
Mercredi 28, la chorale anarchiste Le Cri Du Peuple, qui nous avait précédemment accordé un entretien lors du Festival contre le racisme et les stéréotypes, participera à un concert programmé au centre Darwin à Bordeaux, en soutien au Collectif des Migrants de Bordeaux (C.M.B), qui organise l’accueil des personnes privées de logement par la récente vague d’expulsions successives de squats, leur propose des repas, des aides juridiques et médicales, et coalise les initiatives des différentes associations ou organisations, propageant la chaleur humaine d’un mouvement de solidarité qui s’est spontanément et dans l’urgence exprimé dès les premières expulsions, et engagé dans l’action concrète autour de militants anarchistes et sympathisants de gauche, de membres du milieu associatif (notamment le club de rugby solidaire Ovale Citoyen qui compose la mixité de son équipe en recrutant des joueurs issus de populations exclues et en exil), ou de gens simplement citoyens et humanistes, horrifiés et révulsés par la brutalité et le cynisme avec lesquels la république « des droits de l’homme » a subitement privé des être humains de leur abri, pour les jeter à la rue en pleine canicule, et à la déchetterie leurs affaires. Nombreux furent les girondins, politisés ou non, à s’insurger devant le sort de ces hommes, femmes et enfants, contraints d’errer et dormir dehors, parfois juste devant la porte condamnée de leur squat, et à s’abasourdir face à la stupidité et au non-sens de l’intervention préfectorale ordonnant l’application froide des décisions juridiques d’expulsion, sans plus d’empathie que de cas de conscience. Rapidement les dons de denrées alimentaires et produits de nécessité ont convergé vers le local de la Confédération Nationale du Travail (C.N.T Gironde), puis l’Athénée Libertaire, ou des militants et sympathisants se relayent pour assurer une distribution de repas, et un accueil de jour pour les expulsés, qui eux-mêmes s’impliquent dans l’accomplissement des tâches et dans la mise en œuvre de l’entre-aide -loin, très loin d’un esprit d’assistanat tel qu’il est souvent fantasmé par certains discours ignorants-, tandis que et la Bourse du Travail -local de la Confédération Générale du Travail (C.G.T)- prenait le relais pour un accueil de nuit. C’est peu dire que la solidarité localement a fonctionné avec la dignité, la conviction et l’intelligence des âmes de bonne volonté, pour qu’un havre existe permettant la distribution des repas et offrant un lieu de répit aux personnes, exilées ou non, s’étant retrouvées à la rue. Et comme les cœurs fertiles sont parfois à cours de moyens financiers, mais jamais à cours d’inventivité ni de poésie, l’idée d’évènements artistiques et musicaux s’est évidemment imposée comme un moyen de donner plus de lisibilité à cette cause et de récolter aussi des moyens. C’est naturellement vers certains des membres du Cri Du Peuple, très impliqués dans l’action, et qui lors de l’entretien qu’ils nous avaient déjà accordé, nous avaient expliqué l’importance pour eux de participer au soutien de justes causes et donner du sens aux paroles militantes qu’ils chantent, que nous sommes revenus pour leur permettre de parler de cette cause, en compagnie de Jean-François du club Ovale Citoyen et du Collectif des Migrants de Bordeaux.
– Bonjour et merci de nous accorder ce moment. Pouvez-vous nous parler de ce concert à venir et du Collectif des Migrants de Bordeaux en soutien duquel il aura lieu ?
– Marina : Le concert du 28 est organisé pour le Collectif des Migrants de Bordeaux (C.M.B) au centre Darwin, avec plusieurs autres artistes participants. Nous sommes plusieurs membres de la chorale effectivement engagés dans le mouvement solidaire. C’est la C.N.T qui a la première ouvert ses portes aux migrants expulsés, dans les tout premiers jours après l’expulsion du squat la « Zone du dehors » à St Médard en Jalles, afin qu’ils puissent trouver un refuge, des repas et prendre une douche. Puis le local du syndicat a du affronter des plaintes du voisinage et s’est retrouvé menacé d’expulsion lui-même. La logistique de préparation et distribution des repas s’est donc déplacée ici, à l’Athénée libertaire, où les militants et sympathisants poursuivent l’action. L’élan de solidarité s’est affirmé de partout : seule preuve en est que des gens de l’église catholique cohabitent ici avec des anarchistes pour aider. Le diacre a lancé un appel à ses fidèles, à travers le journal La Croix, sa page facebook et une interview sur France Inter, à apporter des dons et leur aide aux permanences qui sont assurées ici pour l’accueil des personnes, tous les jours sauf le lundi et le vendredi ; il a aussi trouvé quelques appartements pour loger provisoirement des familles.
