Archive | mai, 2020

Yves Duteil (3)  Le copyright, Internet, l’avenir du spectacle 

28 Mai
Dutei dejazet final AAA

Au théâtre Dejazet en dec 2007, photo NGabriel

Dernier volet les deux précédents sont consultables ICI   et  ICI

 

On assiste aussi à  une attaque en règle tendant à imposer le système du copyright américain c’est plus commode à gérer que le droit d’auteur, mais totalement injuste, par exemple le créateur de Superman est mort dans la misère, il n’était pas propriétaire des droits du personnage qu’il avait créé. Le vrai propriétaire était le propriétaire  du support, c’est ce qu’on est en train d’essayer d’induire avec les diffuseurs, les fournisseurs d’accès qui deviennent les maîtres du jeu…  On peut dire les choses de façon plus libre : de plus en plus, les créateurs  ne sont pas considérés comme de véritables partenaires au moment du partage, les créateurs ne sont pas invités au repas. On les considère plus comme des trouble-fête que des partenaires, alors qu’ils sont à l’origine de la chaîne de la création. Ils sont au début, pas à la fin.  

Le copyright c’est un peu comme les galéristes des peintres du passé, les toiles leur appartiennent en totalité, l’artiste n’a plus rien, c’est la galerie qui détient tous les droits, tous les pouvoirs, qui donne  l’autorisation de reproduction. Le créateur est dépossédé de ses droits. Dans le système US, et ce sont ceux-là qui sont les plus rigides sur le téléchargement sauvage, là, on envoie des armées d’avocats pour défendre ce qui doit tomber dans l’escarcelle du diffuseur, du propriétaire du support. Les artistes ne se sont jamais organisés par rapport à ça. Quand ils ont essayé de le faire, ils ont été récupérés par des gens qui savaient le faire bien mieux qu’eux. Notre métier est dominé par des gens qui ont la maîtrise du financier, du juridique, et les artistes ont toujours été très timides pour la défense de leur droits et n’ont jamais réussi à s’unir contrairement au cinéma, qui a créé le CNC, mais le CNC c’est un organisme de cinéaste. En dehors de la Sacem, qui est combattue comme jamais, les autres organismes sont ceux des organisateurs de spectacles, des diffuseurs, jamais les créateurs.  

Les intérêts des artistes sont différents de ceux des producteurs, des diffuseurs, des éditeurs, et de toute cette nébuleuse de métiers qui gère la musique. Or, le paradoxe c’est que la musique est partout, dans les ascenseurs, dans les gares, dans les aéroports, les boutiques, sur Internet, les Ipod,  les MP 3 ou 4 , elle est universelle et elle n’a jamais été autant méprisée pour elle-même et aussi écartée du circuit de ses  propres revenus qu’aujourd‘hui. C’est pour ça que je dis que c’est pas seulement Internet… Les exigences des artistes et créateurs sont toujours considérées comme injustifiées, alors que les arguments des adversaires  ceux qui profitent de cette manne sans la redistribuer sont toujours justifiés. 

Les artistes n’ont  pas assez conscience de leur rôle culturel, notre métier a des aspects variés, ça va de celui qui écrit tout seul un  texte qu’il va mettre sur les notes de sa guitare, jusqu’aux dizaines de camions qui transportent le matériel pour monter une super-production avec des équipes de centaines de techniciens, c’est le même métier, mais il ne peut être régi par les mêmes règles. 

Et pourtant, notre métier a ces  aspects complémentaires et différents. Il n’y a jamais eu autant de talents sur le terrain. 

Mais le talent n’est pas forcément dans la vitrine, plus les médias  se sont diversifiés plus la vitrine s’est rétrécie. En nombre d’artiste diffusés compte tenu de la taille des médias, on a un nombre infiniment plus petit d’artiste différents diffusés  

Et on a aujourd’hui un nombre encore plus restreint de titres diffusés alors que ces médias se sont diversifiés et que le talent sur le terrain est devenu incroyablement foisonnant. 

Il se passe qu’il y a un décalage de plus en plus grand entre la vitrine et la réalité de la création, et si on va sur internet, c’est la même chose, quand on clique sur le nom d’un artiste, c’est qu’on le connaît déjà, c’est pas donné à tout le monde de savoir que Jean Dupont existe qu’il a  fait un disque… voilà… on ne peut pas cliquer sur un nom qu’on ne connaît pas mais on va cliquer sur le nom de l’organisme qui les diffuse, c’est à dire les grands sites officiels, qui ont une première page, une deuxième, une dixième, une soixante douzième… mais qui a le temps d’aller voir la 72 ème page ? Donc on est rendu à la même problématique que les radios qui diffusent un nombre restreint d’artistes, comment faire pour connaître la diversité de la création si on ne peut avoir accès aux filières qui vont vous y mener ? 

Il y  a des chemins de hasard des rencontres, on reçoit des dizaines d’emails qui annoncent des show-case, mais on ne peut pas passer son temps à suivre des  liens pour entendre un bout de chanson. On reste sur la problématique de la promotion,  de laprésence dans toute sa diversité. 

On voit bien qu’il n y a pas que le problème d’Internet, il y a celui de la télévision, de la radio, de la production… Qui aujourd’hui va produire un artiste dont il ne sait pas s’il y  aura un débouché, un relais… ? 

 

Le « live nation » 

 

C’est inquiétant, le tout est de savoir par quelle vision ça va être sous tendu, si l’efficacité est plus grande tant mieux, mais si c’est ce qu’on a vu dans les maisons de disque, de moins  en moins dirigées par des artistiques et de plus en plus par des comptables-commerciaux qui exigent  des résultats rapides (le retour sur investissement) ce qui va à l’encontre de notre métier, de la nécessaire maturation des artistes, de l’évolution de la création, là on a du souci à se faire… On va développer en plus grand ce qui a tué les maisons de disques, qui vont de restructurations en restructurations, d’échecs en échecs, si le public ne trouve pas son compte il déserte, la mévente des CD c’est pas seulement Internet, c’est le manque de profusion dans ce qu’on nous propose… Quand on  se promène dans une librairie, il y a un foisonnement de livres incroyable, il existe encore des réseaux de libraires amoureux de la littérature, et grâce à la loi Lang, ils ont pu résister, et tenir, le prix unique du livre a sauvé la librairie du désastre que subit le disque actuellement. Donc il y a là une leçon, quand on ne voit pas venir les problèmes ils vous détruisent, on est en train de détruire la machine, et je crains que le spectacle ne suive, ce qui s’est passé avec les maisons de disques, est en train de se produire avec le spectacle, simplement parce que les maisons de disques sont en train de racheter les sociétés  productrices de spectacles, et ils ne vont pas sauver le disque avec le spectacle, mais saborder le spectacle en même temps que le disque. C’est ce qui arrive… les spectacles sont chers, avec des plateaux lourds et on use les artistes avant qu’ils ne soient mûrs pour faire une carrière… et tout le monde est sur la carreau, les communes qui perdent de l’argent, les artistes usés en une année, le public qui n’a plus assez d’argent pour payer des spectacles chers, qui ne plus y aller, la profusion et l’éparpillement, et le 360 ça fait partie d’une politique d’exploitation globale à outrance de filons sans la passion, sans la patience, sans le savoir-faire,  le savoir faire éclore une carrière d’artistes qui assuraient leur longévité 

 Aujourd’hui, on assiste à une transformation de nos métiers en une exploitation rapide et une vision à court terme 

Il est urgent d’avoir de notre métier une vision de développement durable, de biodiversité des espèces, en l’occurrence de la biodiversité des talents, qui consisterait à réfléchir à  des carrières durables, mettre un artiste  en confiance développer ce lien affectif avec le public, et permettre aux uns et autres de s’apprivoiser, de s’aimer, et d’entrer dans le coeur du public et pas seulement dans le hit parade 

C’est pas la tendance, tout va vers le contraire, le métier sait mieux que les artistes manipuler le juridique et l’administratif, on se rend compte que la loi sur les quotas, aussi imparfaite soit-elle a sauvé la production française, on est entrain de refaire la même erreur en considérant que la loi création et internet est liberticide, je fais  le comparatif parce que la chanson française existe encore grâce aux quotas, tout simplement 

La loi création et internet toute imparfaite qu’elle soit, est notre sauvegarde, c’est le premier pas vers la reconnaissance de la propriété intellectuelle, le respect des artistes, la possibilité pour les artistes d’avoir un métier qui ait une véritable économie de production 

Avec toutes ses lacunes, ses faiblesses,  elle a le mérite de nous offrir ce premier pas, elle est combattue comme loi liberticide sous prétexte de la liberté des internautes… mais on ne parle pas de la liberté des créateurs d’être maîtres de leur création. 

Et la propriété intellectuelle devient moins importante que la liberté de ceux qui pillent ce qui ne leur appartient pas.  

L’Europe se laisse souvent convaincre sur des arguments scabreux , par exemple, la commission a demandé que tout le monde se mette au niveau des plus bas, des moins-disants, c’est celui qui a le moins de choses à défendre, donc si on défend le patrimoine de la chanson française très riche, si on le met sur le même plan que la Tchécoslovaquie, ou un pays qui n’a pas un volume  de patrimoine à défendre, on ira acheter les oeuvres françaises au rabais  là où c’est le moins cher, et les artistes verront leurs droits encore bafoués. Il y a un déséquilibre flagrant. On ne peut pas simplifier à l’extrême, avec les mêmes conséquences désastreuses 

Les pays d’Europe abordent les problèmes comme celui de la taille des filets de pêche, avec des décisions prises à Bruxelles, au lieu de voir ce qu’il en est à Douarnenez, on ne  peut pas tout harmoniser au plus bas. 

Paroles.net 

Les droits encore une fois, les gens partagent ce qui ne leur appartient pas, même si c’est gratuit la consultation, il y a de la pub, et qui n’est pas répartie avec ceux qui sont les produits d’appels. 

De la même manière il y  a les images prise dans des concerts avec des tél ; on se retrouve diffusés dans des conditions désastreuses de qualités sonores ou visuelles, quel intérêt ? 

On dépense beaucoup d’énergie et d’argent pour faire des spectacles avec des conditions les meilleures, de beaux éclairages, avec du matériel très sophistiqué avec au bout du compte ne pas maîtriser que quelqu’un prenne son téléphone pour faire une captation avec un micro de tél portable…  

C’est devenu tellement dans les mœurs qu’on ne peut plus maîtriser ni son image ni le son, 

 Il y  a toute une pédagogie à faire sur ce thème … Le MP3 a une réelle utilité, mais il ne faut pas en faire le standard bas de gamme de l’écoute, ce n’est pas normal qu’on soit représentés dans les médias par des moyens médiocres, gérés par des gens qui n’ont aucune notion de ce qui est représentatif ou non de ce qu’on fait. C’est fait avec une bonne foi déconcertante,  

 

Il faut arriver à trouver des réponses  à tout ça… Quand on récrimine, on est pris pour un mauvais coucheur, l’artiste à un moment n’a plus voix au chapitre, il ne maîtrise pas le côté juridique, on a besoin  d’un comité d’éthique dans nos métiers, et peut-être que cette loi Internet va permettre à ce un comité d’éthique d’exister.  La France est un précurseur avec la Sacem, qu’elle le reste avec cette loi Internet et création. La Sacem est un exemple que tous les pays ont repris pour la répartition des droits.  

