Ce samedi 19 janvier avait un goût particulier d’excitation pour moi, celui bien sur des retrouvailles avec la Chanson scénique depuis de longs mois de séparation, la vivante, la palpitante, celle qui respire en sursis, comme tendue entre la crainte d’une déception et l’espoir d’un bouleversement, dont on ne peut jamais prédire lequel des deux viendra saisir ou happer le cœur. Excitation démultipliée à l’idée d’inaugurer cette fin de confinement avec une artiste, dont la grâce et la malice ensorcèlent nos regards autant que la poésie émerveille nos sens, et l’inventivité bouscule nos pensées : Julie Lagarrigue était invitée aux soirées « Bamboche à l’Entrepôt » au Haillan, près de Bordeaux, pour un concert évènement de présentation au public des chansons de son prochain album « La Mue du Serpent Blanc ».
C’est donc avec un répertoire inédit, exception faite de trois titres du précédent album (« Le jardin manque d’eau », « Je parle comme je pense » et « Le beau de la forêt ») et d’une reprise de chanson créole jouée en rappel, que Julie Lagarrigue venait offrir un moment de beauté et de chaleur aux amoureux de la Chanson qui s’étaient donnés rendez-vous au Haillan. Profitons-en pour un mot de remerciement aux membres de l’équipe qui ont œuvré à l’organisation, la tenue et le bon déroulement des spectacles dans un esprit convivial. Saluons également le professionnalisme des deux musiciens qui accompagnaient Julie Lagarrigue pour la première fois et ont porté avec elle ses chansons en y mettant de l’âme et du groove : Frank Lemeyrgie (percussions) et Marc Closier (flûte traversière, clarinettes, saxophones, melodica, piano).
L’artiste, souvent partie chercher dans l’autre, le différent, ce petit quelque chose qui rend sa créativité et son expression singulières, nous avait depuis longtemps désaccoutumés au classicisme de la Chanson Française, par un enrichissement aventurier, mutin, rendant un peu d’évidence à l’insolite et de la proximité au lointain, guidée par une intuition heureuse. Cette fois, c’est dans l’ailleurs qu’elle promène son imagination, et c’est encore avec d’autres couleurs que les chansons venaient danser et swinguer auprès et autour de nous, et nous inviter à suivre leurs pas, au grès de rythmes entrainants puisés dans ou influencés par les Musiques du Monde, qui vous attrapent les pieds et les épaules dans des mouvements irrésistibles.
« La mue du serpent blanc » ouvrait donc ce bal envoutant par une atmosphère shamanique, alternée en suivant dans la douceur de berceuse chaloupée du second titre « Si tu la voyais », avant que le solo charmeur d’une clarinette rieuse sur le morceau « Notre secret » nous ravisse. La Chanson allait encore se promener vers des horizons reggae (« Nuits d’Insomnies ») sud-américains (« Le tango des squelettes », à croire que la cuisine de Julie Lagarrigue est petite sœur de la maison de la famille Adams) ou encore dub (« Regardes comme il danse »), et blues (« Mon monde intérieur »). Malgré une poésie exprimant toujours avec délicatesse et grâce des émotions très intimes et pas forcément joyeuses ni légères (« La mer est immense », « Je cours », « Mon monde intérieur »), métaphorique et pourtant intuitivement limpide pour qui entend entre les lignes quelques vérités se révéler, et la mise en musique de deux textes écrits pas sa mère (« Il s’appelait Ghislain », et « Ma douce » sur l’amour filial, qui sonne comme une réponse à la chanson « Septembre » de l’album « Fragile, Debout »), l’impression générale de ce concert fut celle d’un moment très groovie, où les mots swinguaient, les chansons chaloupaient, balançaient, et nous entrainaient à suivre les notes, les rêves et les pas de danse de Julie Lagarrigue encore vers autre part.
Cet album sera beau, très beau. Une souscription est en cours pour son financement ici : Lire ici
Miren Funke