au Théâtre de Gennevilliers
Michel Cerda, metteur en scène et directeur d’acteurs a choisi de monter une pièce de l’auteur irlandais John Millington Synge (Les noces du rétameur, Cavaliers vers la mer, L’Ombre de la vallée…). Synge se rend en 1898 dans les îles d’Aran, au large d’une Irlande où les mythes et légendes animent les habitants particulièrement croyants. Synge cherche à vivre auprès de « gens simples et passionnés comme son coeur ».
Une atmosphère mystérieuse, opaque et profonde. L’on ne distingue pas grand chose dans le noir mais on dresse l’oreille. Nos sens sont à l’affût : que va t-il arriver ? Qui rentre et qui sort dans ces ténèbres ? Le plateau est alors plongé dans un clair obscur déstabilisant pour le spectateur curieux de voir les deux acteurs apparus sur scène.
Un couple d’aveugle crasseux tâtonnent avec un bâton et semblent perdus au milieu de nulle part. Le vide les entoure, ils ne peuvent pas voir mais écoutent attentivement, dressant l’oreille et baragouinant dans une langue étrange aux nombreuses onomatopées.
Un vrai saint du bon dieu !
Un saint leur propose de guérir leur cécité en leur redonnant la vue grâce à l’eau de cette fameuse source. Michel Cerda présente ce personnage comme un vaudou ayant plusieurs tours dans son sac mais surtout un charlatan. Soudainement, les deux aveugles retrouvent la vue et se découvrent l’un et l’autre pour la première fois. Le choc est brutal. « L’amour est aveugle », dit on, mais cela n’empêche pas ces deux amoureux de rester soudés quand les habitants du village voisin se rebellent contre eux. Leur cécité les rassemble. Au final, retrouver la vue a été plus une source de problèmes qu’un bonheur. Et Synge met en lumière ce bon sens populaire qui habite ces deux malheureux : « Mon père, aussi saint que vous soyez,rien n’est plus sain que la raison ! » nous rappelle Martin Byrne en courant fou de joie.
« Le sens est au bout de l’énigme chez Synge » Noëlle Renaude
Michel Cerda s’est accaparé avec finesse cette langue traduite par Noëlle Renaude : «rien ne s’énonce comme il faut chez Synge ». Il y a une lenteur qui se dégage de ces corps, une difficulté à dire les mots et à marcher. Le corps s’incarne dans la langue de Synge. Anne Alvaro, dans le rôle de Molly Bryne, nous coupe le souffle par sa capacité à incarner cette femme aveugle. Tout y est : les déplacements sont très précis, l’écoute sensible et le travail réalisé sur la voix et les sons est captivant. Yann Boudaud, Martin Byrne, a le talent de cette langue. Il nous emmène avec lui dans l’imaginaire loufoque de son personnage enfantin et paresseux.
Mathias Youb
Avec Anne Alvaro, Yann Boudaud, Chloé Chevalier, Christophe Vandevelde, Arthur Verret et la participation de Silvia Circu.
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