L’intitulé sème le doute. La pochette* ne le lève pas : un arbre. Caché derrière, un humanoïde apparemment civilisé mais c’est peut-être une ruse. Nicolas Jules – Le Yéti.
Tournons l’objet. 17 titres où là encore le yéti joue à cache-cache. Il est mort, ressuscité, ici on prétend imiter son cri et là exhiber son putatif scalp ; quant à sa fiancée, disons pour faire court qu’elle ne donne pas dans le détail. Nicolas Jules, le yéti ? Qui sait. Justement, ceux qui savent – peut-être – ne pipent mot. Ce sont les musiciens : Roland Bourbon aux percussions/ batterie, Frédéric Jouhannet au violon, et parfois Nicolas Moro au dobro et Dani Brouillard à la guitare. Ils accompagnent, ils jouent, ils évoquent, ils suggèrent : des ambiances de partout sur terre et ailleurs, des battements qui mènent la danse (Records), des humeurs délirantes (Perdu), torrides (L’aventure), carrément secouées (Lavomatic), exténuées ou apaisées (Le yéti voyage incognito). Ils font tout ça et plus encore, mais ils ne disent rien. Seuls les – fort jolis – choeurs* laissent échapper : « Vous êtes dingue » (Records) … le mystère demeure. Sur les chansons où le yéti n’est pas, il y a des mots et non des moindres, des qui foutent les poils dans des chansons d’amour mal peignées et où ça saigne encore un peu à cause des « épines et des roses » (Colère). Il y a du mouvement, un parfait déséquilibre car Nicolas Jules a souvent un pied d’avance ou de côté, enfin bref, la rime n’est jamais où on l’attend : « vos pensées par milliers, vos baisers parfumés, vos courriers par la poste ». (Records). Il a un pied levé, pour Fuir au plus vite et son cri de ralliement est follement rafraîchissant « j’ai de l’imagination à revendre, mais je ne tiens pas à m’enrichir ». Le pied, il le met dans le plat pour lui donner un fameux relief, loin des copies fades en deux dimensions (Mort aux photocopieuses). Le pied donc. La patte de Nicolas Jules, voire son empreinte. Alors Nicolas Jules est-il yéti ? Peut-être… qu’importe. Il y a un monde et il y est, bien vivant, ça au moins c’est une certitude.
* album disponible sur –> www.nicolasjules.com * les photos de l’album sont de Thibaut Derien * Marie Lecomte et Julie Leyder
C’est au gré des Scènes d’été en Gironde que plusieurs dates proposent au public un voyage musical, botanique et historique, à la rencontre du monde des arbres, de l’explication de leur fonctionnement vital et de la richesse de leurs propriétés spécifiques, de la découverte de certains de leurs secrets et de quelques légendes qui leur sont liées, et surtout du partage des chansons que ces êtres de résine et d’écorce ont inspirées à Agnès et Joseph Doherty, créateurs et interprètes du spectacle musical « Au Cœur de l’Arbre » [lire ici].
Avec « Au Pied de l’Arbre », le couple d’artistes franco-irlandais adapte une version itinérante de sa pièce, sous forme de promenade sur des sites arborés, interrompue de haltes au cours desquelles, ils en font vivre un récit un peu modifié, et en jouent et chantent les chansons de leurs compositions originales, enregistrées sur l’album « Aux Arbres » qui vient de sortir [lire ici]. C’est avec poésie, humour, harmonie et tendresse que ces ballades contées et mélodiques communiquent leur amour du monde sylvestre, sur l’existence, la complexité et l’intelligence biologique et sociale, et l’Histoire, les histoires, duquel Agnès et Joseph Doherty enseignent et partagent des connaissances scientifiques, folkloriques et culturelles, et sensibilisent adultes et enfants au respect des forêts, des végétaux et de la Nature.
Le moment est une ascension enivrante et très instructive vers les cimes et le bout des branches, autant qu’un plongeon vertigineux dans les racines, celles des arbres, habitat d’autres formes de vies et sources de vertus indispensables à la vie, mais aussi les nôtres. Car les artistes nous engagent en effet à la rencontre de mythes et légendes fondateurs du patrimoine culturel de l’Humanité, issus des civilisations celte (Brigit), mésopotamienne (Guilgamesh), perse (Xerxès), gréco-romaine (Phaéthon, Apollon), amérindienne, asiatiques (« Sakura »), ou encore nordique (« Yggdrasil »), mais aussi d’œuvres littéraires (L’homme qui plantait des arbres de Jean Giono, La fée du sureau de Hans Christian Andersen, Le roi des aulnes de Wolfgang Von Goethe), et d’histoires plus récentes de combats menés par des figures militantes pour la préservation des arbres (Wangarri Maathai, Sebastio Salgado, Julia Butterfly Hill, entre autres), combats dont fut aussi celui auquel participèrent Agnès et Joseph Doherty pour sauver les marronniers de la place Gambetta à Bordeaux, abattus fin 2018, par directive du maire A. Juppé, en dépit des nombreuses protestations et de la mobilisation populaire locale [lire ici].
