Dans l’art particulier d’assassiner ses semblables, on trouve aussi bien des esthètes du crime que des stakhanovistes résolus à entrer dans le Guinness Book et en tête de liste. Le héros de Thierry Desseux joue dans les deux catégories. En fait, il exerce son talent sans aucun a-priori, pourvu que le bilan soit positif … Positif, tout est relatif, le point de vue est discuté par les élus qui ornent son tableau de chasse. On pourrait sous titrer ce livre: Les mille et une recettes qui permettent de trucider quelqu’un pour l’amour de l’art , ou pour son propre plaisir. mais c’est quand même un peu ambigü, certains esprits faibles pourraient prendre ça au pied de la lettre, et par les temps qui courent …
Ce qui rappelle une réflexion d’Irwin Molyneux*: à force d’écrire des choses horribles, les choses horribles finissent par arriver.
Et des choses horribles, Thierry Desseux nous en fait un panorama élargi qui renvoie Barbe Bleue Gilles de Rais et le docteur Petiot en classe de CM1 face à ce bac + 15 de l’homicide tout azimut.
Dans cet inventaire débridé de toutes les horreurs possibles, avec interludes que le bon marquis de Sade aurait savourés avec gourmandise, il arrive néanmoins qu’on se prenne un coup de sympathie pour le nettoyeur qui escamote un Gil the badger de nos périmètres de vie. Je ne suis pas sûr que le héros soit motivé par des considérations visant à assainir le monde de ses scories, mais parfois, il joint l’utile à son agréable..
Je passerai sur les turpitudes sexuelles et autres dépravations dont l’auteur nourrit les pauses entre deux exécutions. On se laisse embarquer dans cette farandole sauvage menée par une sorte de métis d’Hannibal Lecter et Jack l’Eventreur grâce à l’écriture épurée et rythmée façon Céline .. ( Louis-Ferdinand, pas Céline Dion,) Ce qui pourrait être insupportable de violence cynique passe au second plan dans la musique des mots et des phrases, courtes, incisives, imagées, suggestives, et sur ce plan, je vous laisse goûter ces quelques mots : « Lélian fut dessiné en mode ithyphallique lors d’une séance de pose aux Beaux Arts. » C’est quand même plus classe dans les diners en ville de parler de « mode ithyphallique » que de bandaison chronique … Enfin il me semble … Last but not least, ce tueur sans état d’âme ne tue jamais par intérêt, un esthète vous dis-je … et dans notre époque mercantile, c’est méritoire.
La mélancolie des incurables, éditions Maïa collection Regards Noirs, c’est par là, allez-y voir, ça vaut la visite
* Irwin Molyneux Drôle de drame (Michel Simon)
Norbert Gabriel