Archive | octobre, 2020

Douze oiseaux dans la forêt de pylônes électriques. Nicolas Jules…

31 Oct

Nicolas Jules sort un nouvel album.
C’est prévu pour le 1 er décembre et ce sera disponible sur son site  (voir en bas)

Ouais, bon, et alors.
Je veux dire : à quoi ça sert, un nouvel album de Nicolas Jules ?
A rien, voilà, comme les librairies et les troquets.
De toute façon, le gars n’a rien compris à l’époque.
C’est le genre qui porte son regard en dehors des top ten répertoriés (dont le 6 e pourrait vous surprendre). Qui trouve beaux des trucs dont tout le monde se fout, et qui feraient zéro like sur Insta.

Bref, il ne sait pas se vendre.

Limite, il préfère les gens aux choses : appuie sur un téton pour allumer la lumière ;
s’émeut du mouvement des mots dans la gorge quand on se parle. Se parler… sans déconner ! Quand, en plein confinement, il « cherch[e] la chaleur », on lui  dit : « remplissez des papiers » . Normal. Alors, têtu, il invite chez lui des choristes à son goût – Louis Jourdan, Danielle Darrieux, Boris Karloff – qui l’ont eu bon de mourir avant de voir tout ça : les « gens en ruines » et les villes « qui partent en sucette ».

Le nouvel album de Nicolas Jules, c’est Douze oiseaux dans la forêt de pylônes électriques. D’ailleurs c’est le titre. Un nid de bestiaux qui pépient ou qui gueulent, prêts à s’envoler, comme ça, par envie, et nous on lève les yeux parce que c’est beau et pendant un moment, c’est tout ce qui compte. C’est beau et courageux, dans un monde sous haute-tension.

Le nouvel album de Nicolas Jules n’est pas un produit de première nécessité.

Il paraît.

Justine Keiss

Le  site de l’artiste,
clic sur le micro  –>

L’art est essentiel #la culture est essentielle # les artistes sont essentiels

29 Oct

En préambule à cette réflexion de Camille Solal, on peut mettre en exergue :


« Aujourd’hui j’ai envie de partager ma pensée et de prendre position. Sur quel sujet me direz-vous ?

C’est une réflexion de fond en réaction à des annonces gouvernementales qui, depuis le mois de mars maintenant, ont mis systématiquement les artistes dans la case “non essentielle.”

En effet pendant les confinements, les commerces “essentiels” restent ouverts. Et tout ce qui n’est pas “essentiel” ferme.

C’est-à-dire, selon ces mesures, les théâtres, les cinémas, les salles de concert, toutes les manifestations culturelles.

Qu’est-ce que cela signifie profondément ? Et bien cela signifie profondément pour ceux qui prennent ces mesures que les artistes ne sont donc pas essentiels à la vie.

Donc que la vie peut être vécue sans art et sans culture. Et même pire, que la vie menée par les artistes et les personnels de la culture n’ont aucun sens, dans le sens justement que ce n’est pas “essentiel”.

J’ai évidemment un réel problème avec cette vision ; peut-être que c’est une maladresse de communication ?

Peut-être qu’on aurait pu dire “nous savons que la culture et l’art sont absolument essentiels et fondamentaux à la vie telle que nous la chérissons, mais puisqu’il faut bien faire des choix et des arbitrages nous allons limiter à la vie du corps physique c’est-à-dire la nourriture et le papier toilette. “

C’eût été une communication plus respectueuse et pour le coup qui aurait fait plus de sens.
Surtout qu’il n’y a pas si longtemps, presque 15 jours maintenant, un professeur de la république a été décapité et que l’argument principal qui a été brandi pour lui ou contre lui était le droit à l’art et à la culture. Donc il faut se mettre en cohérence et ne pas utiliser l’art et la culture seulement quand ça « arrange » n’est-ce pas ? Car enfin nous sommes tous des êtres éminemment spirituels, la vie seule du corps physique ne suffit pas, cela s’appelle la survie.

Or la survie est normalement conditionnée à quelques heures, quelques jours voire quelques semaines lorsqu’on est à l’hôpital et qu’on se bat contre la mort, lorsqu’on est pris dans une avalanche, lorsqu’on est tombé dans un ravin etc. Dès que le stimulus de danger de mort est passé alors la vie reprend son cours ; y compris chez des malades très graves atteints de cancers longue durée, ils cherchent à « profiter » de la vie et pas juste à « survivre ». Car survivre pour survivre n’a aucun sens.

Et l’essence même, l’essentiel de la vie c’est la recherche ou plus exactement la définition du sens. Je vous invite sur le sujet à lire ou à relire « La logothérapie » de Viktor Frankl . C’est un psychiatre autrichien qui a survécu aux camps de concentration et d’extermination et qui a pu analyser son vécu sous le prisme du détenu qu’il était mais aussi du psychiatre en exercice. Il a donc pu analyser ses réactions et celles de ses co-détenus ainsi que celles des gardes. Il a pu constater que les détenus qui survivaient étaient ceux qui parvenaient à trouver ou plus exactement a décider un sens à leur vie; ils n’étaient pas juste dans la survie physique car la mort pouvait frapper à chaque seconde, à chaque minute, à chaque heure sans aucun préavis, sans aucun sens et le corps était un champ de ruines. Il explique que les codétenus se retrouvaient comme ils le pouvaient pour raconter des histoires le soir, essayer de mettre de l’humour et se remonter le moral avec des chansons et préféraient même parfois rater la soupe plutôt que ces moments alors qu’ils étaient littéralement affamés . N’est-ce pas bouleversant de lire cela ? Que peut-on en déduire sur l’essentiel? Quelles sont les premières choses que nous souhaitons faire lorsque nous avons échappé à la mort, lorsque nous sortons de l’hôpital où que nous nous savons « condamnés » ? Probablement Voir des amis? , écouter de la musique?, danser? , aller au théâtre?, voir un film?, dessiner? etc. ?c’est-à-dire ce qui est fondamentalement essentiel à la vie en tant que telle et non à la survie.

En tant qu’artiste moi-même, en tant qu’art-thérapeute et en tant que coach je suis meurtrie dans ma chair par cette confusion des mots, par ces décrets que nous sommes « non essentiels » et je trouvais fondamental de m’exprimer aujourd’hui sur ce sujet.

Moi-même j’ai laissé passer tous ces mois en acceptant les différentes mesures et en acceptant cette communication tout en la vivant affreusement mal, en culpabilité, en me disant que oui je devais me mettre de côté, sacrifier ce qui faisait le sens de mon existence même pour l’effort commun.

Jusqu’à aujourd’hui où, en sondant profondément le sens des choses, en ayant pris le recul nécessaire, je trouve absolument vital, absolument essentiel de dire que les artistes, les personnes qui font le monde de la culture, de l’art, de la musique, tous les acteurs techniques qui rendent cela possible, qui mettent en scène, en lumière, qui créent des costumes, des décors, tout ce qui contribue à la vitalité, à la nourriture spirituelle est donc essentiel et vital à nos êtres et que ces personnes et ces métiers sont donc des acteurs majeurs de la qualité et du sens de la vie tout court.

Donc Véritablement, fondamentalement, éternellement essentiels.

Aujourd’hui encore la France est attaquée . Et certains veulent nous faire passer du côté obscur, et éteindre la lumière. Éteindre la joie. Éteindre la sublimation, éteindre le sublime. Annihiler la pensée au nom de la croyance. Donc aujourd’hui plus que jamais nous, artistes, personnes de l’art et de la culture, sommes essentiels.

Ce n’est pas une question d’argent, ce n’est pas une question de salaire tous les mois, il s’agit du sens même de la vie de millions de personnes.

Merci de respecter cela.

 Camille Solal

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Festival Comme Un Grondement Amoureux de l’Université Populaire de Bordeaux : entretiens avec La Maison des Femmes de Bordeaux et Le Cri du Peuple

27 Oct

Par les temps actuels où les annulations de dates de concert succèdent aux déprogrammations d’évènements culturels, privant les artistes de scènes pour s’y exprimer, plongeant dans la précarité et l’incertitude les nombreux travailleurs du secteur du spectacle, et ne laissant pas entrevoir de retour prochain au foisonnement festivalier qui fait vibrer la vie et le rend savoureuse, il est fort compréhensible que le maintien d’un évènement soit vécu par le public comme un acte de résistance. Et sans doute l’est-il d’autant plus du fait d’une dimension militante, lorsqu’un festival se consacre à relier la rencontre culturelle et l’expression artistique à une thématique sociétale et politique. Ce fut précisément le cas de la cinquième édition du festival Comme Un Grondement Amoureux, organisée du premier au dix octobre dernier par l’Université Populaire de Bordeaux (U.P.B.), sur plusieurs communes de l’agglomération bordelaise, pour mettre en avant les questions de la liberté de choix amoureux, de l’égalité de droits et de traitements entre sexes, et de la lutte féministe entre autres. L’U.P.B., ayant sollicité la participation de plusieurs associations de terrain pour tenir des stands, animer des conférences et contribuer à des débats, proposait au public une programmation dense et diversifiée, avec par exemple un arpentage du livre Troubles dans le Consentement d’Alexia Boucherie, et un concert du groupe Le Cri Du Peuple [voire ici] pour clôturer la soirée finale au café culturel bordelais Le Pourquoi Pas?. La fréquentation fut intense, plutôt massive et surtout particulièrement enthousiaste, tant la rareté des occasions de se retrouver pour partager un moment festif et enrichissant rend le public avide et solidaire de ces initiatives généreuses et courageuses. Nous n’aurions pas manqué ce moment associatif, qui, impliquant des artistes et des littéraires auprès d’une cause, permet, outre d’y intéresser le public, aussi de provoquer la rencontre de personnes au vécu parfois douloureux et traumatique lié à des oppressions et violences familiales ou sociales avec la musique ou d’autres disciplines artistiques, à même de leur offrir un moyen de transcender leurs souffrances et peurs, et peut-être leur révéler leur propre potentiel créateur, comme se l’est donné pour mission La Maison des Femmes de Bordeaux, présente sur le festival, avec l’organisation régulière d’ateliers collectifs et expositions, en parallèle de son rôle d’accompagnement des femmes victimes de violences. C’est pourquoi nous avons souhaité réaliser un focus sur son travail, grâce à l’entretien que nous a accordé Claude, l’une de ses membres administratrices, à la suite d’un bref échange au sujet de l’organisation du festival avec Suzanne, effectuant son service civique au sein de l’U.P.B., et avant que deux chanteuses du Cri Du Peuple, Muriel et Marina, acceptent de consacrer un peu de temps pour nous expliquer le sens qu’a pour elles la participation du groupe au « Jour du Grondement », date ultime du festival.  