– Boris : L’idée de créer un collectif, le C.M.B a été lancée quand l’action menée au local de la C.N.T, puis ici pour garantir des repas et des douches, et du soutien a commencé à se pérenniser. Il s’agissait de rendre la cause visible avec un collectif unitaire centralisateur, qui réunisse en son sein les militants des divers horizons politiques, syndicaux ou associatifs et les citoyens non-affiliés, mais aussi les expulsés eux-mêmes, et relaye les informations de chacun aux autres, en impliquant autant les migrants eux-mêmes que les bénévoles. La page facebook a donc été créée, et est gérée par des migrants autant que par nous, le principe étant de mettre en avant la parole des concernés, soit par des communiqués qu’ils rédigent eux-mêmes, soit par l’aval qu’ils doivent donner aux publications. Tu peux constater de toute façon que les migrants accueillis ici s’impliquent pleinement dans la préparation des repas, les activités, la prise en charge de nouveaux arrivants. Certains sont parfois trop épuisés quand ils arrivent, mais d’autres participent énormément et se montrent très volontaires.
– Marina : Donc notre chorale s’est engagée, avec ses moyens. Nous sommes plusieurs membres impliqués dans le fonctionnement des permanences et de l’aide. Et puis nous avons déjà poussé la chansonnette dans des bars ou dans la rue pour récolter de l’argent pour financer la caisse commune et en parler. Il y a déjà eu quelques petits concerts spontanément organisés par des membres du milieu associatif et alternatif qui ont également permis de récolter du soutien financier.
-Samia : Le concert aura lieu le mercredi 28 au centre Darwin, avec une entrée payante à faible prix ou prix libre, à partir de 18h. Deux grands axes sont mis en avant : la question de tous ceux qui sont privés de logement, dont les sans-papiers et demandeurs d’asile, et la question de la régularisation des gens en situation d’attente ou irrégulière.
– L’engagement en général tient à coeur à votre chorale. Est-ce pour vous une évidence de ne pouvoir dissocier l’action militante et de l’esprit du chant de révolte ?
– Sandrine : Le Cri Du Peuple existe depuis plusieurs années, mais ça fait vraiment un an et demi qu’on est très inquiets et mobilisés sur ces questions et qu’on récolte des sous pour ces causes, parce qu’on sent le vent tourner, et ça pue vraiment. La réglementation légale est en train d’évoluer à vitesse grand V, avec la remise en cause des droits des étrangers, les attaques du droit au logement aussi via plein de biais, notamment les diminutions ou suppressions des aides sociales. Dernièrement on nous dit que pour financer les mesures demandées par les Gilets Jaunes, on va devoir puiser dans le fond de réserve d’Action Logement, ce qui est encore une façon d’opposer les gens des classes populaires entre eux.
– Boris : C’est médiatisé à Bordeaux, car l’élan de solidarité a été intense et relayé par les médias. Mais plusieurs villes en France connaissent des situations similaires. Alors on dit que c’est dû à la préfète actuelle de Gironde, anciennement préfète de Calais, ce qui est vrai quelque part ; mais c’est surtout l’état qui mène cette politique. Ceux qui sont pris en charge par l’O.F.I.I sont dispersés dans des logements un peu n’importe où, dans la région Nouvelle Aquitaine, dans de petites villes un peu perdues, sans transport en commun, où ils se retrouvent isolés, sans pouvoir établir ou garder de rapports avec des associations ou des humains qu’ils connaissent. C’est donc très compliqué à vivre humainement et psychologiquement pour eux comme pour nous. Je pense qu’une chose utile à faire serait de construire un réseau solidaire avec les autres villes, comparer la façon dont on gère les choses, les idées qui sont mises en avant et s’en inspirer si nécessaire, et permettre aux gens de créer des contacts plus facilement.
