
Au théâtre Dejazet en dec 2007, photo NGabriel
Dernier volet les deux précédents sont consultables ICI et ICI
On assiste aussi à une attaque en règle tendant à imposer le système du copyright américain c’est plus commode à gérer que le droit d’auteur, mais totalement injuste, par exemple le créateur de Superman est mort dans la misère, il n’était pas propriétaire des droits du personnage qu’il avait créé. Le vrai propriétaire était le propriétaire du support, c’est ce qu’on est en train d’essayer d’induire avec les diffuseurs, les fournisseurs d’accès qui deviennent les maîtres du jeu… On peut dire les choses de façon plus libre : de plus en plus, les créateurs ne sont pas considérés comme de véritables partenaires au moment du partage, les créateurs ne sont pas invités au repas. On les considère plus comme des trouble-fête que des partenaires, alors qu’ils sont à l’origine de la chaîne de la création. Ils sont au début, pas à la fin.
Le copyright c’est un peu comme les galéristes des peintres du passé, les toiles leur appartiennent en totalité, l’artiste n’a plus rien, c’est la galerie qui détient tous les droits, tous les pouvoirs, qui donne l’autorisation de reproduction. Le créateur est dépossédé de ses droits. Dans le système US, et ce sont ceux-là qui sont les plus rigides sur le téléchargement sauvage, là, on envoie des armées d’avocats pour défendre ce qui doit tomber dans l’escarcelle du diffuseur, du propriétaire du support. Les artistes ne se sont jamais organisés par rapport à ça. Quand ils ont essayé de le faire, ils ont été récupérés par des gens qui savaient le faire bien mieux qu’eux. Notre métier est dominé par des gens qui ont la maîtrise du financier, du juridique, et les artistes ont toujours été très timides pour la défense de leur droits et n’ont jamais réussi à s’unir contrairement au cinéma, qui a créé le CNC, mais le CNC c’est un organisme de cinéaste. En dehors de la Sacem, qui est combattue comme jamais, les autres organismes sont ceux des organisateurs de spectacles, des diffuseurs, jamais les créateurs.
Les intérêts des artistes sont différents de ceux des producteurs, des diffuseurs, des éditeurs, et de toute cette nébuleuse de métiers qui gère la musique. Or, le paradoxe c’est que la musique est partout, dans les ascenseurs, dans les gares, dans les aéroports, les boutiques, sur Internet, les Ipod, les MP 3 ou 4 , elle est universelle et elle n’a jamais été autant méprisée pour elle-même et aussi écartée du circuit de ses propres revenus qu’aujourd‘hui. C’est pour ça que je dis que c’est pas seulement Internet… Les exigences des artistes et créateurs sont toujours considérées comme injustifiées, alors que les arguments des adversaires ceux qui profitent de cette manne sans la redistribuer sont toujours justifiés.
Les artistes n’ont pas assez conscience de leur rôle culturel, notre métier a des aspects variés, ça va de celui qui écrit tout seul un texte qu’il va mettre sur les notes de sa guitare, jusqu’aux dizaines de camions qui transportent le matériel pour monter une super-production avec des équipes de centaines de techniciens, c’est le même métier, mais il ne peut être régi par les mêmes règles.
Et pourtant, notre métier a ces aspects complémentaires et différents. Il n’y a jamais eu autant de talents sur le terrain.
Mais le talent n’est pas forcément dans la vitrine, plus les médias se sont diversifiés plus la vitrine s’est rétrécie. En nombre d’artiste diffusés compte tenu de la taille des médias, on a un nombre infiniment plus petit d’artiste différents diffusés
Et on a aujourd’hui un nombre encore plus restreint de titres diffusés alors que ces médias se sont diversifiés et que le talent sur le terrain est devenu incroyablement foisonnant.
Il se passe qu’il y a un décalage de plus en plus grand entre la vitrine et la réalité de la création, et si on va sur internet, c’est la même chose, quand on clique sur le nom d’un artiste, c’est qu’on le connaît déjà, c’est pas donné à tout le monde de savoir que Jean Dupont existe qu’il a fait un disque… voilà… on ne peut pas cliquer sur un nom qu’on ne connaît pas mais on va cliquer sur le nom de l’organisme qui les diffuse, c’est à dire les grands sites officiels, qui ont une première page, une deuxième, une dixième, une soixante douzième… mais qui a le temps d’aller voir la 72 ème page ? Donc on est rendu à la même problématique que les radios qui diffusent un nombre restreint d’artistes, comment faire pour connaître la diversité de la création si on ne peut avoir accès aux filières qui vont vous y mener ?
Il y a des chemins de hasard des rencontres, on reçoit des dizaines d’emails qui annoncent des show-case, mais on ne peut pas passer son temps à suivre des liens pour entendre un bout de chanson. On reste sur la problématique de la promotion, de laprésence dans toute sa diversité.
On voit bien qu’il n y a pas que le problème d’Internet, il y a celui de la télévision, de la radio, de la production… Qui aujourd’hui va produire un artiste dont il ne sait pas s’il y aura un débouché, un relais… ?