Les artistes deviennent des empêcheurs de chanter en rond, c’est simplement «  pas juste ».  

Ils créent une matière dont tout le monde se repait, et se glorifie, et eux ne font pas de bénéfices colossaux, d’ailleurs c’est plus souvent ceux qui les entourent qui les bordent, les endorment, les enrobent d’un entourage juridique très complexe, très élaboré qui  garantit à leur entourage des revenus confortables, ça c’est quand même assez extraordinaire 

Les concerts gratuits, sont  gratuits pour le public, sont souvent gratuits pour les artistes, mais ils ont parrainés par des radios, des télés, des opérateurs téléphoniques, mais il faut réserver ses places, par tél à numéros surtaxés et le bénéfice des coups de tél, il va où ? je crois savoir…   

Comme la fausse bonne idée  de la licence globale, ou des abonnements musicaux comment se fait la répartition des œuvres téléchargée ? elles se font sur des statistiques ce qui veut dire qu’un certain nombre d’artiste sont écartés de ces redistributions, et ce sont ceux qui en auraient le plus besoin. Je vois avec quelle précision quand on met un album dans les circuits de vente Amazon,  I-Tunes, tous ces sites légaux, la technique qui trace ces chargements est très élaborée c’est la preuve flagrante qu’on sait le faire, et très bien. 

 Donc il suffit dune varie volonté politique de le faire, elle existe mais elle se heure à une epur électorale d’aller trop loin, et d’indisposer les internautes électeurs… mais protéger la création, c’est protéger les créateurs, l’essentiel de notre profession est encerclée par de très lourds dispositifs financiers industriels qui ne veulent pas être encombrés de l’humanité des artistes, qui sont la partie imprévue, mais il faut les maitriser ; les empêcher de nuire , les contrôler, pourtant ce sont eux les générateurs de l’ensemble 

Ils sont dépossédés, c’est la poule aux œufs d’or, mais on peut la tuer, considérant qu’il y aura derrière d’autres poules aux oeufs d’or… mais je ne crois pas que les choses soient si simples, on a vu mourir des veines de création, de cette façon  

Nous on s’est toujours battus pour notre liberté, on l’a payée le prix fort, mais c’est ce qui nous permet d’être encore là, d’être toujours vivant parce qu’on a préservé cette liberté, ce qui me permet d’être heureux dans ce que je fais, d’avoir du plaisir à monter sur scène c’est un privilège cette liberté … en même temps, j’ai peur pour les générations actuelles..  

Notre métier a encore de belles heures parce que c’est un beau métier, c’est un métier magique, avec le lien avec le public,  écrire une chanson c’est partir d’une matière inexistante et forger quelque chose de concret qui distribue de l’émotion, et tout ça, le support de la magie, c’est aussi de la technique, et le support de la création, c’est aussi de la bienveillance, or cette bienveillance à l’égard des artistes, je trouve qu’elle a les dents bien longues ; et les griffes bien acérées, et beaucoup d’artistes ne survivront   pas ..  

Et je reçois  des dizaines de disques d’artistes qui ne survivront pas parce qu’il ne trouveront pas le sillon qui leur permettrait de poursuivre…parce qu’il n’y a plus de détecteurs de talents à l’écoute pour flairer quelque chose de nouveau.. aujourd’hui on est dans le format beaucoup plus que dans l’information, il y a un déficit d’information,  sur les nouvelles chansons ; on n’est pas dans une logique de développement durable dans notre métier, comme il y a une prise de conscience de l’essoufflement de la nature, des phénomènes climatiques violents, inquiétants, dans notre métier c’est la même chose, il y a une perte de biodiversité, et pas de prise de conscience de la profession, on est sur le même navire et s’il coule on coulera tous.. La chanson est un bien précieux, culturellement parlant, j’ai connu le Québec grâce à la chanson, elle doit rester l’expression du visage d’une époque et de liberté de ses créateurs. Aujourd’hui, la tendance est trop à l’appauvrissement 

 

(voir la lettre à mon métier, dans le livre les choses qu’on ne dit pas)  

Propos recueillis par Norbert Gabriel

Yves Duteil (Deuxième volet)

27 Mai

 

Fin Novembre 2007, l’entretien avec Yves Duteil s’était terminé sur une réflexion concernant l’avenir des métiers du spectacle. C’est ce sujet que nous reprenons avec Yves Duteil, début Décembre 2007. En revenant sur les aspects de la mutation du métier qui l’a concerné directement pour son nouvel album, et le spectacle qui en a découlé, puis dans l’évolution, la transformation des métiers artistiques face aux nouveaux médias, aux nouveaux supports, et la diffusion de la musique. L’ensemble de cet entretien est particulièrement riche, car Yves Duteil a un parcours unique tant dans sa vie d’artiste que dans sa vie de citoyen. Une première partie de sa carrière est classique, il la vit dans les structures conventionnelles du métier, ensuite, il devient autonome, à la fois par les circonstances et les choix personnels, avec Noëlle, c’est la totale indépendance, s’autoproduire, maîtriser l’édition, c’est un pari, surtout quand on part de très haut. Donc Noëlle et Yves Duteil avancent depuis 1981 en totale liberté, pas en toute facilité, je pense à une phrase du livre de Kersauzon « la liberté, c’est choisir ses contraintes et s’y tenir » tout-à-fait en situation… Par ailleurs, quelques années plus tard, Yves Duteil est élu maire du village où il habite, il l’est toujours. Cette précision est importante parce que dans la réflexion sur son métier d’artiste, et sur les problèmes d’ensemble qui concernent ce métier, son action de citoyen impliqué dans la cité, pourrait-on dire, en élargissant la cité au pays entier, et à l’Europe, a étendu le champ des perspectives bien au-delà de son cas personnel d’auteur-compositeur-interprète. Avec l’expérience de 40 ans de métier, la connaissance approfondie des rouages économiques et des contraintes qui y sont attachées depuis sa déclaration d’indépendance en 1981, après avoir traversé des périodes contrastées de succès puis de non médiatisation, Duteil a un regard panoramique sur ce qui concerne l’univers de la création et de la musique.

Et dans cette période chaotique où des mutations profondes sont à venir, il est parfois compliqué de se faire une idée à peu près objective quand on aborde un sujet où l’artistique est imbriqué dans l’économique et le technique avec des enjeux dont on ne perçoit pas toujours l’importance (la problématique de la dématérialisation de la musique, par exemple.)

Cet entretien s’avérant particulièrement fourni, et documenté, pas question d’en faire un digest réducteur, il sera donc publié en deux épisodes, le premier sur les évolutions du métier, avec l’expérience d’Yves Duteil et la remise à plat pour le dernier album, et l’évolution du métier en général, et le mois prochain, l’ensemble téléchargement légal ou non, les lois y afférent, les droits d’auteurs dans l’environnement global.

Et dans le métier, il y a Abacaba (voir numéro 19 pdf)

« Abacaba… avec Danièle Molko, on se connaît depuis plus de 40 ans, et la première fois, on s’est vus pour des raisons hors métier, elle reprenait un appartement que je laissais, après nous nous sommes croisés souvent, quand elle travaillait avec Jean-Louis Foulquier, quand j’ai été chargé de mission chanson, pour les semaines de la chanson, aux Francos, on s’est croisés souvent sans se connaître vraiment, et l’occasion qui nous a été donnée de nous connaître, c’est Michel Fugain, à travers la lettre écrite relative au disque qu’il voulait faire en feu d’artifice de fin de carrière, (ce n’est pas le cas), et il est venu ici, on a discuté, j’ai fait la chanson, « Bravo et merci », inspirée par ce qu’il avait écrit sur sa lettre, et c’est Danièle Molko qui a assuré la production exécutive de cet album. Donc on a été en contact sous un angle différent, on l’a vue travailler, on l’a beaucoup appréciée, (Noëlle et moi) et à ce moment on sortait d’expériences de collaborations plus ou moins heureuses, avec des gens avec qui on était en phase de sortie ; et on avait envie de travailler à l’ancienne avec un respect pour les artistes, avec une droiture qu’on a pu constater dans toutes les démarches autour de la réalisation de l’album, et on s’est rapprochés, on s’est bien sentis et on a envisagé de travailler ensemble sans définir vraiment un profil, on verra bien , et ça s’est construit peu à peu, et c’est comme ça qu’on a commencé à travailler ensemble. Du coup on fonctionne de façon modulaire, on a rassemblé autour d’une idée artisanale une équipe Abacaba, (Danièle Molko et Catherine Huberty) qui joue le rôle de producteur exécutif et d’agitateur d’idées, avec Néry, certains musiciens, comme Alain Cluzeau, et puis Véronique Broyer pour la partie promotion, Gilbert Castro de Rue Stendhal pour la distribution, et puis Noëlle pour l’édition, pour la production proprement dite, le cœur artistique, et aussi administratif, une équipe artisanale où chacun a pris ses marques les uns par rapport aux autres et qui travaille en harmonie, une petite équipe ramassée où chacun a sa part.

Sur le plan média, récemment, j’ai été invité par l’équipe de Drucker, je crois qu’ils ont réalisé qu’ils avaient raté la sortie de l’album, pas assez présents et ils ont eu envie de montrer que j’étais le bienvenu, ça m’a permis de parler avec Michel, d’avoir un vrai dialogue ouvert, alors que dans notre métier, pour le lien entre les animateurs et les artistes, il y a une déontologie extrêmement établie : les artistes ne parlent pas avec l’animateur avant l’émission. Conséquence, on a le sentiment qu’il y a un écran, qui n’est pas fait pour relier mais qui joue le rôle de paravent. Les gens ont l’impression de communiquer alors qu’en fait ils ne communiquent pas. Il y avait une cohérence, parce qu’avant l’émission j’avais demandé à Michel qu’on se voie, on a déjeuné ensemble, ça fait 40 ans qu’on se connaît, mais on ne se connaît pas vraiment. Au fond, on a énormément des points communs qu’on n’a jamais échangés, dans son histoire, dans la nôtre… on a parlé une heure et j’ai eu l’impression d’avoir en face de moi quelqu’un qui s’ouvrait, se livrait, et cette rencontre a été une vraie rencontre, avec quelqu’un qui a un aspect humain inconnu, ce qui l’oblige à se protéger de tout, y compris des relations avec les artistes, ou de l’information à l’affût du moindre évènement privé, intime, on n’avait jamais eu ce contact.

