Archive | août, 2020

Jen Iza et Ben, les enfants d’abord ..

28 Août

 

Nous sommes un certain nombre à avoir applaudi Jennifer Quillet dans ses multiples talents, aux côtés de Nathalie Miravette ou Pierre Margot, comme multi instrumentiste, ou partenaire de jeux de scène dans des compositions burlesques à rendre jaloux Buster Keaton ou Frégoli…

Et puis, éclipse, disparition des scènes, pourquoi ?

« Parce qu’un jour j’ai réalisé qu’une heure trente de très grand plaisir en scène me séparait deux jours de ma fille , et le bilan a été vite fait. » Et parfois il y a des tournées …

Dans son parcours, musicienne, enseignante, animatrice dans diverses structures éducatives et culturelles, il y avait tout pour la suite : « auteure de livres pour jeune public » Avec mademoiselle Daenerys, comme source d’inspiration et pilote d’essai …

Le résultat se concrétise par deux livres réunissant des jeux, des activités manuelles, et de la recherche aussi … Grâce aux voyages spatio temporels d’Iza et Ben : un bon moyen pour les parents de se mettre à jour pour ne pas paraître un peu bécassou devant leurs enfants. Même si on se considère comme un puits de science, il y a quelques exercices qui peuvent ramener à une pincée de modestie.. Et c’est aussi un bon moyen de s’exercer à une utilisation combinée des travaux à l’ancienne, et des moyens modernes du web si vous avez des lacunes en égyptologie ou voyages interplanétaires…

L’auteure Jennifer Quillet / Jen Killy décrit ce projet réalisé :

Une série de livres pour la jeunesse. Chaque histoire intègre l’enfant lecteur qui va aider les héros grâce à de nombreuses activités (bricolages, recettes, jeux, expériences) tel un livre d’activité scénarisé.
Mon but est d’amener l’enfant à participer à l’histoire via le jeu et les activités manuelles.
Activités et Goodies

Retrouvez tous les bricolages du livre sur le site, clic sur  : 

Vous pourrez les télécharger, les imprimer, et les partager à votre convenance, pour le plaisir de toutes et de tous.

NB : Ayant un peu dépassé l’âge qui est « la cible » je regrette de ne plus avoir de petits enfants en âge de partager avec eux ces aventures d’Iza et Ben , mais on ne guérit jamais de son enfance, et c’est une bonne maladie finalement.

Norbert Gabriel

Musique, héritage militant et solidarité avec les immigrés : concert et entretien du Cri du Peuple au Kabako

25 Août

 

Le Kabako, quésaco? C’est ainsi que fut renommé récemment un local départemental de Bordeaux à l’abandon, réquisitionné il y a quelques mois par des bénévoles du secteur associatif pour héberger des réfugiés mineurs s’étant retrouvés à la rue, car non pris en charge par les autorités en attendant que leur minorité soit officiellement reconnue. « Kabako » signifiant « surprise » en langue Bambara, parlée au Mali et en Afrique de l’Ouest, et par une partie des jeunes y ayant trouvé un foyer inespéré, temporairement au moins, comme un clin d’œil au sens de son nom, l’endroit résonnait jeudi dernier au rythme d’un concert surprise du Cri du Peuple. L’ensemble vocal bordelais qui depuis quinze ans anime, accompagne et soutient les luttes sociales en interprétant des chants des répertoires anarchiste, antifasciste et féministe français et européen nous avait déjà accordé un entretien l’an passé, à l’occasion du Festival contre le racisme et les stéréotypes à Cenon (33) [lire ici], pour raconter l’aventure humaine d’un collectif de personnes unies par des valeurs et des idées philosophico-politiques communes, l’envie d’extirper de l’oubli des chants de lutte appartenant au patrimoine populaire plus ou moins ancien et de les faire (re)vivre et connaitre, et la volonté de donner un sens à la perpétuation de cet héritage musical et culturel en se produisant bénévolement en soutien à des mouvements, rassemblements et actions pour défendre en chanson les causes qui les touchent et leur semblent justes.