– Marina : Il faut aussi que les gens qui acceptent d’obéir à ce type d’ordre inique comprennent qu’ils sont responsables de ce qu’ils font. C’est pourquoi on cite les gens qui appliquent les ordres et acceptent d’être grassement payés pour ça, même si bien évidemment nous savons que c’est la politique du gouvernement qui est mise en œuvre, parce que si ses fonctionnaires refusaient d’appliquer les ordres, le gouvernement ne pourrait rien faire. C’est la responsabilité de chacun. Depuis un an nous reversons l’argent récolté à un collectif qui s’appelle Espace Solidaire et qui travaille à accueillir, aider et soutenir les gens qui se retrouvent à la rue.
– Sandrine : C’est un collectif d’individus qui s’est créé y a un peu plus d’un an, dans le quartier St Michel où on voyait des gens errer en quête d’un refuge, pour agir et ne pas rester indifférent face à ces situations, et indiquer aux gens les lieux solidaires auprès desquels trouver de l’aide.
– Marina : Par exemple des cours de Français sont proposés aux migrants qui en ont besoin pour pouvoir faire leurs démarches administratives. Il faut savoir que certains arrivent ici en ayant vécu et traversé des choses terribles, connu l’esclavage, le viol, effectué des années de prison dans les pays où ils sont passés, vu leurs compagnons de voyage mourir, les membres de leur famille massacrés, mis parfois plus de trois ans de périple. Ils arrivent ici avec une histoire très lourde, et on ne peut pas mettre une aide psychologique en place, parce que ce n’est pas notre métier. Alors eux ont envie de parler français, mais il y a tellement de choses dans leur tête, que c’est très compliqué. On démarre les cours avec une cinquantaine d’ « élèves » pour en avoir peut-être trois qui vont s’accrocher, et qui sont des personnes ayant déjà un bagage scolaire ou universitaire.
– Boris : On a des enseignants en congés ou en retraite, ou des professeurs de Français-langues étrangères de l’Association de Solidarité des Travailleurs Immigrés (A.S.T.I) qui viennent donner des cours au local de la C.N.T, car enseigner le Français à des non-francophones ne demande pas les mêmes compétences que l’enseigner aux francophones. Pour l’instant nous sommes huit enseignants, donc on arrive à faire des suivis un peu personnalisés et c’est bien.
– Sur la situation, quelles solutions ont été proposées à ce jour par les autorités ?
– Jean-François [pour le C.M.B et Ovale Citoyen]: Tous les demandeurs d’asile qui avaient trouvé refuge de nuit à la Bourse du Travail, c’est-à-dire 70% des expulsés des squats, ont été finalement pris en charge jusqu’à la fin de leur procédure, même si ce sont des relogements provisoires. Au début la préfecture répondait par la négative à nos démarches en nous disant que toutes ces personnes étaient illégales, sans-papiers. Ce qui est faux. Il y a des travailleurs pauvres de citoyenneté française, des sans-papiers, des gens disposant de visas touristiques, de visas d’affaires, beaucoup de demandeurs d’asile. Cela concerne en tout 120 personnes pour le premier squat expulsé, l’Ascenseur, 70 pour le Garage, et encore 120 pour la « Zone du dehors ». Il semble que concrètement ça a embêté la préfecture d’avoir cette situation sous les yeux, avec des organisations syndicales et des citoyens gérant bénévolement une prise en charge d’urgence à la place de l’état, et elle a donc finalement dû se résigner à prendre notre parole en considération. On a finit par obtenir que la préfecture accepte de réaliser un diagnostic des situations avec le Samu Social, qui a révélé que la majorité des personnes étaient en situation de demande d’asile et en attente que leur cas soit étudié. Après leur relogement, la Bourse du Travail s’est à nouveau remplie, et nous avons réalisé un second diagnostic, dont nous avons obtenu qu’il soit pris en compte comme s’il avait été réalisé par une autorité officielle, qui a encore trouvé près de 70% de demandeurs d’asile. L’Office Français de l’Immigration et de l’Intégration (O.F.I.I) a donc du prendre en charge ces gens. Les autres ont obtenu un hébergement en foyer pour un mois, sauf certains qui ont refusé l’hébergement ou préféré quitter Bordeaux. Ce n’est que provisoire bien sûr, mais déjà ces gens ne sont plus à la rue, et contraints de s’entasser à la Bourse du Travail, qui n’a pas vocation à l’accueil de nuit comme elle l’a assuré pendant un mois, ne disposant que d’une douche et de quatre wc, et n’ayant plus de militant disponible pour rester sur place pour tenir les permanences. La préfète de Gironde se défend en disant qu’elle ne fait qu’appliquer une décision de tribunal avec ordonnance d’expulsion, et qu’en tant que « bras armé » de l’état, si elle ne fait pas appliquer l’expulsion, c’est elle qui est en tort. C’est exact. Mais ce en quoi nous contestions le bienfondé des expulsions, c’est qu’il n’y avait pas eu de diagnostic social préalable. Normalement quand on expulse un squat le C.C.A.S passe avant et relève la situation particulière de chacun pour qu’à la sortie du squat une offre de relogement soit faite. Cela a été en partie réalisé sur la « zone du dehors » ; pas du tout sur le Garage.