Le monde de la communication est construit de cette façon, des fiches, remplies par des assistants, on se croise bonjour-bonsoir mais ça ne va pas plus loin. Dans l’équipe des émissions, il y a des recherchistes chargés de trouver les artistes rentrant dans le cadre des émissions qu’ils vont composer. Chez nous, ça ne marche que dans l’autre sens, les attachées de presse vont à la pêche aux émissions, portent la nouvelle de l’actualité des artistes en essayant d’avoir le plus possible d’émissions… il n’y a pas la même adéquation et le même état d’esprit qu’avec les québécois dans la façon d’appréhender la composition d’une émission, je me suis dit qu’il fallait privilégier les contacts personnels, et j’ai décidé d’appeler les gens pour leur parler en direct. Et je me suis rendu compte que rien ne remplace le direct. On a discuté avec Claude Sérillon, avec Françoise Coquet, et je le suis rendu compte du danger qu’il peut y avoir sur le fait de communiquer sur l’absence de communication, parce qu’avec Internet, on n’a pas la maîtrise de l’effacement des données, si un jour vous dîtes que vous n’avez pas de promotion, on va vous le ressortir au moment où vous en avez… les gens ne se rendent pas compte que vous l’avez dit à un moment où c’était vrai, on ne peut pas non plus baser une communication sur un manque, c’est assez complexe, j’ai essayé de renouer le fil…

Je suis assez touché de ce qui se passe en ce moment, j’ai le sentiment qu’il y a un chemin qui est en train de se faire, il se fait lentement comme si la partie visible de l’iceberg redevient visible, j‘ai l’impression d’avoir un contact plus vrai… La plupart du temps, on apparaît au moment de la promotion, puis on disparaît comme si on n’existait plus.

C’est un peu triste d’en arriver là, n’apparaître que lorsqu’on a quelque chose à vendre, je ne suis pas un homme de promotion, j’ai pris conscience de quelque chose d’important, je cherche un vrai échange… Avec ce que je mets dans les chansons, dont les gens s’emparent pour faire leur propre vie, leur propres images, j’aurais pu le faire plus tôt, mais j’avais un peu honte de faire l’article sur ce que je fais, et je crois aujourd’hui que je suis naturellement fier de ce que je fais, parce que j’y mets tellement de mon âme et je ressens qu’il y a un véritable échange… je sais aujourd’hui par les courriers, par le blog, les après-concerts, ce que mes chansons peuvent déposer dans les yeux des gens, ce que ça peut occasionner, et je ne me sens pas vendeur, mais je vis un échange.. j’ai beaucoup moins de mal à dire : j’ai fait un album dont je suis fier, je vais faire un spectacle à tel moment … Pour cet album, il y a eu un gros travail de remise en cause, les collaborations, les choix d’ouvertures musicales, la réalisation artistique, la technique utilisée pour l’enregistrement , tout ça était des expériences nouvelles et heureuses, comme des paliers vers plus d’émotion plus de sincérité, plus d’authenticité, plus de naturel. Quoi qu’on en dise, dans notre métier, le naturel n’est pas une chose innée, c’est quelque chose qui se traduit par des techniques, par un savoir-faire, donc, on s’améliore au fil des années… ou pas… Si on se remet en cause, on peut aussi monter des échelons, gravir des étages, j’ai essayé d’être à l’écoute de ce qu’on pouvait me dire par rapport à ça, aller vers des choix qui n’étaient pas forcément les miens ou les plus évidents au départ, travailler avec Alain Cluzeau qui est plus au voisinage de Bénabar et Olivia Ruiz, ou travailler avec Néry ce n’est pas une association évidente au départ, mais tout ça est le fruit d’une véritable démarche de création, je n’en regrette pas une miette ; ça m’a servi à avancer, pendant toute cette période où j’étais en retrait, où on m’a moins entendu, je n’ai jamais cessé de travailler, j’ai continué à avancer je me suis remis en cause en n’écrivant plus pendant un certain temps, en me demandant pourquoi, en cherchant la réponse, et j’ai réussi à dépasser les blocages, à trouver de nouveaux cheminements, m’obliger à sortir de mes propres sillons. Aujourd’hui, je suis beaucoup plus fier consciemment de ce que je propose parce que je sais le travail effectué, et la démarche que ça a sous-tendu, au résultat, je vois dans le regard de ceux avec qui on a travaillé le bonheur partagé dans cette aventure de création. Partir d’une vraie notoriété, et remettre tout à plat.

Le spectacle actuel, créé à l’Européen, puis au Dejazet, est un ensemble de chansons, anciennes revisitées, et des nouvelles, avec un fil rouge nouveau, une mise en scène, ce qui ne m’était jamais arrivé et des orchestrations qui tendent vers une autre dimension musicale. C’est un travail d’ensemble qui a consisté à monter les nouvelles chansons puis à remettre en cause les anciennes, en invention permanente, et au fil des spectacles, on trouve de nouvelles choses…

On a ce rôle délicat de devoir être fidèle à soi-même et en même temps novateur, on n’est pas juste là pour suivre notre ligne, le public attend des retrouvailles et de la surprise… Il est surpris et touché… au fil des spectacles je vois que parfois on va un tout petit peu trop loin, qu’il faudrait revenir en arrière, mais c’est pas les plus anciennes, par exemple la nouvelle version de Virages est un vrai bonheur, Prendre un enfant est aussi une surprise, par la façon dont elle arrive, je sens que la surprise est agréable, j’ai tellement vu d’artistes vouloir donner un coup de jeune à leurs chansons et tomber à côté… Rien ne m’a rendu plus heureux quand je suis allé voir Mac Cartney de retrouver les orchestrations originales des Beatles ; c’est pas moi qui vais bousiller mes chansons avec un faux air de nouveauté, en essayant de faire jeune, c’est pas la bonne approche.

On est aujourd’hui à une période charnière, tout va très vite, on ne veut plus se contenter d’un monde poussiéreux, où on fait la même chose qu’avant, mais on peut être fidèle à soi-même, c’est comme pour rester sur la route avec un vélo, on ne peut faire d’immobilisme, il faut pédaler, sinon le public va suivre mais en devenant aussi poussiéreux que les chansons, j’ai cette chance d’avoir des publics familiaux, qui se renouvellent avec les générations qui se succèdent…

L’évolution des métiers de la musique. Le téléchargement.

On est dans une période de complète mutation comme s’il y avait la naissance difficile d’une économie nouvelle, d’une organisation nouvelle qui a du mal à se trouver elle-même, je n’arrive pas à penser que la seule cause soit liée à Internet, parce que c’est peut-être aussi la solution, et je pense qu’il y a tout en ensemble d’éléments aujourd’hui qui concourent à ce que tout le monde se sente en porte à faux, alors que la musique n’a jamais été aussi riche, aussi génératrice d’argent aussi curieux que ça puisse paraître… La musique et ses produits dérivés, on assiste à un énorme bouleversement qui a désorganisé notre métier et comme il constitué de structures très lourdes, c’est comme un paquebot qui continue sur son erre… Avec une vision complètement passéiste, notre métier ne s’adapte pas, il est en train de se bouleverser et le pire est qu’il a l’air de s’adapter… Tout le monde considère qu’il se porte bien parce qu’il y a beaucoup d’argent en circulation… Pendant ce temps on assiste à l’effondrement des ventes des CD, à une dématérialisation des supports, que je conteste… Jamais une dématérialisation n’a été accompagnée par une telle quantité de matériel, dont personne, à l’inverse de la musique, ne conteste le côté payant. Plus on conteste le côté payant de la musique, plus on accepte le côté payant du matériel, et là il y a une chose qui m’a toujours gêné, la musique a été désignée produit d’appel par les fabricants de matériel mais jamais par les artistes, et du coup on conteste de plus en plus à la musique le bien-fondé de son économie. Et les fabricants du matériel qui sert à copier la musique, à la transmettre, à la stocker contestent aux artistes le droit de percevoir le fruit de leur travail, c’est très ambigü. C’est aussi un bouleversement dans les esprits où on a introduit que la musique est un droit à la culture pour tous et que de ce fait elle devait être gratuite, et cela parce qu’on a trouvé le moyen technique de diffuser la musique gratuitement.

Elle l’est devenue, gratuite, on n’a pas su réagir à temps pour faire valoir qu’il y avait une économie dans ce métier, et l’idée s’est répandue. Sauf que cette notion de partage, de la musique, des vidéos, des photos, pêche par une idée toute simple : c’est que dans cette situation, les gens partagent ce qui ne leur appartient pas. Et là, il y a un problème majeur. On ne demande pas l’avis de ceux à qui ça appartient. Il faut une pédagogie de cette situation, je compare la situation de la musique (et de la vidéo) et celle de tout le reste, essayez d’acheter quelque chose sur Internet sans sortir la carte de crédit… Pourquoi la musique serait la seule à être partagée gratuitement sans l’accord préalable de ceux à qui ça appartient ou qui en sont les créateurs ? Il n’y a que nous dans cette situation, ceux qui ont mis la musique dans cette situation, ce sont ceux qui ont quelque chose à vendre, sous-tendu par un produit d’appel, nous.

Personne ne discute le bien-fondé des bénéfices faits les vendeurs d’écrans plats, d’ordinateurs, de récepteurs, la musique non. Quand on parle des profits des majors, de ceux qui distribuent, on oublie de dire que dans notre métier il y a 90 % des gens qui n’en vivent pas. On oublie que pour produire un album, on est bien obligé de s’appuyer sur ce que le précédent a rapporté, il y a une économie, c’est aussi simple que ça, et encore une fois, on considère comme légitime de partager ce qui ne nous appartient pas.

Les fournisseurs d’accès, c’est pas gratuit, tout le monde trouve normal de payer, et si vous ne payez pas, on coupe l’accès. Pourquoi l’accès à la culture par Internet ne serait pas gratuit ?

L’idée qui consistait à faire payer tous les internautes le droit de télécharger pour indemniser n’est pas une idée équitable, et ceux qui ne téléchargent pas ? Je ne crois pas une seconde qu’il soit impossible de faire payer à l’ayant-droit la juste rétribution d’un téléchargement, essayer de télécharger une sonnerie de téléphone, vous ne pouvez pas ne pas la payer, simplement parce qu’elle est débitée sur la facture du téléphone, avec l’abonnement.

Quand vous avez un abonnement I-Tunes, il n’y a aucun problème pour la traçabilité des œuvres téléchargées légalement, c’est la preuve qu’on sait faire. Quand on décrète qu’il est interdit de passer au feu rouge, on ne met pas un gendarme derrière chaque feu, le contrôle est aléatoire, la règle est qu’on n’a pas le droit de franchir le feu rouge. Qu’on ne vienne pas nous faire croire qu’il est impossible de contrôler la traçabilité des musiques téléchargées et de répartir équitablement ensuite en fonction de ce qui est téléchargé, il y a des performances bien plus étonnantes qui sont réalisées pour les statistiques, ou la comptabilité, sur internet, on sait tout ce qu’on veut savoir.

C’est la création qui en jeu, elle a toujours été soutenue par les pouvoirs publics. Ce qui reste de Venise, ce sont les œuvres d’art, ce n’est pas la dictature, et ce sont les mécènes qui ont permis à ces œuvre d’art d’exister, l’art a toujours eu besoin d’être soutenu, aidé, protégé, le droit d’auteur, c’est le reflet de la protection de la création. Il faut continuer dans cette ligne en respectant la création… La valeur zéro qu’on accorde aux musiques qu’on télécharge, elle induit la valeur des choses : ça veut dire que la musique a une valeur égale à zéro.