Toute manifestation politique ou festivalière étant interdite depuis des mois, en raison de la pandémie, la période était appropriée pour que Le Cri du Peuple s’attèle enfin à l’enregistrement d’un album compilant certains des morceaux avec lesquels le groupe a enchanté et rempli d’une énergie, d’une chaleur et d’une lumière bienfaisantes le militantisme local au cours de ses quinze années d’existence. C’est donc heureux de la perspective de sortie de l’album qui se profile à l’horizon, que Le Cri du Peuple, dont plusieurs membres font partie des bénévoles s’occupant du Kabako, a décidé de s’y produire, en premier lieu pour partager un moment festif et musical avec les jeunes. Et quand on imagine ne serait-ce qu’un dixième des épreuves et des vécus parfois traumatiques que ces personnes ont traversé, à peine sorties de l’enfance, pour l’espoir d’une vie meilleure en Europe -ou d’une vie tout court-, c’est sans trop de peine qu’on envisage combien leur offrir un moment d’amusement, de musique et de poésie est aussi vital que l’entre-aide matérielle et le soutien juridique. Seule preuve en fut la réaction éclatante de joie de ce jeune public, dont a priori on aurait pu craindre qu’il ne soit pas très réceptif à des chants militants ne lui étant pas familiers. Et pourtant : l’entendre reprendre le refrain féministe « Non, c’est non! » en chœurs, battre le rythme sur des percutions de fortune ou en frappant des mains pour accompagner la chanson de révolte québécoise « Je suis fils », et le voir danser sur l’hymne anarchiste espagnol « A las barricadas » suffit amplement à saisir toute la dimension universelle -et simplement humaine en fait- du langage musical et de la force que les élans de chants de lutte et d’espoir peuvent intuitivement communiquer. Nous profitions de la soirée pour un nouvel entretien avec des membres du Cri du Peuple pour en parler.

 

– Bonsoir et merci de nous accorder cet entretien. On ne présente plus votre chorale qui s’est fait entendre depuis quinze ans en Gironde pour appuyer les mouvements, manifestations et luttes sociales en chansons, et ressuscite et fait vivre le patrimoine musical anarchiste francophone. Où en est l’aventure du Cri du Peuple aujourd’hui?

-Pat : Le terme de « chorale » en fait ne convient pas vraiment à notre ensemble. Déjà pour intégrer une chorale, on demande de savoir chanter, et même si nous savons chanter, ce n’est pas notre premier critère de recrutement de nouveaux membres. Il faut d’abord que les gens aient nos idées, sociales, libertaires, féministes, antifasciste, antiracistes, et puis que ce soient des gens avec qui ça fonctionne. On se rend compte que quand trop de nouveaux membres arrivent dans l’ensemble, on a des problèmes de fonctionnement. De ce fait nous privilégions l’appellation de groupe.

-Muriel : C’est difficile d’intégrer des gens. Il y a quand même un esprit et ce n’est pas facile d’apprendre les morceaux, d’autant qu’il n’y a pas tant de membres que ça qui sont musiciens. Les gens pensent qu’on monte un morceau en trois minutes et demi. Mais en réalité c’est très long, parfois laborieux, de structurer une chanson, l’harmoniser, décider comment on va la chanter. Si en plus il y a trop de nouveaux membres à former au fonctionnement dont nous avons l’habitude, ça complique tout, à moins que les gens connaissent déjà le groupe et nos chansons. Apprendre à s’écouter mutuellement, se caler, chanter avec les autres, ce n’est pas la même chose que chanter juste seul. Et je pense qu’il y a plein de choses dans l’ambiance et l’état d’esprit du groupe qui sont liées à la façon dont on travaille, donc il n’est pas question de changer de méthode. On ne travaille pas avec des partitions, des notes, le métronome.

-Julien : On travaille avec des bières!

-Muriel : Non, mais on tâtonne, on cherche, des fois quand un morceau est proposé, on va en écouter diverses interprétations pour se faire une idée. Il y a un gros travail de réappropriation et d’interprétation des morceaux.
Samia : Et puis surtout ce n’est pas une chorale où tu viens juste chanter. C’est un groupe, parce qu’on compte les unes sur les autres. On n’a pas de chef de chœur.

 

– Un album à sortir va venir ponctuer l’histoire du groupe. Comment et pourquoi avoir décidé d’enregistrer enfin ce répertoire que vous faites vivre depuis quinze ans en public ?

-Muriel : D’habitude lorsqu’on décide d’un set à chanter en public, on le répète beaucoup, et puis on chante. Ce printemps-ci, on n’a pas fait cela, car en vertu de la pandémie, tous les festivals et évènements ont été déprogrammés. Du coup on en a profité pour s’occuper de cet enregistrement, d’autant que notre copain ingénieur du son, Jean, était disponible, n’ayant aucun engagement à cause du confinement. On a d’abord fait une première réunion avec lui, car ce qu’on voulait, nous, ce n’était pas un son de studio carré et formaté. Il a fait plusieurs prises, en répétitions aussi, sur le vif parfois, et comme il connait le groupe pour nous avoir vus plusieurs fois, il savait nous dire lorsque la prise correspondait exactement à l’esprit du groupe, et à l’énergie de ce qu’on dégage en concert. On espère vraiment qu’à l’écoute du disque on retrouve cette énergie et cet esprit qui investit les chansons et y met de l’intention. Parfois Jean se cachait pour nous capter, et on oubliait se présence, ce qui fait qu’on se lâchait plus. Je pense que c’est dans ces moments peut-être qu’il a eu de meilleures prises.