 

– Bonjour Suzanne, et merci de nous accorder un peu de temps. Pouvez-vous présenter l’esprit de l’Université Populaire de Bordeaux et les missions qu’elle s’est fixées ?

L’UPB est une association d’éducation populaire politique, qui part du principe que tout le monde  possède un savoir, car chacun a une expérience de vie, pour proposer des échanges de « savoirs chauds », c’est-à-dire ce que notre vécu nous a appris, et les croiser avec des savoirs théoriques qu’on appelle « savoirs froids ». Et on va mélanger « savoirs chauds » et « savoirs froids » non pas pour faire de l’eau tiède, mais pour faire de la transformation sociale, de l’émancipation, grâce à l’échange et la mise en commun de nos expériences de vie. L’association a deux volets : un volet évènementiel qui organise des rencontres pour le public extérieur, comme ce festival, des conférences, des arpentages, et un volet interne où nous sommes prestataires pour des écoles, des centres sociaux ou d’autres associations qui nous demandent des formations.

 

– On sait combien il est compliqué par ces temps-ci de maintenir un évènement public, et le votre est l’un des rares à avoir résisté à la politique d’annulation systématique. C’est aussi ce qui a fait son succès de fréquentation publique. Aviez-vous envisagé de l’annuler? 

On en a beaucoup parlé et dès le début on s’est dit que c’était trop important d’avoir encore des temps collectifs où on peut échanger. Depuis le confinement l’actualité politique est quand même assez morne ; on avait besoin de ce festival, qui parle de l’amour, un sujet qui nous concerne toutes et tous. On ne voulait pas l’annuler. On a donc demandé, via notre page facebook, l’avis de gens sur la question, et la grande majorité des réponses et commentaires nous encourageait à maintenir le festival. Et c’est peut-être justement dans ces périodes calmes où il ne se passe pas grand-chose dans l’actualité des mobilisations sociales qu’il est judicieux d’en profiter pour pouvoir se réunir pour réfléchir ensemble. C’est aussi ainsi qu’a été accueilli le fait qu’on maintienne cette date. Nous avons dû annuler deux autres évènements sensés avoir lieu à la Halle des Douves, enfin les reporter, sans date fixe pour le moment. Mais un troisième qui se tiendra à la Salle des Fêtes du Grand Parc s’est maintenu contre toute attente, grâce à la volonté des salariés et travailleurs de la salle qui ont émis le souhait que ça se passe, et de la mairie de quartier.

 

Liens : Université Populaire de Bordeaux : https://upbordeaux.fr/

https://www.facebook.com/universitepopulaire.debordeaux

Café Culturel Le Pourquoi Pas? :  https://www.facebook.com/pourquoipasbordeaux

 

 

La Maison des Femmes de Bordeaux

– Bonjour et merci de nous accorder cet entretien. Depuis quand existe la Maison des Femmes à Bordeaux et quelles sont les directions dans lesquelles elle œuvre?

La Maison des Femmes a été créée il y a presque vingt ans. Au départ ce sont des associations féministes organisées en collectif qui ont voulu créé un lieu partagé pour les femmes. Il y avait des activités, des commissions. Et peu à peu c’est devenu une entité associative à part entière. Nous sommes donc une association d’éducation populaire. Nous avons plusieurs axes d’intervention : travail d’accueil et d’accompagnement par rapport aux violences conjugales et aux violences en général, et aussi d’aide relative aux difficultés sociales ou autres, et partage d’activités. C’est donc aussi un lieu où se tiennent des expositions, des ateliers faits par des bénévoles pour d’autres personnes y participant gratuitement, et par ailleurs un lieu de réflexions, de discussions, de documentation, de rencontres et conférences pour réfléchir au féminisme, à la situation des femmes et aux moyens d’agir. Notre choix est donc d’être ouvert plus souvent que d’autres associations, c’est-à-dire du lundi au vendredi, et de proposer régulièrement des activités culturelles, à raison de deux ou trois initiatives par mois, parfois en collaboration avec d’autres associations. Par exemple en octobre, nous avons organisé une rencontre avec Le CRI [Lire  ici], très ancienne association qui intervient sur la question de la prostitution, et qui actuellement travaille plus particulièrement sur le risque de prostitution pour les jeunes femmes, un vernissage, ou un arpentage hier autour du livre Troubles dans le Consentement d’Alexia Boucherie, en collaboration avec le festival de l’Université Populaire de Bordeaux (UPB).

 

– Qu’est-ce que la fait relier des disciplines artistiques à votre engagement et de les y impliquer, et vos participations à des évènements culturels apporte à la lutte pour la défense des droits et le soutient des victimes, aux artistes et aux victimes elles-mêmes?

 – C’est bien sûr un biais pour attirer le public et l’inviter à s’intéresser à cette cause. Et c’est aussi concrètement un moyen d’offrir un lieu d’expression à de jeunes artistes qui se lancent dans une discipline. Il y a des ateliers réguliers d’arts plastiques, de relaxation. Et nous allons voir quelles autres activités peuvent être proposées en fonction des bénévoles qui y sont disposés. Il y a l’idée donc de permettre à des femmes qui créent, et pas forcément pour aborder une thématique féministe, de mettre en œuvre et exposer leur création. Et puis c’est aussi à travers la culture qu’on peut réaliser un certain nombre de choses quant à l’aspect de documentation. L’art est un moyen de discussion, d’échanges, de confrontations de points de vue. Ce n’est pas uniquement décoratif. L’idée des ateliers d’activités artistiques que nous proposons est de monter un projet ensemble. Cela permet à des personnes qui ont un passé social violent, en participant à des ateliers et venant à des vernissages, d’être, ici dans une Maison qui est un peu la leur, dans une situation un peu à même niveau que les artistes, en échangeant sur les techniques artistiques par exemple. C’est une façon d’aller vers des pratiques artistiques, ce que n’auraient peut-être pas fait ces personnes d’elles mêmes ou si on leur avait juste conseillé une exposition à aller voir.

 

– Outre l’accueil des personnes et l’activité culturelle et artistique de l’association, la maison des Femmes assure-t-elle aussi un rôle d’accompagnement juridique?

On veut concilier tout cela : il faut que ça vive, mais aussi qu’on ne néglige pas les permanences d’accueil, considérant que lorsque des personnes en demande d’aide arrivent, il ne faut pas qu’elles se retrouvent dans l’effervescence, car elles ont besoin de tranquillité pour faire le point. Notre local permet de réserver un petit salon où les personnes qui viennent demander de l’aide ne se retrouvent pas face à la froideur d’un bureau administratif, mais dans un cocon avec une ou deux personnes pour les écouter, leur expliquer quels recours sont à leur disposition. Pour nous c’est important d’offrir un cadre solidaire et convivial, et non pas de reproduire le travail qui est d’ailleurs très bien assuré ailleurs. Nous ne sommes pas un prestataire ; nous sommes une association féministe où la solidarité passe par cette entraide là. Il y a des permanences juridiques avec des bénévoles qui peuvent donner une première information, mais ce n’est pas un service juridique. Ensuite nous renvoyons vers les institutions et les structures qui vont avoir les moyens d’accompagner plus précisément. En revanche pour l’accueil violences, nous faisons parti du réseau 3919, ce qui veut dire qu’on est reconnue comme association référencée sur cette question. Un dispositif qui a été mis en place récemment au niveau des administrations pour intervenir lorsqu’il y a eu un dysfonctionnement, et permet de contacter directement les services de police ou de justice, afin de rectifier assez vite des situations, comme un refus d’enregistrement de plainte.

 

– Cela se produit-il encore?

Maintenant si une personne nous informe que sa plainte a été refusée par un service, on sollicite les responsables, et les situations sont réglées. Pour ce qui concerne la période récente, entre le Grenelle, le travail d’information durant le confinement, des interventions dans les formations de policiers, les mentalités et moyens d’action des policiers, en particulier à Police Secours de nuit, ont beaucoup évoluées. Lorsqu’ils interviennent sur ce qui semble être une violence conjugale, dans le doute, ils proposent systématiquement l’enregistrement d’une plainte, et éventuellement place l’auteur supposé des violences en garde à vue. Leurs consignes sont très strictes. Dans la formation où nous sommes intervenus, le principal questionnement des policiers relevait plutôt d’une incompréhension des raisons pour lesquelles une victime refuse de porter plainte ou ne mène pas les démarches à terme.

