit le message qu’on a envie d’apporter. Mais on n’a plus le même regard. Cela dit, on en est contents quand même. On n’a aucune gène ; c’est juste qu’on a évolué dans la musique. Et on aime bien marquer des points de notre évolution, comme avec notre deuxième album « Resaca Bailón » aussi, et notre troisième qui va bientôt sortir « Troisième escale », ou également en sortant régulièrement des clips. Ce n’est pas juste une stratégie de com. C’est aussi pour garder une trace, un souvenir.
– Comme une photographie de chaque époque ?
– Gaël : Oui, c’est bien imagé.
– Se synchroniser de façon toujours harmonieuse lorsqu’on joue à douze doit réclamer une attention scrupuleuse, afin de ne pas sonner en cacophonie. Votre jeu frappe par l’aisance et la fluidité, autant dans la complicité que vous avez entre vous, que dans l’échange et la communication avec le public. Diriez-vous que c’est d’avoir joué dans les rues devant des publics incertains qui vous a fait acquérir ce savoir-faire ?
– Max : Oui. Mais ça nous a un peu mis des bâtons dans les roues quand on a commencé à se sonoriser. Jérôme avait un appartement sur la porte de Bourgogne, à Bordeaux, juste à côté du pont de pierre, et on avait créé un évènement public sous les marches : il avait descendu des barriques, on avait mis des tapis. En plus c’est un quartier vraiment populaire, et ce sont des ambiances qu’on aime bien. Quand on joue dans des rues commerçantes, en général tôt ou tard, on se fait virer par les commerçants, qui se disent dérangés par le bruit. Et on avait donc enregistré une vidéo de notre reprise de « C’est la vie » de Samarabalouf : le moment était super sympa, les gens descendaient du tram et venaient écouter, on s’est retrouvés encerclés de gens. Et la vidéo a eu un tel succès qu’à l’heure actuelle encore, lorsque les gens cherchent Opsa Dehëli sur internet, ils tombent sur cette vidéo. Et souvent, donc, ça nous colle une étiquette de groupe de rue, ce qui fait qu’on a été un peu pris pour une fanfare qui voulait faire de la déambulation, et en plus, question sonorisation de tous les instruments, ça complique tout. Donc on a du dire que ce n’était pas ce qu’on voulait faire. Mais ça nous a servit pour le reste. J’ai le souvenir d’un jour où on avait joué rue Sainte Catherine, et Jéjé était monté sur un camion de la DDE, et on l’a vu partir sur le camion en jouant de la clarinette! On a pas mal joué dans les rues en Estonie aussi, et c’est plein de supers souvenirs, car l’espace public, c’est là où les gens ne t’attendent pas pour un concert. Et c’est très dommage que jouer dans les espaces publics soit devenu si compliqué en France. Tu vas avoir 90% des gens qui vont adorer passer un tel moment ; nous, cela nous fait plaisir vraiment, mais le problème, c’est qu’il faut des autorisations, s’il y en a un que ça dérange, on peut nous virer, et ça démotive finalement, parce qu’on n’a pas mal de matériel à trainer, et si c’est pour jouer cinq minutes seulement avant de nous faire virer et qu’on nous dise : « allez jouer sur les quais », là où il n’y a personne, comme c’est déjà arrivé, c’est démotivant.
– Gaël : Mais ça a été ultra-formateur quand même, pour en revenir à la question du contact avec les gens. Que ce soit dans des quartiers populaires ou d’autres moins populaires, il y avait vraiment un contact direct, comme connaissent tous les arts de rue. Ce qu’on amène sur scène aujourd’hui, avec notre spectacle entier, avec les lumières, et la façon dont on peut se mouvoir, vient d’avoir joué dans les rues, d’y avoir acté des chorégraphies de façon un peu naturelle, et la complicité qu’on a sur scène est aussi issue de ce triangle : nous, le public, la musique. En fonction des scènes, aujourd’hui, on peut être plus ou moins éloignés, mais par contre l’énergie qui s’en dégage se nourrie de nos débuts et du contact direct qu’on a avec les gens. Lorsqu’on avance sur scène en ligne, en en imposant un petit peu, ça vient du fait que lorsqu’on s’approchait des gens en jouant, ça amenait quelque chose de très direct. Aujourd’hui c’est un mouvement sur scène, une complicité, une sorte de chorégraphie, mais qui vient de quelque part. Et ça marche, qu’on soit à dix mètres de distance, ou à vingt centimètres.