-Julien : Certains morceaux quand même ne sont pas pris en live ; on a du les enregistrer instrument par instrument, et pupitre par pupitre.

– Muriel : On ne peut pas faire un disque qu’avec des prises live, parce que par moment fatalement l’accordéon par exemple couvre les voix. Techniquement je ne sais pas comment Jean va se débrouiller, mais j’aimerais bien qu’on retrouve vraiment quelque chose qui ressemble à ce que fait Le Cri du Peuple.   

 

– Comment avez-vous orienté le choix des chansons qui se retrouveront sur l’enregistrement?

-Muriel : L’idée était d’y mettre aussi des morceaux représentatifs de ce que nous faisons depuis le début. C’est pour ça qu’on est allé déterrer de vieux morceaux qu’on n’avait plus chantés depuis longtemps, et d’ailleurs que les nouvelles membres ne connaissaient absolument pas.  L’enregistrement nous a donné donc l’idée de réintégrer dans le nouveau set de vieilles chansons qu’on a mises dans l’enregistrement, car elles sont l’histoire du Cri du Peuple. Du coup une vieille copine qui était une ancienne membre du groupe a décidé de revenir aux répétitions. Donc en longueur on est à treize ou quatorze morceaux enregistrés. Et puis il y aura des invités sur l’album, car Christine, qui est la mémoire vivante du Cri du Peuple, a recontacté des musiciens qui à l’époque des premiers morceaux avaient joué avec nous, mais n’en disons pas plus pour le moment. On voulait que le disque reflète vraiment l’histoire du groupe, qui existe quand même depuis quinze ans, et pas seulement des derniers morceaux en date.

-Marina : Pour les « jeunes » membres, on a pris plaisir à découvrir ces anciens morceaux. J’ai adoré.

-Pat : Actuellement l’enregistrement est presque terminé. Ensuite, on devra certainement lancer une souscription ou une précommande pour trouver des sous pour payer le pressage.

– Muriel : Parce qu’on ne va pas demander non plus aux gens de faire ce boulot bénévolement pour nous. Ce sont des gens qui possèdent des compétences qu’on n’a pas pour faire ce travail, qui y passent du temps et y consacrent des efforts. Il est donc normal de les rémunérer.

 

– Parlons du concert de ce soir, qui a lieu sans avoir vraiment été annoncé à grand fracas : est-ce à dire que son but est moins d’attirer du public pour découvrir ou soutenir ce lieu que d’offrir un moment de partage et de joie aux jeunes qui y sont hébergés et aussi aux bénévoles qui s’y impliquent, et dont d’ailleurs plusieurs membres du groupe sont ?

– Samia : On est très contentes de chanter ce soir ici au Kabako, qui est un lieu de vie pour mineurs non accompagnés en recours, c’est-à-dire qui ont été déclarés non-mineurs par le département, et ont soumis un recours au juge des enfants pour obtenir que leur minorité soit reconnue. Il faut savoir que durant ce temps là, en attente de la décision, aucune instance, ni personne ne s’occupe d’eux : étant officiellement ni mineur ni majeur, ils se retrouvent donc à la rue. Ce lieu qui était ouvert a donc été occupé par des bénévoles afin qu’il accueille la trentaine de jeunes qui y est actuellement hébergée. L’idée du concert est née collectivement, puisque nous sommes quatre ou cinq membres du Cri du Peuple à venir régulièrement passer des journées et des nuits ici. On s’est dit que ce serait une bonne idée de chanter pour eux, devant eux, et leur offrir une petite soirée. J’ai édité les paroles des chansons, parce qu’on a pensé que ça pourrait aussi servir d’atelier lecture, car tout est prétexte à apprendre.

– Muriel : Et puis les mesures sanitaires relatives à la pandémie compliquent tout : on ne peut pas appeler les gens à venir soutenir massivement ou participer à un spectacle, ni même passer à une journée « portes ouvertes », comme ça s’organise dans les squats traditionnellement. Heureusement il n’y a eu aucun cas de personne infectée ici, car nul doute que ça pourrait servir de prétexte pour faire évacuer le lieu.