Le « live nation »
C’est inquiétant, le tout est de savoir par quelle vision ça va être sous tendu, si l’efficacité est plus grande tant mieux, mais si c’est ce qu’on a vu dans les maisons de disque, de moins en moins dirigées par des artistiques et de plus en plus par des comptables-commerciaux qui exigent des résultats rapides (le retour sur investissement) ce qui va à l’encontre de notre métier, de la nécessaire maturation des artistes, de l’évolution de la création, là on a du souci à se faire… On va développer en plus grand ce qui a tué les maisons de disques, qui vont de restructurations en restructurations, d’échecs en échecs, si le public ne trouve pas son compte il déserte, la mévente des CD c’est pas seulement Internet, c’est le manque de profusion dans ce qu’on nous propose… Quand on se promène dans une librairie, il y a un foisonnement de livres incroyable, il existe encore des réseaux de libraires amoureux de la littérature, et grâce à la loi Lang, ils ont pu résister, et tenir, le prix unique du livre a sauvé la librairie du désastre que subit le disque actuellement. Donc il y a là une leçon, quand on ne voit pas venir les problèmes ils vous détruisent, on est en train de détruire la machine, et je crains que le spectacle ne suive, ce qui s’est passé avec les maisons de disques, est en train de se produire avec le spectacle, simplement parce que les maisons de disques sont en train de racheter les sociétés productrices de spectacles, et ils ne vont pas sauver le disque avec le spectacle, mais saborder le spectacle en même temps que le disque. C’est ce qui arrive… les spectacles sont chers, avec des plateaux lourds et on use les artistes avant qu’ils ne soient mûrs pour faire une carrière… et tout le monde est sur la carreau, les communes qui perdent de l’argent, les artistes usés en une année, le public qui n’a plus assez d’argent pour payer des spectacles chers, qui ne plus y aller, la profusion et l’éparpillement, et le 360 ça fait partie d’une politique d’exploitation globale à outrance de filons sans la passion, sans la patience, sans le savoir-faire, le savoir faire éclore une carrière d’artistes qui assuraient leur longévité
Aujourd’hui, on assiste à une transformation de nos métiers en une exploitation rapide et une vision à court terme
Il est urgent d’avoir de notre métier une vision de développement durable, de biodiversité des espèces, en l’occurrence de la biodiversité des talents, qui consisterait à réfléchir à des carrières durables, mettre un artiste en confiance développer ce lien affectif avec le public, et permettre aux uns et autres de s’apprivoiser, de s’aimer, et d’entrer dans le coeur du public et pas seulement dans le hit parade
C’est pas la tendance, tout va vers le contraire, le métier sait mieux que les artistes manipuler le juridique et l’administratif, on se rend compte que la loi sur les quotas, aussi imparfaite soit-elle a sauvé la production française, on est entrain de refaire la même erreur en considérant que la loi création et internet est liberticide, je fais le comparatif parce que la chanson française existe encore grâce aux quotas, tout simplement
La loi création et internet toute imparfaite qu’elle soit, est notre sauvegarde, c’est le premier pas vers la reconnaissance de la propriété intellectuelle, le respect des artistes, la possibilité pour les artistes d’avoir un métier qui ait une véritable économie de production
Avec toutes ses lacunes, ses faiblesses, elle a le mérite de nous offrir ce premier pas, elle est combattue comme loi liberticide sous prétexte de la liberté des internautes… mais on ne parle pas de la liberté des créateurs d’être maîtres de leur création.
Et la propriété intellectuelle devient moins importante que la liberté de ceux qui pillent ce qui ne leur appartient pas.
L’Europe se laisse souvent convaincre sur des arguments scabreux , par exemple, la commission a demandé que tout le monde se mette au niveau des plus bas, des moins-disants, c’est celui qui a le moins de choses à défendre, donc si on défend le patrimoine de la chanson française très riche, si on le met sur le même plan que la Tchécoslovaquie, ou un pays qui n’a pas un volume de patrimoine à défendre, on ira acheter les oeuvres françaises au rabais là où c’est le moins cher, et les artistes verront leurs droits encore bafoués. Il y a un déséquilibre flagrant. On ne peut pas simplifier à l’extrême, avec les mêmes conséquences désastreuses
Les pays d’Europe abordent les problèmes comme celui de la taille des filets de pêche, avec des décisions prises à Bruxelles, au lieu de voir ce qu’il en est à Douarnenez, on ne peut pas tout harmoniser au plus bas.
Paroles.net
Les droits encore une fois, les gens partagent ce qui ne leur appartient pas, même si c’est gratuit la consultation, il y a de la pub, et qui n’est pas répartie avec ceux qui sont les produits d’appels.
De la même manière il y a les images prise dans des concerts avec des tél ; on se retrouve diffusés dans des conditions désastreuses de qualités sonores ou visuelles, quel intérêt ?