Dans les spectacles gratuits, les gens ne respectent pas ce qui se passe sur scène, en payant ne serait-ce qu’un euro, ils ont participé ? Ils sont concernés… Qu’on ne dise pas que la musique c’est cher, par rapport à tout ce qui se dépense et au surendettement des familles… il y a des familles vraiment surendettées qui n’ont plus de quoi manger, mais d’autres sont surendettées parce que suréquipées… Il faut remettre les choses à leur juste place. »

Entr’acte… et suite dans un mois. Avec le copyright façon US et le droit d’auteur façon française, les lois création et internet….

Propos recueillis par Norbert Gabriel

 

Jazz à la Chope …

27 Mai

C’est là où on s’en ressert volontiers quelques tournées, des bien servies des belles cuvées de ce jazz dit manouche qui nous laisse toujours la tête et le corps en fête . Une fête joueuse et joyeuse généreusement partagée dans laquelle chaque inconnu est un ami qu’on ne connait pas encore. *

Mais revenons à la genèse de ce goût immodéré pour ce jazz aux Puces. C’était en un temps où Didier Lockwood faisait la tournée des bars et des jams impromptues avec les groupes invités par les différents bars restaurants des Puces de St Ouen .. Et un public extrêmement diversifié se donnait rendez-vous en Juin pour un grand week end de musique. Dans ces rendez-vous privilégiés, pour ma part, le Relais des Brocs et La Péricole. Au Relais des Brocs plusieurs années de suite, j’ai vu des mômes ravis danser au pied d’Aurore Quartet, à La Péricole, ce furent les retrouvailles régulières avec des personnages haut en couleurs comme évadés d’un film de Minelli sur un air de Gershwin… Un temps révolu, la disparition de Lockwood a été la fin de Jazz aux Puces. Mais ..

Mais la Chope des Puces est intemporelle depuis les années où Django, Crolla et la fine fleur de la guitare s’y retrouvaient. Et après 81 jours d’abstinence de scène vivante, voici que la musique est descendue dans la rue et le passage qui jouxte la Chope des Puces. Lior et Ezéckiel Krief Maxime Bousquet, et leurs amis ont régalé le public entre 14h30 et 17 h … En différentes configurations, avec un égal bonheur. Comme on le voit sur la photo, il y a 3 guitares, type Maccaferri Selmer, celles de Django, Henri Crolla, les frères Ferret , Oscar Aleman, Francis Moerman … dont on peut lire parfois qu’elles ont un son ferraillant, mais avec ce trio, c’est un son très propre, onctueux, élégant, du swing champagne sans une once d’acidité ferrailleuse. Ce qu’on peut entendre avec Henri Crolla et sa Selmer 453 de 1938.

et voici le son Henri Crolla,

Et les guitares

Il y avait un peu de tout ça, la joie de vivre, la poésie et le swing, des gens heureux de vivre ce moment, parents, grands parents et enfants unis par une même gourmandise musicale avec les frères Lior Krief et Ezeckiel Krief , Maxime Bousquet

et leurs invités, Steven Reinhardt (guit) Alban Chapelle et Michel aux cuivres …

Après vous avoir alléché – j’espère – voici la bonne nouvelle, ils reviennent la semaine prochaine, même lieu mêmes heures … La météo est optimiste, c’est à deux pas de Paris, que demander de plus ? Des photos, en attendant..

et la musique http://https://www.facebook.com/maxime.bousquet/videos/10158947573469113/

 

https://www.kriefbrother.com/

*… chaque inconnu est un ami qu’on ne connait pas encore.. Adaptation d’un proverbe irlandais,

« Un étranger est un ami qu’on ne connait pas encore. »

Norbert Gabriel

Rencontre avec Yves Duteil, en 2008

26 Mai
Cet entretien, enregistré un après midi à Précy sur Marne,  a été publié en 2008, mais il me semble qu’il y a pas mal de choses qui résonnent toujours avec pertinence.

La chanson francophone disparait de plus en plus des programmes des grands médias, la création laisse le plus souvent la place à des artefacts  commerciaux d’albums hommages souvent dommageables pour l’auteur initial.

ETRE OU NE PAS ETRE…?

L’HOMME DE SES CHANSONS…?

«Pour bien comprendre les gens, le mieux est encore d’écouter ce qu’ils disent» Pierre Dac.

Si les artistes interprètes sont des gens comme tout le monde, ça signifie que le comédien qui joue le rôle d’un tueur psychopathe est un tueur, ça signifie que Maurice Chevalier est Prosper, le mac chéri de ces dames. (Pour nos lecteurs trop pressés le mac n’est pas le Mac, et Prosper était un mac, souteneur, julot casse-croûte, un proxénète pour le Larousse élémentaire) ça signifie que Lino Ventura était un gangster selon les dialogues de «Touchez pas au grisbi» et que les chanteuses qui ont mis «C’est mon homme» à leur répertoire sont des masochistes invétérées prêtes à tout. Un interprète passe son temps à entrer dans la peau des personnages qu’il fait vivre. Il n’est pas obligé, dans la vraie vie, de penser comme son personnage. Un auteur de roman, ou de chansons, invente des situations, des intrigues, dans lesquelles le personnage X ou Y s’installe avec plus ou moins de crédibilité. Michel Sardou, qui a fait fort avec quelques textes-choc a tenté d’expliquer qu’il n’est pas l’homme de ses chansons. Mais dans la musique dite de variété, ce n’est pas facile de se hisser au dessus du premier degré pour la plupart des journalistes dits critiques. Prendre cette pochade «Le joli temps des colonies» pour un hymne à la colonisation est faire preuve d’une indigence intellectuelle consternante, et si ce n’est pas le cas, essayer de faire passer cette thèse auprès de lecteurs potentiels est d’une malhonnêteté rare. Sauf à défendre mordicus que l’homme et le rôle ne font qu’un. Autre cas d’école : «les villes de grande solitude» (1973) du même Sardou ; chanson très controversée, appel à la violence, appel au viol, mais un peu avant (en 1971) le film Orange mécanique montrait des scènes beaucoup plus violentes, et c’est devenu une sorte de référence cinématographique, vision d’un monde qui perd ses repères, et en quelque sorte prophétie : 30 ans après, ce sont les banlieues de grande solitude qui brûlent. Pierre Delanoe et Sardou, les auteurs de la chanson, auraient mérités le bûcher, mais pas Kubrick… vous avez dit bizarre ? Et Stanley Kubrick est-il l’homme de ses films ? la question n’a pas été posée. Donc en poursuivant cette logique, on devrait trouver dans les chansons d’Yves Duteil tous les stigmates d’un homme de droite, réac, et pourquoi pas facho tant qu’on y est, puisqu’on le catalogue «de droite» sous-entendu valeurs pétainistes, bourgeoises, conformistes… J’ai donc réécouté ses chansons, et globalement, j’ai entendu pas mal des thèmes qui inspiraient Félix Leclerc par exemple, à qui personne n’a eu l’idée saugrenue de faire un procès sur le thème chansons réacs… Au Québec, on a le droit de chanter la nature, mais en France, c’est pétainiste. Quand Joan Baez chante «Prendre un enfant par la main» c’est bien, quand c’est Yves Duteil, il s’est trouvé un hurluberlu, journaliste écrivain, pour dénoncer un hymne à la pédophilie. Et Brel avec sa berceuse «Quand Isabelle dort» ce serait pas un peu louche ??? En revanche, «Royaume de Siam» en 1988 ou 89, (le roman) n’a pas suscité un mouvement d’indignation, c’est l’histoire d’un voyageur solitaire qui va régulièrement en Thaïlande retrouver une très jeune prostituée de 12 ou 13 ans, on dit comment déjà pour ce genre de relation ? On n’en dit rien en 1988, sauf une journaliste de France Inter qui appelait les choses par leur nom… ça n’a pas entaché l’aura de l’auteur. Je vous laisse continuer l’exercice des étiquettes qu’on peut coller à chacun selon l’angle d’approche que vous aurez choisi. En remarquant au passage, qu’un angle apporte souvent une vision réduite d’un paysage. L’angle journalistique peut devenir une déformation volontaire quand l’objectivité est assujettie à une ligne éditoriale un peu sectaire. Genre: Manu Chao, c’est pas pour les lecteurs du Figaro.

Et on laissait les lecteurs libres de leurs points de vue ? Les étiquettes bien caricaturales simplifient le travail, un tel à gauche, un tel à droite, et les idées semblent bien rangées. Mais texte en main, j’aimerais qu’on me démontre en quoi les valeurs défendues par Jean Ferrat (tricard de toutes les télés depuis des années, sauf chez Drucker) sont tellement différentes de celles défendues par Yves Duteil (tricard de tous les médias depuis plusieurs années, sauf dans une émission franco québécoise, où on pouvait difficilement parler de chanson francophone sans «La langue de chez nous»).Si on devait faire un survol de l’engagement citoyen des uns ou des autres, Ferrat a été conseiller municipal du village où il habite, Duteil est maire d’un village minuscule de la Seine et Marne, où il s’est engagé sur des questions d’écologie, où il a été réélu depuis 20 ans, et dans ce village il était voisin de Barbara. Ensemble, ils ont mené différentes actions, mais curieusement personne n’a jamais fait à Barbara le reproche d’être de droite. Ce qui en l’occurrence n’a aucune importance quand on se bat contre le Sida, ou contre des nuisances sonores, ou la réhabilitation de Seznec. Quand il est question d’engagement, pour des artistes, c’est toujours compliqué. Montand dont les convictions ont toujours été clairement établies s’est trouvé souvent dans des situations paradoxales, peu confortables. En 1956, il devait faire une tournée en URSS quand les chars soviétiques à Budapest ont déclenché des polémiques enragées, dont l’idée globale était qu’il ne fallait pas y aller, à Moscou ; autant à droite qu’à gauche, l’abstention lui était vivement conseillée. Finalement, «on y va, on sera mal avec tout le monde, mais bien avec nous-mêmes» Ils y sont allés, ils ont vu, ils ont compris, Montand, Simone Signoret, Castella, Paraboschi, Soudieux, Crolla et Marcel Azzola, remplaçant Freddy Balta, allergique autant à l’avion qu’au bolchevisme. Et heureusement parce qu’Azzola avait joué dans des orchestres russes, à Paris, et sa connaissance du russe lui a permis de mettre des sous titres aux discours officiels très enjoués, et très arrangés sur les réalités de la vie. D’où le désenchantement post voyage en URSS, et de fait, Montand a eu raison d’aller voir de près, plutôt que faire confiance aux thuriféraires (ou aux détracteurs définitifs) du système soviétique. On revient au postulat de Pierre Dac «Pour bien comprendre les gens....»