 

– C’est la réaction de beaucoup de nos concitoyens qui ne connaissent pas la terreur et l’emprise auxquelles sont soumis(es) les victimes de violences et l’état de vulnérabilité émotionnelle et psychique dans lequel cela les plonge ; et il est vrai que le phénomène d’emprise est quelque chose de si irrationnel, qu’il est très compliqué à concevoir lorsqu’on ne l’a pas vécu soi-même. Ne faudrait-il pas plus largement dans la société informer à ce sujet et expliquer ce phénomène mal connu?

Tout à fait. On connait mal la terreur des victimes, le cycle de la violence qui fait que celui qui a violenté peut alterner violence et repentance. La formation pour les policiers était vraiment conçue pour qu’ils comprennent ces processus d’emprise et en prennent conscience. Le problème soulevé restant que de leur côté, la structure hiérarchisée exige qu’ils fassent remonter les informations à leur hiérarchie, qui ensuite traite avec nous, alors que les policiers de terrain aimeraient pouvoir être en contact direct avec les associations. Mais ce sont des choses qui se construisent avec le temps. Ce travail prend beaucoup d’énergie, car depuis un an nous sommes énormément sollicités pour des réunions d’information et d’échanges. Et on ne peut pas passer nos journées à se consacrer à cela au lieu d’être sur le terrain auprès des femmes qui en ont besoin. Mais en même temps ça signifie que du côté des institutions, il y a une préoccupation de plus en plus grande et une envie d’agir plus importante. Cependant les moyens ne sont pas vraiment octroyés pour pouvoir traiter les mises en œuvre d’une protection, ou l’accès à un hébergement d’urgence, puis un logement pérenne, car les situations transitoires sont très dures à vivre et déstabilisantes pour les femmes et les enfants. Cela  existe en théorie, mais est compliqué à appliquer, du fait du manque de moyens. Ce qui fait qu’outre le phénomène de l’emprise et la peur des représailles, certaines femmes se trouvent piégées dans l’impossibilité financière de quitter un domicile violent, n’ayant pas d’emploi ou un tout petit salaire, et aucun moyen d’aller ailleurs. C’est déjà difficile pour une personne de se dépêtrer d’une emprise ; quand s’y adjoignent des difficultés matérielles, cela complique encore plus la situation. Ceci dit on constate une plus grande sensibilité environnante à cela. Durant le confinement les appels qui ont été enregistrés ne provenaient pas que de victimes de violences, mais aussi de proches ou de voisins. Ça veut dire qu’il y a une attention plus grande vis à vis de ça. Il y a moins d’indifférence. Mais malheureusement dans la compréhension des situations, beaucoup de gens continuent de penser que les violences conjugales sont l’exclusivité des milieux populaires, ou immigrés par exemple, ou que la consommation d’alcool en serait grandement responsable. Contrairement à cette idée, les violences existent dans tous les milieux sociaux ; et il y a des milieux, spécifiquement bourgeois et grand-bourgeois, où tout se règle dans l’entre-soi et est étouffé. Les préjugés n’ont pas disparu. Ce qui explique qu’au-delà de s’extirper de l’emprise subie, les femmes vivent une difficulté à libérer la parole et ne savent pas comment en parler autour d’elles. Il y a des gens qui ont une autorité, une respectabilité apparente, une assise sociale, et n’arrivent pas à porter cette image de victime et reconnaitre la réalité. Donc que la curiosité et l’attention existent dans la société signifie aussi qu’on va pouvoir parler de ces phénomènes d’emprise, de la façon dont les choses s’installent, se renouvellent, se maintiennent.

 

– La parole n’est-elle pas d’autant plus compliquée à libérer que d’une manière générale les personnes à comportement prédateur sont des séducteurs sociaux qui parviennent facilement à s’attirer la sympathie, la considération, voire l’admiration, parfois la compassion, de leur entourage, en ayant dans leurs relations sociales un comportement bien différent que celui qu’ils ont avec la personne leur servant de proie, et en montrant un visage respectable et charmant -voire en s’octroyant le rôle de la victime parfois-, ce qui isole la victime réelle dans le silence, par crainte que personne ne puisse croire ce qu’elle aurait à en raconter?

Oui! C’est exactement le problème. Et combien d’hommes sont effectivement des séducteurs, et d’une séduction qui va au-delà du charme. Le débat qui a eu lieu en France il y a quelques temps sur la séduction est quand même effrayant : on considère normal que les hommes séduisent, possèdent une petite collection de femmes autour d’eux en permanence. On avait un peu peur, lors du commencement de la campagne « mee too » qu’il s’agisse d’un élan très spontané et sans suite. Mais même si le confinement rend difficile de quantifier la mobilisation, il y a quand même une prise de conscience plus grande, notamment chez les jeunes générations. Il y a aussi des choses qui se sont développées quant à la connaissance de la réalité des discriminations sur les lieux de travail, et de l’inégalité salariale. Et cela touche des publics qui ne se pensaient et disaient pas féministes. Les gens rentrent dans le combat féministe de différentes façons aujourd’hui.

 

 

Liens :

Maison des Femmes de Bordeaux : http://maisondesfemmes.net/

https://www.facebook.com/MDFCulturelle

 

 

Le Cri Du Peuple

– Bonjour et merci de ces quelques instants. Le Cri du Peuple a accepté d’assurer le concert de clôture du festival. Lors d’un précédent entretien, vous évoquiez l’importance pour vous de participer à des évènements à thématique politique, qui donne du sens à votre façon de vivre la musique et aux paroles que vous chantez. Dans quelle mesure le thème du Jour du Grondement (amoureux) vous tient-t-il à cœur? 

– Muriel : Nous avons des chants féministes dans notre répertoire, et sommes donc sur des positions féministes quant au libre choix de sa sexualité, et si on parle de révolution des rapports amoureux, il faut parler de cela. Il faut aussi parler de la question des violences patriarcales qui sont un frein à notre liberté de choix. C’est pour cela qu’on a choisit dans notre set de chanter des chansons qui mettent en avant la liberté des femmes de pouvoir choisir, et dénoncent tout ce qui peut y constituer un frein, donc le capitalisme, puisque quand on est dans la misère, où est la liberté de choix? La chanson « Fille d’ouvriers » par exemple parle de ces femmes qui sont peut-être amenées à la prostitution de par leur précarité. Et qui dit prostitution, dit passage par la case prison éventuellement, mort prématurée, par coups subits ou maladie. On peut penser que cette chanson date de plus d’un siècle et aborde des thématiques anachroniques. Mais non. Cette chanson dit le lien entre le capitalisme, le patriarcat, la question des femmes racisées aussi. De toute façon, on ne peut pas séparer le féminisme des autres questions. On ne peut pas prétendre se moquer de ce que font les femmes et les laisser libres, si elles ne peuvent pas sortir de chez elle, par manque de moyens financiers, donc subir les coups d’un conjoint violent, étant dans l’impossibilité de partir ailleurs, si elles ne peuvent pas sortir le soir, car elles craignent d’être agressées. Ça n’a aucun sens! La liberté, ce n’est pas en théorie. On tient à faire les liens entre ces questions, pas juste célébrer un évènement festif, mais dire aussi ce qu’il faut abattre pour avoir vraiment une chouette vie amoureuse choisie.

 

– Mais le caractère festif de l’évènement n’est-il pas quand même aussi en cohérence avec votre façon d’animer les chants que vous interprétez et l’esprit combatif et joyeux que vous y insufflez?

– Muriel : Bien sûr, après on voulait quand même un évènement festif, donc on a chanté la chanson « Toutes des putes »  de GiedRé qui est un gros clin d’œil humoristique, car elle est rigolote, pour affirmer qu’on a le droit d’aimer comme on veut, de s’habiller comme on veut, de se promener avec qui on veut, et par les temps qui courent quand on voit le nombre de jeunes filles qui se font traiter de « putes », parce qu’elles trop couvertes ou pas assez, c’est important. Cette chanson est provocante et rigolote, mais on l’aime justement à cause de ça : elle replace dans la légèreté une cause grave.

– Marina : Et elle va à l’encontre de ce qui a été dit récemment par plusieurs responsables politiques sur la tenue républicaine pour les filles, que je trouve particulièrement choquant. Je ne comprends pas que les gens ne soient pas révoltés en entendant de tels propos. On s’aperçoit qu’en fait, l’ordre moral réactionnaire n’est pas si loin que ça. Pour l’instant le « féminisme » porté par l’état est très superficiel et apparent. Comment un homme peut-il se permettre de nous dire comment nous habiller et si c’est républicain ou pas? Cette chanson est très adaptée à ce sujet. Les propos qu’on entend actuellement sur la décence de la tenue des filles constituent un sacré retour en arrière.

– Muriel : Personne ne se pose la question d’éduquer plutôt les garçons à ne pas s’exciter et se permettre des gestes ou paroles déplacés.