 

– Puisque vous y êtes bénévoles, pouvez-vous présenter le lieu, sa création et son fonctionnement ?

-Julien : Des bénévoles ont constitué un collectif indépendant, qui n’est pas affilié à une organisation particulière, même si certains sont membres d’associations ou de syndicats. Il y avait même les nouveaux élus à la mairie de Bordeaux, de la liste Bordeaux en Lutte, présent le jour l’investissement des lieux.

-Samia : Mais personne n’agit au nom de son association, groupe ou syndicat ; nous ne sommes qu’un collectif d’individus.

-Jules : Pour le moment les autorités restent tolérantes quant à l’occupation du lieu, qui est sécurisée et paisible. C’est bien que les jeunes aient cet endroit où vivre au lieu de passer l’été à la rue, autrement il aurait fallu rouvrir l’Athénée Libertaire pour y organiser des repas de l’accueil de jour, comme l’été dernier [lire  ici].

– Pat : Il y a quand même des rumeurs de risque d’expulsion, évidemment à cause des déclarations de la préfecture.

-Marina : Mais pour l’instant, il n’y a pas d’arrêté d’expulsion ni de procédure, car le bâtiment appartient au département.

-Sandrine : C’était celui de la MDSI, la Maison Départementale de la Solidarité et de l’Insertion, donc un lieu dédié qui finalement rempli une mission dans le même esprit, avec des espaces qui permettent de loger presque décemment les jeunes. Le problème est que des jeunes continuent d’arriver, car il y en a qui se retrouvent mis à la rue chaque jour sur décision du département qui leur refuse l’aide sociale à l’enfance. Pendant la période d’évaluation de leur dossier, qui dure d’un mois à un mois et demi, ils sont logés dans des hôtels, avec un éducateur qui passe les voir, mais sans prise en charge médicale, encore moins psychologique ou affective, alors que certains ont un vécu vraiment traumatique. On leur donne des tickets restaurant pour aller dans des fastfoods, où ils n’en peuvent plus de manger de la merde. Et puis on les jette à la rue soudainement si le dossier de reconnaissance de minorité est invalidé. Donc ici ils peuvent dormir, se reposer, cuisiner, participer à l’entretien et aux tâches ménagères ensemble, s’instruire et faire des activités. Pour la question alimentaire on bénéficie de deux sources de récupération : l’Amicale Laïque de Bacalan [NDLR quartier voisin], et la Banque Alimentaire, via l’association Les Enfants de Coluche et Alimentation Solidaire 33.

– Marina : D’ailleurs si tu peux faire passer un message, ils ont besoin d’argent, car ça coute cher d’acheter de la nourriture. Donc il y a un besoin d’aide financière pour pouvoir continuer de sortir de la nourriture de la Banque Alimentaire et la distribuer. On peut y contribuer ici : lire ici

 

– Que signifie le nom du lieu Kabako ?

-Samia : Il veut dire « surprise » en Bambara, qui est une langue du Mali et d’Afrique de l’Ouest. Il a été choisi par un jeune qui d’ailleurs n’est plus ici. Heureusement certains partent quand même avec une meilleure solution, ce qui libère la place pour d’autres. Un avocat a réussit a obtenir récemment un référé qui va dans le sens de ce qu’on réclame, à savoir que les jeunes soient pris en charge par le département jusqu’à la fin de leur dernier recours. Et on espère que ce lieu sera le dernier de ce genre à avoir besoin d’exister et que demain il n’y aura plus de mineur à la rue.

 

 

 

Miren Funke

Photos : Miren et CDP

 

Liens:  page fb du Cri du Peuple : https://www.facebook.com/lecridupeuplebordeaux

 

Page du Kabako : https://www.facebook.com/Kabakobordeaux

Soutien en ligne : ici

 

Page fb Alimentation Solidaire 33 : https://www.facebook.com/Alimentation-Solidaire-33-108403657489936/

Cagnotte :  —-> clic sur la bourse   

 

Entretien avec la chorale anarchiste Le Cri du Peuple à l’occasion du Festival contre le racisme et les stéréotypes