En 2008, il est facile de savoir ce qu’il fallait faire en 1956, mais 1956, c’était à peine 15 ans après Stalingrad, qui a vu le coup d’arrêt à l’avancée du nazisme, et ça donnait un sérieux argument aux admirateurs de l’URSS. Après, on a su, tout ou presque tout. Mais pour revenir à nos chansons, à nos chanteurs étiquetés, les sectarismes et opinions orientées n’ont jamais fait une vérité. Quelle que soit l’étiquette d’ailleurs, Henri Salvador, chanteur démodé en 1995 et qui fait un triomphe en 2000, idem Nougaro, mis au rencart en 1989, juste avant Nougayork… La situation d’Yves Duteil est presqu’unique : le reproche majeur qui lui a été fait c’est d’être trop lisse, trop gentil… Ah, c’est grave ? Oui, parce qu’on ne peut rien répondre à ça. Faudrait-il qu’il s’invente des turpitudes propres à réjouir le lecteur ? «Trompettes de la renommée, vous êtes bien mal embouchées...» Trop gentil, ce qui sous entend que les autres sont tous de francs salopards, des crapules vicieuses, d’immondes créatures, mais on ne le dit pas trop… On en fait des brèves pour alimenter les journaux à scandales, mais sur le fond, il y a une sorte de fascination de l’interdit qui parasite le jugement. Beaucoup d’idoles du rock ont été victimes d’un mode de vie qu’on ne peut conseiller à personne, mourir étouffé dans son vomi par excès de drogues diverses est-ce vraiment un idéal de vie ? Est-ce que ça a apporté un surplus de qualité à leur musique ? Pas sûr… Autre étiqueté de marque, Sardou. A partir d’une chanson, on extrapole les théories les plus audacieuses. Sardou met en situation des faits divers, et les prend à son compte, comme n’importe quel comédien entre dans un rôle. Quelle est la part de ce qu’il est dans les personnages qu’il met en chanson ? Question ambiguë. L’interprète s’exprime à la première personne, et parfois, c’est ce qui fait le succès de la chanson. Quand Moustaki écrit la première version du métèque «avec ta gueule de métèque» (chantée par Pia Colombo) la chanson ne passe pas, il faudra qu’il la chante en la prenant à son compte, «Avec ma gueule...» pour que la chanson, à laquelle personne ne croyait, devienne un succès après quelques mois de discrétion. (et grâce à Discorama de Denise Glaser) Imaginons que Sardou ait chanté «Les villes de grande solitude» à la troisième personne… Je ne connais pas Michel Sardou, je ne sais pas qui est l’homme, mais en faire l’homme de ses chansons me semble trop simpliste comme approche. Car on peut faire dire n’importe quoi avec un angle biaisé. Quand Aznavour chante « je suis un homme oh comme ils disent» faut-il prendre le JE comme base autobiographique ? Quand Bénabar chante «je suis de celles...» vous le prenez pour cette fille qui se donnait à tous ceux qui passaient ? Quand Yves Duteil chante,

Pour l’amour de la vérité
Que de haine on a pu semer
Que de peur et de dérision
Des Croisades à l’Inquisition
Qui peut mettre l’éternité
À l’épreuve de vérité ?

Comment croire à la vérité
Qu’on nous livre de tous côtés
En pâture au gré d’un caprice
En otage ou en sacrifice
Dans les mains de ces fous à lier
De quel bord est-elle une alliée ?

Pouvez-vous coller une étiquette politique sur ce texte ? moi pas, humaniste simplement. Une sorte de rumeur persistante tente d’expliquer que c’est un lien amical avec Chirac qui est la cause de sa tricardisation médiatique, faux, ça a commencé en 1980, et c’est en 1995 que ces liens ont été connus, Michel Rocard aussi est ami avec Chirac, et que l’on sache, il n’était pas vraiment de droite, Rocard.

Denis Seznec

Guy BEDOS – Richard BOHRINGER – Yves BOISSET – CABU – François CAVANNA Laurent FABIUS – Jean FERRAT Paul GUIMARD – Henri LABORIT – Jean-Marie LE CLEZIO – Maxime LEFORESTIER – Stellio LORENZI – Yves MONTAND – Jeanne MOREAU – Marcel MOULOUDJI – Claude PIEPLU – Abbé PIERRE – Pierre RICHARD – Yves ROBERT- Michel ROCARD- Claude SERILLON – Yves SIMON – Bertrand TAVERNIER — Claude VILLERS – Georges WOLINSKI –

Tous ces gens ont fait partie du comité Seznec, mais quand il est relaté dans les Guignols de l’info une actu sur la révision du procès, c’est Duteil qui est flingué. No comment. On est entré de plein pied dans une époque où le réflexe remplace la réflexion, et la méchanceté remplace l’intelligence. C’est parfois une des dérives des chroniqueurs dans les multiples talk show, le principe du sniper s’embusque pour tirer, pourvu qu’il atteigne la cible, il ne se pose pas la question de la justesse de la cause, et la victime ne peut pas répondre, car le sniper-télé s’est esquivé. Si parfois la cible se rebiffe, c’est mal pris, car la victime doit acquitter la rançon de la gloire… Voilà, s’il vous advient un peu de gloire, il faut payer une rançon. Comme un otage… Allez un petit bout de texte, pour conclure:

Chez lui tout est tendresse, bonté, vérité et fraternité exprimées au travers de métaphores d’où l’âme sort purifiée de sa peine ; mais qu’on ne s’y trompe pas, le verbe va bien au-delà de ce qui pourrait paraître comme une description simpliste.

Il s’agit de Félix Leclerc. C’est après un entretien avec Yves Duteil que s’est développée cette réflexion, histoire de comprendre, ou essayer de comprendre le pourquoi de ces étiquettes, leur justification réelle ou supposée.

YVES DUTEIL «… Je suis le plus mal placé pour expliquer ces étiquettes, je ne comprends pas, et que faire ? Etre gentil, courtois, attentif, j’assume, s’il est besoin d’assumer, je ne vais me défendre de ça, et quand on ajoute ringard… la ringardisation, je ne l’ai pas vue venir, mais je l’ai senti passer, on se trouve dans des situations sans issue, un animateur radio vous appelle en direct, vous ne savez pas ce qui s’est dit avant, on est coincé, obligé de répondre, et avec humour. Un jour un animateur appelle, il avait parlé d’anniversaire : c’est un jour maudit, c’est l’anniversaire d’Yves Duteil, qu’est-ce qu’on peut répondre à ça ? Avoir sa marionnette aux Guignols, c’est peut être un signe de reconnaissance, mais quand il y a une manifestation du comité Seznec, c’est Duteil qui est flingué par les Guignols. Le seul écho, c’était «tais-toi» (d’où la question subsidiaire, qui est la vraie cible à déconsidérer ? la cause, le comité Seznec ??) «Le comité m’avait contacté parce que je suis le petit neveu de Dreyfus. Dans ma famille, Dreyfus a été un fardeau avant d’être un étendard. Et la chanson «Dreyfus» c’était pour vivre dans la lumière de Dreyfus plutôt que dans l’ombre de l’affaire. Il y a eu une époque où c’était peut-être la chanson française qui était dite ringarde, pourtant quand il y a eu la mission du Ministère de la Francophonie, on était des précurseurs. J’étais allé chez Félix Leclerc, et c’est après l’avoir rencontré que j’ai écrit «La langue de chez nous» pour réveiller les consciences disait Félix, c’était en 1985, et c’est la dernière chanson qui soit passée en radio. On peut dire que c’était ma première chanson engagée. On a continué à me qualifier de lisse, gnan-gnan, malgré «Le mur de Berlin» ou «La Tibétaine» que j’avais écrite pour une prisonnière détenue pour délit d’opinion, et qui a été libérée ensuite. Les chansons, c’est participer à la vie de son pays, à sa culture, et ce serait ringard ? Déjà en 1970 , il y avait des réactions d’une hostilité et d’une violence incompréhensibles, que je ne comprends toujours pas. C’est Leclerc qui disait:

Un poète qui ne dérange pas ne sert à rien.

Je dois déranger beaucoup de monde finalement, pour quelqu’un de lisse et gentil. L’alibi de l’engagement politique ne tient pas, c’est depuis 85 que le silence média s’est installé et c’est en 1995 que je me suis déclaré aux côtés de Jacques Chirac pour une cause précise, j’ai pensé qu’il pouvait être utile de se servir de la notoriété que j’avais pour faire avancer un tout petit peu une action socio-politique, à partir d’une association locale engagée sur un problème d’environnement, en 1989 j’ai été élu maire de Précy. C’est aussi une façon d’être dans la création, être à l’écoute, agir au quotidien. En 1981, nous avons pris la décision de nous produire nous-mêmes, face au mur du silence, c’était ça ou arrêter. Noëlle a été très déterminée, c’est difficile ce genre de décision, en plus du risque.»

Noëlle Duteil : «C’est très dur car il n’y a plus tous les regards extérieurs, tous les rouages qui se complètent pour finaliser un disque, on prend toutes les décisions en espérant que ce seront les bonnes, et ensuite devant le mur du silence, les questions viennent, et elles restent sans réponse. Un disque a besoin d’un relais média, sinon qui pourra l’entendre

Yves Duteil : «La chanson est le seul «produit artistique» qu’on achète après l’avoir consommé, il faut l’entendre, c’est le minimum… pour les concerts, je n’ai jamais cessé, entre 70 et 80 concerts par an, la scène est vivante, mais je suis un peu inquiet pour l’avenir de la scène chanson, il y a beaucoup de jeunes artistes très talentueux, mais je crains que les perspectives du spectacle vivant ne soient pas très rassurantes..

Nous reviendrons prochainement sur cet aspect de l’évolution du métier. L’actualité d’Yves Duteil, en Octobre, c’était 15 jours au Théâtre Dejazet, pour la sortie de son 13 ème album, (fr)agiles un spectacle mis en scène par Néry avec beaucoup de finesse. Et la tournée continue sur les routes de France (à suivre sur «le blog à part d’Yves Duteil»). Petite note rigolote pour finir, quels sont les points communs entre Allain Leprest et Yves Duteil ? j’en ai recensé quelques uns :

  • ils ne sont jamais dans les play list radios .
  • ils ont écrit une chanson ensemble .
  • ils n’ont pas la carte RPR /UMP 


Si vous avez d’autres propositions, écrivez moi …

Depuis Yves Duteil a eu quelques années compliquées par un accident, mais son album « Respect »  l’a remis dans l’actualité de la chanson. Voir ICI. —>

 

 

 

 

Norbert Gabriel

Le cas Erwan Larher, auteur

23 Mai

Titre : « Le 1 et le 3 », par Hum Toks / E.5131 / Eric SABA

Sous-titres possibles :

– 2 romans, 1 chronique…

– Erwan Larher, membre de la tribu…

– Comment parler de soi, de lui et d’autre chose ?