– Marina : Et on ne s’occupe pas autant de la décence de la tenue des garçons. Moi, par exemple, je n’ai pas forcément envie de voir le caleçon et la raie qui dépasse du pantalon de jeunes hommes. Mais on ne se pose jamais la question sous cet angle pour eux, et je n’entends personne les accuser d’incitation au viol. D’ailleurs à ce titre, pour revenir aux droits des femmes, tant que la justice ne prendra pas en compte de considérer et traiter le viol comme un crime de sang, on n’y arrivera pas. Tant qu’on verra des prédateurs condamnés à deux mois de prison avec sursis ou échapper le plus souvent à un procès, on n’y arrivera pas.

– Muriel : Le nombre de plaintes qui aboutissent à un procès est infinitésimal ; la plupart du temps, c’est classé sans suite. On sait que le travail des avocats consiste à faire déclasser un viol en agression sexuelle, puisque c’est puni d’une peine moindre, le viol étant un crime aux termes de la loi. On sait aussi que la présomption d’innocence ne sert que les puissants, c’est-à-dire qu’elle signifie la présomption que les victimes ont menti. Tant qu’on ne mettra pas en œuvre des politiques courageuses pour permettre aux femmes d’échapper à cela, la liberté et l’égalité des sexes ne seront que de la théorie et des mots creux.

 

– Le lutte contre l’homophobie fait aussi partie de vos préoccupations et des thématiques que vous chantez, et est très étroitement reliée à cette même volonté politique -et peut-être ce vice humain- de certains de décider selon quels principes les autres doivent vivre, paraitre et aimer. En est-elle un volet aussi important que les autres selon vous ?

– Muriel : Effectivement on a choisit d’interpréter la chanson des lesbiennes, pour rappeler que ce n’est quand même pas encore acquis de pouvoir se promener dans la rue en prenant sa copine par la main quand on est une femme, sans essuyer des réflexions stupides. Si on veut parler de « grondement amoureux », il ne faut pas rester hétéro-centrés. A partir du moment où il y a libre consentement, il n’y a aucun mal à aimer qui ont veut.

– Marina : L’amour réel n’est possible qu’à partir du moment où on te laisse choisir comment et avec quel partenaire tu veux vivre cet amour. On n’a pas à te dicter comment tu dois aimer, ni qui tu es d’ailleurs. Les personnes transsexuelles ont le droit de choisir leur vie et leur façon d’être ; on n’a pas à les juger ni leur dire si c’est bien ou mal. Il n’y a pas de notion de bien ou de mal dans l’amour, si ce n’est vis-à-vis de la violence dont on peut user envers l’autre. On trouvait donc que c’était intéressant de participer au jour du Grondement pour parler en musique de ces choses et transmettre à travers le chant ces valeurs là.

– Muriel : Et puis, ça va être un peu hors sujet par rapport au thème du festival, mais franchement quel bonheur de retrouver des gens face à soi! Depuis le confinement on n’a pas pu faire de fête, ni se rejoindre, et là je trouve qu’il y a une superbe ambiance, tellement les gens sont contents de se revoir. C’est ça qui fait une société, le fait que les gens interagissent. Et on sait bien que ce qui protège aussi les femmes, c’est de faire société, d’affirmer et propager des valeurs ensemble et d’être solidaires. Il faut que lorsqu’un homme par exemple insulte une femme dans les transports en commun et tient des propos sexistes, tous les gens autour se dressent pour le mettre dehors. J’ai vécu ce genre de situation : pas loin de la Fac, on a viré un mec du tram pour ça. Lorsque ça se sera reproduit plusieurs fois, que ce genre d’attitude soit systématiquement désapprouvé massivement et sanctionné par les réactions des témoins de la scène autour, ceux qui en sont les auteurs la ramèneront moins. La peur doit changer de camp.  Bravo à l’Université Populaire de Bordeaux d’avoir assumé de maintenir le festival, alors que tout le monde annule les évènements partout ailleurs. Maintenant il faut cesser de considérer ce qu’on ne peut pas faire et de subir les interdictions, et s’interroger plutôt sur ce qu’on pourrait faire et la façon de pouvoir le faire. Il faut changer la façon dont on raisonne. 

 

Liens : https://www.facebook.com/lecridupeuplebordeaux/

 

Miren Funke

 

Histoire d’une chanson: Toute la musique que j’aime …

26 Oct

Dans ses débuts de rocker simili Presley, et pseudo Halliday ( devenu Hallyday suite une faute de maquettiste) il n’était pas vraiment évident que toute la musique qu’il aimait venait du blues. Un de ses premiers succès Itsy bitsy, petit bikini est assez éloigné de Mamie Smith et son Crazy blues, Muddy Waters, Robert Johnson ou Bessie Smith.. Ensuite c’est le succès du twist, dont on cherche toujours le feeling blues.

Mais un jour, Johnny veut témoigner de ses racines musicales, et c’est en 1973 qu’arrive Toute la musique que j’aime ..

Dans ce tube blues rock emblématique de son répertoire, Johnny chante que

Toute la musique que j’aime
Elle vient de là elle vient du blues
Les mots ne sont jamais les mêmes
Pour exprimer ce qu’est le blues

J’y mets mes joies, j’y mets mes peines,
Et tout ça, ça devient le blues
Je le chante autant que je l’aime
Et je le chanterai toujours

Il y a longtemps sur des guitares
Des mains noires lui donnaient le jour
Pour chanter les peines et les espoirs
Pour chanter Dieu et puis l’amour

La naissance et la réalisation de cette chanson montre que Johnny a souvent été rebelle, en imposant ses vues, et souvent démissionnaire face à « son entourage » professionnel ou privé. Quand il demande personnellement à Hubert-Félix Thiéfaine et Paul Personne un album complet de blues*, il ne répondra jamais à leur proposition et ne donnera pas d’explications à son refus (officiellement c’est le label qui mis le véto)  mais quelques temps plus tard il enregistre un album ersatz de blues**, signé par la plupart de ses compères habituels. Doit-on comprendre que le duo Thiéfaine-Personne n’était pas personna grata dans « l’entourage » ? Comme on le voit dans les deux paragraphes ci-dessous, Johnny peut être directif, et être court-circuité par son directeur artistique, lequel s’avérera désavoué par le public

– Rebelle : après un premier travail de studio avec les musiciens, Michel Mallory enregistre une voix témoin, afin que les instrumentistes aient la mélodie « dans » l’oreille. Le lendemain , Johnny écoute le résultat et déclare :  Ce n’est pas comme ça qu’il faut la chanter , puis demande si tout est près pour enregistrer sa voix . Chris Kimsey, l’ingénieur du son, acquiesce. Par deux fois, en cabine, Johnny écoute le play-back sans chanter, puis annonce : Maintenant vous m’enregistrez et même si je me trompe, laissez moi aller jusqu’au bout !  Deux prises, sur deux pistes différentes, sont réalisées.  Il y avait tant de magie, de puissance et d’émotion dans chacune d’elles, qu’il fut difficile de choisir … écrira Mallory.

À l’écoute, tous sont satisfaits, mais pas Johnny qui trouve  qu‘il manque quelque chose :  un dobro qui jouerait en slide … annonce-t-il après réflexion. Chris Kimsey fait venir l’instrumentiste Brian John « B. J. » Cole , équipé d’un dobro artisanal (fabriqué selon ses dires par son père) et le son qu’il en sort est proche de celui d’une guitare hawaïenne. Une seule prise est réalisée et alors que tous les instruments cessent, Cole, pour le plaisir, continue seul et termine la chanson. L’effet jugé excellent est conservé.

– Démissionnaire : Jean Renard, alors directeur artistique de Johnny Hallyday, apprécie peu la chanson, pas plus que l’intégralité de l’opus Insolitudes et propose pour « sauver l’album » d’y joindre la chanson Comme un corbeau blanc (titre de sa composition, enregistré trois ans plus tôt par Hallyday, initialement pour l’album Vie et resté inédit). Par la volonté de Jean Renard, Comme un corbeau blanc devient le onzième titre d’Insolitudes et la face A du premier single extrait du 33 tours. La musique que j’aime n’est qu’une face B. C’est pourtant elle qui très vite s’impose dans les diffusions radios et au public. Elle trouve immédiatement sa place dans le tour de chant de Johnny Hallyday et, à deux exceptions près (Le Pavillon de Paris en 1979 et le Palais des Sports en 1982), est depuis de tous les spectacles de l’artiste.

– Michel Mallory se souvient de ce début de musique improvisée en Corse et le joue en Mi majeur. Le chanteur écoute attentivement, puis prend la guitare : «Il manque le milieu, le pont, le refrain, écoute, il faut que cela fasse ça… 

En un instant, la musique définitive de ce qui va devenir La musique que j’aime prend forme.Il manque les paroles, écris moi quelque chose de fort, qui me ressemble , demande le chanteur. Le texte, Mallory l’écrit tard dans la nuit, après avoir pris congé de Johnny, dans sa voiture, sur son carnet de rendez-vous :

Toute la musique que j’aime, Elle vient de là, Elle vient du blues,
Les mots ne sont jamais les mêmes, pour exprimer ce qu’est le blues

Péripétie inattendue, Aujourd’hui, « La musique que j’aime n’a plus d’éditeur. Elle nous appartient. On l’a cosignée : Johnny Hallyday-Michel Mallory (J. Hallyday 1996)

Hit Parade : La musique que j’aime est la chanson que Johnny Hallyday a le plus grand nombre de fois interprétée en duo : 50 duos avec 35 interprètes différents.