13 Août

Samedi 11 mai avait lieu à l’espace Le Rocher de Palmer de Cenon, près de Bordeaux, le Festival contre le racisme et les stéréotypes, organisé à l’initiative de Solidaire 33. La journée proposant au public conférences, ateliers et débats sur le thème, ainsi que la pièce musicale d’HK « Du cœur à l’outrage » et plusieurs concerts, s’annonçait être un de ces évènements bénéfiques et dynamisants qui rassemblent les gens, voient se rejoindre les copains, se produire des rencontres, se nouer des liens, et enrichissent de poésie les cœurs venus se ressourcer à la chaleur humaine et au partage des valeurs généreuses et altruistes. De valeurs et de poésie, il en fut précisément question durant la représentation de la chorale anarchiste Le Cri du Peuple, ensemble vocal bordelais qui depuis plusieurs années donne vigoureusement de la voix et porte la force des convictions en musique, à l’occasion de moments militants et en soutien à des causes précises, comme ce fut le cas le mois précédent, durant l’initiative évènementielle «Bienvenue» consacrée au thème de l’accueil des réfugiés. De mémoire aussi, la particularité du Cri du Peuple étant de chanter un répertoire constitué de chants de lutte anarchistes, qui, s’il comporte des morceaux récents connus de tous les libertaires au moins, a pris le parti d’extirper de l’oubli et de l’anonymat des chansons égarées ou ignorées du patrimoine musical anarchiste français, et de leur redonner vie et écho. A les entendre résonner à nouveau, c’est plus que le saisissement d’un mouvement de cœur au souvenir de ces anciens rêves et de ces colères justes qui animaient l’idéalisme des âmes insurgées qu’on savoure ; c’est aussi une œuvre de salubrité et de sauvegarde culturelle qui enchante la survivance d’un esprit et les combats qui l’incarnent. Une œuvre en préliminaire de laquelle Le Cri du Peuple avait choisi exceptionnellement d’interpréter en duo avec HK, la chanson « Ta récompense » de son groupe HK et les Saltimbanks. Quelques instants après la fin du concert plusieurs membres de la formation acceptaient de nous raconter leur aventure.

-Bonjour et merci de nous accorder un entretien après votre concert. Comment est née l’idée de cette chorale ?

-Christine : Il y avait un groupe de chants de luttes qui avait été fondé par Nadia de la Fiancée du Pirate à Langoiran avec des copines à elle. Nadia était une amie et comme j’habitais Bordeaux, je l’ai pas mal tannée pour qu’elle fasse ça à Bordeaux. Je ne sais pas si ça l’a influencée, mais il se trouve qu’elle a décidé de transporter ce groupe à Bordeaux, ce qui faisait loin pour les copines de Langoiran, donc on a fait appel à des copains et des copines. Du coup le groupe a débuté au local « Rastacouère » à Bordeaux en 2003-2004, notamment avec moi et Muriel. Tu as là le canal historique.

-Muriel : Il y avait au début pas mal de chansons en langues étrangères, « Pinelli », l’histoire de cet anarchiste défenestré en Italie dans les années 1970, une autre chanson d’Amérique latine, une chanson catalane, « L’Estaca », beaucoup de chansons antimilitaristes aussi. Et puis on a fait un set spécial en Espagnol pour la commémoration de la révolution espagnole en 2006. En fait au départ c’était un groupe de chansons historiques militantes qui reprenait les classiques.

-Christine : Le principe du Cri du Peuple, c’est qu’il reste une partie des gens qui étaient là au départ, nous trois en fait , plus Anne-Laure qui est revenue il y a 2 ou 3 ans , et qui faisait partie du groupe de Langoiran . Il y a toujours eu des gens qui passaient et qui repartaient, le plus souvent, car c’était des gens jeunes, des étudiant.es, qui repartaient s’installer ailleurs ensuite. Et puis parfois certain.es sont parti.es, car il.les trouvaient notre discours trop radical. Par exemple la dernière chanson que nous avons chantée ce soir sur « Le vote » est typiquement le genre de chansons clivantes, qui a pu faire que certain.es ne se sentaient pas de la chanter, étant en désaccord. Clairement Le Cri du Peuple est une chorale anarchiste ; mais il y a des gens dedans qui ne sont pas anarchistes, et on a le droit de ne pas l’être, et de ne pas toujours en accord avec les paroles. On n’est pas obligé d’être anarchiste pour chanter dans notre chorale, mais il y a des principes anarchistes non négociables que nous défendons ; si on n’y adhère pas, on peut aller dans une autre chorale, mais on n’est pas obligé d’être anarchiste pour chanter avec nous, si ça ne gène pas d’assumer les paroles des chansons.

Muriel : Mais le choix du répertoire que l’on chante est de mettre en avant cette mémoire là, qui n’est pas beaucoup chantée. On peut entendre « Bella ciao » ou « l’Internationale » partout ; mais nous avons choisi de déterrer des chants qu’on n’entend nulle part ailleurs, car nous sommes spécifiquement anarchistes. On n’est pas une chorale de rebellitude mainstream.

