
Samedi 07 décembre dernier, l’association Bordeaux Chanson, qui fidèle à son habitude de proposer au public bordelais un moment d’évasion et d’émotions, continue d’œuvrer avec ses acteurs bénévoles, pour qu’existent et s’expriment les auteurs compositeurs interprètes francophones, recevait au Théâtre l’Inox deux artistes au parcours professionnel et à l’histoire humaine intimement liés, puisque leur amitié se ponctue depuis plusieurs années de collaborations musicales (participation au conte musical « L’enfant-Porte » créé par Yannick Jaulin, et mis en musique par Francis Cabrel et Michel Françoise) : Sylvain Reverte, accompagné de son pianiste et complice Christophe Britz et Olivier Daguerre jouant, lui, avec Michel Françoise aux guitares. Cependant point de duo ce soir là entre les deux hommes, qui se succédaient pour un co-plateau où chacun interpréta ses propres morceaux.
Renversons quelques instants l’ordre chronologique de cette soirée, dont en seconde partie, le concert de Daguerre, accompagné donc de Michel Françoise, fut un moment d’une intensité ensorcelante. J’avais découvert l’artiste en 2005 à Seignosse (Landes), lors d’un concert de Saez, dont il assurait la première partie avec les morceaux de son premier Ep autoproduit « Ici Je ». Je me souviens avoir été d’entrée ébranlée par le magnétisme du personnage, qui m’avait aspirée et sonnée. Une
claque, comme on dit (un coup de poing même). Tant et si bien que je m’étais empressée de quitter le concert de Saez avant la fin, pour être sûre de pouvoir acheter l’Ep de Daguerre à sa table de presse. Quatorze années, sept albums, où une poésie écorchée et éblouissante s’enchevêtre à des thématiques souvent graves et lourdes, parfois plus passionnées, pour ensemencer des chansons ciblant au cœur et sans détour les sentiments et les idées, et tant de concerts plus tard, le charisme du chanteur -que nous avions vu l’été dernier au festival Musicalarue avec les Hyènes et Cali [Lire ici]– n’a pas perdu un millième de degré : dès le premier mot prononcé, l’homme habite la chanson, électrise l’atmosphère, et aimante l’attention du public, happée par l’authenticité d’une âme qui interprète avec vérité et à fleur de nerf, sans filtre. Impossible de relâcher l’attention de cette tension que Daguerre a toujours su charger en haut voltage et tenir, comme instinctivement, accrochée aux câbles des émotions qu’elle fait
tressaillir. Le concert arpenta des morceaux des derniers albums, «Mandragore », «La Nuit Traversée » et surtout «107218km/h », le dernier en date sorti en mars 2019, bouleversant. Seul ancien titre interprété, « De l’Ivresse » (extrait du « Cœur entre les dents ») improvisa une plage conviviale, où Daguerre invita spontanément une amie présente dans la salle, Kate Beans à venir chanter en duo avec lui.
Mais moins de deux heures auparavant, c’est Sylvain Reverte qui amorçait l’envolée des émotions avec son « Soleil Rouge » que nous avions découvert dans ce même théâtre de l’Inox trois ans plus tôt [ici]. Torche ardente, qui au grès d’une ascension exhortant nos sens vers un ciel embrasé et aveuglant, nous enflamme de sa beauté intérieure qui en met plein la vue, avant de laisser choir et virevolter en nous quelques milliers d’étincelles incandescentes, ce « Soleil rouge » agrippa le public d’une main de feu, pour le laisser, encore ébloui, s’apaiser doucement à des accords plus légers et des accents moins abrasifs, avec un second titre du même EP (« Soleil Rouge ») « Madame joue », regard ému et