– Marina : Mais de toute façon les solutions proposées ont été des issus à très court terme, c’est-à-dire qu’on vire des gens d’un squat, on les place deux-trois jours dans un hôtel, et ensuite on ne se soucie plus de ce qu’il advient d’eux quand l’hôtel le met dehors. Le problème qui a choqué les gens est aussi que les évacuations se sont opérées dans la violence. La préfète s’est cru à la jungle de Calais, où elle avait sévi auparavant.
– Samia : Ils ont tout jeté, les affaires des gens parfois avec leurs papiers, cassé les meubles.
– Jean-François : Il faut savoir que certains des demandeurs d’asiles ont l’habitude de cacher leurs documents dans les matelas ou les affaires. Donc tous ceux qui n’avaient pas leurs papiers sur eux les ont vus partir à la benne avec les meubles. La volonté est de les priver de leur mobilier pour rendre impossible la reconstitution d’un autre squat, donc on jette tout à la benne. Nous nous sommes battus pour obtenir qu’on puisse rentrer dans les lieux pour récupérer des médicaments! Et puis il ne faut pas se faire d’illusion : tous les gens relogés en foyer occupent une place qui est une place en moins pour d’autres. C’est un système de vase communiquant. Actuellement le taux d’occupation des foyers dépasse les 120%.
– La tendance médiatique est souvent de décrire la France comme un pays de transit pour les flux migratoires, les migrants étant censés vouloir chercher fortune en Angleterre. Qu’en est-il de la réalité des aspirations ceux que vous rencontrez ici ?
– Marina : Il y a beaucoup de migrants qui viennent des ex-colonies françaises, donc qui ont déjà la pratique de notre langue en main. Ils viennent ici simplement, parce qu’ils ne peuvent pas vivre dans leur pays, qu’ils y sont menacés, quand ils n’ont pas déjà vécu l’emprisonnement, la torture ou la persécution, ou parce qu’ils fuient la misère et la famine. On recense quatre cent treize millions d’Africains qui vivent avec un euro quatre vingt dix par jour, pendant qu’une entreprise comme Total fait quatre milliards et demi de résultats nets en 2018 : l’Afrique est le continent le plus riche en ressource minière d’or, de platine, de diamants… Et tout cela n’est exploité que par des grandes puissances occidentales. Tant que les gens vivront dans la misère, ils continueront d’émigrer. Si on veut qu’ils cessent de venir, il est temps de rétablir de la justice.
– Sandrine : L’intellectuel sénégalais Felwine Sarr dit que si toutes les entreprises comme Total payaient les taxes qu’elles doivent aux pays d’Afrique dans lesquels elles sont implantées, il y aurait zéro dette et les états africains seraient même excédentaires.
– Samia : Ceci dit rappelons quand même que par principe nous sommes en tant qu’anarchistes contre les frontières, et que donc même si tout allait bien des ces pays, chaque humains devrait avoir le droit de circuler librement sur la planète.
– Marina : Exactement! La terre n’appartient à personne ; chaque humain a le droit d’aller et de s’installer là où il le veut.

Miren
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