-Aujourd’hui vous avez pu interpréter un titre d’HK et Les Saltimbanks en duo avec HK. Avez souvent l’occasion de partager des moments artistiques comme celui -là ?

-Muriel : C’est le truc sympa qu’on a réussi à faire avec d’autres chorales ou artistes. On avait fait un concert avec La Chorale à Deux Balles. Et c’est marrant, car on essaye de trouver des chants en commun et de monter un truc un peu spécial pour la soirée.

-Christine : Quand La Collectore avait fait le présentation de son dernier album sur scène à Barbey, on était monté chanter avec eux. Le mois dernier on a chanté avec El Comunero qui interprète un set de chants de la Révolution Espagnole .

-Muriel : On a chanté pour le festival Bienvenue. Donc il y a toujours ce côté où on essaye de partager des moments, comme on a fait cet après-midi avec HK, même si c’était un peu improvisé.

-L’évènement Bienvenue, qui a réuni au mois d’avril des moments artistiques et festifs ainsi que des débats et conférences autour du thème de l’accueil des réfugiés en France et en Europe, tout comme ce Festival contre le racisme et les stéréotypes qui se tient aujourd’hui, n’est pas la seule occasion militante où vous vous êtes produits. Est-ce primordial pour vous de chanter pour soutenir ?

-Muriel : L’autre particularité c’est que nous ne chantons pas n’importe où quand même. Ce n’est pas parce que les gens ne voudraient pas qu’on y chante. Mais nous ne souhaitons pas aller chanter dans un bar super commercial par exemple qui voudrait nous faire venir parce que c’est trop fun de s’encanailler avec des anarchistes. On choisit les endroits où on chante et on aime bien chanter en soutien à des causes. On ne va pas aller dans un lieu beauf ou sexiste ; ça fait partie de nos principes d’affirmer qu’on ne va pas nous utiliser n’importe où. Et depuis le début on avait également l’idée de chanter dans les manifestations, ou des moments de lutte comme des piquets de grèves ou des blocages, parce que ça donne la pêche de pouvoir manifester en chanson. Quand tu bloques un dépôt et que tu dois attendre toute la nuit, c’est cool de chanter et se redonner de la vigueur. Lorsqu’on a chanté l’autre jour sous La Tente à Son sur les quais pour Bienvenue, c’était vraiment un soutien à un moment de lutte et aux réfugié.es . On a pas mal chanté en soutien aux réfugié.es , car la situation à Bordeaux est quand même grave et ils ont vraiment besoin d’aide, d’argent aussi, donc faire passer le chapeau pour eux en fin de concert n’est pas inutile. Et pour nous, ça donne du sens à ce qu’on chante : ce n’est pas que du folklore.

-Christine : Et l’idée c’est aussi de faire des sous pour les caisses de soutien. On ne va pas cautionner n’importe quoi, ce qui ne veut pas dire que parfois on ne s’est pas peut-être fourvoyé. On essaye effectivement d’avoir aussi un discours féministe en même temps qu’anarchiste, parce que ça ne va pas toujours de pair ; il faut le savoir.

-Au sujet de la cause féministe justement, Le Cri du Peuple a été pendant longtemps une chorale quasi-entièrement féminine, ce qui pouvait laisser croire qu’elle était strictement réservée aux filles. Aujourd’hui deux garçons participaient. L’introduction de garçons dans la chorale est-elle due à l’abandon d’un principe d’exclusivité féminine?

-Christine : Non. Il y en a quatre actuellement. Pendant très longtemps la chorale a été mixte ; c’était moitié-moitié. Il y a 2 ans, tous les gars étaient partis.

-Muriel : Il y a des moments de creux dans l’existence de la chorale ; on la maintient, mais elle a parfois été un peu en veilleuse, car il n’y avait plus trop de monde. Mais cette chorale existe, et repart chaque fois.

-Christine : On n’accepte pas non plus n’importe qui.

-Quels sont vos critères d’acceptation ? Chanter juste ?

-Muriel : Non ! Le seul critère que l’on n’impose pas, c’est de chanter juste, et c’est parfois dommage.

-Christine : Il y a souvent des gens qui pensent chanter faux, et qui en fait avec la pratique s’aperçoivent qu’ils peuvent chanter juste.

-Pat : Pour revenir à la présence de garçons, on n’a jamais décrété qu’on était une chorale purement féminine, donc on est content.e d’avoir des camarades garçons avec nous. Par contre tu as peut-être remarqué que sur certaines chansons comme « Toutes des putes » ou « Non, c’est non », ils se mettent en retrait.