attendrissant que l’artiste pose sur la paternité. S’enchainèrent à sa suite d’autres morceaux de ce dernier enregistrement : « Josephine Baker », « Pauvre d’elle », « On levait le poing », ou encore « Les bords de mer ». Les réactions de l’auditoire à l’interprétation de cette dernière chanson, dont j’avoue avoir pensé à l’écoute de l’EP qu’elle constituait peut-être, de par le choix des instrumentations et des arrangements, l’élément faible de l’ensemble, mes gouts personnels ayant plutôt inclinés à imaginer la puissance de dérision du texte habillée dans un costume plus Rock, m’interpellent. Preuve que l’arbitraire des gouts personnels ne peut prétendre être rien de plus que ce qu’il est -et c’est tant mieux!-, la chanson vécu un moment d’interaction avec un public très participatif, battant le tempo et se laissant charmer par la légèreté sans prétention d’une rythmique en clin d’œil aux variétés des années 80. Un constat s’impose : le morceau fonctionne. Avant de retrouver deux titres du précédent album (« Un homme dans l’ombre »), « Page 48 » et « Rendez-vous » qui clôtura cette première partie de concert par un instant de sidération, trop spontané pour être feint, où durant l’espace de quelques phrases, on perçu la voix de Sylvain Reverte traversée par le spectre de Mano Solo, le public s’entendit offrir quelques titres inédits, dont certains seront probablement de ceux constituant le prochain
album en cours d’écriture. L’attention générale se focalisa particulièrement sur l’un d’eux, « Le lac », qui évoque les souvenirs d’un lac aux confins du Lot et Garonne et du Gers, où l’artiste passait sa jeunesse, et dont l’accès est à présent interdit. Mais la chanson raconte en réalité bien plus. Et si elle bouleverse et atteint autant, c’est qu’elle est de ces morceaux par lesquels certains artistes parviennent, à travers le récit d’une histoire intime, à véhiculer des thématiques très universelles qui concernent et touchent tout le monde, comme le fit en son temps le « Toulouse » de Nougaro : la nostalgie d’un jeune âge à coup sûr, et le regret de l’insouciance avec, la provincialité peut-être, l’amour de la nature aussi, la perte des repères également, et sans doute la disparition de la liberté, de toutes ces petites parcelles de liberté de faire ce qui fut permis et n’est plus autorisé. La chanson marquera certainement un temps fort du prochain album de l’artiste et saura être de celles qui donnent de leur souffle (« Pauvre d’elle »). Quelques heures après la fin du concert, Sylvain Reverte acceptait de nous accorder un peu de temps.
– Sylvain bonsoir et merci de nous accorder cet entretien. Il y a quelques années que tu étais venu à Bordeaux, lors de notre première rencontre. Et ce soir, Olivier Daguerre et toi nous avez offert deux beaux concerts. Quelles sont à chaud tes premières impressions ?
– C’est toujours bien de venir jouer à Bordeaux, car je ne viens pas souvent. La dernière fois que je suis venu, c’était il y a deux ou trois ans en effet. Et ce qui est intéressant, c’est d’arriver avec de nouvelles choses pour voir la réaction du public et ce qui se passe en live. Et donc je sors de scène rassuré, avec une bonne impression sur les chansons à venir et le nouveau projet. Quant à Olivier, c’est le parrain de ma fille et un ami fidèle. On s’est connu depuis plus de dix ans ; il faisait les premières parties de mon groupe Le Manège Grimaçant. On était signés sur le même label, de Michel Françoise. Ensuite on a appris vraiment à se connaitre lors de la création de « L’enfant-porte », et à s’apprécier. Dès qu’on peut jouer ensemble, on est contents. J’adore le personnage et ce qu’il propose.
– La dernière fois que nous t’avions vu en concert, c’était à Agen, en première partie de Romain Humeau[ici], pour la présentation de ton EP « Soleil rouge ». Où t’a mené ta route depuis ?
– On a fait des concerts avec Christophe, qui m’accompagne. Ca m’a conforté dans l’idée d’approfondir le travail qu’on a amorcé ensemble. C’est un rythme qui me convient : on se voit de temps en temps pour travailler sur les prochaines compositions ; on prend le temps sans être stressés. On n’a pas d’impératif avec une major ou un label qui nous pousserait à produire. Donc on fait ça au rythme des saisons, tranquillement. C’est un luxe ; mais je n’ai jamais voulu que la musique soit un impératif avec une commande, comme un produit à mettre en rayon. Ca me bloque. Donc le fait de savoir que quelque part personne ne m’attend, et de sortir du bois et arriver comme une surprise, je trouve ça intéressant.
– Dirais-tu que la collaboration avec Christophe se renforce et prend plus de place dans les créations ?