– Chronique ni tête…

©Dorothy-Shoes

©Dorothy-Shoes

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Roman n°1

Qu’avez-vous fait de moi ? : un mec qui imagine sa vie, les nanas, quand il sera riche et qui commence par essayer de… trouver un emploi… La suite ? Il s’interroge. Et il a raison. Parce que le pauvre gars ne saisit pas tout. Et pourtant, autour de lui, il s’en passe des choses…

Roman n°3

L’abandon du mâle en milieu hostile : un mec insipide qui sort avec la fille la moins insipide qui soit, qui voit sa vie défiler, thuriféraire, et qui s’interroge… quand tout est fini. Alors, on recommence.

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Hum, hum… On adopte le style d’Erwan Larher assez vite : efficace, jeu sur le mot, la structure, le renversement des points de vue, contre-pied, raquette de squash à la main, recherche du terme hétéroclite… Put one coin ! Erwan prend à cœur son rôle de narrateur, caresse, en apparence et dans le sens du poil, le lecteur en se jouant de lui, car au bout : la surprise. Il n’envisage pas l’écriture sans la surprise, le jeu, le plaisir. Et le petit plus dont il est question tout de suite.

2 lettres pour commencer : EL

Cher Erwan,

En écrivant L’abandon du mâle en milieu hostile, ton troisième roman, tu t’inscris dans un mode qui ne plaira pas à tous : manipulation, paranoïa, complot ? Il faut être un peu au clair avec soi-même et avec le monde pour s’engager sur cette voie. Tu me feras remarquer que ton premier récit Qu’avez-vous fait de moi ?, déjà, respectait, à la ligne, le manifeste originel du « parfait parano(e) ». Tu me parleras alors de ton deuxième roman et je t’arrêterai bien vite pour te dire « laisse-moi la surprise, je ne l’ai pas encore lu ». Concernant ce premier roman et ce dernier en date, que dire ? Ils m’ont plu.

Cher lecteur, quelques rappels concernant la manipulation, la paranoïa, le complot…

Faire sa Cassandre n’a rien de plaisant. Pourtant « les parano(e)s ! » finissent par adopter le terme qu’on leur colle. Ce terme qui devient doux comme une deuxième peau, ils en redéfinissent le sens, finissent par le porter comme un gonfanon et à fabriquer, avec leurs congénères, une petite tribu répondant au nom de « Salut les parano(e)s ! ». Ainsi, autour de la table, les regards échangés permettent aux parano(e)s en tous genres de se repérer les uns, les autres. Ils finissent par former un groupe, une entité, une carapace fraîche : le groupe débile, indélébile, de ceux qui annoncent… et la stratégie est simple : il s’agit de jouer sur le mot, le sens, la situation et de tout renverser… (en commençant par la définition, pour finir peut-être… par la table). Erwan, lui, écrit des romans.

©Dorothy-Shoes

©Dorothy-Shoes

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Erwan, puisque c’est de toi qu’il s’agit

Cher lecteur de Leblogdudoigtdansloeil (NB : c’est pas moi qui ai choisi le nom du webzine…),

C’est le deuxième auteur que je chronique ici. Le premier, Sébastien Ayreault, pour son très beau Loin du monde. Le second, Erwan Larher.

Ces deux-là se sont peut-être croisés, cette année, lors du Salon du Livre de Saumur, au cours duquel Erwan a gagné le « Prix Claude Chabrol ». Depuis, il a raflé d’autres prix et son roman L’abandon du mâle en milieu hostile se retrouve en haut des conseils de lecture pour l’été qui vient (à petits pas…). On parlerait, se murmure-t-il, d’une adaptation pour le cinéma…

©Sandra Reinflet

©Sandra Reinflet

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L’univers

Que puis-je dire de ses « héros » ? Des quidams. Et ce regard porté sur la société… ? Il dit « cynique », je dis « désabusé ». Le personnage principal… ? Il dit « couillon », je dis « naïf ». On peut cumuler les deux. Un héros, anti-héros, héros malgré lui de son plein gré, qui ne se retrouve jamais du bon côté de la barrière. Les filles… ? No comment. Si : un problème. Le blé… ? No comment. Si : un miroir aux alouettes, bien présent. Le rapport à la hiérarchie… ? No comment. Si : des dieux, des maîtres… des manipulations, des machinations. La politique… ? No comment… Ou plutôt, tant à dire… Le narrateur… ? Malin. Malin, joueur, coquin. Joueur et généreux. Un narrateur qui offre moult plaisirs : rebondissements, retournements, éclaircissements, tourneboulements. Un narrateur qui aime les mots, je veux dire par là : le son, le sens et le vocabulaire qui fait un pas de côté (ex : « alacrité »…). Un narrateur qui aime la structure, l’agencement, l’organisation de l’histoire offerte, les références : Metal Urbain, The Cure, Le Clézio, Echenoz ou la finale Noah-Wilander. Sans tout cela… point de plaisir. On l’a déjà dit.

Le personnage mâle, « le couillon », chez Erwan Larher, est toujours un peu paumé. C’est lorsqu’il imagine qu’il commence à saisir deux ou trois choses qu’il est au plus loin de la compréhension du monde ou de son environnement proche.

romans_larher

Mise à jour (mars 2016) : oui, le 2 et le 4 existent… une chronique bientôt.
Et le 5, à venir (avril 2016).

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Machination

Le narrateur offre le point de vue d’un personnage, une représentation erronée, déformée de la société, du réel… images et illusions. Erwan met en scène (pensons qu’il a écrit pour le théâtre aussi) l’oubli, l’aveuglement, devant le paraître, une cécité collective qui ne concerne pas que le personnage principal, l’impossibilité de saisir ce monde qui NOUS entoure, qui donne à voir, multiplie les écrans et les informations… pour mieux tromper… ?

Tiroir supplémentaire à cette présentation bien commode : Erwan joue, fabrique ce jeu des illusions, des ombres, des apparences, des flagrants mensonges… Il se joue aussi de toi (moi), lecteur, et, dessillé (initié), tu y trouveras du plaisir.

©Dorothy-Shoes

©Dorothy-Shoes

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Et puis ?

On avance dans ses récits et l’on se dit qu’Erwan Larher a décidément beaucoup d’imagination, que tout est inventé. On n’est plus sûr de rien… Qui écrit, qui contrôle… ? C’est le mystère de l’écriture. L’écrivain, dingue de fables et de fantasmagories peut TOUT transformer en récit.

Qu’avez-vous fait de moi ?

J’ai pensé au Magnifique, le film avec Belmondo. J’en ai profité pour comprendre le titre.

L’abandon du mâle en milieu hostile

J’ai pensé à THX1138, au futur qui nous attend… Et je me suis dit : « Ils sont très forts ! Mais qu’ont-ils fait de lui ? ».

Pour finir

Erwan, c’est le genre de gars à te mettre en scène des négociations qui se dérouleraient loin des yeux et des oreilles des peuples européens et américains, entre l’UE et les USA pour construire un Grand Marché Transatlantique. C’est le genre de gars qui n’hésiterait pas à pousser le bouchon un peu loin… à essayer de te faire croire que les USA ont mis sur écoute le moindre bureau de la Commission Européenne. N’importe quoi !

Erwan… t’es un parano(e), ou quoi !???

Par Hum Toks / E.5131 / Eric SABA
Le 2 juillet 2013.

©Sandra Reinflet

©Sandra Reinflet

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Chronique des romans 2 et 4 d’Erwan :
https://leblogdudoigtdansloeil.wordpress.com/2017/04/09/le-cas-erwan-larher-auteur-2/

Chronique du roman n°5 d’Erwan :
https://leblogdudoigtdansloeil.wordpress.com/2016/05/08/marguerite-naime-pas-ses-fesses/

le blog d’Erwan Larher : http://www.erwanlarher.com/

le site de Dorothy-Shoes : http://dorothy-shoes.com/

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NDLR:  Pour le nom de ce Blog collectif, voir dans la page «  Qui nous sommes »  les tenants et aboutissants ..

Nilda Fernández et Lorca

19 Mai
C’était il y a un peu plus de  deux ans , au Cirque Romanès…

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Je suis un souvenir qui marche

Et j’ai l’âme tatouée d’un chemin destiné à n’arriver jamais.

Ces vers tirés d’un poème de Federico Garcia Lorca illustrent bien ce qui anime Nilda Fernández, un voyage sans fin dans les mondes humains et dans leurs histoires intimes, celles qui ne sont pas en vitrine, mais plutôt à l’intérieur quand on a poussé la porte d’entrée.

Aujourd’hui c’est plus la peine /De garder les yeux grands ouverts
Il vaut mieux que tu apprennes
A regarder sous tes paupières
..*

Sous la paix des étoiles
La terre n’est à personne
Je retourne au silence
Je reprends le chemin
Pour dire la ressemblance
De tous les êtres humains.*

Au cours de cette soirée dans le cirque Romanès, la première partie nous a emmenés avec ses propres chansons vers l’univers de Lorca, dont on va voir qu’il est présent en filigrane sans doute depuis Madrid Madrid..

La seconde partie est entièrement Lorca, dans une mise en scène qui fait revivre les ombres et les lumières du poète foudroyé, assassiné et entré dans l’éternité des baladins aux soleils flamboyants.

C’est l’Andalousie un peu sauvage de Séville et l’Andalousie sensuelle et mystérieuse de Grenade, un tableau bigarré de l’Espagne multiple, la Castillane sévère, l’Andalouse extravertie, ou la tolérante tolédane d’avant Isabelle la Catholique… Chacun peut y réinventer son Espagne, même si on ne comprend pas les mots, on en perçoit le sens … Grâce aux musiques composées par Nilda Fernández…  Et Federico Garcia Lorca renait comme un phénix dans toute sa splendeur.

