
À quoi ça rime de continuer à conter, à écrire, quand personne ne s’intéresse à tes histoires ? Changer le monde ? Il ne change pas.
C’est vrai. Et si je conte encore aujourd’hui, c’est juste pour que le monde ne me change pas.
Alors, à quoi ça rime ?
« Depuis le temps qu’on écrit des chansons,
Parlant de luttes et de révolutions,
Contre les cols blancs qui assassinent,
Les exploiteurs de la famine,
Vers où nos coeurs naufragés s’arriment
À quoi ça rime ?
Le monde, Jean-Pierre Fauré le voit, avec lucidité, les faux paradis des supermarchés, pourtant, c’était beau :
« Ici, il y avait une clôture
Un pré trempant ses pieds dans l’eau
Un lézard bronzant sur le mur
Un arbre pulpant d’abricot…«
Le nucléaire, les neutrons, les OGM, la pollution, » Les fâcheux fachos du FN « , les guerres, jusqu’à l’obsolescence de la vie.
Sa France est rouge cerise entre l’orange et l’olivier :
» Mon Dieu, ma France, que tu es belle
Quand tu es ainsi réunie
Quand coeurs et poings serrés se mêlent... » ( à Jean Ferrat).
Mais, au-delà de ses vieux combats : » Le point levé, rouge écarlate », la poésie l’attendait, au coin de la rue :
« L’soir où j’ai posé mon ballot
Quand mon coeur a baissé les bras
Prêt à laisser à ces salauds
Mon drapeau et mes » ça ira »
Elle s’est radinée bien tranquille
Et m’a regardé dans les yeux
Et moi, comme un vieil imbécile
J’ai pleuré pauvre bienheureux. «
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Une poésie populaire, qui raconte les fêlés de la vie, les héros du quotidien, les gens du voyage :
« Qu’il vente ou bien qu’il flotte,
L’hiver quand ça grelotte
Qu’ça tombe comme à Gravelotte,
Dans sa jolie roulotte
L’un tissait sa pelote
De gentil croque-note
Avec une matelote qu’avait une jolie glotte. »
Les princesses de quat’sous :
» Un matin, ils ont remplacé
Les caravanes par une pancarte
» Séjour interdit aux nomades
La petite fille, j’l’ai jamais r’vue
Je n’sais as ce qu’elle est devenue
Mais elle a laissé dans mon âme
L’amour tzigane. »
La fée Carabosse :
» Elle trottinait le long des quais
Dans ses haillons
Mais dans sa tête s’enivrait un
Accordéon
Quand elle passait devant la cour
D’récréation
Nous on l’app’lait fée Carabosse
On est méchant quand on est gosse.«
.
Les combattantes, femmes, filles, mères ou grands-mères, qui subissent l’hégémonie des hommes :
« Qu’elles se nomment Malala,
Emily, Masih, Rosa
Qu’elles résistent dans un car
Juste pour pouvoir s’asseoir
Qu’elles refusent de mourir
Sous la violence en martyrs
Qu’elles se dressent pour crier NON
Au viol ou à l’excision. »
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Jean-Pierre Fauré n’oublie pas ceux qui ont payés de leur vie leur amour de la liberté, comme Victor Jara.
Poésie des humbles, de la » détresse des silencieux », ( Bruno Ruiz) comme cette vieille femme solitaire :
« Sa mémoire se faisant la paire
Lui laisse un goût d’orange amère. »
L’impertinente cousine de Firmin, les filles du Coq hardi :
» Mais un jour sombre et morose,
La bonne madame Rose
A dû pour la noble cause
Fermer sa maison close.
Maintenant ses pauvres filles
S’trimballent en talons aiguilles
De décembre jusqu’en janvier. »
Les bourrés du cabaret :
» C’est un cabaret pou des cas barrés,
Des gars dézingués, des gonzesses dégazées
Des tares à biscotte, des tarabiscotées
Si tu crains pour tes os, et ben t’as qu’à t’barrer. »
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Les amoureux de hashtag love duo, Julie et Julot, qui passent à côté de la vraie vie.
Les seigneurs ( à Jean-Roger Caussimon) :
« Les seigneurs ne sont pas d’un pays.
Ils ont l’accent d’un peuple
Qui voyage sans fin.
Leurs ports sont les forêts,
Les étangs des prairies
Où l’amour naît d’un rien.
Baladeurs, baladins,
Chasseurs de nuits sans lune,
Enfants de la chimère,
Pourfendeurs de moulins,
L’eau, le vent et le feu
Sont toute leur fortune,
Ce sont des gens si bien. »
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Les amours de gosses, ou les amours inoubliables qui laissent des traces de » Parfums », ou qui finissent » chagrin ». Et les régimes désespérants qui ne laissent que : » La part des anges ».
Mais aussi des odes à la nature, tout ce qui touche la sensibilité du poète, comme cette maison abandonnée : » La maison aux saisons mortes » qui lui livre l’histoire d’une vie, à travers les photos fanées.
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» Jean-Pierre Fauré fait partie des humbles de la b
onne chanson. Il a besoin de s’adosser à des fraternités, se frotter souvent à quelque exercice de célébration. C’est un pauvre qui a la rime riche, du jeu de mot malgré lui, presque obsédant. » dit justement Bruno Ruiz dans sa préface. Il célèbre ainsi Francesca Solleville, » E Canta Francesca« , Jean Ferrat , Caussimon, José Correa qui a signé les dessins du livre, Pierre Barouh , etc, et le livre est dédié à Paul Fort et Allain Leprest.

» Ce livre se veut juste être un témoin; le reflet d’un univers. Surtout n’y voyez aucun orgueil, simplement une envie de partage et le désir de laisser une petite trace à ceux que j’aime... »
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Mission accomplie pour le partage, chansons ou poèmes, humour ou nostalgie, Jean-Pierre Fauré est un artisan qui puise ses mots dans les carrières du vivant et de la mémoire, et même là où on ne les attend pas, dans » un geste, un regard, un silence trop bavard ou un vacarme déchiré... »
» C’est pas que du vent, c’est des mots
Cris perdus d’un guillemot
Dans les villes et les hameaux,
Sans retenue
Pour vous dire la vie continue
Tête libre et les mains nues
Tout comme, inconnu,
Je suis venu. »
Danièle Sala
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