– Exactement. J’ai envie de me laisser porter aussi par ce qu’il propose. Il a un univers à côté, puisqu’il a un groupe qui s’appelle Alnoï, avec lequel il est vraiment dans la musique électro-pop anglaise. Et je trouve intéressant de me laisser un peu porter par cet univers, parce que ce qu’il propose me plait, et que donc j’y adhère assez facilement. Je ne suis pas forcément quelqu’un de très malléable en termes de direction artistique, et c’est quelque chose que je travaille depuis un certain temps, parce que je trouve dommage de ne pas profiter des talents des gens qui m’accompagnent. J’étais plutôt du genre à diriger l’opérationnel, et à être complètement frustré, et pas à l’écoute, lorsque ce n’était pas moi qui dirigeait. C’est ce qui s’est passé pendant assez longtemps. Et désormais, j’arrive à me laisser convaincre plus facilement. C’est un risque qu’on prend à deux avec des orientations musicales vers lesquelles je n’étais pas forcément prêt à aller. Et je pense que plus ça va aller, plus je vais me dévêtir de la guitare, la conserver, mais doser différemment les choses, de façon à laisser plus d’espace au texte. C’est ce que je suis en train de faire actuellement : me cibler sur ce que j’ai envie de transmettre et ce que je suis en tant qu’auteur. J’ai envie de viser dans le mile, et c’est la complexité de ce travail là : être en accord avec ce que l’on ressent, ce que l’on veut dire. C’est donc plutôt pas mal que je puisse me concentrer là-dessus, et qu’en deuxième plan Christophe vienne enrober et enjoliver tout ça, et faire des propositions sur les arrangements.
– A propos de ces arrangements, les réactions interactives du public ce soir lorsque vous avez joué « Les bords de mer », dont je crois la composition a été particulièrement orientée par ses gouts personnels, m’ont fait réviser le sentiment dubitatif que la chanson m’avait laissé au premier abord. Ce titre recueille-t-il toujours autant l’adhésion du public en concert ?
– Oui, ça marche, car elle est assez rythmée, et j’ai l’impression que les gens aiment bien quand ça bouge un peu. Alors j’essaye de penser à ça aussi, et d’alterner. Je sais que c’est un moment un peu libératoire.
– Tu as joué ce soir quelques nouvelles chansons. Peux-tu en parler ?
– Il y a « De la haut » que j’ai coécrite avec Bruno Garcia, avec qui j’ai fait « L’enfant-porte ». Et ensuite il y a « Le lac », qui pour moi va être le point de départ de la création d’un nouvel album. J’ai d’autres chansons en travaux, mais j’ai fixé la ligne de mire là-dessus. J’ai été plus exigeant avec moi pour l’écriture de « Le lac ». Je me suis aussi plus dénudé, car c’est vraiment mon histoire. Ce n’est pas trop romancé. Et du coup, je tends à ça : aller puiser dans mon existence et mes sentiments de façon à être le plus juste et le plus authentique possible. Ce n’est que comme ça que ça peut marcher pour moi.
– Et paradoxalement ce titre qui est vraiment imprégné de ton histoire personnelle semble parler à beaucoup de gens et voué à ce qu’ils se l’approprient. Selon toi, y projettent-ils peut-être une identification avec leur vécu, leurs souvenirs, leurs sentiments propres ?
– Oui. D’ailleurs c’est assez marrant, car j’ai joué cette chanson quatre fois, et les gens chaque fois ressortent avec cette chanson en tête et m’en parlent. Ca n’arrive pas souvent. Car ce sont des gens qui ne connaissent pas forcément mon répertoire, ni mon histoire, et cette chanson marque. Alors je me dis que c’est bon signe, et que je dois continuer là dessus.
– Y a-t-il donc un nouvel album qui se profile à l’horizon avec ces chansons ?
– L’album en projet sera travaillé pour que trois ou quatre titres soient enregistrés courant 2020, et que sorte l’album en 2021. Pour le moment j’ai quatre compositions, et des idées qui arrivent. On va voir ; je ne me mets pas de pression. Il faut dire que j’ai des enfants en bas âge et beaucoup de mal à décrocher de mon rôle de père, qui prend beaucoup d’espace. Ma compagne qui est auteure compositrice, est aussi accaparée que moi. Donc là on vient de finir une petite tournée durant laquelle on a fait une dizaine de dates de septembre à décembre. L’idée est de se poser un peu. Et puis on risque de partir avec l’Alliance française faire des concerts à Dubaï. Partir tourner dans un pays étranger va me permettre de terminer la boucle de l’album « Soleil Rouge », pour partir sur autre chose ensuite. C’est une expérience que j’attends de vivre, le voyage qui va peut-être ouvrir encore d’autres horizons, même si j’arrive très bien à voyager chez moi aussi ; d’ailleurs je me suis mis au piano aussi pour m’ouvrir à d’autres horizons. Je me trouve en fait dans une période de transition.