Quelques versions au fil du temps…

La première


avec Paul Personne 1993


Olympia 2000


Limoges 2015 avec Greg Zlap


et avec les vieilles canailles en 2017,  aux guitares Yarol Poupaud Basile Leroux Thomas Dutronc Fred Chapelier..

 

Et pour finir, un petit film qui montre la démesure du personnage en spectacle, quoi qu’on en dise ..

 

  • * Quand ils ont envoyé l’album, ils n’ont eu aucune réponse de Johnny, quelqu’un de « l’entourage » a plus ou moins éludé sans répondre vraiment. H-F Thiéfaine et Paul Personne ont donc repris cet album pour eux et ont tourné plus d’un an avec cet Amicalement Blues.

** : Le cœur d’un homme (titré soufflé par sa femme Laetitia) n’est pas un album blues mais tendance blues.

Norbert Gabriel

 

Entretien avec Patrick Ochs (Rue de la Muette) pour la sortie du titre « Octobre Rose » au profit de la Ligue contre le Cancer de Dordogne

22 Oct

 

C’est à l’occasion de la campagne de communication et de sensibilisation au dépistage du cancer du sein, Octobre Rose, qu’Alexandra Fohl et Patrick Ochs ont choisi de créer et d’enregistrer la chanson « Octobre Rose », au profit de la Ligue contre le Cancer de Dordogne, à laquelle les artistes ont laissé les droits. Le titre utilisé par la Ligue pour promouvoir sa cause et récolter des fonds est à présent en vente sur les stands de l’association ou via un contact direct avec elle [ici] ou Patrick Ochs. Le chanteur de Rue de la Muette en a écrit le texte à partir de poèmes de Valérie Chaussade, qu’il avait photographié dans le cadre d’une exposition de ses œuvres photographiques, et qui d’ailleurs pose sa voix sur la chanson, militante ardente de la sensibilisation relative à la maladie. C’est donc d’un commun concours de ces trois artistes, et avec la participation de musiciens locaux (Gilles Puyfagès, accordéoniste de Rue de la Muette, entre autres) qu’a été réalisé le single, accompagné d’un clip, et produit avec l’appui de Radio France Bleue Périgord. Il y a quelques jours, nous joignions Patrick Ochs au téléphone pour nous entretenir au sujet de cette initiative artistique généreuse et utile, où s’exprime l’art d’aborder un sujet grave et d’y intéresser les auditeurs avec l’humanité et la délicatesse que la légèreté dansante, un brin de malice tendre et l’amour de la vie savent insuffler au monde.

– Patrick, bonjour et merci de nous accorder cet entretien. Peux-tu donc parler de ce single « Octobre Rose » qui vient d’être enregistré et se distribue ?

Je partage la voix dans cette chanson avec une chanteuse de ma région, Alexandra Fohl, avec qui j’étais en train de répéter sur des textes à moi, puisqu’elle avait envie qu’on travaille ensemble. Je trouvais très intéressant la façon dont se superposaient nos voix. J’avais très peu travaillé avec des voix féminines auparavant, et c’est un projet que j’avais pour un prochain album. Elle avait été en contact avec Valérie Chaussade qui s’occupe ici d’Octobre Rose avec la Ligue contre le Cancer de Dordogne, pour écrire des chansons d’après les textes et poèmes qu’écrivait Valérie, qui était traitée pour un cancer et donc écrivait ses états d’âme sous forme de poèmes un peu au kilomètre. C’est quelqu’un de très militant et actif, et donc le contact s’est fait aussi tôt. Alexandra m’a présenté Valérie, que j’ai photographiée dans le cadre de l’exposition à laquelle je participais à l’époque. Je me suis précédemment consacré à mon exposition photographique, que je fais tourner avec mon fils, lui étant sculpteur. En région, l’expo a fait un carton ; le vernissage a bien marché. Les photos avec les tatouages qu’on voit dans le clip sont donc de moi. Et puis de fil en aiguille, Valérie m’a demandé de mettre ses textes en musique, ce qui me semblait totalement impossible, parce que mettre en musique des textes écrits au kilomètre n’est pas très facile. J’ai donc utilisé certaines idées fortes et phrases que j’ai remises en forme à ma façon, autour de cette thématique là. On a donc signé le texte ensemble, et j’ai composé la musique, que je voulais être un peu une musique évoquant les Caraïbes ou la Réunion.

– La chanson jouit en effet d’un contraste entre la légèreté et la gaité de la musique et la gravité du sujet abordé, ce qui adoucie la lourdeur. L’as-tu composée et arrangée avec les musiciens de Rue de la Muette?

J’ai composé la musique seul et l’ai arrangé avec un guitariste, qui ne fait pas partie de Rue de le Muette, mais avec qui je joue sous mon propre nom, Vincent Lamoure. Je voulais que la musique soit dansante. J’entendais des percussions légères, des choses qui fassent danser, joyeuses. Je ne souhaitais pas que ce soit lourd, pas dans le sens de la lourdeur du sentiment, mais de la gravité. Il fallait que ça donne envie de bouger les pieds, et qu’après on se rende compte que la chanson parle de goutte à goutte, de choses dures à supporter, qu’on soit une femme ou un homme, car tout le monde peut être touché par ça. Je trouvais le poème de Valérie, d’où je suis parti, poignant, intéressant ; mais j’aime bien qu’une chanson remue, et qu’ensuite on se demande de quoi ça parle, plutôt qu’avancer droit dans le vif en parlant de la mort et du cancer. Il y a une chanson formidable, « Marcia Baila » des Rita Mitzouko. Il est difficile de faire aussi bien ; après ça tu ne peux pas parler du cancer en te prenant la tête à deux mains. Pour anecdote, j’avais d’ailleurs à l’époque de ma chanson « La Muette à Drancy » pensé à Catherine Ringer, dont j’aurais bien voulu qu’elle la chante. Et avec tout ce qui nous accable dans l’actualité, on n’a pas besoin de s’en rajouter. Si on peut se retrouver dans une soirée pour danser, je trouve ça bien que cette chanson y ait sa place. Donc je voulais un peu de musique réunionnaise, qu’on ait envie de sourire ; on m’entend rire à un moment et amener de la légèreté. Et malgré tout Alexandra le porte quand même dans sa voix et le raconte que c’est une chanson qui parle quand même de la mort.

– Mais ne parle-t-elle pas aussi surtout de vie?

Dans la voix d’Alexandra, plus que dans la mienne, qui est une voix de mec qui a du mal à se réveiller le matin, on l’entend. Et le contraste entre ma voix qui est très noire et « dark » et la sienne qui est joyeuse est vraiment intéressant.  

– Comment peut-on se procurer le disque ?

La Ligue contre le Cancer 24 vend le CD pour huit euros avec une carte que j’ai réalisée aussi, et dont je leur ai laissé les droits. C’est vendu sous forme de Cd single. Les musiciens qui y ont participé sont Gilles Puyfagès (accordéon) de Rue de la Muette, Michel Trény (contrebasse) et Olivier Léani (percussions). C’est local : j’ai réalisé ça avec des gens autour de moi et l’aide de France Bleue Périgord. Tous les produits des ventes sont pour la Ligue. Comment ne pas être concerné et intéressé? Si j’avais su faire autre chose, bricoler, je l’aurais fait pour une cause. Mais je sais faire des chansons. Et pour une fois qu’on me demande des chansons pour une cause, c’est chouette. On peut me joindre ou joindre la Ligue pour se procurer le disque ; et sur ma région, il doit être distribué assez facilement. Il devait y avoir un concert pour soutenir cette jolie cause aussi, mais pour le moment et dans l’incertitude liée aux annulations de spectacle, je préfère ne pas trop m’avancer.

– L’album en préparation sera-t-il consacré aussi à cette cause ?

Je ne sais pas encore comment je vais le faire, certainement avec des musiciens de Rue de la Muette. Il ne sera sans doute pas entièrement consacré à ça. Mais ce serait bien que cette chanson y figure, car elle est sympa. Je pense que les thématiques vont beaucoup parler des femmes ; c’est la première fois que je le fais comme ça. J’ai toujours parlé de sujets assez vastes, de mes relations avec des femmes aussi. Mais je n’ai pas écrit pour des femmes, et ça fait longtemps que j’en ai envie. Il est fort possible qu’il y ait des collaborations avec Alexandra au niveau de l’écriture et la composition. On a déjà un beau répertoire. Je n’écris pas souvent, mais quand une thématique me motive, j’écris dix ou quinze titres à la fois.

 

 

Miren Funke

Photos : Patrick Ochs, Carolyn C

 

Liens : clip : https://www.youtube.com/watch?v=wGczKL27cEI&feature=share&fbclid=IwAR1Ey0LEsGnq-X8BlpmnIz_UFZZT4HD2sRpseySJf2PvkKHs_yngqElLERw

Ligue contre le Cancer Dordogne : https://www.ligue-cancer.net/cd24/journal

Site Patrick Ochs : https://www.patrickochs.com/

Facebook : https://www.facebook.com/pages/category/Musician-Band/RUE-DE-LA-MUETTE-Patrick-Ochs-77428857081/

Site Alexandra Fohl : https://www.alexfohl.fr/

Facebook : https://www.facebook.com/alexandra.fohl

 

Charlie Hebdo : l’expression de la liberté

13 Oct

« Charlie Hebdo – 50 ans de liberté d’expression » vient de sortir aux éditions Les Echappés et c’est un monstre.