-Julien : Quand je suis arrivé j’étais persuadé que la chorale était non-mixte, car je les avais vues chanter quelques fois. Et c’est Marina qui m’en a parlé et assuré que ce n’était pas le cas. J’étais plutôt timide au début, mais ça s’est bien passé : j’ai trouvé de suite ma place et rencontré une bienveillance énorme.

-Pat : Tu vois dans les critères, il y a ça : la bienveillance. Parfois on refuse des gens, car on est suffisamment nombreu.ses et bien rodé.es comme ça, mais ce n’est pas discriminatoire.

-Christine : Personnellement j’ai beaucoup insisté pour qu’il y ait plus de garçon. Et puis les camarades qui viennent, nous les connaissons ; on sait que ce n’est pas n’importe qui. On ne recrute pas vraiment ; ça marche un peu par cooptation. Les nouveaux , par exemple , sont des camarades de Boris ou Julien .

-Muriel : Ce sont quand même des gens qu’on côtoie, et dont on sait que pour eux ce n’est pas juste un truc artistique funky, et que ce sont des gens à qui ces chansons parlent.

-Christine : On ne souhaite pas non plus se retrouver avec des mecs qui vont nous expliquer la vie. Par exemple si on décide de faire un morceau, nous les femmes, sur le féminisme, sans que les garçons chantent, nos camarades le respectent ; il n’est pas question de discuter le bout de gras avec un relou qui va nous expliquer qu’il est aussi féministe que nous et vouloir s’imposer.

-Julien : Et puis on est 15 au total dans la chorale, donc il ne faut pas qu’il y ait trop de décalage non plus entre les idées de chacun, si on veut que l’alchimie du groupe continue de fonctionner. Là on sait qu’on pense à peu près tous la même chose d’un point de vue militant.

-Votre répertoire a évolué depuis les débuts, où on entendait bien plus de chants internationaux lors des représentations, qui ont laissé la place à des morceaux issus du patrimoine anarchiste français, souvent méconnus, que vous avez sortis de l’oubli. Est-ce par soucis linguistique ou par désir de faire revivre les chants d’un répertoire en voie de disparition?

-Muriel : Dans l’évolution, on a de plus en plus laissé tomber des chants en langue étrangère, par soucis que les gens du public comprennent ce qu’on chante. Sur un concert comme celui de cet après-midi, si les gens ne parlent pas l’Espagnol ou l’Anglais, c’est compliqué. Du coup on a resserré petit à petit le répertoire autour des chants de lutte en Français, y compris « Homophobia » qui est une chanson du groupe punk britannique Chumbawamba, dont on a traduit les couplets en conservant uniquement le refrain en Anglais, car ça aurait été dommage que les gens ne comprennent pas ce que raconte le texte.

-Christine : D’ailleurs les gens sont désormais plus concentrés et plus en phase avec le set qu’avant.

-Muriel, tout à l’heure durant le set, tu as présenté Le Cri du Peuple comme un « passeur de mémoire », mais vous avez également intégré dans le set des morceaux récents issus de la scène punk alternative comme « Homophobia » justement ou « No pasaran » du groupe Les Cadavres. Est-ce à dire que vous considérez ces titres aussi comme appartenant au patrimoine de la chanson militante ?

-Muriel : C’est très compliqué, parce qu’à un moment, les anciennes du groupe, on en a eu marre de chanter toujours la même chose. Tu ne peux pas faire ça pendant des années. Donc on a voulu un peu renouveler, et on s’est dit qu’effectivement il y a des chants de lutte plus récents, qui ont de la gueule, qui veulent dire des choses, et c’est aussi finalement notre patrimoine. Je pense que la culture punk, c’est du patrimoine ; ça a un sens dans le milieu anarchiste, parce que le Punk a beaucoup collé à l’actualité et aux idées anarchistes.

-Christine : Et puis ce morceau des Cadavres a une histoire : on a fait un projet il y a trois ans qui s’appelait « Le Cri du Punk » avec un double set qui reprenait des morceaux du Cri du Peuple, et des morceaux punks, amplifié, avec des musiciens de plusieurs groupes bordelais ; nous étions une vingtaine sur scène.

-D’ailleurs vous chantez notamment un morceau typiquement issu du patrimoine bordelais, « Mon voisin vient de loin », créé par LaReplik [https://www.facebook.com/la.replik.pirates/] et repris plus d’une fois. Est-ce un clin d’œil affectif à la culture locale ou y a-t-il d’autres critères qui entrent en compte pour le choix des morceaux ?