– Continues-tu de participer à l’animation d’ateliers ?
– Je continue à fond. J’ai découvert les ateliers d’écriture en hôpital psychiatrique à Angoulême, et ça m’a vraiment marqué d’une façon très positive. J’ai été impressionné de la façon dont j’ai été reçu. Aller dans des lieux où il y a des gens en souffrance et apporter une petite lumière, c’est comme si à un moment donné on brisait leur quotidien monotone et on arrivait pour chambouler ça, l’espace de quelques minutes, pour repartir avec des yeux qui pétillent et des sourires sur les lèvres. Je considère que le premier travail que je dois faire est celui là : marquer les gens sur un temps donné qui va faire qu’ils oublient leurs problèmes et la routine quotidienne. C’était une première expérience. Et la seconde fut dans un centre de détention. On m’avait demandé de faire des trucs très Rock’n’roll, au motif que c’était un public difficile en attente de quelque chose de rempli de testostérone. J’ai pensé que j’allais me faire casser les dents avec mes balades et que ce serait compliqué, et en fait pas du tout : ça a été totalement l’inverse. Certains gars sont enfermés pour de longues peines, et il y a eu du partage et de l’échange autour de mes chansons. Je me sens en vie dans ces moments là. C’est quelque chose que j’affectionne énormément.
– Tires-tu peut-être de ces rencontres avec des expériences de vies autres, éloignées de la tienne, une ouverture sur des thématiques nouvelles ?
– En fait je n’ai pas franchi le cap d’écrire sur ce que peuvent ressentir les autres. Je reste dans la cible de mon histoire, et c’est peut-être une erreur de ma part. Je n’en sais rien pour l’instant. Mais il y a des choses qui m’ont marqué, et je me demande comment je pourrais être bien placé pour me mettre à leur place ; ça me semble impudique. Je ne sais pas si c’est à moi de le faire. Mais peut-être que d’ici quelques temps, ça viendra. J’ai besoin d’un temps de digestion en fait, car ce sont vraiment des moments très forts, et seul le temps pourra dire si j’accouche d’idées. Bizarrement je préfère me dénuder face aux autres que d’aller dénuder les autres et m’en servir comme vecteurs. Il y a quelque chose qui me gène là dedans.
– Une dernière question sur la chanson « Pauvre d’elle » que vous avez jouée ce soir, et qui pour moi, hausse la barre d’un cran, d’un point de vue de la qualité poétique et de la force d’impact du propos. De quelle envie est-elle née ?
– C’est marrant : j’ai fait un atelier de cinq-six jours à Voix du Sud, enfermé avec mes notes sous le regard bienveillant d’un artiste qui me rassure dans la progression de l’écriture. Et à cette période j’avais la chance d’être avec Jean Fauque. J’ai commencé à écrire les premiers vers, avec le style du regard, des yeux, des oreilles et du cœur de Jean Fauque. J’étais alors dans une période assez turbulente, perturbé moi-même, sans savoir si j’avais vraiment un certain talent pour écrire. Il m’a accompagné dans l’écriture et rassuré, en validant chaque fois le fait d’utiliser certains mots, certaines métaphores. Lorsque j’ai eu fini le texte, il m’a dit qu’en fait je n’avais pas besoin de lui. Jean Fauque me dit ça ? Wahou! C’était super. J’étais parti dans l’idée de faire une sorte de déclaration à la France, ou à la liberté, à ce que peut représenter la France pour moi, peut-être pour d’autres aussi, à savoir que c’est juste un bout de terre où des gens vivent, passent, meurent, et que certains se battent pour ce bout de terre, certains autres y font des choses magnifiques, d’autres un peu moins. Ce mot de France évoque beaucoup de choses, et derrière lui, des gens qui sont prêts à mourir, prêts à gouverner, prêts à travailler pour elle, prêts à créer des œuvres, construire des monuments, etc… Le côté patriote est quelque chose qui me questionne, car si on remet les choses à plat, ce n’est qu’un bout de terre. Il y a certainement des choses à défendre, des choses belles et uniques. Je voulais porter mon petit témoignage là dessus. Mais souvent les gens l’écoutent et me disent que c’est sur la liberté. On peut le prendre comme ça effectivement. Du coup ça me convient, car on associe quand même la France à une idée de la liberté, même si c’est compliqué, extrêmement compliqué en ce moment, mais justement il ne faut pas le perdre de vue.
Miren Funke
Photos : Miren

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