Un spectacle de Nilda Fernández, c’est toujours une fête une folie joueuse et joyeuse, un chant majeur qui défie les fusils… Quelque chose comme

Un chant éternel venu du fond des âges,
Des baladins nomades  des tziganes
Des métèques flamboyants de soleils égyptiens
Des oiseaux de passage au regard étoilé
C’est la vie qui danse et renaît chaque matin. **

Photos N Gabriel 2018

Je suis de ces oiseaux migrateurs
Jongleurs musiciens saltimbanques
Qui inventent des musiques métissées de toutes les douleurs
Des chants de cœur battant
De cicatrices ouvertes
De ritournelles dansantes  bulles légères de champagne
Eclats de rêves et de vie   étincelles de bonheur
d’instants éparpillés gaiement le long du parcours… **

Il y avait les enfants de Délia et Alexandre Romanès, les musiciens, le guitariste andalou Dani Barba Moreno et l’argentin Andrés Izurieta (guitare, charango) et même un chat de passage…

En conclusion, et en salut, quelques mots en harmonie avec l’art de Nilda Fernández,

Une chanson, c’est populaire. Il faut toucher l’émotion pure et on ne l’atteint jamais par la force ni la démonstration, mais par l’abandon de soi, la confiance, l’approfondissement, en se laissant envahir, en cherchant à l’intérieur. (Jacques Higelin)

Norbert Gabriel

* Extraits Innu nikamu, et On t’a appris
**  Extraits Chanson métèque  Gilles Julian

La boutique de Nilda, c’est là –>

 

Et pour quelques images de plus,

 

Chanter et comprendre ce qu’on chante…

2 Mai

Anne , Villon, Ferré, Ruteboeuf et l’art de la méprise

Il y a un an, une petite giboulée a fraîchi l’atmosphère dans le monde de la chanson. Avec une « reprise » (c’est ainsi qu’on nomme les chansons d’auteur quand elles sont «reprises » par un interprète) « Une sorcière comme les autres » revisitée par deux artistes québécoises. A l’écoute, on est charmé par ce duo, mais … Mais y a comme un truc qui cloche… Reprenons les faits avec la chronique ci-dessous, parue le 2 Juin 2019, et revue le 1 er Mai 2020. Anne Sylvestre ayant constaté a postériori le dérangement de sa chanson, a demandé le retrait de la vidéo, ce qui fut fait. Mais 9 mois après, ça revient, avec ajout de précisions, je cite:  » Une Sorcière comme les autres de Anne Sylvestre (version écourtée) » puis plus loin:  » Il s’agit d’une version tirée de l’oeuvre de Anne Sylvestre. »  Les deux artistes passent outre le point de vue de l’auteure, qui n’a pas été consultée, elles font une version tirée de …   en amputant une strophe entière, en oubliant l’importance d’un prénom qui n’a pas été changé par une lubie de l’auteure, et elles rediffusent cette vidéo. Est-ce ainsi que ces femmes vivent la façon de rendre hommage ?  Ce clin d’oeil à Aragon et Ferré permet aussi de rappeler que Ferré a pris des libertés avec Ruteboeuf, dans le texte médiéval il est écrit:  » et froit au cul quant byse vente. »  et Ferré modifie en  » Et droit au cul quand bise vente. » Modification qu’on peut trouver inopportune.Mais ceci est une autre histoire.

Comme il est expliqué ci-dessous, ce sont souvent les musiques qui sont revues et trafiquées, il est rare qu’on s’attaque au texte, sans justification, surtout dans un texte aussi chargé de sens que celui-là. Le fait de remettre en ligne  cette vidéo plusieurs mois après, fait preuve d’une certaine désinvolture envers Anne Sylvestre, et aussi de commentaires assez surprenants où il lui est reproché de ne pas avoir argumenté sur sa décision. Si j’osais la  comparaison, oui, j’ose, c’est demander à une femme violée de justifier sa demande de réparation. C’est abusé, comme disent les djeun’s …

Retour sur la chronique de Juin 2019

C’est notre petite bataille d’Hernani qui se passe sur les pages FB des amateurs de chanson francophone, avec une chanson d’Anne Sylvestre, « Une sorcière comme les autres ».
En résumé cette chanson a été réinterprétée avec de menues variantes, mais surtout une longue strophe supprimée. Sans l’aval de l’auteure.
Sur un plan général, quand il y a « reprise » c’est plus souvent la musique qui est revue par les repreneurs. On ne touche pas au texte sacré  -sauf à se gourer parce qu’on n’a pas compris le sens- mais pour la musique , on te retaille Ferré allegro vivace, comme si ce Léo était un apprenti de la musique à recadrer avec des compétences nouvelles. On a vu le syndrome Mozart « trop de notes » on a vu une version de Thank You Satan dévitalisée en grande partie de sa mélodie, ne dénonçons pas le coupable. Un ACI, auteur-compositeur-interprète, est un architecte qui équilibre les différents composants pour en faire une œuvre. Si un admirateur veut lui rendre hommage, il serait bon de ne pas dénaturer, on ne met pas un nez rouge à La Joconde pour saluer Léonard… Ce qui suit, reste d’actualité, autant pour la sorcière comme les autres que pour Mozart.
Pour exemple, dans la chanson d’Anne Sylvestre, quand on voit passer Gabrielle et Aïcha, ce n’est pas pour la beauté de la rime, mais pour Gabrielle Russier et Aïcha  Dabalé, militante de Djibouti contre l’excision et la dictature dans son pays. Il y a eu aussi Aîcha Rahil, torturée en Algérie.
On entend dans la « reprise »:  C’est Gabrielle et c’est Eva,  de la première version d’Anne Sylvestre. Mais dans le texte dit original qui a été rajouté dans ce retour c’est bien Aïcha qui est présente… Comprend qui peut ..  Eva c’était dans la première version Eva Forest.

 

Mai 2018 : Conférence, l’art de la reprise…  (Et la musique dans tout ça ?)

Jeudi, la Médiathèque des Halles proposait une conférence sur le thème des « reprises », et les arcanes qui mettent sur le marché des albums très différents dans leur approche. (Avec Cécile Prévost-Thomas en maître de cérémonie, et Daphné, Dominique Blanc-Francard, Olivier Hussenet et Stéphane Sansévérino)

Daphné, qui a fait un album  consacré à Barbara a très bien expliqué le fond de sa démarche, c’est à la fois un hommage et une découverte, en ce sens que connaissant Barbara comme tout le monde si on peut dire,  elle est entrée dans son oeuvre parce qu’il y avait des vraies correspondances dans les émotions, et en respectant scrupuleusement les mélodies.

Sansévérino a une approche différente, dans un album des chansons de sa mémoire et d’enfance, il revoit à sa manière les arrangements en les survitaminant, ce qui donne parfois des résultats surprenants comme sa version très enlevée des Roses blanches,  version dans laquelle Olivier Hussenet voit une révolte de l’enfant face à la cruauté du destin … Pourquoi pas?

Toutefois, s’il advenait qu’on ait le projet de  refaire  Les feuilles mortes  en hard rock métal pour innover, il me semble que ça dénaturerait  gravement l’esprit de la chanson.

Ce n’est pas une vraie surprise d’apprendre que les albums tribute initiés par les majors sont des produits de pur marketing où les artistes invités sont invités à chanter la chanson qu’on leur impose, parfois celle d’un artiste dont ils ne connaissent pas grand’chose, en gros, on leur fait une offre qu’ils ne peuvent pas refuser… Les contrats sont là pour mettre les points sur les obligations. Disons ça comme ça.

Faut-il s’étonner de quelques bizarreries quand il apparait que le texte a été mal compris, et la preuve est patente, quand un chanteur remplace « Ma Mie » par « Maman » dans  La non demande en mariage  ? (Il parait qu’une chanteuse ayant hommagé Renaud en chantant Mistral gagnant a répondu que le mistral gagnant était un vent du Sud de la France… Je n’ose le croire.) Mais dans ce cas, créditons à ce chanteur d’avoir respecté la mélodie de Brassens.

Car il y a une question corollaire qui émerge, si le sacro saint texte de l’auteur ne saurait être modifié d’une virgule – tout le monde s’accorde sur ce point- il n’en est pas de même pour la musique. Là, il est fréquent que le repreneur bidouille, transforme, émascule la musique originale, sous couvert de re-création, car c’est presque toujours en minorant qu’on refait la mélodie.. Ferré en a été souvent victime dans ces hommages-dommages post-mortem, ce qui est assez étonnant quand on sait l’importance qu’il apportait à la musique, il se voulait autant compositeur qu’auteur. Encore faut-il connaître un peu Ferré*… Et ces interprétations revues sur le plan musical sont souvent dommageables pour le texte… Je ne suis pas sûr que  Nuit et brouillard  revu en lambada serait bien compris … Lavilliers a supprimé une de ses chansons de ses concerts il ne supportait plus de voir le public danser sur un thème dramatique. Quant à Yuri Buenventura reprenant Brel, il vaut mieux oublier. C’est un exercice proche de celui qui consisterait à repeindre la Joconde avec un jogging fluo et des cheveux blond-platine, pour faire plus moderne .

Une théorie suggère qu’une chanson cache toujours un sous texte à double sens. Plus ou moins évident… C’est pas faux,  Aux marches du palais  est un petit chef d’oeuvre de double ou triple sens qui ravissent les connaisseurs de la langue du 17 ème, riche d’images très colorées peu accessibles aux innocents pour qui les chevaux du roi qui viennent au mitan du lit sont des équidés assoiffés, et pour les enfants, c’est juste un conte anodin. Dans cette approche, le double sens supposé, je me demande parfois ce qui va arriver à L’auvergnat  ou  La cane de Jeanne  quand il va sortir une analyse sur le sens caché… Tout est possible… Il est quand même amusant parfois de relire quelques grimoires des années 90-95, dans lesquels on peut voir que L’aigle noir  est un portrait autobiographique de Barbara, et un peu plus tard, une autre experte explique que c’est l’histoire d’un amour déçu… Barbara n’était pas au courant, mais peut-être que son inconscient l’était ? Autant pour le portrait que pour l’histoire…

Une observation très juste d’Olivier Hussenet a mis en perspective que les peintres passent souvent leurs années d’apprentissage à copier les maîtres, avant de créer leurs œuvres… Pourquoi demanderait-on à un artiste débutant de proposer d’emblée Guernica, ou La Ronde de nuit ? Barbara a mis 10 ans avant de mettre ses mots sur ses musiques. Brassens entre 1945 et 1952 a dû chanter plus souvent Trenet ou Tino Rossi que ses chansons…  Dans cet art de la reprise, Sansévérino souligne avec bon sens que lorsqu’on écoute la  Supplique pour être enterré sur  la plage de Sète, par Brassens, on ne s’ennuie pas une seconde, et que les « repreneurs »  ont bien du mal à susciter la même attention…  C’est une bonne réflexion sur l’art de la reprise. Comprend qui peut…

On joue Molière, Shakespeare, Corneille, Racine, Euripide, Pirandello, sans interruption depuis leur création, idem pour Mozart, Beethoven, Gershwin, toutefois le vrai artiste chanson devrait être un auteur à la naissance… Avant de mettre ses œuvres en avant, l’exercice de travailler le répertoire est une bonne référence pour étalonner ses possibilités. Mais l’artiste chanson « en développement » se doit d’être d’emblée une graine aboutie d’Anne Sylvestre de Brassens ou de Brel ou de Ferré… Est-ce bien raisonnable ?

Dans ma hiérarchie subjective, je citerai comme grands témoins de réussites, autant pour la majesté du texte que pour les musiques brillantissimes (par ordre alphabétique) avec deux direct scène et deux enregistrements studio.

Annick Cisaruk (et David Venitucci) Où va cet univers

Daphné Du bout des lèvres

Rémo Gary Les oiseaux de passage

Louis Ville Y en a marre

  • Pour Ferré, une des réussites en matière de recréation est à créditer à Bashung, il ‘tourne autour’ de la mélodie avec une subtilité qui aurait séduit Ferré.. Par contre, Thank You Satan par Dyonisos qui remplace une ligne sinueuse et narquoise par une ligne droite plate sans aspérité, pas sûr que ce soit de la re-création inspirée. Mais Bashung, oui..
  • Post Scriptum :  Barbara a aussi été saluée par différents hommages, mais à ma connaissance, ses musiques ont été respectées.. 