Un monstre de pages, plus de 320. Un monstre de taille, ne se casant dans aucune bibliothèque réglementaire. Un monstre de poids. Sérieux il pèse lourd. On ne sait comment le tenir. Je me suis mise sur mon canapé, mon bureau. Je l’ai posé sur mes genoux ou sur ma table basse. Bref, ce bouquin fait chier comme Charlie Hebdo fait chier depuis 50 ans. Ce livre est un bonheur.

J’entends déjà râler les mauvais coucheurs. D’où Riss se permet-il de s’approprier le Charlie de Cavanna et Choron ? La période 1970/1981, ça c’était l’esprit Charlie ! Rien de comparable avec l’hebdo qui redémarre en 1992 avec Philippe Val… Oui, ben moi en 1981, j’avais 12 ans et mes parents votaient Giscard. Donc aucun risque de tomber sur l’esprit Charlie à la maison. Mais on s’en fout des mauvais coucheurs. Car ce bouquin, au contraire, est pour ceux qui ne savent pas ce qu’a été Charlie durant ces décennies. Moi la première, j’avoue, je ne connais pas si bien ce journal. Car si je l’aime, on ne peut pas dire que j’ai été une fidèle lectrice. Pas souvent la thune pour l’acheter. Que ce soit dans les années 1990, 2000 ou aujourd’hui, je le prends en fonction des sous que j’ai. Ou pas.

Qu’on soit d’accord ou non avec la ligne éditoriale, qu’on aime ou non le rédacteur en chef ou les dessinateurs en fonction des époques, Charlie Hebdo c’est bien 50 ans de liberté d’expression. Point.

La mise en perspective des dates et des événements égrenés dans ces pages en est la preuve. Le livre est découpé par thèmes, il n’est pas chronologique. On y parle censure, presse, publicité, kiosquiers, plaintes, justice, dessinateurs, engueulades et départs, polémiques, blasphème et attentats. Enfin on y parle… non. Le livre offre simplement, sans commentaires superflus, à lire ou relire les articles de Charlie concernant chaque sujet. Donne à voir ou à revoir les dessins publiés. Aussi les articles d’autres journaux, les arrêtés du ministère de l’Intérieur, des courriers, des mails de soutien ou des menaces. À des dates différentes on revisite le cœur et les obsessions de l’hebdo. 1992 croise 1972 qui répond à 2003. La mise en perspective est parfois violente. On ne cache pas non plus sous le tapis le départ de Delfeil de Ton, de Siné, celui de Val ou le procès de Patrick Font. Les articles sont là, dans leur jus. Bruts. À nous de réfléchir, d’analyser, de prendre le recul. Tout comme avec le « Charlie va-t-il trop loin ? » À nous de juger à la lumière des archives… Il y a eu des procès. Il y en a encore, aujourd’hui même. De cet avocat qui n’a pas aimé être traité « d’endive moite », les associations catholiques, l’extrême-droite… Puis l’islamisme radical qui pointe son nez. Val ouvertement menacé dès 1994. Il y a un quart de siècle. Bien avant les caricatures de Mahomet en 2006 (et un nouveau procès) bien avant l’incendie des locaux en 2011. Bien avant le 7 janvier 2015. Bien avant les nouvelles menaces par Al-Qaïda en 2020.



Je n’ai pas terminé « Charlie Hebdo – 50 ans de liberté d’expression ». Il est gargantuesque. Les dessins, les marrades, les pleurs, les désaccords, les batailles communes débordent de toutes parts.
Ça saute aux yeux. Ou parfois il faut une loupe pour ne pas manquer le moindre mot, le moindre petit Mickey. Je vous l’ai dit c’est un monstre. Un monstre de vie, d’opinions, de combats politiques, d’avis convergents ou non. Ce livre bouillonne, fourmille, raisonne et déraisonne mais donne à comprendre ce qu’est la liberté d’expression.

Jusqu’à cette dernière double-page : « 1276 ème réunion de rédac : et c’est pas fini! » croquée par Coco. On y découvre les dessinateurs, chroniqueurs, journalistes, en train de discuter autour de la table. On y voit aussi un chien, du café, du tricot, des chaussures à clous ou une bague d’indien. En la lisant, je n’ai pas pu m’empêcher de penser aux dernières pages d’« Indélébiles » de Luz. Celles où le dessinateur revient chez Charlie, un jour de bouclage. Et retrouve autour d’une autre table les membres de cette rédaction décimée un putain de matin de janvier 2015. Tous là. Vivants.

Libres.

« Charlie Hebdo – 50 ans de liberté d’expression » éditions les Echappés. 328 pages. 39 euros.

Fabienne Desseux

Entretien avec Dave Gwadaman Kynner pour la sortie de son album « Pasyon Kréyol »

11 Oct

 

Bien que son patronyme soit méconnu du grand public, Dave Gwadaman Kynner compte parmi les musiciens de Reggae les plus aguerris et expérimentés de France. Depuis ses premiers pas dans la musique il y  plus de quatre décennies, c’est en musicien, compositeur et producteur professionnel qu’il évolue auprès d’artistes français et internationaux comme Tiken Jah Fakoly, dont il est claviériste et chef d’orchestre, et multiplie les collaborations (Neg’Marrons, Soprano, Tonton David, Serge Alidor, Akon, Secteur Än,  The Wailers, Wyclef Jean des Fugees, entre autres). Or voilà quelques années déjà que dans le cœur de l’artiste resté dans l’ombre pour mettre ses talents au service des autres grandissait le rêve d’exprimer plus personnellement les espoirs, les passions et les valeurs qui l’ont construit, et de faire connaitre et partager son amour pour les cultures et les musiques qui l’ont bercé, élevé, accompagné et inspiré dans sa Guadeloupe natale. C’est donc comme l’aboutissement d’un projet chevillé à l’âme de longue date que vient de sortir son premier album « Pasyon Kréyol ». Surprise toutefois pour ceux qui identifient Dave Gwadaman Kynner comme reggaeman : bien que le disque comporte plusieurs titres en Reggae, il arbore une palette de richesses de genres où sonnent les influences de toutes les musiques qu’aime l’artiste. On y entend du Zouk, du Jazz, de la Funk, quelques teintes de Calypso entre autres ; on s’y retrouve comme au croisement de toutes ces cultures, qui d’ici et d’ailleurs sont venues se rencontrer dans les Caraïbes, y enfanter des métissages musicaux, et peut-être repartir elles-mêmes enrichies par ces échanges pour faire naitre encore d’autres fruits de par le monde. Ainsi va le mouvement perpétuel de l’évolution. Si « Pasyon Kréyol » est conçu par son auteur avant tout comme un hommage aux énergies qui l’ont entrainé à aller toujours de l’avant, l’album est aussi pour nous un voyage qui chemine et flâne à travers l’éclectisme de paysages musicaux enluminés et épicés, et nous transporte gaiment vers des ambiances, des rythmes, des couleurs, des parfums, voyage qui nous parle essentiellement d’amour et de joie de vivre, ô combien nécessaire en cette période morose et anxiogène, pour ressourcer nos âmes et les garder ouvertes. Il y a quelques jours Dave Gwadaman Kynner acceptait de nous accorder un entretien pour parler de cet album qui fait tant de bien.

 

– Dave, bonjour et merci de nous accorder cet entretien. Comment est né cet album personnel, qui peut surprendre de la part d’un musicien ayant mis ses talents et ses compétences au service des autres jusque là, et qu’avais-tu besoin ou envie d’exprimer avec ?

Comme tu le sais, on me connait dans la scène Reggae ; on s’était même rencontrés lors d’un concert de Tiken Jah Fakoly. Donc c’est vrai qu’on peut s’attendre à ce que je fasse du Reggae. Mais là, c’est un cas particulier, car il s’agit de mon premier album, et je tenais à ce qu’on me connaisse aussi, c’est-à-dire qu’on sache d’où je viens. Je viens de la Guadeloupe, et en Guadeloupe, on a toute une panoplie de rythmes et de musiques autres que le Reggae, et qui m’ont bercé tout au long de mon enfance et mon parcours musical. Je tenais à rendre hommage à ma culture, à tout ce qui m’a construit. C’est pour cela que l’album est rempli de tout ce florilège de rythmes, de couleurs. Dans cet album on retrouve toutes mes influences musicales. On m’identifie comme joueur de Reggae, clavier et chef d’orchestre de Tiken Jah. Mais Dave n’aime pas que ça. Dave aime la musique classique, le Jazz, la Funk, le Zouk, et tellement de choses encore. Quand tu grandis en Guadeloupe, tu es bercé par tout ça : on est dans un foyer où toutes les musiques se retrouvent ; c’est comme un carrefour. On est imprégnés par toutes ces musiques. Et quand je parle de « Pasyon Kréyol », c’est ça : le Créole, c’est le mélange, la mixité. Et c’est ce mélange qui m’a construit et que je revendique. C’est une histoire d’amour fusionnel, quelque chose de très fort. Tous ceux qui ont été aux Antilles, me disent que lorsqu’ils écoutent un titre comme « Vanille », tout de suite, ça leur met des images, des odeurs dans la tête, et ça les fait voyager, car ils retrouvent des ambiances, des cris, des chants qu’ils ont connus.

 

– Est-ce pour cela que ce titre est un instrumental sur lequel tu n’as pas souhaité poser de texte?