-Christine : Nadia qui était dans la chorale avait été batteuse de LaReplik. On l’a repris et on l’a fait écouter une fois à Ludo [NDLR Ludo Tranier, chanteur de LaReplik et de Buscavida  (Voir ICI )

-Muriel : On aime ces trucs là aussi ! Et pour revenir au choix des chansons, parfois c’est conflictuel ; très souvent sur dix propositions nous en rejetons neuf.

-Christine : C’est compliqué : Parfois le thème n’est pas percutant ; parfois c’est souvent la forme qui va poser problème.

-Muriel : Oui : le premier critère rédhibitoire, c’est qu’il faut que ce soit réalisable en chorale. Il y a des chansons inchantables une fois qu’on leur a retiré les instruments. Si ça risque de ne rien rendre, ce n’est pas la peine. Et une fois que c’est recevable, car on peut en faire quelque chose en chorale, on s’engueule. C’est dur, car parfois certain.es peuvent en avoir un sentiment d’injustice.

-Christine : C’est toujours une blessure d’ego, lorsque tu proposes des chansons que tu aimes à un collectif et que c’est systématiquement ou souvent rejeté. Mais c’est très dur de choisir un morceau pour Le Cri du Peuple qui soit pertinent.

-Marina : Par exemple aujourd’hui, on a chanté « Le vote », mais on ne l’a pas tou.tes chanté. Y a des chansons que tout le monde ne se sent pas de chanter. On peut chanter une chanson à plusieurs, sans qu’elle fasse forcément consensus et les personnes qui n’ont pas envie de la chanter peuvent s’en abstenir.

-Muriel : Je ne suis pas entièrement d’accord, car je pense que la chorale ne ressemblerait à rien, si chaque fois, il y avait deux ou trois personnes qui s’abstenaient de chanter.

-Christine : L’anti-électoralisme est un sujet très clivant, car dans Le Cri du Peuple, il y a des gens qui ne sont pas anarchistes et qui votent. Du coup il.les ne chantent pas cette chanson, mais ça fait plusieurs années qu’on la fait, et même si elle est un peu nase –on est d’accord, elle vaut que dalle artistiquement-, ça fait des années qu’on se fait un peu plaisir à la chanter en quittant la scène. Donc qu’il y ait des gens qui ne la chantent pas, ce n’est pas grave. Par contre sur le set constitué, il faut quand même qu’il y ait consensus.

-Marina : Personnellement il y a des chansons que je n’apprécie pas beaucoup, mais qui par contre ne sont pas en désaccord avec mes valeurs et ne vont pas à l’encontre de ce que je suis ; par conséquent je les chante quand même.

-Muriel : Pour prendre l’exemple de « La rengaine », lorsqu’on a découvert cette chanson, on l’a kiffé dans la seconde et on s’est dit qu’il fallait en faire quelque chose, tellement c’est beau. On a été quelques une à faire nos autoritaires pour l’imposer alors qu’on avait décidé de ne pas modifier le set. On s’est fait grave engueuler ! Mais on avait envie d’embarquer tout le monde dans notre coup de cœur. Et ça valait le coup. Quand c’est compliqué et que ça bloque vraiment, on ne va pas se prendre la tête et on laisse tomber, car la priorité est quand même de se faire plaisir ensemble. S’il y a trop de conflit, ça veut dire qu’il ne faut pas prendre la chanson, car ça ne marchera pas.

-Boris : Justement dans cette chanson nous avons modifié un propos qui gênait certain.es.

-Muriel : Oui parce que cette chanson a été écrite avec dans le refrain une référence qui parle de « la chambre à gaz des banquiers ». Alors on s’est dit qu’en 2019, on ne pouvait pas chanter ça. La Shoah, c’est quelque chose de particulier qu’on ne peut pas instrumentaliser. Alors on a changé pour « la guillotine des banquiers ».

-Concernant les chansons comme « Je vote » que vous chantez sur l’air de « Se Canto » avec des paroles qui n’ont aucun rapport avec l’original, qui écrit les textes ?

-Muriel : C’est un texte que je tiens du milieu militant nantais, car je suis originaire de Nantes. Et lorsque je suis arrivée à Bordeaux, je chantais ça dans les fins de soirées, avec d’autres chants bretons ; c’était un peu le « off ».

à suivre entretien avec HK…

Miren Funke

photos : Miren, Kafar 33 (photo de Ludo de Buascavida)

Lien : https://www.facebook.com/lecridupeuplebordeaux/

Lien du festival https://www.facebook.com/events/556377694836345/

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