On dépense beaucoup d’énergie et d’argent pour faire des spectacles avec des conditions les meilleures, de beaux éclairages, avec du matériel très sophistiqué avec au bout du compte ne pas maîtriser que quelqu’un prenne son téléphone pour faire une captation avec un micro de tél portable…
C’est devenu tellement dans les mœurs qu’on ne peut plus maîtriser ni son image ni le son,
Il y a toute une pédagogie à faire sur ce thème … Le MP3 a une réelle utilité, mais il ne faut pas en faire le standard bas de gamme de l’écoute, ce n’est pas normal qu’on soit représentés dans les médias par des moyens médiocres, gérés par des gens qui n’ont aucune notion de ce qui est représentatif ou non de ce qu’on fait. C’est fait avec une bonne foi déconcertante,
Il faut arriver à trouver des réponses à tout ça… Quand on récrimine, on est pris pour un mauvais coucheur, l’artiste à un moment n’a plus voix au chapitre, il ne maîtrise pas le côté juridique, on a besoin d’un comité d’éthique dans nos métiers, et peut-être que cette loi Internet va permettre à ce un comité d’éthique d’exister. La France est un précurseur avec la Sacem, qu’elle le reste avec cette loi Internet et création. La Sacem est un exemple que tous les pays ont repris pour la répartition des droits.
Les artistes deviennent des empêcheurs de chanter en rond, c’est simplement « pas juste ».
Ils créent une matière dont tout le monde se repait, et se glorifie, et eux ne font pas de bénéfices colossaux, d’ailleurs c’est plus souvent ceux qui les entourent qui les bordent, les endorment, les enrobent d’un entourage juridique très complexe, très élaboré qui garantit à leur entourage des revenus confortables, ça c’est quand même assez extraordinaire
Les concerts gratuits, sont gratuits pour le public, sont souvent gratuits pour les artistes, mais ils ont parrainés par des radios, des télés, des opérateurs téléphoniques, mais il faut réserver ses places, par tél à numéros surtaxés et le bénéfice des coups de tél, il va où ? je crois savoir…
Comme la fausse bonne idée de la licence globale, ou des abonnements musicaux comment se fait la répartition des œuvres téléchargée ? elles se font sur des statistiques ce qui veut dire qu’un certain nombre d’artiste sont écartés de ces redistributions, et ce sont ceux qui en auraient le plus besoin. Je vois avec quelle précision quand on met un album dans les circuits de vente Amazon, I-Tunes, tous ces sites légaux, la technique qui trace ces chargements est très élaborée c’est la preuve flagrante qu’on sait le faire, et très bien.
Donc il suffit dune varie volonté politique de le faire, elle existe mais elle se heure à une epur électorale d’aller trop loin, et d’indisposer les internautes électeurs… mais protéger la création, c’est protéger les créateurs, l’essentiel de notre profession est encerclée par de très lourds dispositifs financiers industriels qui ne veulent pas être encombrés de l’humanité des artistes, qui sont la partie imprévue, mais il faut les maitriser ; les empêcher de nuire , les contrôler, pourtant ce sont eux les générateurs de l’ensemble
Ils sont dépossédés, c’est la poule aux œufs d’or, mais on peut la tuer, considérant qu’il y aura derrière d’autres poules aux oeufs d’or… mais je ne crois pas que les choses soient si simples, on a vu mourir des veines de création, de cette façon
Nous on s’est toujours battus pour notre liberté, on l’a payée le prix fort, mais c’est ce qui nous permet d’être encore là, d’être toujours vivant parce qu’on a préservé cette liberté, ce qui me permet d’être heureux dans ce que je fais, d’avoir du plaisir à monter sur scène c’est un privilège cette liberté … en même temps, j’ai peur pour les générations actuelles..
Notre métier a encore de belles heures parce que c’est un beau métier, c’est un métier magique, avec le lien avec le public, écrire une chanson c’est partir d’une matière inexistante et forger quelque chose de concret qui distribue de l’émotion, et tout ça, le support de la magie, c’est aussi de la technique, et le support de la création, c’est aussi de la bienveillance, or cette bienveillance à l’égard des artistes, je trouve qu’elle a les dents bien longues ; et les griffes bien acérées, et beaucoup d’artistes ne survivront pas ..
Et je reçois des dizaines de disques d’artistes qui ne survivront pas parce qu’il ne trouveront pas le sillon qui leur permettrait de poursuivre…parce qu’il n’y a plus de détecteurs de talents à l’écoute pour flairer quelque chose de nouveau.. aujourd’hui on est dans le format beaucoup plus que dans l’information, il y a un déficit d’information, sur les nouvelles chansons ; on n’est pas dans une logique de développement durable dans notre métier, comme il y a une prise de conscience de l’essoufflement de la nature, des phénomènes climatiques violents, inquiétants, dans notre métier c’est la même chose, il y a une perte de biodiversité, et pas de prise de conscience de la profession, on est sur le même navire et s’il coule on coulera tous.. La chanson est un bien précieux, culturellement parlant, j’ai connu le Québec grâce à la chanson, elle doit rester l’expression du visage d’une époque et de liberté de ses créateurs. Aujourd’hui, la tendance est trop à l’appauvrissement
(voir la lettre à mon métier, dans le livre les choses qu’on ne dit pas)
Propos recueillis par Norbert Gabriel