C’est ça. Je pense qu’on n’a pas forcément besoin de paroles pour ressentir une émotion. Les sons travaillés, une mélodie, un chœur peuvent aussi bien nous apporter des frissons, des émotions. C’est aussi efficace qu’un texte. J’ai d’excellents retours par rapport à cet album par les gens. Bien sûr j’aimerais que ça aille un peu plus loin et vite au niveau médiatique ; mais il est vrai que nous traversons une période compliquée. Les choses avancent au ralenti. Il faut prendre son mal en patience.

 

– Et précisément à cause de cette actualité sombre et angoissante, cet album arrive, pourrait-on dire, à point pour raviver la vie. Est-ce cette force que tu voulais transmettre aussi?

Oui. C’est aussi pourquoi « Bamako la Pwent » est le deuxième titre qui va sortir. C’est un morceau qui exprime que quel que soit qui tu es, d’où tu viens, ta religion, ton niveau intellectuel, on peut se retrouver et danser, s’éclater sans se poser de question. Dans cette période de sinistrose, anxiogène, on a besoin de ça, juste de lâcher prise. On est masqués, déjà physiquement, mais même dans la symbolique être masqué signifie avancer à visage couvert. C’est chaud. Il y en a qui sont tombés, d’autres qui vont tomber. Mais ceux qui sont encore vivants doivent encore souffler ; on a le droit de danser, on a le droit de rire, de s’aimer. Quand tu regardes l’actualité, tu as envie de te flinguer. On se dit « à quoi bon? ». Mais tant qu’on peut faire de belles choses, l’espoir est permis. C’est pour cela que j’ai choisi de sortir ce morceau prochainement.      

 

– Peux-tu nous parler des valeurs très puissantes que porte le titre « Unité »?

– « Unité » est un Reggae qui a été composé dans un cadre très précis, suite aux attentats du Bataclan. Une semaine avant la date des attentats, on avait fait deux concerts avec Tiken Jah au Bataclan, et lorsque j’ai vu l’attentat à la télé, dans mon studio, j’étais impressionné par ce que je voyais. J’étais effondré, effrayé, horrifié par tout ce qui se passait devant mes yeux. Je voyais des gens qui sautaient des fenêtres où j’étais une semaine avant et d’où je regardais des gens dans la rue en attendant le concert, des gens cachés dans la loge. Franchement ça m’a brisé ; il fallait que j’extériorise ça. Donc on a composé « Unité ». Il y a eu un premier clip pour « Unité » d’ailleurs diffusé sur Youtube [ici] avec une partie de la scène Reggae qui a répondue présente, et j’en profite pour remercier ces artistes. On peut trouver Brahim, Merlot, Princess Erika, Wonda Wendy, Abdou Day, Rosa Shanti, Devi (The Banyans), Mesegana, Pomerlo, Siloé, Nordine (Sundyata), et plein d’autres. C’est ça l’histoire du titre, qui n’a pas grand-chose à voir avec la trame de l’album. La chanteuse martiniquaise Sista Jahan -qui défend d’ailleurs actuellement son propre EP, sorti il n’y a pas très longtemps- interprète le titre sur l’album avec le chanteur King Kalabash. Ils font partie de la scène Reggae et ont répondu présents tout de suite. Ca parle de ces gens qui veulent nous faire changer nos modèles de vie et font des attentats pour nous l’imposer, alors que nous sommes un peuple qui s’est battu pour la liberté, qui aime sortir, vivre. Il est question de s’unir pour leur dire « Non, nous sommes comme ça. Soyez comme vous êtes, mais ne nous empêchez pas d’être ce comme nous sommes, qui nous sommes ». On tient à nos libertés et à la vie qu’on aime. Des gens ont lutté et sont morts pour elles. Mais ce n’est pas un cri pour faire la guerre, pour répondre aux armes avec les mêmes armes ; on le fait avec nos armes, et nos armes sont nos mots, nos notes. Et je pense que c’est aussi puissant que des bombes, parce qu’on parle aux âmes.

 

– Et on imagine que c’est un message que tu veux aussi laisser aux enfants, puisque le titre qui précède sur l’album « Braqueurs de cœur » est une ode à la parentalité, n’est-ce pas?

C’est un titre que j’ai fait pour mes enfants pour leur dire que je les aime. Bien sûr ils le savent. Mais je voulais vraiment le graver dans le marbre, pour que ce ne soit pas juste des mots qui partent et s’évanouissent dans l’air. J’avais envie de graver ça pour qu’ils se souviennent que je les aime. Nous sommes dans une communauté où on a beaucoup de pudeur. Et dire à ses enfants qu’on les aime est souvent dit de façon indirecte, ou montré. Après c’est vrai que j’ai écrit pour eux, mais je ne suis pas le seul parent à vouloir dire à ses enfants qu’il les aime. Donc si des parents peuvent s’approprier la chanson et la faire leur, ça ne me pose aucun problème.

 

– Tu as une longue carrière artistique dans l’ombre d’artistes très populaires, et c’est la première fois que passe dans la lumière. Depuis quand l’idée te travaillait-elle?

– Ça fait quarante ans que je suis musicien professionnel, mais peut-être quatre ans que je travaille sur cet album. Je l’ai fait de façon assez décousue, puisque j’ai un emploi du temps assez chargé entre les tournées avec Tiken Jah Fakoly et mon travail en studio pour d’autres artistes. Je me consacrais donc à cet album de façon assez périodique, et ça a fini par aboutir. Pour te donner la trame, c’est pour cela qu’il y a sur l’album un titre qui s’appelle « Janmé tro ta » qui veut dire « il n’est jamais trop tard ». C’est valable pour moi, mais c’est valable pour tout le monde. Souvent on met ses rêves en stand by, parce qu’on a une famille, une carrière à gérer. Mais si on veut il y a toujours moyen d’essayer de réaliser ses rêves, parce qu’après, c’est con de n’avoir que des regrets, des « j’aurais du » et « si j’avais su ». Pour ne pas rester sur ce type de réflexions, on fait les choses, même si ça prend du temps. Et sur ce titre, j’ai mis juste un refrain qui dit « Janmé tro ta » : pour moi, il n’y avait pas besoin de mettre un texte explicatif, parce que chaque personne sait comment et pourquoi il ne sera jamais trop tard. Je n’ai pas de recette miracle.   

 

– Comment a débuté ton parcours dans la musique?

– Mon aventure a commencée en Guadeloupe. Comme plein d’enfants, j’étais attiré par la musique, en écoutant des groupes locaux. Ma mère m’a mis au piano. Et au collège, j’ai eu un professeur de musique qui était fantastique, Daniel Forestal, et qui a décelé que j’avais un petit truc en plus dans ma manière de jouer au piano et a vu que j’aimais accompagner. Tout de suite il m’a pris sous son aile, car c’était un chanteur, compositeur, poète, écrivain et parolier, chorégraphe et danseur aussi local, qui était donc par ailleurs professeur de Français et Musique. Il avait à l’époque une compagnie de danse et musique qui s’appelait Soleil Show, et avait fait un groupe musical qui accompagnait des chanteuses, dont Dominique Zorobabel, qui est devenue une des chanteuses de Zouk Machine, et Tanya St Val qui a fait une très belle carrière. Et je suis donc devenu pianiste de cette compagnie comme semi-professionnel. On faisait des concerts dans des communes, au Centre National des Arts et de la Culture. Nous avons même été le premier groupe guadeloupéen à y jouer, alors que c’était fait pour accueillir les groupes américains, français, et d’ailleurs qui venaient. J’avais à peine quatorze ans ; c’était complètement fou! C’est par là qu’étaient mes premières armes. Et d’ailleurs il y a deux des musiciens de cette époque, Silvio Marie et Serge Alidor qui étaient au Soleil Show, et qu’on retrouve sur l’album. Ce sont donc des anciens compagnons qui jouent sur mon disque ; il y a aussi Franck Nicolas, le trompettiste de Jazz, qui était un camarade de lycée. Donc en fait cet album est vraiment un hommage à mes origines, mes origines musicales, mais aussi amicales, puisqu’il s’est fait avec des amis de longue date.    

 

– Qui a écrit les textes?

– Les textes ont été co-écrits avec Anne-Sophie Bavant. Je connais sa plume et lui ai demandé d’écrire les textes, y compris pour « Braqueurs de cœur ». Brahim et le chanteur Merlot ont écrit le texte de « Avant après ». La chanson « There you go » a été elle écrite par un ami d’enfance, Daniel Peccatus, et est chantée par son neveu, Tyler Lion, alors qu’elle raconte l’histoire du coup de foudre entre sa sœur et son beau-frère, donc les parents du neveu, sachant que la sœur en question était aussi membre du Soleil Show. Encore une illustration que cet album est une histoire de longue amitié et de famille! J’aurais pu appeler l’album « Racines ».

 

– Peux-tu nous dire un mot sur le studio Akaz qui l’a produit et où tu travailles?

– Akaz existe depuis quelques années déjà ; c’est un studio d’enregistrement avec lequel je travaille beaucoup, avec Anne-Sophie Bavant et qui m’a donc donné la possibilité de produire mon album. Il y a beaucoup d’artistes qui passent par Akaz, par exemple Rosa Shanty, Djamatik, ancien Neg’Marrons, l’artiste canadien Pomerlo, ou le chanteur folk-pop rock Arthedone.  Certains EP de Tiken Jah ont été produits là aussi et il y a pas mal de travail de pré-prod pour Tiken Jah qui y est fait.    