 

Norbert Gabriel

 

Entretien avec Mauro Ceballos pour parler de « Confin Art » : une initiative qui propose gratuitement aux enfants de France et du monde des dessins à colorier expliquant les thèmes liés à la pandémie et leur transmettant des principes solidaires pour résister aux angoisses et souffrances avec poésie, douceur et créativité

1 Mai

A l’heure où nombre d’artistes et travailleurs  de l’économie artistique s’angoissent légitimement pour l’avenir du secteur culturel et évènementiel et leur propre survie, certains ont choisi de mettre leur talent au service de la solidarité humaine pour épauler nos contemporains dans nos résistances individuelles et collective aux peurs, aux chagrins et au pessimisme en cette période anxiogène. Artiste pluridisciplinaire, Mauro Ceballos, batteur et percussionniste du groupe Guaka [Lire ici et ici], et auteur de la bande dessinée «Di Vin sang», entièrement réalisée et teintée avec des vins pour raconter l’histoire méconnue des liens entre Bordeaux, sa ville de résidence, et le Chili, son pays d’origine, et de l’épopée de l’implantation des vignobles et de la production de vin sur ses terres, qui a connu un large succès l’an dernier, produit depuis le début du confinement des dessins publiés gratuitement via les réseaux sociaux à destination des enfants, que ceux-ci peuvent imprimer chez eux pour les peindre et les colorier. L’initiative « Confin Art » qui a rapidement rencontré une popularité croissante ici et au-delà des frontières françaises, étant proposée en quatre langues, se révèle, en plus d’un moyen d’occuper les enfants quotidiennement durant les longues heures du confinement, être un outil pédagogique et un soutien psychologique intelligent et accessible à tous, dont les bienfaits se mesurent au nombre expansif des utilisations, partages et réactions enthousiastes qu’elle suscite. Elle œuvre à l’accompagnement des familles non seulement en occupant l’ennui et réveillant la créativité des enfants, mais également en abordant à travers chaque dessin des thèmes relatifs à la pandémie, compliqués et douloureux émotionnellement, parfois inintelligibles pour les plus petits, que l’auteur tente de leur expliquer simplement avec tact et douceur pour amener du réconfort, du bien-être et de la poésie, inculquer des principes de précaution, protection et soucis des autres, et rendre la période plus supportable -et sans doute même engendrer quelques vocations artistiques-. Décidé à poursuivre la démarche au moins jusqu’à la fin du confinement, Mauro Ceballos nous a accordé un entretien pour en parler.

 

– Mauro bonjour et merci de nous accorder cet entretien. Comment t’es venue l’idée de cette initiative ?

En fait un jour avant le début du confinement, j’avais épuisé mon papier de dessin, et ne pouvais donc plus continuer à travailler avec du papier de qualité. Et comme mes deux filles étaient loin, l’une en Espagne et l’autre dans le nord de la France, j’ai cherché de quelle manière je pourrais les accompagner tous les jours, d’autant que je comprenais en regardant les exemples des autres pays que cette histoire allait prendre beaucoup de temps. Mes filles ne comprenaient pas pourquoi il fallait rester confinés, ni ce qu’était ce virus. J’ai voulu par des dessins leur expliquer ce qu’est un virus, ce qui nous arrive, quelles mesures peuvent nous protéger et comment on peut s’occuper à la maison, pour rendre l’enfermement plus supportable. Les deux premières semaines, il y avait eu beaucoup d’interventions dans les médias pour les adultes, mais rien pour expliquer aux enfants. Les enfants étaient complètement écartés de l’information. J’ai donc cherché comment expliquer avec des dessins aux enfants, à mes propres enfants d’abord. Et puis je les ai publiés sur la page facebook bordelaise «wanted community Bordeaux» [Lire ici], et leur visionnage et popularité a explosé. Il y a eu plus de trois cent messages et commentaires de soutien. Je n’avais pas pensé au préalable que d’autres enfants pouvaient se servir aussi de mes dessins, et j’ai été très touché par ces réactions. J’ai décidé de réaliser des dessins pour accompagner mes enfants chaque jour et de les publier pour que les autres aussi puissent s’en servir. Et puis trois voisins ont vu ça, l’un étant rédacteur, l’autre graphiste, et le dernier réalisateur de vidéos, et m’ont proposé de créer un groupe de travail. Ils m’ont donné un sacré coup de main pour impliquer la presse. Il y a pas mal de chose en France, pas encore dans les presses étrangères, mais petit à petit, il y a une expansion. On a tout fait nous même ; c’est le système hyper méga « D ». Nous avons mis en place des supports de presse et fait une vidéo, en quatre langues : Français, Anglais, Espagnol et Japonais. J’ai aussi commencé à travailler avec une personne russophone pour les traduire en Russe.

 

– Dans quel but ?

Comme je connais pas mal de monde dans plusieurs pays, des gens rencontrés au cours des tournées, et que le confinement existe partout, l’idée est de rendre l’initiative accessible aux citoyens d’autres pays. Cela a bien pris en Espagne, au Chili, au Mexique, en Italie et ça s’est propagé très vite. Aujourd’hui des milliers de parents s’en servent tous les jours et même des enfants harcèlent leurs parents pour qu’ils leur impriment les dessins. Et comme les gens envoyaient des messages de soutien ou remerciement, je me suis dis qu’il serait intéressant d’offrir les dessins accompagnés, chaque jour, d’un message d’une personne, un peu leader d’opinion de chaque pays, puisqu’avec Guaka, nous nous sommes liés à beaucoup de stars au cours des tournées. Un ami, vedette du cirque Arlette Gruss, qui a pu retourner au Chili avant le confinement a écrit un message ; et comme c’est un clown, il est connu des enfants et des parents. Des personnels travaillant à la télé, et aussi beaucoup de musiciens ont fait de même, comme Denis Barthe et les Hyènes [ici], Sergent Garcia, Shaka Ponk [ici], des acteurs et membres du Buena Vista Social Club. L’idée est de lancer un truc différent chaque jour et comme ce sont des gens très connus, ils partagent la page, ce qui fait qu’il y a de plus en plus d’enfants qui ont accès aux dessins.

 

– T’es-tu heurté à des réactions négatives ?

Oui, il y en a eu ; il y en a toujours. Philippe Poutou par exemple a participé, et des commentaires mal intentionnés s’en sont pris à lui en le traitant d’opportuniste et de tout. C’était la première fois que j’associais un homme politique à mon travail, et dès que tu fais rentrer la politique quelque part, il y a toujours des réactions virulentes. Heureusement d’autres ont pris sa défense. Moi, je ne réponds qu’aux commentaires bienveillants. Mais quand il y a des choses moches, je ne réponds pas. En plus mon travail est pour les enfants, pas pour eux. Ils doivent être tellement malheureux pour écrire des commentaires aussi malsains au sujet de dessins pour les enfants. Le malsain, il faut le tuer tout de suite, sinon après il te contamine. J’avais appelé Philippe, parce que c’est un pote, et il m’a écrit un mot très sympa. Mais après il y a toujours des gens cons et aigris qui essayent de salir ce qu’on fait de constructif. Mais si on en tient compte, on n’en finit jamais.

 

– Le but de tes dessins n’est pas uniquement d’occuper des enfants pour rendre le confinement supportable, mais aussi de les aider à comprendre l’actualité que nous subissons. Quels messages peut-on faire passer à des enfants ?

J’essaye de passer des messages très compliqués simplement. Une chose dont on ne parle pas par exemple est que beaucoup d’enfants sont en train de perdre leurs grands parents, sans pouvoir leur dire au revoir ni les accompagner pour l’enterrement. C’est tragique et ça complique le deuil. Mon travail vise donc à traiter ces thèmes. J’en suis actuellement à plus de 90 dessins, car parfois j’en créé plusieurs par jour, suivant les thèmes à aborder, mon inspiration du moment aussi. Si on calcule que ça va prendre entre 30 et 40mn à un enfant pour peindre un dessin, à raison de quatre dessins par jour on peut les occuper deux heures, ce qui est une sacrée pause pour les parents. C’est donc une aide pour les parents, car ça leur dégage du temps et en même temps j’essaye d’expliquer des choses aux enfants. Ce ne sont pas juste des dessins à la con qui ne racontent rien. Et comme les enfants peignent et colorient les dessins, ça leur créé une certaine connexion à l’image qui fait qu’ils s’en rappellent. Cette semaine par exemple le thème choisi est la violence dans les foyers, envers les femmes ou les enfants, les hommes aussi, les couples qui se déchirent. Il faut être non pas consensuel, mais doux pour traiter ces thématiques et proposer des solutions pour vivre un peu mieux le confinement. Je me rappelle que quand j’étais petit, mes parents se battaient tout le temps et j’essayais de dessiner des choses que je trouvais positives, et j’arrivais à calmer les choses. Je voulais juste qu’ils puissent s’aimer, pas se battre. Maintenant je vois la même problématique dans tous les pays. Il faut pouvoir expliquer aux enfants, leur donner des clés, et un peu de joie. Qu’au moins un enfant enfermé toute la journée avec des parents en train de se déchirer puisse s’évader dans le dessin. Psychologiquement ça peut les aider à affronter ces malheurs qu’ils sont en train de vivre. Et puis aussi leur apprendre les questions d’hygiène, à découvrir la musique, le théâtre, construire des jeux, faire attention aux handicapés. Je n’ai pas encore traité le thème des anciens, mais je vais le faire d’ici une ou deux semaines, car il y a dans les Ehpad des papis et des mamies qui peignent aussi. L’idée est surtout d’expliquer qu’il faut se protéger et rester confinés, et essayer de s’occuper et de rendre la vie plus belle. J’essaye aussi de m’inspirer des histoires des victimes du nazisme qui étaient dans les camps, des cosmonautes aussi qui passent un an enfermés dans une cabine spatiale éloignés de leurs proches, des gens qui sont en prison, des étudiants qui sont obligés de rester dans des chambres de 9m², enfin plein de choses auxquelles on ne pense pas lorsqu’on vit dans un endroit spacieux. Je pense toujours à ces gens et les messages sont aussi par rapport à eux. Et je pense aussi ce travail comme celui des dessinateurs de journaux qui dessinent tous les jours en rapport à l’actualité. Je n’ai pas encore touché les thèmes de la mort, de la perte, de la misère ; mais je préfère parler de tout cela à travers l’imaginaire et la solidarité. Ce n’est pas toujours évident, parce qu’on vit quand même dans un monde de merde. Mais il faut au moins essayer de le faire pour les enfants, sans être pédant, juste avec le cœur. C’est une forme de résistance : pouvoir résister tous les jours, et aussi être informés de ce qui se passe jour après jour.

 

Mauro Ceballos et ses amis lancent aujourd’hui un financement participatif en ligne pour compiler les 55 dessins réalisés en un album à destination des enfants de soignants et enfants démunis (Ddass, enfants de réfugiés, enfants hospitalisés). Vous pouvez y commander un exemplaire pour vous (15 euros), et pour chaque album acheté, un album sera offert à un de ces enfants, ou contribuer librement ici : ici

 

 

Miren Funke

Photo de Mauro Ceballos : Bacchus

Liens :

Vidéo de présentation : clic sur la télé–>

 

 

 

 

 

Facebook de l’artiste ->

 

 

et ici —->

 

 

 

 

 

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