Si le dynamisme, la densité et l’intensité du spectacle empêchent de prendre racines sur place, il est en revanche fort probable que vous en sentiez pousser en vous et vouloir s’ancrer dans le terreau de cet héritage folklorique universel, pour vous relier à L’Humanité ancestrale où chacun de nous sens qu’il a ses origines et dont chacun comprend être un fruit, porteur et passeur de mémoire, à l’instar des Doherty (osons le pluriel, puisque leurs filles Oona et Ella chantent sur le disque, et Lucy en a réalisé le visuel).
Il m’est rarement donné -quelques fois, mais pas si souvent- de rencontrer, par un spectacle, cette magie, celle à laquelle on se découvre réceptif et qu’on apprend à respecter pour son pouvoir véritable de nous changer concrètement, et nous laisser quitter une œuvre artistique sans en sortir vraiment pareil. Des pièces et des chansons qui véhiculent de belles valeurs, des idées nobles et des philosophies lumineuses, interpelant la conscience et touchant le cœur, il y en a. On s’en émeut, plus ou moins superficiellement, comme on s’émeut de l’esthétisme de beaux idéaux, le temps que la représentation ou l’expression de l’œuvre dure et nous atteint, pour revenir, une fois le spectacle terminé, à notre réalité, sans que rien n’en soit changé. Avec leur travail, Agnès et Joseph Doherty réussissent, plus qu’à partager le temps d’un spectacle, à transmettre, propager et imprimer une féerie qui ouvre nos yeux différemment et ne quittera plus le regard avec lequel nous percevront dorénavant les arbres, pleinement conscients de l’intelligence, l’énergie, la présence de ces êtres de résine et d’écorce, en sympathie avec eux même, et incapables d’y rester insensibles plus longtemps et de faire comme si on ne savait pas ce qu’on sait à présent. Une féerie qui réussit, elle, plus qu’à nous atteindre, à nous pénétrer. Au Cœur ( et Au Pied) de l’Arbre nous induit à adapter naturellement, comme gouvernés par l’impératif souverain de cette vérité avec laquelle vibre désormais notre âme, notre perception, nos réactions, nos habitudes concrètes quotidiennes dans ce monde amplifié d’une autre dimension, à la conscience de laquelle il nous a ouvert. Il est de ces œuvres qui donnent à leur propos une substance, une profondeur, et un sens concrets au-delà du spectacle, et devrait être partagées par tous.
Ma mère Angélique Ionatos s’est éteinte ce mercredi 7 Juillet. J’ai du mal à trouver les mots, ils étaient si importants à ses yeux, elle qui leur a dédié sa vie. Et puis comment résumer une carrière comme la sienne, comment parler de la mère qu’elle était. Elle a façonné la définition de l’artiste à mes yeux, et son départ me laisse un vide immense tout en ayant conscience qu’il sera à jamais comblé par son œuvre, éternelle, et essentielle et évidemment par mes souvenirs. Elle s’inscrit à jamais dans la dynastie des plus grands artistes de son époque, des plus grandes, des plus audacieux et des plus audacieuses. Pour elle, l’artiste devait témoigner de son temps, et résister. C’est ce qu’elle a fait continuellement.
Pour elle encore, la poésie était mère de tous les arts, et comme disait René Char, poète si cher à ses yeux, à ceux de mon père, et aux miens “Dans nos ténèbres, il n’y a pas une place pour la beauté, toute la place est pour la beauté”
Ses mots, ou ceux qu’elle a empruntés à d’autres, résonneront à jamais comme un guide et ne résonnent que plus fort, comme jamais auparavant, depuis qu’elle est partie.
Elle me manque déjà terriblement, mais je l’imagine aux côtés de ses pairs, de mon père, quelque part en Grèce sans aucun doute.
Le regard d’aigle c’était mon père, et elle définitivement les effusions de mésanges, René Char, encore.
Son héritage dépasse l’entendement, mon amour pour elle aussi