 

– Comment as-tu joué avec le groupe mythique The Wailers?

– C’était un concours de circonstances qui s’est passé à Marseille : Tyrone, le clavier des Wailers, m’a appelé, car l’organiste avait un empêchement et n’était pas là, pour le remplacer au pied levé sur le concert des Wailers. J’ai travaillé avec des artistes africains, ivoiriens, sud-africains, congolais, camerounais, béninois, maliens, sénégalais. J’ai même commencé avec des Sénégalais.

 

– As-tu vécu en Afrique?

– Je n’ai pas vécu en Afrique, mais j’ai la chance d’y aller assez souvent. C’est assez étrange, parce que quand tu vas en Afrique la première fois, tu retrouves des choses, et l’impression que ces gens sont comme toi. En même temps c’est normal, puisque notre ADN est en Afrique, mais on a un peu tendance à l’oublier. Aux Antilles, dans les Caraïbes, c’est un autre lieu avec une culture qu’on pense être sortie de la terre comme ça. Mais quand on va en Afrique on se rend compte que tout ce qu’on a chez nous a sa source, son origine là. Et ça, j’ai vraiment adoré, ce sentiment de se dire « ok, je sais d’où je viens ». Pour moi c’est le continent de référence où je me retrouve, me ressource ; j’y ai beaucoup d’attaches. C’est la terre-mère.

 

– J’imagine que la politique répressive envers les réfugiés que la France mène actuellement te touche. Quel regard portes-tu là-dessus?

– Je ne sais pas si c’est la France qui est en régression ; je ne pense pas. Si on regarde bien, le peuple est ouvert. Les Français sont des gens hypra ouverts, qui vont vers l’autre. Mais le problème vient de l’élite, des gens à qui on a confié les clés : parmi ces gens il y en a qui sèment la zizanie et surfent sur le populisme, et qui cherchent à nous engrainer dedans. Il faut qu’on résiste, car la France est un foyer où tout le monde peut se retrouver. Mais il y a ce réseau de populisme en Europe qui à travers ces gens de pouvoir sème des graines dans nos têtes. Je ne pense pas que les Français soient racistes, même s’il doit y en avoir. Dans son ADN le Français n’est pas raciste. Si tu regardes dans l’arbre généalogique d’un Français, tu verras qu’il a des origines autrichiennes, italiennes, espagnoles, portugaises, algériennes, peu importe. Les gens sont très métissés. Et le monde s’est construit comme ça. Mais il y a une certaine catégorie de personnes qui cherche la pureté de la race, du peuple, de la pensée. Et on a déjà vu ce que ça a donné : on sait que ce sont des gens dangereux qui nous mènent à des extrémités qu’on va regretter. L’histoire est un éternel recommencement et il faut que ces gens arrêtent, car ce n’est pas ça l’avenir. Le concept Créole, c’est un peu ça, et c’est ce que je revendique : le mélange, la mixité. La langue créole, c’est de l’Africain, du Français, de l’Espagnol, de l’Anglais. On retrouve le Créole à la Martinique, mais aussi aux Etats Unis, à la Réunion, sur toute la terre. Je ne dis pas aux gens de forcément se mélanger. Cela se fait naturellement. Mais c’est une belle chose. Même pour le Français : ce qui fait que le Français est une langue vivante, c’est que c’est une langue qui s’enrichie de toutes influences. Sinon ce serait une langue morte depuis longtemps. Certains se plaignent qu’il y a trop de mots anglais dans le Français ; mais il y a tellement de mots français dans l’Anglais! L’enrichissement, c’est le mélange. Et je suis français, au même titre qu’un Breton. Ce que je fais aussi fait partie de la culture française, au même titre que ce que fait le Breton ou le Corse. Mais on  n’y pense pas souvent. C’est pour cela que souvent en Guadeloupe ou en Martinique on dit que nous ne sommes pas des Français « à part entière », mais des Français « entièrement à part ». Souvent nous ne sommes pas considérés comme de vrais Français, je ne sais pas pourquoi. Ce n’est pas normal.  Il ne faut pas avoir peur des autres. Quand on a peur, on a tendance à détruire. Enfin c’est ce que je pense, mais je ne suis pas un gourou ; ce n’est pas mon rôle sur terre. Je partage ce que j’aime, mon expérience, mais je ne veux pas imposer un modèle. Je suis un optimiste et j’aime les gens. Et c’est un retour que j’ai souvent sur ma musique : beaucoup de personnes qui écoutent cet album me disent que c’est très joyeux et optimiste. Dans cette époque que nous vivons, je trouve que c’est précieux d’arriver à apporter un peu de joie ou de sourire ne serait-ce qu’à une personne. Alors ça me réchauffe le cœur qu’on me dise ça, car ça veut dire que cet album a réussit. C’est un pari gagné.     

 

 

Miren Funke

Nous remercions spécialement Véronique et Nathalie

 

 

Liens : facebook :https://www.facebook.com/DKynnerofficial

album : https://smarturl.it/dgk-pasyon-kreyol?fbclid=IwAR2sw5SiQdeSqZmTkMjFQEXHkuqyCTAGoodXaQQD4ySK0HLOy_nBXFMpgcE

Site d’Akaz https://akazstudios.wixsite.com/akazstudios

https://www.facebook.com/Akazstudio/

 

Carnet d’un chanteur de casino hors saison, Guy Marchand

1 Oct

Guy Marchand

Guy Marchand

Retour sur une chronique de 2016, en attendant le nouvel album de Guy Marchand pour Novembre.

Chanteur de casino, crooner made in France, Burma for ever… Comme un vieux chien des villes qui chante le blues, même s’il se dit plutôt … un chat qui ne va pas dans le sens qu’on veut et qu’on n’enferme pas dans un sac.

Les éditions du Cherche Midi ont invité Guy Marchand à livrer quelques considérations sur ses vies  de chat à neuf vies, galapiat des barrières, et de Belleville, celui pour qui Léo Malet avait créé Nestor Burma* avant de connaître Guy Marchand. C’est la marque des héros, ils sont dans l’histoire avant même d’être nés, ou presque.

Ce Carnet d’un chanteur de casino hors saison, est une très agréable promenade en compagnie d’un dandy qui se dit parfois vulgaire par hérédité des fortifs de Romainville, il faut y voir un goût anglais pour l’autodérision, assez proche de la cyranesque attitude, je me les sers moi-même avec assez de verve, mais je ne permets pas qu’un autre me les serve.

Mi journal, mi carnet, il se livre en pointillés qui font le portrait en creux d’un mec très attachant. Un séducteur qui frime dans Bullitt, 8 cylindres et chromes étincelants, mais ce sont des John Lobb** qui caressent l’accélérateur, en douceur,  rien de mieux que le feulement d’un V8 pour écouter Ben Webster ou Charlie Parker ou Sidney Bechet.  Ou La Symphonie inachevée. Et si les femmes l’aiment, et réciproquement, c’est peut-être aussi, parce que, « Mesdames, ce n’est plus votre sein qui m’intéresse mais votre cœur. » Avec des mots comme ça, comment résister ?

Carnet d'un chanteurCe carnet se déguste comme une boîte de bonbons mélangés sucrés-salés, parfois un peu poivrés, c’est parfois cruellement délicieux, jamais amer ni aigri. Chanteur de casino ? Pourquoi pas, mais…

« Avant tout je suis un chanteur. Ce que j’aime, lorsque je chante, c’est la volupté immédiate. Quand je suis sur scène, le public est en bas, dans l’obscurité – mais il est là et son silence chaleureux peut me consoler de tout.  Ce que j’aime, c’est quand le temps s’arrête. Là, je suis avec eux, légèrement en deçà, et tout d’un coup, les cœurs battent plus doucement, les cellules cancéreuses ne prolifèrent plus, et pendant une heure et demie, dans cette sorte d’église, tout est léger. Et c’est moi le grand prêtre. »

Chanteur, comédien, voici un des plus beaux moments, c’est peut-être Burma qui chante ce blues, dans une couleur Raymond Chandler/Philip Marlowe quand c’est blues une ville, la nuit.

Taxi de nuit, 5’15,  avec sax autour de minuit quand la nuit se fait bleue ecchymose,

Et quand c’est bon on bisse !  GUY MARCHAND chante « Taxi de Nuit » au Sigean Jazz festival 2009

Norbert Gabriel

*Who is Nestor ? Nestor Burma est un détective privé de fiction, créé en 1942 par Léo Malet. « On peut le considérer comme le premier privé de la littérature policière française ». Et un homme né en 1942, ne peut être foncièrement mauvais… Richard Bohringer, Cassius Clay, dit Mohamed Ali, Scorcèse, Plamondon, Aretha Franklin, John McLaughlin, Valérie Lagrange, Raymond Depardon, Pescarolo et Drucker, Fugain et Rufus,

Who is Guy Marchand?  Officier de la Légion, chanteur, auteur de chansons, écrivain (entre autres « Le soleil des enfants perdus)  interprète, comédien, joueur de polo, amoureux… Neufs vies ?  C’est pas fini…

John Lobb** un des plus smarts des bottiers anglais, qui chausse Buckingham…

Carnet d’un chanteur de casino hors saison, éditions du Cherche Midi, Octobre 2015

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