– Jérôme : Il y a aussi plein d’évènements où on a joué, et les gens n’étaient pas venus voir un concert de musique, mais étaient là pour autre chose, et du coup, il faut aller chercher les gens et les ramener, rien n’est gagné d’avance. Et la rue est une bonne école pour ça. Dans notre spectacle, il y a beaucoup de place laissée à l’improvisation. Il y a quelques chorégraphies, quelques points de repère, mais plein de choses sont possibles ; on se permet de bouger et de communiquer, d’avoir des interactions.
–Gaël : Le travail qu’on a apporté à notre spectacle, au-delà de l’aspect musical, et d’avoir travaillé cette liberté, et plutôt de canaliser notre énergie, en comprenant à quel moment elle a plus de sens, définir des zones.
–Jérôme : On a aussi profité des retours de gens ou de techniciens, qui peuvent dire, par une vue d’ensemble, à quel moment par exemple si on fait tous quelque les cons, ça empêche de focaliser sur le ou la musicien(ne) qui joue un solo ; et on y perd, si les « récréations » se font n’importe quand.
–Max : C’est drôle de regarder les réactions du public, les instruments mélodiques étant devant et très libres, aussi depuis qu’on est équipés des micros sans câble pour mieux se mouvoir, parfois je vois le regard des gens qui suit un musicien en particulier, et du coup je regarde moi aussi dans sa direction, puisque je comprends qu’il se passe quelque chose. Et je me tape des barres, parce qu’il se passe toujours des trucs inattendus, comme de petits tableaux qui se déroulent. On a l’impression d’être dans un bœuf de fin de soirée où tous les copains font les cons. Je me dis que si je n’étais pas dans ce groupe, j’adorerais venir le voir! Je suis un peu une groupie…
– Vous avez joué avec Les Hurlements D’Léo, qui sont présents aussi sur ce festival. Que vous apporte ces échanges et rencontres avec d’autres artistes ?
–Max : C’est cool. Et ce n’est pas si fréquent, au final, car, comme on est assez nombreux sur scène, il est compliqué de partager le plateau avec d’autres musiciens. Mais il est vrai qu’on se fait souvent des potes sur la route, et ça fait plaisir de se retrouver pour un featuring.
-Jérôme : Et puis c’est toujours un moment de bonheur de pouvoir jouer avec des groupes qu’on a pu écouter quand nous étions jeunes ; c’est gratifiant de pouvoir jouer avec des gars qui n’ont plus rien à prouver, que ce soit Les Hurlements D’Léo, ou d’autres, notamment monsieur François Petit, le guitariste de Samarabalouf, dont on a fait une reprise. On a fait une collaboration avec lui sur le précédent album. C’est toujours un grand bonheur, car nous sommes public avant d’êtres musiciens.
–Max : Et puis nous sommes toujours contents de venir ici, car nous savons qu’on va profiter du festival pour voir plein d’artistes aussi.
–Dernière question : d’où vient le nom du groupe ?
– Max : En gros « Opsa! » est une interjection qui est utilisée dans la musique des Balkans et des pays d’Europe de l’Est, un peu les pays arabes aussi, qui signifie « bamos! », « allez, on y va! ». Lorsque les trois copains ont fondé le groupe, l’un des premiers morceaux qu’ils ont repris, avec la fanfare de Barbey, était un morceau istanbuliote qui finissait par cette injonction. Et « dehëli » est le nom de la filière « développement local et interculturel –dit DLI» dans laquelle ils étudiaient, qu’on a un peu orientalisé et qui est donc devenu « Dehëli ».
–Damien : En fait c’est ainsi que devait s’appelait l’association pour le projet, et comme le nom qu’on avait proposé n’a pas été voté, on a décidé que ce serait celui de notre groupe de musique.
–Max : La création du nom du groupe était une vengeance!
Miren Funke
Photos : Carolyn C